Le sniper, son wok et son fusil (Chang Kuo-Li)


Chang Kuo-Li. – Le sniper, son wok et son fusil. – Paris : Gallimard, 2021. – 364 pages.

 


Thriller

 

 


Résumé :

 

Douze jours avant sa retraite, le détective de la police de Taipei Wu est confronté à une curieuse affaire : un officier de la marine a été retrouvé mort dans sa chambre d'hôtel. Bien qu'il soit immédiatement évident pour Wu que l'officier a été assassiné, l'armée insiste sur le fait qu'il s'agit d'un suicide et souhaite que l'affaire soit close sans poser de questions. Bientôt, cependant, d'autres officiers de haut rang de la Marine sont retrouvés morts et Wu se rend compte qu'il a une véritable conspiration entre les mains. Pendant ce temps en Italie, Alex, un jeune tireur d'élite taïwanais, ex-Marine, ex-Légion étrangère française, et chef de riz frit à Manarola, est réactivé et rappelé en service. Sommé d'assassiner à Rome un haut conseiller du gouvernement taïwanais, il se retrouve bientôt en fuite, traqué à travers l'Europe par ses anciens frères d'armes.

 

 

Commentaires :

 

Avec « Le sniper, son wok et son fusil », j’ai découvert un auteur de romans natif de Taïwan qui possède une longue expérience de journaliste, ayant été rédacteur en chef du China Times Weekly et critique gastronomique. Le vécu professionnel de Chang Kuo-Li est définitivement mis à profit dans cette enquête de son héros, le surintendant Wu, dans laquelle le lecteur découvre les pratiques de l'armée taïwanaise, la formation des snipers, ses modes de commandement, les types d'armements qu'elle possède ou qu'elle souhaite, des relations avec les États-Unis, la Russie et même l’Ukraine acquérir pour résister aux assauts de la République populaire de Chine. Autant de données que la censure s'empresserait d'effacer si un livre comparable parvenait à être édité en République populaire de Chine. Ce roman avec ses incursions historiques est définitivement d’actualité considérant les relations actuelles tendues entre Beijing et Taipei.

 

L’enquête du policier Wu, supervisé par un chef qui ne rate pas une occasion de s’empiffrer, progresse à un rythme lent. Le récit emprunte un style où l’humour et parfois même l’autodérision caractérisent les principaux personnages (les bons comme les méchants) amateurs de bouffe, d’alcool, de café, de thé. Le sauté de riz aux œufs, aux crevettes ou au porc y occupe une place centrale ainsi que d’autres plats asiatiques ponctuant la quête de la vérité à coup de wok, cette grande poêle concave utilisée dans la cuisine chinoise. Même le sniper y excelle. Une caractéristique de cette œuvre romanesque qui permet de bien camper le décor et créer l’ambiance particulière dans laquelle évoluent les personnages.

 

Quant à l’action, il faut attendre les derniers chapitres pour qu’elle se manifeste, habilement décrite comme d’ailleurs les opérations des snipers, et dynamise cette intrigue complexe.

 

Traduit en France, le texte est parsemé de « du coup », cette expression qui se greffe sur une phrase sans apporter grand-chose, voire rien du tout, à son contenu.

 

Une lecture agréable, un titre qu’il faudrait ajouter à ma recension bibliographique « Polars & Boustifaille » [https://bit.ly/3B616Ro]. Tout comme la suite, « Le sniper, le président et la triade ».

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : ****

Intrigue :  ****

Psychologie des personnages :  ***

Intérêt/Émotion ressentie :  ***

Appréciation générale : *** 

L’adversaire (Emmanuel Carrère)


Emmanuel Carrère. – L’adversaire. – Paris : P.O.L., 2020. – 220 pages.

 



Récit

 

 


Résumé :

 

Le 9 janvier 1993, Jean-Claude Romand a tué sa femme, ses enfants, ses parents, puis tenté, mais en vain, de se tuer lui-même. L'enquête a révélé qu'il n'était pas médecin comme il le prétendait et, chose plus difficile encore à croire, qu'il n'était rien d'autre. Il mentait depuis dix-huit ans, et ce mensonge ne recouvrait rien. Près d'être découvert, il a préféré supprimer ceux dont il ne pouvait supporter le regard. Il a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité.

