Impunité – La Nyctale (Claude Fleury)


Claude Fleury. – Impunité – La Nyctale. – Paris : Hugo-Roman, 2023. – 451 pages.

 



Polar

 

 


Résumé :

 

Sur les rives de l’Atlantique Nord, en Europe, au Massachusetts, d’horribles tueries de masse déciment systématiquement les descendants des généraux et des gouverneurs responsables de la déportation des Acadiens. Ces crimes collectifs d’innocents, commis avec une rare audace 260 ans plus tard, confondent les enquêteurs. Obstinée, Sarah Donnelly, une inspectrice britannique, parvient à établir les liens qui unissent ces affaires sordides. Mais le cerveau de l’opération, François Broussard, a-t-il agi seul ? Le récit épique de la folie d’un homme obsédé par l’impunité. Sans justice, le désir de vengeance ne s’éteint jamais !

 

 

Commentaires :

 

Impunité – La Nyctale est un polar original, hors du commun, par sa structure qui, tout au long de 30 chapitres sur 33, dévoile progressivement au lecteur le détail des meurtres massifs en série successif.

 

Original aussi par l’implication d’un généalogiste de profession, François Broussard, « titulaire d'un doctorat en histoire de l'Université de Moncton […] également président de l'entreprise Famycom International dont le siège social est à Halifax. L'entreprise, spécialisée en recherches généalogiques et regroupements familiaux, possède des filiales à Boston, Londres et Paris. Depuis sa fondation, Famycom International a organisé plusieurs centaines de regroupements familiaux… ». Un protagoniste surnommé le « Vengeur acadien » qui a imaginé des « pactes d’extinction » pour venger ses ancêtres victimes du « Grand dérangement », la déportation de plus de 12 000 Acadiens entre 1755 et 1763 dont environ 8 000 mourront avant d'arriver à destination à cause des épidémies, du froid, de la malnutrition ou des naufrages. Et les Micmacs, le peuple autochtone allié des Acadiens pendant la Guerre de la conquête, en partie exterminés par une épidémie de petite vérole propagée par la distribution par les militaires anglais de couvertures infectées.

 

Claude Fleury a inscrit sa fiction dans une réflexion sur les génocides commis par le passé dont, entre autres, ceux des Arméniens (1915-1923), les Assyriens (1915-1918) et des Grecs du Pont-Euxin (1916-1923). Il nous livre un roman intelligent, un tourne-page ingénieux et pédagogique qui nous transporte des provinces maritimes canadiennes (Halifax, Renous et Moncton) aux états de la Nouvelle-Angleterre (Amherst et Boston) jusqu’en Angleterre et en Suisse, en passant par Saint-Pierre-et-Miquelon, Paris et Tbilissi.

 

La Nyctale, le symbole de la résistance du peuple acadien, cache également une autre image emblématique dans cette guerre contre l’Impunité menée par François Broussard qui justifie son action et celle de ses « associés » en s’appuyant sur l’article 7.1 a) du Statut de Rome de la Cour pénale internationale qui définit les crimes contre l’humanité comme étant des meurtres « commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque. »

 

Ce roman aux ascendants historiques ponctué de coups d’éclat meurtriers fait référence aux militaires britanniques adulés par les Anglais d’Angleterre et des États-Unis et détestés par les Acadiens : Charles Lawrence, Robert Monckton, Jeffery Amherst, William Shirley, John Winslow et James Murray.

 

Il faut souligner la qualité d’écriture et le style fluide de ce pavé très documenté de près de 450 pages qui se savoure avec délectation, le personnage principal se révélant plutôt sympathique malgré l’horreur qui découle de sa sombre machination vengeresse.

