Figurations (Samuel Sénéchal)


Samuel Sénéchal. – Figurations. – Trois-Rivières : Les productions Désordre, 2015. – 119 pages.


Autofiction







Résumé : Tellement plus facile de se cacher derrière un personnage, d’oublier que l’on existe. La vie est faite de trucages bâclés et de flagrantes illusions.

Ma vie, je ne suis pas certain qu’elle intéresse qui que ce soit. Après tout, elle ne se résume qu’à plier des t-shirts à la Toxik’Boutik, à gérer le band de Malis (mon punk préféré, ami et coloc), à apprendre à vivre en couple sept jours sur sept et à tenter de finir mon futur mémoire de maîtrise avant de devenir complètement fou.

Vraiment, tout ce qui m’entoure est d’un ennui sans nom. Et si mon existence ne se résumait qu’à une longue succession de demi-vérités, parfois folles, crues et un tantinet tordues, parviendrait-elle à vous amuser?

Commentaires : J’ai croisé le Trifluvien Samuel Sénéchal (auteur, éditeur, musicien…) à quelques reprises dans des salons littéraires au Québec regroupant des auteurs peu ou pas connus. Plus récemment, à Montréal, alors que les visiteurs se faisaient plutôt rares, l’occasion s’est prêtée pour jaser, comme on dit en bon québécois : de littérature, de langue, de politique… autant d’atomes crochus. Avec la curiosité de découvrir cette autofiction que cet auteur de la génération « Y » a publiée en 2015 après Le jour et la nuit (2012) et Les vies nouvelles (2014). Figurations se veut le premier roman d’une série à paraître tous les 5 ans entre 2020 et 2035 dans la collection Zone grises.

Dans cette autofiction (genre littéraire auquel Samuel Sénéchal a consacré un mémoire de maîtrise), pas facile de faire la part entre le réel et l’imaginaire, entre la réalité et la fiction tant le discours semble autobiographique. Ce qui frappe dans cet ouvrage, c’est évidemment le style de l’auteur et la qualité de son écriture. On ne pourrait en attendre moins d’un diplômé en création littéraire. C’est surtout les propos qui y sont tenus et les questionnements soulevés avec un humour parfois grinçant par un trentenaire, un Frog parmi les Frogs « qui n’a jamais été en mesure de comprendre le concept de ‘’projet collectif’’ » quant aux enjeux politiques, sociaux, culturels et économiques de la société québécoise qui l’interpellent.

La lecture de cet opus de moins de 120 pages regorge de commentaires parfois cyniques, le plus souvent réalistes, intégrés dans un récit de vie. Samuel Sénéchal est un fier Québécois, fier « de vivre en français en Amérique du Nord. » Il s’interroge sur le rôle de l’écrivain, sur le processus créatif, sur la difficulté d’être publié, sur la nécessité d’écrire en français parce que, dit-il, « Ma langue, lorsqu’elle s’écrit en noir sur blanc, refuse systématiquement sa mort annoncée ». Et je pourrais allonger la liste des citations qui m’ont rejoint. Je préfère vous laisser les découvrir.

Avec un ton politico-trash humoristique, cet auteur indépendant « ce qui veut dire qu’il est encore plus pauvre et méconnu que la moyenne […] en quête constante de gloire, de reconnaissances et d’invitations à des soirées mondaines » comme le mentionne sa notice biographique est à découvrir.  

Ce que j’ai aimé : Les réflexions et les questionnements de l’auteur sur différents aspects de la société québécoise. La qualité d’écriture.     

Ce que j’ai moins aimé : -

Cote :

Saison de porcs (Gary Victor)


Gary Victor. – Saison de porcs. – Montréal : Mémoire d’encrier, 2009. – 190 pages.


Polar vaudou







Résumé : À la fois fable, histoire et enquête policière, Saison de porcs met en scène les mystères de la société haïtienne, dominée par la corruption et la tentation totalitaire. Un livre bouleversant : humour, cynisme, virtuosité.

Commentaires : Gary Victor est un auteur haïtien, romancier, scénariste et journaliste. Saison de porcs est un polar coup de poing dont la thématique, une sordide affaire de trafic d’enfants, oscille entre politique et fantastique.