 

Je suis entré en relation avec lui, j'ai assisté à son procès. J'ai essayé de raconter précisément, jour après jour, cette vie de solitude, d'imposture et d'absence. D'imaginer ce qui tournait dans sa tête au long des heures vides, sans projet ni témoin, qu'il était supposé passer à son travail et passait en réalité sur des parkings d'autoroute ou dans les forêts du Jura. De comprendre, enfin, ce qui dans une expérience humaine aussi extrême m'a touché de si près et touche, je crois, chacun d'entre nous.

 

 

Commentaires :

 

Quelle histoire incroyable que ce récit abominable, à la fois absurde et terrifiant, inspiré du réel et remarquablement écrit par Emmanuel Carrère. Comme le mentionnait en 2014 Caroline Hauer sur le site Parisladouce.com, la « grande force du récit est de réussir à naviguer entre la réalité des faits, la fiction du mythomane [Jean-Claude Romand] qui n’a trouvé que l’affabulation comme moyen de survie et l’autobiographie de l’écrivain en plein doute durant son investigation et la rédaction de son ouvrage. »

 

Sans prendre parti ni porter de jugement, l’auteur nous présente un récit factuel détaillé et chronologique, le tout documenté par des témoignages recueillis auprès de parents et d’amis du criminel et pendant le déroulement du procès en cour d'assises. Des extraits de correspondance entre Carrère et Romand apportent aussi un certain éclairage sur l’état psychique de celui qui a fait les manchettes des chroniques judiciaires de l’époque et de ce qu’il est devenu pendant les 26 années de réclusion. On y sent aussi l’inconfort de l’auteur face à son projet d’écriture. Il en parle d’ailleurs en janvier 2010 dans un entretien avec Nelly Kapriélian, à la Bibliothèque publique d'information du Centre Pompidou, dans le cadre du cycle « écrire, écrire, pourquoi ? » [http://bit.ly/3jpsEwR].

 

En complément de lecture, je vous propose d’écouter le témoignage d’Emmanuel Crolet, le beau-frère de Jean-Claude Romand, qui raconte les années de mensonges de ce dernier jusqu’aux quintuples meurtres [https://youtu.be/OHrqibs7SR0].

 

Jean-Claude Romand a été libéré en 2019. En prison, il était devenu très pieux et s’était passionné pour le chant grégorien. À sa sortie, il a été hébergé à l’abbaye de Fontgombault, dans l’Indre, jusqu’en 2021. Sans bracelet électronique, il vit maintenant caché dans ce département du Centre-Val de Loire.

 

L’adversaire, un excellent travail journalistique qui plaira aux amatrices et aux amateurs de romans noirs.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intérêt/Émotion ressentie :  *****

Appréciation générale : *****



Siglό (Ragnar Jόnasson)


Ragnar Jόnasson. – Siglό. – Paris : Éditions de la Martinière, 2020. – 260 pages.

 


Polar

 

 


Résumé :

À Siglufjördur, « Sigló » pour les plus connaisseurs, petit port de pêche au nord de l’Islande, les ténèbres hivernales se sont dissipées. La vie y est paisible. Mais quelques jours avant Pâques, Ari Thór, l’inspecteur de la police locale, est appelé au beau milieu de la nuit : le corps d’une adolescente a été retrouvé gisant dans la rue principale.

Un meurtre paraît peu plausible dans une bourgade aussi calme. Pourtant, non loin de là, dans une maison de retraite, un vieil homme sénile a écrit sur les murs de sa chambre : Elle a été tuée. Et s’il disait la vérité ?

Après plusieurs années passées à Sigló, l’inspecteur Ari Thór s’y sent toujours comme un étranger. Jongler avec son travail et sa vie de famille est un casse-tête. Mais l’enquête se complique, et le temps presse : une nouvelle tempête de neige pourrait bien paralyser toute la ville.

 

 

Commentaires :

 

Polar d’ambiance du nord (froidure, tempête de neige, panne de courant), qui nous présente une Islande des petites communautés comparativement à celle de la capitale, Reykjavik, dépeinte par Arnaldur Indridason. Dans un pays qui compte à peine 376 000 habitants (équivalent aux 2/3 de la population de la ville de Québec) répartis sur et qui se classe parmi ceux les moins sujets à la criminalité, on doit considérer comme un exploit pour des écrivains islandais d’imaginer des scénarii de polars et de romans noirs.