 

Quelques exemples :

 

« En prison, les jours d'hiver s'écoulent avec une insoutenable lenteur. Le blanc de la neige et le froid rivalisent de monotonie, accentuant la grisaille du pénitencier. Les détenus ont l'impression de vivre sous terre, dans une immense termitière gelée et démoralisante. Au-delà des murs d'enceinte, les arbres immobiles qui flanquent les contours des champs ont l'apparence de spectres grisâtres, même quand le soleil luit. Le bleu du ciel, lui-même si vif en été, blanchit au-dessus de la ligne d'horizon. La poudrerie balayant les champs agite les têtes de broussaille givrées, comme de tristes pendules qui rythment les secondes. »

 

Ou cette description des lendemains de la déportation :

 

« Ferme tes yeux ! Je vais te faire revivre en images ce que Jeanne et sa fille ont apparemment traversé, à leur retour au village : d'abord ce silence, un silence de mort, terrible, entrecoupé des bruissements sporadiques du vent d'automne dispersant les fumées éparses des maisons incendiées. Une odeur fétide, celle des carcasses d'animaux morts, mais aussi celle des corps en décomposition des habitants ayant résisté à leur déportation.

 

Des chiens errants, cherchant en vain leurs maîtres. Des vaches qui meuglent de douleur, car il n'y a plus personne pour les traire.

 

Des objets abandonnés jonchant le sol et rappelant avec émotion la vie qui animait le village. Peu à peu, l'espoir de retrouver une âme vivante disparaît, au cœur de cette vision d'apocalypse. Il ne restait plus rien : son mari, ses enfants, ses proches, tous disparus à jamais ! Jeanne doit s'être effondrée, totalement désemparée, ne sachant plus où aller, résignée à mourir, pressant la tête de sa fille en pleurs contre sa poitrine. C'est ainsi que j'imagine sa souffrance, sa dévastation. »

 

Celle d’une scène de crime :

 

« L'inspectrice poursuivit son examen de la scène du drame, en prenant bien soin de ne pas endommager les restes humains.

 

Elle songea aux difficultés qui les attendaient pour identifier les soixante-dix victimes. Toutes étaient méconnaissables. Leur peau calcinée était noirâtre, épaisse, desséchée. Certaines dépouilles s'étaient craquelées lorsque les cavités intestinales avaient éclaté.

 

Les viscères eux-mêmes avaient un aspect cuit, spongieux, déshydraté. Le sang répandu autour des corps s'était transformé en une pâte rougeâtre. Et partout, cette odeur abominable qui prenait à la gorge. »

 

Et celle décrivant la démesure du territoire nord-côtier québécois :

 

« … les rivières immenses aux berges sablonneuses, les archipels aux sentinelles de calcaire, ainsi que les chapelets d'îles rocailleuses à peine duvetées, comme si les rochers de la Basse-Côte-Nord souffraient de calvitie. Disséminés le long de la rive du Saint-Laurent, les villages côtiers du bout du monde apparaissaient comme par enchantement, sillonnés de trottoirs de bois ou de sentiers recouverts de coquillages concassés, avec de petites maisons blanches disposées sans ordre, comme les traits de pinceaux d'une aquarelle. […] le souffle puissant des baleines et les galipettes des phoques nageant près de l'étrave du navire. […] les cris éraillés des nuées d'oiseaux à la remorque des bateaux de pêche, plongeant sans relâche pour se disputer les poissons rejetés à la mer. »

 

Sans oublier la narration descriptive du naufrage (pages145-146) et de l’incendie (pages171-172), comme si on y était.

 

J’ai également souri en lisant cet extrait de dialogue découlant de la panique de certaines communautés face aux risques de propagation de nouveaux pactes d’extinction :

 

« – Oui, la Ville de Québec a décidé de céder à la pression populaire. Elle a mandaté la Commission de toponymie pour remplacer les noms des rues Moncton et Murray. »

 

Impunité – La Nyctale est un polar incontournable qui laisse la porte ouverte à une possible nouvelle alliance dans cette guerre contre l’Impunité.

 

Claude Fleury est né à Québec en 1954 et réside actuellement à Beaupré. Nomade dans l’âme comme l’ont été ses ancêtres avant lui, ce juriste, documentaliste de formation et curieux de nature a occupé différentes fonctions de gestion dans les secteurs privé et public, principalement dans les domaines des communications, de la culture et des relations internationales. Il a notamment œuvré comme directeur du Bureau du Québec à Barcelone, de 2007 à 2011. Ce globe-trotteur a fait le tour du monde et parle quatre langues. Son vécu personnel et professionnel alimente son imaginaire romanesque.