Dès les premières pages, le lecteur est immergé dans le milieu corrompu des hautes sphères de la police haïtienne. À Port-au-Prince, pendant un été torride et suffocant, au cours duquel l’inspecteur alcoolique Dieuswalwe Azémar est aux prises avec quelques meurtres et une secte mafieuse, l’Église du Sang des Apôtres chargée de l’adoption de sa fille Mireya. Dans l’absurdité du quotidien de ses compatriotes, l’enquêteur est amené à découvrir l’horreur qui se trame derrière ce groupe religieux. Contraint de lutter sans merci dans un système pourri où la corruption est tellement endémique qu’elle devient presque invisible. Contre les forces policières et occultes de l’île pour sauver sa peau et celle de sa fille.

Assurément un polar hors du commun que j’ai beaucoup aimé tant pour l’intérêt soutenu du récit, le style franc et direct de l’auteur, les descriptions, l’ensemble des personnages. Au fur et à mesure de l’avancement de l’action, impossible de ne pas avoir de l’empathie envers ce policier au quotidien merdique.

Saison de porcs est aussi une œuvre littéraire qui dénonce sans ambages. À preuve ces deux extraits, à titre d’exemples :

À propos de l’omerta : « On vit vieux quand on ne comprend rien et quand, surtout, on ne cherche pas à comprendre. »

À propos de la corruption politique : « Dans ce pays pratiquement laissé à lui-même où gouverner n’était qu’une macabre représentation dont les acteurs profitaient pour s’autorémunérer grassement, la population était à la merci de toutes les folies des grands requins du Nord. Des cliniques, des hôpitaux fonctionnaient sans contrôle véritable. Dans des centres de santé gérés par des intérêts occultes qui profitaient de la banqueroute de l’État, des gens sans aucune éthique se livraient parfois à toutes sortes d’expérimentation. C’était pratiquement dans tous les domaines. Les ressources minières du pays étaient souvent exploitées en cachette par des compagnies qui graissaient la patte des politiciens. Le plus grave, pensa Azémar, c’est que ces intérêts ne venaient pas seulement s’approprier ce qui restait de la terre. Ils pouvaient venir aussi y enfouir toutes sortes de saloperies. L’avenir seul mettrait certainement à jour la félonie et l’inconscience des politiciens. »

Ce que j’ai aimé : Le rendu de l’ambiance sordide qui se dégage du récit, des descriptions et des personnages. Le rythme lent et la chute finale.    

Ce que j’ai moins aimé : -

Cote :

Le Blues des sacrifiés (Richard Ste-Marie)


Richard Ste-Marie. – Le Blues des sacrifiés. – Lévis : Alire, 2016. 364 pages.


Polar







Résumé : Pour Francis Pagliaro, l’affaire débute quand l’un de ses proches collègues, le policier expert en informatique Nicolas Turmel, est froidement assassiné chez lui d’une balle en pleine tête. Le jeune père de famille était assis devant son ordinateur, casque d’écoute sur la tête. Motif de l’agression : inconnu.

Pour Louis Collard, professeur de musique à l’Université Laval, l’affaire s’enclenche le lendemain quand il apprend que sa femme Genevière, une décoratrice de théâtre, vient d’être tout aussi froidement tuée d’une balle en plein cœur. Motif de l’agression : inconnu.

Très vite, les enquêteurs de Montréal et de Québec découvrent qu’un élément relie les deux meurtres sordides : l’arme du crime. De fait, tout indique qu’un pistolet de fabrication russe, dont la possession est interdite au Canada, a été utilisé. Pour Pagliaro, il ne fait aucun doute qu’un « professionnel » est à l’origine de ces meurtres, et qu’il faudra découvrir ce qu’il cherchait avant de pouvoir même l’appréhender !

C’est pourquoi il décide de creuser dans le passé de Louis Collard. Or, le saxophoniste, dévasté par la mort de sa femme, n’a jamais porté les policiers dans son cœur, et sa collaboration est loin d’être acquise. C’est pourtant Collard qui, sans le savoir, détient la clé de l’affaire, ce dont il commence à se douter quand il découvre qu’une de ses vieilles connaissances a elle aussi été victime du tueur…

Commentaires : Richard Ste-Marie est un auteur de Québec. Nous sommes nés tous les deux dans le même quartier, presque à la même époque. Son héros, l’inspecteur Francis Pagliaro de la Sûreté du Québec, est un policier cultivé, amateur de musique classique et d’art. Comme son créateur, clarinettiste, saxophoniste et professeur à l’École des arts visuels de l’Université Laval, qui allie crimes et culture pour inventer des histoires dignes de capter l’attention, bien ficelées, avec des chutes finales impossibles à anticiper. C’est ici le cas et également dans les enquêtes antérieures de Pagliaro (L’Inaveu 2012 [finaliste du Prix Saint-Pacôme du roman policier et Prix Coup de Cœur décerné par le club de lecture de la bibliothèque Mathilde-Massé de Saint-Pacôme], Un ménage rouge 2013 et Repentir(s) 2014) que j’ai beaucoup aimé.