 

Dans Siglό, la 6e enquête de l’inspecteur Ari Thόr, Ragnar Jόnasson nous entraîne dans une intervention policière qui s’étale sur cinq jours où les « fausses pistes » contribuent à alimenter, jusqu’à un certain point, notre intérêt à solutionner une affaire qu’on aurait imaginée plus complexe. Avec en finale deux chutes totalement imprévisibles ! Au passage, les connaisseurs auront remarqué l’importance qu’accorde l’auteur au café, boisson préférée des Islandais, consommé lors des différentes rencontres qu’effectue le policier.

 

Un roman plutôt léger et agréable qui se lit rapidement. Une histoire qui m’a fait découvrir le mouvement d’émigration islandaise au XIXe siècle vers le Manitoba, au Canada : plus de 14 000 déracinés ayant fui leur pays à la recherche de conditions de vie meilleure.

 

À noter que Siglό a été publié en français avant sa version islandaise.

 

 

Originalité/Choix du sujet : ****

Qualité littéraire : ***

Intrigue :  ***

Psychologie des personnages :  **

Intérêt/Émotion ressentie :  ****

Appréciation générale : ****


Le mauvais côté des choses (Jean Lemieux)


Jean Lemieux. – Le mauvais côté des choses. – Montréal : Québec Amérique, 9999. – 2021 pages.

 


Polar

 

 


Résumé :

 

Un soir d’automne, un restaurateur de la Petite-Italie est abattu. Détail troublant: son cadavre a été amputé de la main droite. S’agit-il de l’œuvre d’un psychopathe ou d’un règlement de comptes lié à la mafia sicilienne ? André Surprenant, nouvellement arrivé au sein de l’escouade des crimes majeurs du SPVM, tentera de démêler l’écheveau de cette enquête, dont les ramifications semblent s’étendre à sa propre histoire familiale. Tandis qu’il essaie de faire la lumière sur son passé, mais aussi sur l’identité de celui que la presse a baptisé « l’amputeur des ruelles », les victimes s’accumulent. Et, chaque fois, non loin des cadavres, on trouve une mystérieuse branche d’amélanchier.

 

 

Commentaires :

 

Dans « Le mauvais côté des choses », on retrouve l’enquêteur André Surprenant rapatrié des Îles-de-la-Madeleine pour joindre les rangs de l'escouade des crimes majeurs du Service de police de la ville de Montréal (SPVM) grâce à une intervention de son oncle, l’architecte Roger Surprenant. Il s’agit de la quatrième enquête du héros de Jean Lemieux après celles  publiées à compter de 2009 : « On finit toujours par payer », « Le mort du chemin des Arsène » et « L’homme du jeudi ».  

 

Comme toujours, Surprenant mène une enquête complexe

Avec une enquête menée avec toute la compétence qu’il doit démontrer pour être accepté par ses nouveaux collègues du SPVM qui ne manquent pas de lui rappeler ses antécédents à Beauport et aux Îles-de-la-Madeleine. Le tout entremêlé avec ses recherches personnelles sur son histoire familiale, sur les liens rompus avec son « père » Maurice. Beau coup de chapeau à l’écrivain québécois Jacques Ferron et son roman « L’amélanchier » [https://bit.ly/3YL0vka], ce conte mettant en scène un enfant à la recherche de son identité : une des pièces à conviction récupérée sur les scènes de crimes étant une branche d’amélanchier.

 

Sans oublier les relations de l’enquêteur avec ses ex-beaux-parents d’origine italienne, sa conjointe, ses enfants et ses collègues. Dans cet opus, Jean Lemieux nous fait découvrir de nouveaux volets de la personnalité de son personnage qui poursuivra sa carrière à Montréal dans « Les clefs du silence » [https://bit.ly/3Gi1CAH] et aux îles dans « Les demoiselles de Havre-Aubert » [https://bit.ly/3vyEoAd], deux romans que j’avais aussi bien aimés.

 

Écrit dans un style fluide et efficace, cette fiction attise l’intérêt du lecteur jusqu’à la résolution finale de cette enquête aux multiples pistes met du temps à se réaliser dans un milieu où l’omerta règle dans les milieux mafieux et de gangs de rues trouve. Avec sa solution « surprenante », comme par magie, au 37e chapitre [ne vous précipitez par pour le lire, vous gâcheriez votre plaisir).