 

Merci aux éditions Hugo Roman pour le service de presse.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  *****

Appréciation générale : *****



Éclats de vie (Sylvia Dupuis)


Sylvia Dupuis. – Éclats de vie. – Québec : Les Écrits d’à côté, 2023. – 133 pages.

 


Nouvelles

 

 


Résumé :

 

Ce recueil de nouvelles intimistes s'ouvre sur ces simples mots, À ce soir, dits par une petite fille à sa mère, avant de quitter la maison pour l'école. Il se referme sur l'histoire de Maryse, seule survivante d'un accident de la route, à qui le silence des pantoufles rappelle, chaque jour, l'absence des siens.

 

Sylvia Dupuis met en scène des personnages aux prises avec les aléas de la vie. À la croisée des chemins, ils doivent faire des choix, et c'est ce moment charnière qu'explore l'auteure dans chacune de ses nouvelles. Le titre, Éclats de vie, fait référence à la luminosité de la vie, mais aussi aux blessures qu'elle inflige.

 

 

Commentaires :

 

Éclats de vie est le 25e ouvrage publié par une petite maison d’édition de Québec, Les Écrits d’à côté, fondée en 2010 avec comme mission de publier « des œuvres porteuses de sens et de beauté ». L’auteure, psychologue de formation et native de Québec nous offre 21 courtes nouvelles, autant de personnages et d’instants de vie aux titres bien choisis :

 

À ce soir Chronique d'un deuil annoncé Le formulaire Cet été-là Solitude boréale Le rendez-vous Nocturne pour un homme seul Mon petit Je reviendrai, Evelyne Fracas de terre Elle aurait dû Fenêtre sur l'avenir Ma vie pour une ombre Dure journée pour Cendrillon L'ange de ruelle Sous la glace Le grand méchant loup Noces d'émeraude Carpe diem Le refuge Le silence des pantoufles

 

Autant de sujets profondément  humains, racontés dans une langue imagée et un style dépouillé qui nous rapproche des différents protagonistes, de leurs drames ou de leurs moments de bonheur. Par exemple :

 

« Sous des paupières baissées, les yeux de sa mère s’agitent tels de pauvres souriceaux perdus dans un labyrinthe indéchiffrable. »

 

Sylvia Dupuis nous raconte des histoires contemporaines qui auraient pu s’entrecroiser hier ou le mois passé ponctuées de deux incursions empruntées à la paralittérature (imaginées dans un avenir lointain, empruntées à la science-fiction) que j’ai moins aimées. Chaque récit se conclut sur une chute imprévisible.

 

À noter que les nouvelles Fracas de terre, Je reviendrai, Évelyne et Solitude boréale ont respectivement obtenu un prix aux concours Pleins yeux sur la nouvelle de la Société littéraire de Charlesbourg (Québec) en 2013, 2015 et 2016 et que Dure journée pour Cendrillon a remporté en 2015 le concours de nouvelles de XYZ, la revue de la nouvelle.

 

Petit détail de production : l’illustration de la couverture de première d’Éclats de vie a été réalisée avec l’aide de l’intelligence artificielle.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  ***

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  ****

Appréciation générale : ****


Ces femmes aux yeux cernés (André Jacques)


André Jacques. – Ces femmes aux yeux cernés. – Montréal : Druide, 2018. – 393 pages.

 


Polar

 

 


Résumé :

 

Au cours d’une descente au repaire de Grigor Chukaliev, un caïd de la mafia russe, le SPVM saisit deux tableaux d’un maître de l’art contemporain qui, au moment de l’expertise, se révèlent des faux. Et l’un d’eux a été vendu par l’antiquaire Alexandre Jobin. Quelques jours plus tard, un cocktail Molotov éclate dans la vitrine de sa boutique, tandis que le galeriste qui a vendu la seconde toile est retrouvé assassiné. Pour éviter d’autres représailles et pour sauver sa peau, Alexandre décide de remplacer le faux tableau par un vrai. Il part alors à la recherche du peintre des oeuvres originales, Jordi Carvalho, un artiste catalan qui semble avoir disparu de la circulation depuis plus de dix ans. De Montréal à Barcelone, puis à Paris, cette quête ne sera pas de tout repos pour Alexandre. Heureusement, entre les séquelles du passé et les cauchemars qui le hantent, un ange sombre veille sur lui…

 

Commentaires :

 

Les titres de la série des polars d’André Jacques m’ont toujours laissé croire que ses fictions avaient pour cadre le milieu militaire, un contexte qui m’attire moins. C’est en préparant une chronique sur cet auteur de la région de Sherbrooke portant sur Les littératures du crime au Québec publiée sur le site Culture et justice (France) que je me suis rendu compte que j’étais dans l’erreur. J’aurais dû pousser ma curiosité sur les résumés en quatrième de couverture.