Le Blues des sacrifiés nous entraîne dans une investigation dont le rythme croît de chapitre en chapitre. Dans la région de Montréal, mais surtout à Québec : à deux rues de chez moi et dans le quartier ouvrier de Saint-Sauveur. Une montée dramatique à laquelle on s’accroche dès le départ, qui pique notre curiosité au point où il est difficile d’en arrêter la lecture jusqu’à la ligne d’arrivée. Tous les personnages sont crédibles dans cette histoire de retour d’ascenseur dont la finale surprenante permet de décoder le titre donné au roman. Le tout raconté à la fois par un narrateur qui suit le cheminement de l’enquêteur Pagliaro et l’un des personnages principaux, Louis Collard, qui témoigne de sa perception des faits et des événements auxquels il est confronté. Deux points de vue sur une même affaire. Une structure romanesque des plus originales.

Richard Ste-Marie a aussi le don d’insérer ici et là des expériences personnelles de vie qui introduit une dose d’humanisme souvent absente de bon nombre d’ouvrages de ce type de littérature. Ce qui crée une valeur ajoutée et fort appréciée dans les fictions qu’il nous livre. Avec une thématique très contemporaine alliant terrorisme islamique et pègre russe, Le Blues des sacrifiés vous fera passer de trop courtes heures de délices. Une frustration que vous pourrez évacuer à l’annonce du prochain Ste-Marie dont la plume talentueuse saura encore une fois vous ravir, et vous stimuler à en redemander.

Le Blues des sacrifiés s’est inscrit comme finaliste du Prix Saint-Pacôme 2016 du roman policier.

Ce que j’ai aimé : Le scénario et la qualité d’écriture. L’environnement culturel du récit. Une histoire qui se déroule principalement dans la ville de Québec, un environnement propice au développement du genre polar et de roman noir.    

Ce que j’ai moins aimé : -

Cote :

Scène de crime (Maude Tabachnik)


Maud Tabachnik. – Scène de crime. – Clermont-Ferrand : Éditions De Borée, 2018. 303 pages.


Polar - Nouvelles







Résumé : Une petite fille apparemment tranquille contre deux agresseurs… Une femme au foyer un peu trop modèle… Un amoureux en transit dans un village dont on ne revient pas… Un jeune homme à principes, sauf pour lui-même… Une mère aimante qui veut protéger sa fille… Gus, Natacha, Fatima, Pierre, Stéphanie, Sophia ont pour moteur la révolte, la réflexion et l’intelligence. Au péril de leur vie. Ou de celle des autres.

Arrêtés par les dieux ou le destin, quel peut être leur futur lorsque le présent se fait trop lourd, trop injuste, trop violent ? Tuer ne devient-il pas alors la solution la plus limpide pour faire le vide devant soi ? À l’intérieur des histoires réunies dans ce recueil, Maud Tabachnik explore ses thèmes de prédilection : la colère souvent salvatrice de ces personnages les amène parfois en prison, mais la rédemption n’est jamais impossible.

Dix-sept histoires noires et abrasives, sous la plume d’une Maud Tabachnik implacable et lucide.

Commentaires : Maud Tabachnik a publié une trentaine de romans. J’ose espérer que la qualité éditoriale de cette production a été supérieure à celle de Scène de crime : phrases incomplètes, mots et caractères manquants, ponctuation déficiente. Tout à fait inacceptable de la part d’une maison sérieuse comme les Éditions De Borée qui nous a habitués à produits de facture soignée. Dans ce cas-ci, j’ai eu l’impression d’avoir entre les mains une réalisation expéditive pour une auteure prolifique. Heureusement que j’ai reçu le livre en service de presse, car j’aurais demandé à mon libraire qu’il me rembourse les 25 $ (17,90 euros). Dans de telles circonstances, il est difficile d’apprécier une œuvre littéraire qui exige une rigueur dans l'écriture. Je suis bien placé pour en parler.