 

Au passage, une brève allusion au Front de libération du Québec (FLQ) et à la Crise d’octobre 1970 [https://bit.ly/3jvvqR9] qui occupera une place importante dans sa cinquième enquête.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  ****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  *****

Appréciation générale : ***** 

Le passeur de livres (Carsten Henn)


Carsten Henn. – Le passeur de livres. – Lieu : XO éditions, 2022. – 266 pages.

 


Roman

 

 


Résumé :

 

Chaque soir après le travail, malgré ses soixante-dix ans, Carl se promène dans les rues pittoresques de la ville pour porter en main propre les livres qu’ont commandés ses clients les plus fidèles.

 

Ces lecteurs voraces, souvent farfelus et baroques, ont tous leurs secrets et leurs blessures. Ils sont devenus presque des amis, et le libraire dévoué est tout ce qui les relie au monde.

 

Lorsqu’un coup du sort s’abat sur Carl, c’est une petite fille de neuf ans, Schascha, espiègle et effrontée, qui leur donne le courage de s’ouvrir les uns aux autres et de renouer enfin avec le bonheur.

 

 

Commentaires :

 

Un récit magique en hommage à la lecture, aux livres et aux passionnés de littérature. Une « histoire comme si elle n’était pas vraie », comme si elle avait été inventée, avec des personnages qui, « une fois le livre refermé, continueront à y vivre ». Et comme tout bon roman, inspiré de personnes réelles. La couverture de première le suggère.

 

Si les historiens (et les historiennes) sont des « passeurs de mémoire », les libraires sont des « passeurs de livres », parce que « les livres ont besoin que quelqu’un leur montre le chemin » pour être lus, parce que « les livres peuvent sauver la vie. Ils peuvent d'ailleurs sauver de bien des manières, en réchauffant les cœurs, et les corps aussi lorsque nécessité fait loi. » Particulièrement « les livres auxquels on s'est le plus attaché, dont il faut savoir se séparer pour que d'autres puissent aussi y trouver du bonheur. »

 

Une écriture poétique, sertie d’humour, de tendresse, de références littéraires et d’amitié intergénérationnelle. Des dialogues savoureux entre Carl, l’ex-libraire sexagénaire et Schascha, la fillette « qui aimait tant parler, comme si les mots étaient des pralines fondant sur son palais » en quête de solutions pour mettre du baume sur les problèmes d’un éventail de personnages vulnérables aux goûts et aux intérêts littéraires variés. Un style des plus coloré comme en témoignent les quelques extraits suivants :

 

« En se réveillant, Carl se sentit une fois de plus comme un livre qui aurait perdu quelques pages. Au cours des derniers mois, ce sentiment s'était renforcé et il avait l'impression qu'il ne restait plus beaucoup de papier dans la reliure de sa vie. » (p. 41)

 

« Je suis comme l'aiguille d'une horloge. On pourrait penser que cette aiguille éprouve de la tristesse à force de parcourir le même trajet pour toujours revenir à son point de départ. C'est le contraire : elle aime que son chemin et sa destination soient nettement tracés, elle sait ainsi qu'elle ne se trompe pas de direction, qu'elle est utile et précise. » (p. 43)

 

« … c’était le premier jour passé dans l’écho de sa vie antérieure. » (p. 181)

 

Le passeur de livres, 265 pages qui se savourent les unes après les autres. Un livre qu’on referme à regret, en accord avec son auteur, car même « quand un livre merveilleux finit au bon endroit, au bon moment, et que tout ce qui aurait pu y être ajouté n'aurait fait que détruire cette harmonie, on voudrait qu'il compte plus de pages. »

 

On peut écouter dans cette courte vidéo Carsten Henn, né à Cologne, qui est aussi critique gastronomique et qui nous y présente son livre :  https://youtu.be/CtgdL8AsJwc

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  *****

Appréciation générale : *****


Déroute/Dérapage (Roland Lapointe)


Roland Lapointe. – Déroute/Dérapage. – Montréal : Éditions Michel Quintin, 2021/2022. – 200/232 pages.

 


Roman noir/Thriller

 

 

Résumé :

 

Déroute (T. 01) : Le jour où Vincent rencontre Cassandre au dépanneur, il a l'impression de la connaître depuis toujours. Mais cette fille n'aurait jamais dû croiser sa route. En l'embarquant sur sa moto, Vincent enclenche une série d'événements impossible à freiner. Et maintenant que le destin de Cassandre est lié au sien, il ne peut plus faire marche arrière.