 

Considérant le Prix Saint-Pacôme 2019 qu’avait remporté Ces femmes aux yeux cernés comme meilleur roman policier québécois et les commentaires élogieux de Norbert Spehner qualifiant ce récit de « meilleur de cette série, avec une écriture soignée, un rythme fluide, une tension dramatique constante sans violence outrancière, de petites touches d’humour, et un dénouement jouissif »  – ce qui me plaît dans cette littérature de genre –, j’ai été comblé.

 

Même sans avoir lu les cinq tomes précédents, j’ai été accroché à cette histoire haletante dès le prologue, au long des 33 chapitres entre Montréal, Barcelone, Paris, Saint-Irénée. Avec une finale imprévisible et un épilogue qui boucle l’enquête. J’ai donc fait la découverte sur le tard de cet enquêteur atypique un peu beaucoup porté sur l’alcool. J’ai bien aimé les six « Intermezzo » dans lesquels, entre autres, les cauchemars d’Alexandre Jobin font le lien entre chaque portion du récit. À la manière d’une pause avant de replonger dans le récit qui se déroule en 2004, le I-Phone n’ayant pas encore été inventé comme l’illustre bien cet extrait de dialogue :

 

« – As-tu un téléphone portable?

– Un cellulaire?

– Oui.

– Un BlackBerry, comme tout le monde. Là, dans mon sac.

– Mais j'utilise surtout le téléphone de Constance à l'appartement.

– Et toi ?

- Ouais. Mais je suis pas encore familier avec les nouvelles technologies.

[…]

– J'ignore même s'il fonctionne ici, en Europe. Le type qui me l'a vendu m'a expliqué un tas de choses, mais j'ai rien compris. »

 

Les personnages secondaires sont bien campés et la dynamique entre l’antiquaire-galeriste et les enquêteurs du Service de police de la ville de Montréal (SPVM) place ces derniers dans une dépendance improductive.

 

Évidemment, j’avais hâte d’attaquer les cinq chapitres (12 à 16) où l’action se déplace à Barcelone. André Jacques y a séjourné (comme à Paris d’ailleurs) et cela transparaît dans les lieux choisis et les descriptions des différents quartiers où se déplace Alexandre Jobin : le Barri gotic, le Raval, la Plaça de Catalunya, l’Eixample, la Sagrada Familia, les Ramblas, la via Laetana, les carrer (« rue » en catalan, nom masculin, soit dit en passant)…

 

J’ai pouffé à la lecture de certains dialogues, tel que :

 

« – Puis-je quelque chose pour vous, monsieur…

– Jobin. Alexandre Jobin. Je suis moi-même... galeriste à Montréal.

– Ah! Canadien.

– Québécois.

L'autre sourit avant de déclarer:

– Nous pouvons comprendre ces subtilités, ici, en Catalogne. »

 

Et au lapsus du lieutenant Latendresse du SPVM confondant « l’escouade des... Molosses » avec celle des « Mossos d'Esquadra », la police de la Generalitat de Catalunya.

 

J’ai également noté au passage cette référence à une période noire de l’histoire espagnole impliquant le père du peintre catalan Jordi Carvalho (personnage fictif) que recherche l’antiquaire :

 

« un intellectuel de gauche [qui] avait combattu du côté des républicains durant la guerra civil. Il s'était réfugié en France en 1936. Carvalho est né là-bas quelques années après la fin de la guerre. […] Le père lui racontait des histoires sanglantes, des récits de massacres commis par les franquistes. Par les républicains aussi. Tout le monde tuait tout le monde. Les anarchistes massacraient les prêtres et violaient les religieuses; les franquistes fusillaient et torturaient tous ceux et celles qui étaient liés aux opposants. »

 

En logeant un de ses personnages à l’hôtel Suizo « dont les fenêtres donnent sur la plaça del Angel et sur la via Laietana », André Jacques m’a rappelé un de mes premiers séjours à Barcelone au début des années 1990, dans ce petit hôtel à deux pas de la cathédrale.