Cela dit, je n’ai malheureusement pas été emballé par l’ensemble de ces nouvelles noires. L’accroche de la quatrième de couverture était prometteuse. Avec la première nouvelle (La maison au fond des bois), l’auteur livre la marchandise avec son suspense jusqu’à la chute finale. L’enfilade des autres textes est plus ou moins noire, à mon goût. Quant à la dernière (Fin de parcours), elle est, ma foi, des plus originales. Ce recueil a au moins pour qualité la diversité thématique des récits ayant pour thème la vengeance. Je devrai peut-être me plonger dans un des plus récents best-sellers de Maud Tabachnik (Le Cinquième jour, Ne vous retournez pas ou L’Impossible définition) qui, dit-on, se sont hissés au rang des meilleures ventes, afin de livrer un avis qui lui rende justice.

L’idéal est de vous faire votre propre idée.

Ce que j’ai aimé : -   

Ce que j’ai moins aimé : -

Cote :

Paul et les fées (Denis April)


Denis April. – Paul et les fées. – Montréal : Liber, 2008. 120 pages.



Récits






Résumé : « Les récits regroupés dans ce livre, à peine inventés, tournent autour de Paul Boyer, personnage observateur, souffrant de maladie mentale, qui a jeté un regard parfois étonné autour de lui lors de ses hospitalisations. Il a rencontré dans ce milieu un peu spécial les délires des autres certes, mais aussi la compassion entre ces désespérés de la réalité qui fuient dans leur folie.

Je vous invite à lire ces histoires avec votre cœur d’enfant. Vous comprendrez alors pourquoi certaines grandes personnes sont aussi fragiles que des enfants.

Vous savez, perdre la raison, ce n’est pas sorcier. »

Commentaires : D’entrée de jeu, vous comprendrez que Paul et les fées fait partie de la catégorie des « etc. » annoncés dans le titre de cette page d’avis de lecture. Comme c’est occasionnellement le cas.

Denis April est un ex-collègue d’études classiques des années 60. On s’était perdu de vue. Lui a fait carrière comme avocat, moi dans la gestion documentaire. En 2018, on s’est retrouvé par hasard dans un cours de création littéraire à l’Université Laval. Nous avons échangé et dédicacé nos publications respectives.

Paul et les fées regroupe 6 courts textes ayant pour thème la vie quotidienne des « fous » enfermés dans ce qu’il était convenu d’appeler l’Hôpital Saint-Michel-Archange de Québec. Une ville en soi. Un établissement dont la façade s’étire sur un demi-kilomètre qui dérobe au regard délires et hallucinations. L’auteur y a travaillé pendant ses études, durant l'été et la période des fêtes entre 1968 et 1970, à titre de préposé aux malades : il décrit sans artifice la vie de celles et ceux qu’on y a isolés pour soi-disant les soigner : hantés par les fées de la folie; parfois libérés momentanément pour tenter de survivre dans la société dite normale, utilisateurs des portes tournantes entre enfermements ponctuels et pseudo liberté; en quête d’évasion virtuelle et d’apaisement des troubles par la musique d’un tourne-disque ou d’un piano.

J’ai été touché par chacun des récits. J’ai beaucoup ri à la lecture de celui qui, intitulé Musique d’orchestre, décrit un événement symphonique ayant pour objectif une collecte de fonds auprès de la haute société. Au programme, des compositeurs ayant été atteints d’une façon ou d’une autre de maladie mentale. Un concert perturbé par un « inconnu habillé d’un pantalon gris et d’une chemise à carreaux rouge et noir qui accapare le micro et dont le discours indispose la femme d’un courtier d’assurance qui avait acheté des billets auprès d’un client important. À la fois tordant et touchant.

Le dernier texte, intitulé la Nef des fous, décrit de façon anonymisée et dans ses moindres détails l’expérience de travail estival de l’auteur. Une indicible tristesse et une admirable générosité se dégagent de ces employés généralement sous-payés, côtoyant un personnel infirmier qu’on sent impuissant  dans un établissement où étaient parqués bon an mal an des milliers de malades mentaux.

Paul et les fées est le premier ouvrage publié par Denis April. Il vous entraînera dans un Vol au-dessus d’un nid de coucou québécois si vous le commandez chez votre libraire ou l’empruntez dans une bibliothèque près de chez vous.