 

Dérapage (T.02) : Lorsque Vincent se réveille après trois jours dans le coma, il est en garde à vue à l’hôpital. Il ne pensait pas pouvoir tomber plus bas quand des policiers lui apprennent que Cassandre, SA Cassandre, a été kidnappée. Malgré les ténèbres dans lesquels la douleur et les médicaments le plongent, il se rappelle très bien avoir pris toutes les précautions nécessaires pour la protéger. Néanmoins, Vincent sait qu’il ne manque pas d’ennemis, et il n’a pas l’intention d’attendre les bras croisés que la police mène sa propre enquête. Les forces de l’ordre l’ont suffisamment déçu pour qu’il décide de se faire justice lui-même, quelles qu’en soient les conséquences.

 

 

Commentaires :

 

L’éditeur et l’auteur annonçaient un thriller. Jusqu’au 2/3 du premier tome de la trilogie « Vincent et Cassandre » (le 3e volume à venir), j’aurais qualifié cette fiction de « roman noir ». Une sorte d’escapade routière en moto mettant en scène un pauvre type dans la quarantaine, Vincent, qui ne semble plus savoir ce qu’il est devenu, accroc à l’alcool et aux substances illicites et leurs effets physiques et psychologiques et qui décide de parcourir les routes du Québec (rive sud  de Montréal, couronne nord de la métropole, Trois-Rivières, Portneuf, Baie-Saint-Paul, Québec) en compagnie d’une fille dans la vingtaine, Cassandre, rencontrée par hasard lors d’un braquage dé dépanneur.

 

J’ai, entre autres, apprécié le passage où Roland Lapointe qui puise probablement dans son expérience personnelle décrit les sensations qu’éprouve son protagoniste de rouler à vitesse grand V sur sa Yamaha Road Warrior 1700 cc power cruiser. Également, les séquences très réalistes de poursuite à moto et en voiture sur le pont Pierre Laporte, de fusillades et de combat à la Jack Reacher.

 

Le tout écrit dans une langue parlée québécoise, assortie d’un juron, « ciboire » pour ne pas le nommer, dont la récurrence m’est apparue agressante, et qui colle à la perfection à la personnalité du personnage narrateur et au contexte social de l’histoire. Un style d’écriture qui laisse place à un humour parfois grinçant, parfois bon enfant, comme ce passage où une barmaid lance à Vincent qui vient de lui résumer sa vie en un paragraphe : « En tout cas, vous devriez être écrivain ».

 

C’est après 120 pages que j’ai compris que l’auteur avait mis la table pour faire basculer le lecteur dans un récit où l’action qui caractérise un thriller s’amorce, croît de chapitre en chapitre et atteint son paroxysme dans le deuxième tome.

 

J’ai apprécié la bonne connaissance de la géographie de la cité de Champlain, particulièrement des quartiers Limoilou, Saint-Roch et Saint-Sauveur et de leur faune parfois éclectique. À l’exception de la dénomination du chemin Sainte-Foy appelé « boulevard Sainte-Foy ».

 

Il est difficile de parler davantage du contenu sans en divulgâcher la lecture. Mentionnons au passage certaines répliques du personnage principal, champion « des portes à défoncer, des gueules à casser, pis peut-être un gars à tuer », qui se caractérise en affirmant qu’il y a « quelque chose de grisant à vivre dangereusement, à savoir que ta vie est en jeu à chaque décision que tu prends ». Et qui fait le constat qu’il a « toujours trouvé intéressant d’observer la gamme d’émotions qui passe sur le visage de celui qui comprend ce qui lui arrive ».

 

Avec Déroute/Dérapage, Roland Lapointe, natif de Montréal, nous livre un récit très violent, à l’image du milieu interlope, qui plaira aux adeptes de ce genre littéraire, lui que rien « ne le prédisposait à devenir auteur, si ce n’est qu’il écrit depuis longtemps pour exorciser ses maux » comme l’indique son éditeur. En 2019, il avait publié Éditions La Plume d’Or un premier ouvrage : Delirium Café.

 

Merci aux Éditions Michel Quintin pour le service de presse.

 

 

Originalité/Choix du sujet : ***

Qualité littéraire : ***

Intrigue :  ****

Psychologie des personnages :  ***

Intérêt/Émotion ressentie :  ***

Appréciation générale : ***


La dernière tempête (Ragnar Jόnasson)


Ragnar Jόnasson. – La dernière tempête. – Paris : Éditions de la Martinière, 2021. – 283 pages.