 

Certaines descriptions de lieux, comme celle-ci à Paris dans une boutique de matériel d’artiste, nous font nous sentir aux côtés des personnages :

 

« En y pénétrant, on avait l'impression de reculer d'un siècle. Le mobilier, les comptoirs, les étagères jusqu'au plafond, les présentoirs, les armoires vitrées, tout était en bois sombre et verni, usé par les ans. Du chêne sans doute. L'ensemble faisait ressortir de façon lumineuse l'arc-en-ciel des pots de couleur, des tubes, des crayons et des pastels. On se serait cru dans un magasin de bonbons. »

 

L’auteur profite alors de l’occasion pour se payer la tête du commis parisien snobinard :

 

« – Monsieur.

– J’aurais besoin d'un renseignement.

– Nous ne sommes pas le bureau d'information touristique.

Alexandre dut se retenir pour demeurer poli.

– Je cherche des informations sur un peintre.

– Alors, allez au musée, monsieur. Le Louvre est juste en face, de l'autre côté de la Seine.

– Ce peintre est l'un de vos clients.

– La plupart de nos clients sont peintres. »



Je me permets un autre extrait rigolo, une remarquable lapalissade de la part d’Alexandre Jobin qui, soit dit en passant, est lui-même un lecteur de polars :

 

« La chaise roulante, ça accélère le service et le passage des douanes. Tu peux pas t'imaginer comment le personnel est aux petits soins avec un handicapé. Surtout un handicapé qui voyage en première classe. »

 

En résumé, Ces femmes aux yeux cernés est un excellent roman. Il repose sur un scénario étoffé, une galerie de personnages bien campés, une qualité d’écriture et une précision dans la séquence des événements qui s’enchaînent naturellement. Ce thriller vous plaira, j’en suis certain. Et peut-être que comme moi, vous souhaiterez remonter aux sources des aventures antérieures d’Alexandre Jobin.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  *****

Appréciation générale : *****


Du haut de la falaise T.01 Rue du Petit-Champlain (Claude Coulombe)


Claude Coulombe. – Du haut de la falaise T.01 Rue du Petit-Champlain. – Saint-Jean-sur-Richelieu : Éditions JCL, 2023. – 349 pages.


Roman d’époque

 

 


Résumé :

 

Québec, 1930

 

En pleine crise économique, Clément et Jacqueline St-Martin sont forcés d'emménager dans un misérable appartement de la rue du Petit-Champlain. Coincée entre une falaise qui ne cesse de lui tomber dessus et un fleuve qui vient parfois s'y engluer, l'étroite artère est tout sauf engageante. En grandissant, Léonie, l'aînée du couple, rêve de sortir ses frères et sœurs de l'indigence. Un emploi de femme de chambre au prestigieux Château Frontenac lui paraît être la solution idéale à leurs malheurs.

 

À Montréal, sur la splendide rue des Pins, l'argent coule à flots. William Mackay, un homme d'affaires prospère, y réside avec son épouse. Or, depuis qu'il a marié la belle Laetitia, il fait trop souvent les frais de ses sautes d'humeur. Ainsi, quand la jeune mère est accablée par une sévère dépression, William prend les grands moyens afin de l'éloigner de ses enfants. Des années plus tard, son fils, Théodore, posera ses valises dans la vieille capitale, désireux d'échapper à un fantôme de son passé.

 

Léonie et Théodore, que tout oppose, se rencontreront au cœur du magnifique hôtel en haut de la falaise et entameront une histoire d'amour passionnée. Les destins de leurs deux familles s'en trouveront à jamais liés.

 

 

Commentaires :

 

Claude Coulombe est né à Québec. Il a lancé un premier roman en 2014, J’ai vu mourir Kennedy, un thriller basé sur des faits historiques. Entre 2020 et 2022, il a publié deux sagas d’époque : La vie à bout de bras dont l’action se déroule à Québec au cours des années 1920, et Le Chant des bruants racontant l’histoire d’une famille de Notre-Dame-du-Rosaire en Chaudière-Appalaches dans les années 1940. Il récidive avec le premier tome d’un nouveau roman d’époque campé principalement dans le secteur du « Petit-Champlain » qui tire son nom de l’appellation anglaise de cette petite rue qui longe la falaise aux pieds de la terrasse Dufferin : « Little street Champlain ».