Ce que j’ai aimé : Le style direct, franc et sans quelconque jugement de la part de l’auteur. Le réalisme dans les descriptions des situations.    

Ce que j’ai moins aimé : -

Cote :

7/13 (Jacques Saussey)


Jacques Saussey. – 7/13. – Paris : Éditions du Toucan, 2018. 456 pages.



Polar






Résumé : Hiver 2015. Durant l’absence prolongée des propriétaires, une villa de la banlieue parisienne est le théâtre d’un crime atroce. Lorsqu’il arrive sur les lieux, le capitaine Magne découvre avec effroi que le corps n’est plus reconnaissable. Pas de vêtements, pas de papiers : l’identification s’annonce compliquée.

Décembre 1944. Un officier américain scrute avec inquiétude le brouillard qui plombe le ciel de l’Angleterre. Il projette de traverser la Manche au plus vite pour rejoindre la France où il doit préparer l’arrivée prochaine de ses hommes. Le mauvais temps s’éternise mais bientôt, une proposition inattendue va faire basculer son destin.

Soixante-dix ans plus tard, elle confrontera les enquêteurs du quai des Orfèvres à l’un des mystères les plus stupéfiants qu’ils aient jamais rencontrés.

Commentaires : Les critiques de cette septième enquête de l’inspecteur Magne sont dithyrambiques. Il est vrai que la conjonction entre un fait historique qui, de nos jours, est encore énigmatique et des événements récents offre une véritable opportunité littéraire. Le tout dans un contexte très contemporain où écologie et migrants font régulièrement la manchette.

Il faut croire que je n’étais pas « In the mood » (un jeu de mots que vous pourrez décoder aux deux tiers de l’ouvrage environ) lorsque j’ai entrepris la lecture de 7/13, un auteur que j’ai découvert sur le tard, je le confesse. J’ai mis du temps à m’accrocher au récit. La découverte du premier cadavre est par contre hallucinante. Jacques Saussey ne mâche pas ses mots. J’en ai eu des frissons dans le dos.

Dans les premiers chapitres, les palabres entre militaires m’ont quelque peu ennuyé et, dans l'ensemble, le rythme plutôt lent. En revanche, l’intégration à l’équipe d’enquête des « Laurel et Hardy » du Nord apporte une touche d’humour et de légèreté dans cette histoire plutôt complexe. À souligner la très haute qualité d'écriture de l’auteur malgré l’emploi surabondant de figures de style qui m’ont parfois agacé.

Somme toute, cette histoire aux valeurs humanistes m’a fait découvrir un pan de la Deuxième Guerre mondiale qui m’était inconnu et j’en suis reconnaissant à l’auteur de contribuer ainsi, dans une œuvre romanesque, à préserver la mémoire historique collective.

Si ma « pile à lire » cessait de s’accumuler à un rythme fou, il faudrait que je relise 7/13 pour peut-être rejoindre le groupe des lectrices et des lecteurs qui sont tombés sous le charme. Et apprivoiser l’univers du capitaine Magne.

Ce que j’ai aimé : La découverte des hypothèses entourant la mort de ce militaire connu pour une tout autre raison.    

Ce que j’ai moins aimé : Je crois l’avoir déjà exprimé.

Cote :

Sur un mauvais adieu (Michael Connelly)


Michael Connelly. – Sur un mauvais adieu. – Paris : Calmann-Lévy, 2018. 434 pages.


Polar







Résumé : À présent inspecteur de réserve au San Fernando Police Department, Harry Bosch est un jour contacté par un magnat de l’industrie aéronautique qui, sentant sa mort approcher, souhaite savoir s’il a un héritier. Dans sa jeunesse, le vieil homme a dû quitter sa petite amie sous la pression de sa famille. Aurait-elle eu un enfant de lui ?  Cette question n’étant pas du goût du conseil d’administration avide de se partager le gâteau, Bosch est vite menacé. Pour corser le tout, ses collègues du commissariat ne parviennent pas à mettre la main sur un violeur en série particulièrement redoutable…

Commentaires : Si vous n’avez pas encore lu Sur un mauvais adieu, précipitez-vous chez votre libraire préféré pour vous le procurer ou le commander. Du bonbon. À mon avis l’un des meilleurs Connelly depuis que j’ai découvert cet auteur prolifique qui m’a fait apprécier cette littérature de genre après avoir lu Les égouts de Los Angeles. Selon le Washington Post, Sur un mauvais adieu est le « Meilleur thriller et roman policier 2016 » (version originale américaine), à juste titre.