 

Les amatrices et amateurs de ce type de fictions historiques y retrouveront leurs repères. Personnellement j’ai particulièrement apprécié l’intégration de la trame événementielle :

 

·        crise économique de 1929 et ses conséquences tant dans les milieux aisés que défavorisés ;

·        impacts de la deuxième guerre mondiale ;

·        majorité écrasante de députés élus de l’Union nationale dirigée par Maurice Duplessis ;

·        relève d’après guerre…

 

et sociale :

 

·        « misère » des riches vs quotidien des pauvres ;

·        pression de l’église pour faire des enfants ;

·        place des femmes dans la société ;

·        rivalités entre les Irlandais et les Canadiens français ;

·        dure réalité du travail (débardeurs, femmes de chambre…) ;

·        les rues boueuses et les logements insalubres ;

·        la haute ville bourgeoise vs la basse-ville des mendiants ;

·        absence de service de santé gratuit…

 

Comme l’action se déroule principalement à Québec, ma ville, les points de repère urbains permettent au lecteur de visualiser les principaux lieux où se déroule l’action : le port, l’escalier casse-cou menant à la côte de la Montagne, la Place d’armes, l’Hôtel Château Normandie, le Château Frontenac, le magasin Kresge de la rue Saint-Joseph et celui de la rue Saint-Jean, le restaurant Kerhulu, la compagnie Paquet dans dans le quartier Saint-Roch.

 

Le scénario d’alternance entre la vie des deux familles – les Mackay de la rue des Pins à Montréal et les St-Martin de la rue du Petit-Champlain à Québec – entre 1929 et 1950 soutient le rythme du récit qui, on le devine, trouve dans les derniers chapitres un point de jonction.

 

Autant le prologue qui dans un bulletin de nouvelles de Radio-Canada annonce, le 20 novembre 2000, une découverte au Château Frontenac, que la chute finale – je ne vous donne aucun indice –  invite à lire la suite de cette saga qui sera probablement elle aussi composée de deux autres tomes.

 

Merci aux Éditions JCL pour le service de presse.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  ****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  ****

Appréciation générale : ****


SoBo (Jean Charbonneau)


Jean Charbonneau. – SoBo. – Montréal : Druide, 2023. – 419 pages.

 


Roman social

 

 


Résumé :

 

Un traducteur indépendant et sa conjointe – à qui l’on vient d’offrir un poste à l’Université Johns Hopkins – s’établissent à SoBo, un quartier de la ville de Baltimore en processus d’embourgeoisement. Du toit-terrasse de leur appartement, Joseph observe les gens qui évoluent dans la rue et assiste à un chassé-croisé aussi fascinant qu’inquiétant. Autour du drug house de Crack Lady, grand-mère atypique au centre de tous les rackets, se croisent un adolescent délinquant, une grébiche déstabilisée par la transformation de son quartier, un policier peinant à faire régner l’ordre sur son territoire, des travailleurs sans-papiers révoltés, un accro aux drogues au cerveau calciné… Après quelques semaines, Joseph se trouve emporté dans un tourbillon d’événements bouleversants et souhaite rentrer à Montréal. Mais un retour en arrière est-il vraiment envisageable?

 

Commentaires :

 

La couverture de première et le titre du quatrième roman de cet auteur montréalais ne m’auraient pas attiré en librairie. Heureusement les Éditions Druide me l’ont proposé et je les en remercie de m’avoir fait découvrir cette « … fresque sociale d’une Amérique qui se cherche et saga d’un couple en proie aux doutes existentiels, professionnels et amoureux », un « récit haletant […] qui tourne rapidement au cauchemar. »

 

Jean Charbonneau campe ses personnages dans le quartier de South Baltimore (SoBo), « pas le coin le plus dangereux en ville » comme West Baltimore, mais « pas moins peuplé de vendeurs de drogue, de prostituées, de toxicomanes, d'ados déchaînés, de policiers gonflés à bloc, de résidents exaspérés, de jeunes professionnels tout juste débarqués et considérés comme des intrus. » À Baltimore, « une ville sudiste. Durant la Guerre de Sécession, même si le Maryland faisait partie de l’Union, les gens se disaient majoritairement contre les Yankiees d’Abraham Lincoln ».