Il faut dire que les deux enquêtes en parallèle qui nous tiennent en haleine dans lesquelles est impliqué Harry Bosh créent une dynamique palpitante. Elles contribuent à générer des interrelations humaines à la fois étroites et complexes avec les différents personnages secondaires. On y retrouve bien sûr l'avocat Mickey Haller, le demi-frère de l’inspecteur, qui gère ses affaires dans sa Lincoln, Maddie la fille de Bosch avec qui les relations ne sont pas toujours faciles, un ancien patron du LAPD…

Dans cette 19e enquête, Bosch, toujours à la recherche de la vérité, est confronté, encore une fois, avec ses cauchemars dans les tunnels au cours de la guerre du Vietnam. Une constante depuis la parution de la première enquête du policier américain. En somme, toutes les conditions sont réunies pour reconstituer tout l’univers attachant du héros qui fait le succès de l’œuvre de Connelly.

Le récit est bien ficelé et prend son envol dès que le nouvel environnement de travail de Bosch est fixé et ses nouveaux collègues intégrés dans l’histoire. En suivant le rythme, on peine à reporter au lendemain la lecture de la suite. Mentionnons que le style percutant de Connelly laisse toujours place à l’émotion des personnages. Et encore une fois, ce roman nous permet d’en apprendre davantage sur le fonctionnement des services policiers et juridiques de Californie. Avec une chute finale tout à fait inattendue.

Ce que j’ai aimé : Retrouver l’univers de Bosch dans un nouvel environnement professionnel.   

Ce que j’ai moins aimé : -

Cote :

La tentation de l'ombre (Éric Young)


Éric Yung. – La tentation de l’ombre – Clermont-Ferrand : Éditions La Borée, 2018. 277 pages.



Polar






Résumé : Récit romancé, La Tentation de l'ombre est une plongée en apnée dans un monde interlope où seuls les initiés, flics et voyous, peuvent vivre et parfois survivre. Un jeune provincial, entré dans la police nationale et affecté dans un service de police judiciaire les plus mouvementés de Paris, a pour mission de pénétrer le milieu du grand banditisme. Il effectue ses classes dans les quartiers de Pigalle, la Villette et l’Opéra avant de rejoindre la BRI [Brigade de recherche et d’intervention] (brigade antigang) du fameux 36 quai des Orfèvres.

Ce récit compose aussi une peinture des mœurs politiques d’une époque, celle des années 1970 et du début des années 1980. En effet, le jeune policier, chargé d’enquêter sur l’assassinat d’une haute personnalité, une affaire politico-judiciaire qui deviendra un des scandales parmi les plus retentissants du XXe siècle, se rebelle contre sa hiérarchie. Pour son plus grand malheur.

Écrit comme un polar, ce récit constitué de faits réels auxquels l’auteur a été mêlé de près, glace le sang tant il met à nu la fragilité des êtres et dévoile les turpitudes de la raison d’État.

Un roman dans lequel la fiction ne parvient pas à dépasser la réalité !

Commentaires : La littérature de genre polar et roman noir nous a habitués à une structure classique d’enquête sur un ou plusieurs crimes menée par un policier souvent aux prises avec ses démons intérieurs. Avec La tentation de l’ombre, on est dans un tout autre monde, un univers sombre.

Tout est dit dans le résumé présenté sur la quatrième de couverture de cette pseudo fiction entre le polar et le roman noir. Un flic/auteur raconte une histoire qui fait froid dans le dos. Le récit d’une partie de sa vie. Dans le style d’une autofiction.

Écrit à la première personne, ce roman nous fait côtoyer policiers et politiciens crapuleux et nous entraîne dans l’univers d’omerta dans lequel doit évoluer un jeune policier confronté à la réalisation de sa mission et aux volontés de la hiérarchie. Un merdier de violence et d’intimidation.

Avec un style percutant, une écriture incisive, l’auteur-personnage de La tentation de l’ombre nous livre une œuvre coup de poing qui ne laisse pas indifférent. « Les flics sont semblables aux chasseurs. Ils aiment les battues, les traques, les embuscades et s’excitent à l’approche de la curée. » Cet extrait traduit bien l’ambiance générale de l’univers de l’unité antigang dans laquelle il fait évoluer son protagoniste.

Éric Yung (pseudonyme de Jean-Bernard Vincent) qui a déjà publié une dizaine d’ouvrages est un fin connaisseur des affaires criminelles et policières et il le démontre hors de tout doute. Un auteur que j’ai eu la chance et le plaisir de découvrir grâce aux éditions de La Borée. J'en recommande fortement la lecture. 

Ce que j’ai aimé : L’ambiance générale, les sentiments exprimés par le narrateur, le parallèle avec son enfance, la chute finale. 

Ce que j’ai moins aimé : -

Cote :

Red Light. Le sentier des bêtes



Marie-Ève Bourassa. – Red Light. Le sentier des bêtes. – Montréal : VLB éditeur, 2017. 364 pages.



Polar





Résumé : Parce qu’il s’est juré de ne plus jamais mettre en péril la vie de ses proches, Eugène Duchamp a délaissé pour de bon ses activités de détective. Avec son ami Herb Parker, il s’adonne désormais à la contrebande d’alcool, modeste commerce qui leur assure des jours relativement tranquilles. Mais voilà que la célèbre danseuse Carole Morgan, nouvellement couronnée Miss Montréal, est retrouvée étranglée le long des voies du chemin de fer. Pour la police, Herb est un suspect tout désigné : le bootlegger est introuvable depuis la nuit du meurtre, or la victime aurait été vue pour la dernière fois sortant d’un club de jazz au bras d’un jeune Noir. Parce qu’il sait son compagnon parfaitement incapable de commettre ce crime odieux, Duchamp, à son grand dam, reprend du service pour le disculper.

Commentaires : Troisième et dernier volet d’une trilogie ayant pour cadre le quartier des plaisirs de Montréal dans les années 1920-1930 : le Red Light. En pleine Prohibition. Un opus qui possède les mêmes qualités que les deux précédents quoique l’intrigue m’a semblée un peu plus mince. Un roman que j’ai tout de même lu d’une traite avec beaucoup d’intérêt.

Marie-Ève Bourassa n’est pas seulement une romancière et une écrivaine au talent remarquable. Elle fait aussi œuvre d’historienne en campant les personnages de cette série dans une époque méconnue pour un grand nombre de lecteurs. Le sentier des bêtes est truffé de nombreuses descriptions de lieux, de personnages et d’événements qui nous plongent littéralement dans l’atmosphère du moment.

Avec les personnages principaux et secondaires, on arpente les rues délabrées du quartier, on entre dans les tripots mal famés, on sent l’odeur de la déchéance. Tout est décrit avec le moindre détail. Une qualité qui a aussi pour conséquence de ralentir le rythme de l’action. Mais on savoure et on en demande encore.

J’ai eu l’occasion d’en discuter avec l’auteure lors d’une rencontre publique dans une librairie de Québec, la Librairie Pantoute pour ne pas la nommer. Enseigner l’histoire par le roman, la réalité historique par la fiction romanesque. Tout un défi de recherche et d’écriture. Relevé par une auteure québécoise dont le talent a été souligné en 2017 avec le prix Arthur-Ellis du meilleur roman policier canadien en français et le prix Jacques-Mayer 2016 de la Société du roman policier de Saint-Pacôme pour le premier volet de Red Light.

Lecteurs de la Francophonie : empruntez Le sentier des bêtes après avoir dit Adieu, Mignonne et suivi les aventures des Frères d’infortune. 

Ce que j’ai aimé : L’ambiance générale – on se sent à Montréal en 1933 – et la qualité de l’écriture.

Ce que j’ai moins aimé : Une certaine lenteur dans le déroulement de l’action.

Cote :




Le gendre idéal (Gilles Delabie)


Gilles Delabie. – Le gendre idéal. – Oissel : Éditions Cogito, 2018. 337 pages.


Polar







Résumé : À l’aube des Trente glorieuses, dans cette France qui balance entre twist et java, un jeune homme bien poli fait son apparition devant des millions de Français : le gendre idéal.


Le commissaire Bouvier aura le privilège de le croiser dans une enquête aussi tordue qu’un twist, aussi poisseuse qu’une java, sur un fond de cha-cha-cha oriental.

Ah oui… J’oubliais… C’était la guerre.