 

On y fait la connaissance progressive d’un microcosme de personnages tous plus colorés les uns que les autres, résidents de Randolph Street que côtoient Joseph, Olivia et leur chihuahua noir et blanc à long poil, Pedro, nommé en mémoire de Pedro Martinez, lanceur étoile des Expos de Montréal. L’histoire débute le 6 mars 2007, date de l’installation du couple originaire de Villeray, Olivia ayant accepté un poste de chercheure au sein d’une équipe « d’universitaires qui se prennent très au sérieux » et pour qui « rien n’est plus important que leur carrière » et Joseph, traducteur à la pige de textes sans intérêt, alors que les États-Unis sont embourbés dans des conflits guerriers absurdes en Irak et en Afghanistan.

 

Leurs voisins s’y croisent au quotidien de façon plus ou moins cordiale :

  • Margot Kosnik qui prend le thé sur son balcon et son jeune fils Vinnie qui a découvert en Joseph un remplaçant à son père pour jouer à la balle ;
  • Madame McClinton, vieille dame atteinte de la maladie d’Alzheimer qui vit avec sa perruche Tweety et erre dans la rue sous l’œil protecteur de Margot ;
  • Floyd Amoun, surnommé Paranoide Floyd, adepte de caméras de surveillance et de micros-espions qui protège son fils Roland, ex-militaire revenu paraplégique d’Afghanistan et sa femme Clarisse ;
  • Frizzy (Frank Lombard) toxicomane gelé en permanence et petit voleur à la semaine et sa mère Grace ;
  • Leslie Kaysen, coordonnatrice de L’association des citoyens vigilants aussi nommée Big Brother Gang qui parcourt le quartier dans le but de dénoncer des actes criminels ;
  • la bande Barb Butkus, baptisée Crack Lady par Olivia : ses petits fils d’âge primaire, Tyler et Eddie « aux cheveux extrêmement courts avec une mèche qui leur tombe sur la nuque » et ses partenaires Droog et Harlem, « garde du corps, guetteur, agent de la circulation, revendeur et fier-à-bras au besoin » dont la description physique fait froid dans le dos : « Sept jours sur sept, il portait un survêtement Nike noir et une casquette des Raiders d'Oakland vissée sur la tête. Le collier en or autour de son cou était formidable de kitsch. Ses dents, qu'il affichait fièrement, étaient plaquées or 18k et incrustées de pierres précieuses – des vraies, pas du toc – un ‘’hip-hop grillz’’ qui ne passait jamais inaperçu, faisant peur à certains, dégoûtant d'autres. »

Le tableau est complété par les coups pendables et les aspirations de liberté de deux adolescents accros à l’alcool et aux drogues dont le rôle dans le scénario imaginé par Jean Charbonneau nous semble de prime abord secondaire :

  • To (Antoine Saint-Noël), « demi black » âgé de16 ans qui, alors que son demi-frère aîné André a quitté sa famille pour faire la guerre en Irak, doit s’occuper de son père d’origine haïtienne atteint d’un cancer terminal, et sa mère blanche née à Baltimore qui carbure à la vodka ;
  • Lil Em, de peau blanche, ressemblant au rappeur Eminem, et sa copine Janis surnommée Bipolar Gick.

Toutes et tous évoluent dans un environnement où les forces de l’ordre, hélicoptère Foxtrot à l’appui, peinent à coincer les êtres malveillants qui rôdent et perturbent la vie de quartier. Johny Berlin, le policier qui arpente régulièrement Randolf Street en témoigne même s’il adore son métier qu’il trouve parfois ingrat.

 

Une des grandes qualités de ce roman réside dans les descriptions immersives des lieux et des personnages telles que celles-ci :

 

« La cuisine, déprimante avec ses armoires en contreplaqué et son plancher de carreaux beiges, sentait les œufs frits et le café en poudre. Le reste de la maison n'avait pas meilleure allure : la peinture de la salle de bains était grise, et il y avait du papier peint en velours dans le salon, un recouvrement défraîchi qui puait la cigarette. La maison rappelait à Crack Lady la misère de sa propre enfance… »

 

« C'était celui avec le visage hypertrophié orné de babines gonflées, d'un nez aplati, d'yeux sournois. Sa chevelure bouclée, châtaine avec des mèches blondes, était taillée à ras les sourcils et déferlait jusqu'aux épaules. Darwin était si immense que la graisse ne savait plus où se loger, le ventre, le cul, les cuisses, le cou et même les doigts de notre homme étant déjà territoires conquis. »

 

J’ai aussi apprécié la technique de présentation de certaines séquences à partir de deux points de vue ainsi que le style très imagé de l’auteur :

 

« Floyd s'est penché vers l'avant comme s'il s'apprêtait à divulguer l'emplacement secret du trésor des Incas. »

 

« Combattre le crime ressemblait à l'intervention militaire américaine en Irak : un bourbier aux proportions épiques, sans fin en vue. »

 

SoBo est un roman qui, chapitre après chapitre, nous plonge « dans un univers américain violent, raciste, pauvre et misérable », que découvre peu à peu Joseph d’abord étonné par rapport à son vécu à Montréal, puis critique jusqu’à craindre le pire. Les images défilent au gré des photographies qu’il prend depuis son toit-terrasse où observe ce qui se trame en bas dans la rue ou quand il circule en ville. Des clichés aux titres évocateurs qui témoignent de la déliquescence de nos voisins du sud :

  • la violence au volant, les agressions en pleine rue ;
  • les dealers qui cachent leur cam dans les plates-bandes ;
  • les vigiles à l’affût des autopatrouilles,
  • les bavures des Stups ;
  • la vie misérable et frustrante des labores en attente d’un entrepreneur ou d’un particulier « ayant besoin d'ouvriers pas chers pour la journée », « une sorte de loterie, le gros lot étant une journée de travail harassant pour une rémunération médiocre » ;
  • les Jesus Freak prédicateurs de coins de rue ;
  • les propos racistes envers les Mexicains, les Niggers et les Arabes associés à des terroristes en puissance ;
  • les antipodes des quartiers voisins, les pauvres (West Baltimore, « un ghetto où le taux de criminalité faisait saliver les sociologues de l'Amérique urbaine ») et les riches (Fédéral Hill)…

Certains passages mettent aussi en évidence :

  • l’inculture et « l’ignorance phé-no-mé-na-le » de la société américaine et ses traits culturels décadents ;
  • l’obsession des Américains envers leur drapeau, le « Stars & Stripes omniprésent, ce « bout de tissu clinquant [qui semble] provoquer chez eux une érection patriotique collective » et qui est reproduit sur des milliers d’objets vendus dans un Target ou un Walmart ;
  • leurs croyances et propentions à voir des complots partout, faisant d’eux « le peuple le plus superstitieux et le moins allumé d'Occident » ;
  • le God Bless America vrillé dans le cerveau quand ils étaient petits ;
  • les magouilles civiles et militaires pour tirer profit de la présence militaire en Irak et en Afghanistan…

L’auteur y va même pour une amère critique de la société québécoise et son « nationalisme de poule mouillée » qu’il met dans la bouche du père de Joseph.

 

SoBo, un roman que j’ai beaucoup aimé dont la finale dramatique est imprévisible et doublée d’un épilogue éclairant sur un non-dit qui plane sur 400 pages.

 

Deux détails techniques : la rigidité de la reliure de l’exemplaire que j’avais en main et une erreur de mise en page dans les en-têtes du chapitre 3 nous laissant penser que des pages sont manquantes. Ce qui n’est heureusement pas le cas.

 

Jean Charbonneau possède une maîtrise en création littéraire de l’Université de Boston. Bibliothécaire de profession, il a travaillé dans le milieu hospitalier et carcéral au Québec et aux États-Unis. Il a remporté le Prix Saint-Pacôme du premier polar avec Tout homme rêve d’être un gangster que j’ajouterai sur ma pile à lire.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  *****

Appréciation générale : *****