Commentaires : Découvrir un nouvel auteur est toujours agréable. Un auteur qui a du style et qui ne mâche pas ses mots. Car le genre polar se prête à merveille pour confronter le lecteur avec une réalité historique dont les détails les moins glamour ont toujours été balayés sous le tapis.

Avec Le gendre idéal, on est au cœur d’une enquête policière qui se déroule à Rouen, la ville natale de Delabie : « Un univers 1950-1960 poignant et drôle aussi naïf que désabusé » comme on peut lire sur la couverture de quatrième. À juste titre. Je dirais même avec un titre à l’eau de rose, mais qui nous plonge, dès les premiers chapitres, dans une série de meurtres inexpliqués avec comme cadre les débuts de la télévision – et son vedettariat qui se croit au-dessus de tout soupçon – et la guerre d’Algérie – et ses abjections. Une histoire corrosive et critique qui dénonce les travers de la société française, toutes classes sociales confondues, la haine, le racisme, les abus d’autorité, les faux semblants, la sexualité du clergé, les crimes contre l’humanité. Une thématique qui rejoint des préoccupations très contemporaines.

Une intrigue bien ficelée dans une langue à la fois régionale et universelle. Un polar original et intelligent. Deux mots qui qualifient ce 3e roman de Gilles Delabie que j’ai eu le plaisir de rencontrer à Québec.

Une belle découverte. À commander dans une librairie près de chez vous.

Ce que j’ai aimé : La critique sociale, voire politique, qui cimente le récit.

Ce que j’ai moins aimé : -

Cote :

Qui a tué mon père (Édouard Louis)


Édouard Louis. – Qui a tué mon père. – Paris : Éditions du Seuil, 2018. 85 pages.


Roman


Résumé : « L'histoire de ton corps accuse l'histoire politique. »



Commentaires : C’est le premier roman-essai-autobiographique d’Édouard Louis que je lis. J’ai découvert l’auteur à l’émission télé La grande librairie sur TV5 Monde. Et je n’ai pas été déçu contrairement à certaines critiques. Peut-être parce que cet opuscule, 85 pages très denses, qui se lit en moins de 2 heures rejoint en bonne partie mes valeurs sociales. Peut-être aussi que je viens d’un milieu ouvrier modeste que je n’ai jamais renié.

Dans Qui a tué mon père (sans point d’interrogation), Édouard Louis décrit, d’une part, les relations difficiles qu’il a eues avec son paternel. Dès son plus jeune âge, ce dernier niait tacitement la personnalité naissante d’un fils qui affichait des prédilections attribuées davantage à une fille. À une époque où l’amour d’un père se manifestait par des sous-entendus et ne s’exprimait pas verbalement.

Tout au long du récit se dessine nettement une tentative de dialogue avec  un père meurtri dans son corps à la fois victime de conditions de travail déplorables et de politiques sociales manifestant peu ou pas d’empathie envers les moins bien nantis, pour ne pas dire les pauvres de la société. Édouard Louis éprouve beaucoup d’affection envers ce père qui a vu sa santé affectée par le travail. Il en rend responsable le système sociétal. Et c’est là le deuxième volet de ce roman qui en justifie le titre : c’est la Politique qui a tué son père. Physiquement réduit, objet de honte face à celles et ceux qui rapportent à la société et qui occupent une place, leur place dans leurs familles. Le tout axé sur l’impact des décisions des dirigeants politiques sur les gens les moins nantis.

Auteur de la honte, comme il aime bien se qualifier, Édouard Louis, qu’on soit d’accord ou non avec sa thèse, pousse la réflexion sur la littérature qui fait peu de place à ceux qu’on qualifie de pauvres, les moins privilégiés de la société, et aux pièges dans lesquels ils sont souvent coincés et quasi impossible de s’en sortir. On n’a qu’à penser aux ghettos des banlieues dont sont à l’abri les quartiers bourgeois. Un essai somme toute émouvant, percutant.

Quelques citations :

« Il n’y a qu’à ceux à qui on donne tout depuis toujours qui peuvent avoir un vrai sentiment de possession, pas les autres. »

« On ne dit jamais fainéant pour nommer un patron qui reste toute la journée assis dans un bureau à donner des ordres aux autres. »

Ce que j’ai aimé : La simplicité de la langue, la justesse des observations dans le quotidien, le respect du fils en quête constante d’amour du père.

Ce que j’ai moins aimé : Les raccourcis avec la politique qui auraient gagné à être approfondis.

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