 


Polar

 

 


Résumé :

 

La terrible tempête de neige qui s’abat sur l’Islande aurait dû décourager les plus téméraires de s’aventurer à l’extérieur.

 

Ils l’ont pourtant fait.

 

Ce couple n’aurait jamais dû laisser entrer chez eux un inconnu. Il l’a pourtant fait.

 

Un invité indésirable. Un mensonge innommable. Un meurtre. Tous ne survivront pas à cette nuit. Et l’inspectrice Hulda, chargée de l’enquête, continuera d’être hantée par ses fantômes très longtemps encore.

 

 

Commentaires :

 

Encore un excellent polar que j’ai dévoré en une journée, incapable de cesser d’en tourner les pages pour découvrir la solution de l’énigme.

 

Ragnar Jónasson est islandais, né à Reykjavík. On dit de lui qu’il est un grand lecteur d’Agatha Christie dont il a traduit ses romans en islandais. Et qu’il a été découvert par l’agent d’Henning Mankell et élevé « en quelques années au rang des plus grands auteurs de polars internationaux ».

 

La structure littéraire de La dernière tempête est des plus intéressante.

 

D’abord, en première partie, « juste avant Noël 1987 », l’auteur met la table en 27 chapitres au cours desquels la tension croît dans l’accomplissement du crime. Le décor, la psychologie des personnages peu nombreux, la rigueur du climat (neige, bourrasques, blizzard, congères), les coupures de courant et de téléphone, l’isolement  géographique en terres inhospitalières, les odeurs, les non-dits dans les dialogues, les démons de l’enquêtrice tourmentée… autant d’éléments qui contribuent à angoisser le lecteur et lui faire craindre le pire, à quelques heures du réveillon de Noël. Une occasion également pour découvrir certaines traditions culinaires islandaises et sociétales dont, entre autres, celle de déposer des livres au pied du sapin.

 

Les 21 chapitres de la deuxième partie, « Deux mois plus tard – février 1988 » nous entraînent dans la démarche d’analyse de la scène du crime par l’enquêtrice, Hulda Hermansdόttir (héroïne de la trilogie dont les deux autres ouvrages s’intitulent L’île au secret et La Dame de Reykjavík dont l’action se déroule respectivement 10 et 25 ans plus tard) pour nous faire découvrir deux drames que les plus perspicaces anticiperont

 

Une écriture captivante et un récit d’ambiance qui met en opposition le côté noir, très noir, de l’histoire et l’enfer blanc de l’hiver des pays nordiques. Attendez-vous à des révélations tout à fait imprévisibles.

 

Inutile d’en ajouter. À vous de vous régaler.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  *****

Appréciation générale : *****

Ceux dont on ne redoute rien (Mathieu Thomas)


Mathieu Thomas. Ceux dont on ne redoute rien. – Montréal : Québec Amérique, 2021. – 443 pages.

 


Roman politico-historique

 

 


Résumé :

 

Dans les bureaux du journal L’Union nationale, Charles rêve d’influencer l’Histoire et de participer à renverser ce maudit projet de Confédération canadienne. Mais que peut donc faire un apprenti typographe qui passe le balai et vomit sa soupe aux pois lorsque les puissants mettent le destin en marche?

 

Un siècle et demi plus tard, Édouard se complaît quant à lui dans son avachissement. Traducteur désenchanté depuis l’échec référendaire de 1995, il est devenu un éternel ambigu qui nuance, tergiverse... jusqu’à ce que sa belle voisine et une formidable découverte fassent souffler un vent fou sur sa vie apathique.

 

Entre Charles et Édouard, un même mystère à résoudre : Louis-Joseph Papineau a-t-il rencontré Alexis de Tocqueville lors de son passage à Montréal en 1831? Le voyage du philosophe français cachait-il quelque chose d’inconnu jusqu’à aujourd’hui?

 

Des révoltes des Patriotes aux manifestations du printemps érable, ce roman détricote l’Histoire et y ajoute quelques chatoyants brins de laine. Toutes les révolutions n’ont pas été tranquilles au pays de ceux dont on ne redoute rien.

 

 

Commentaires :

 

Les historiens patentés lèvent souvent le nez sur les fictions historiques. Pourtant, il s’agit d’un genre littéraire qui favorise la transmission de connaissances, de faits historiques dans un contexte de divertissement littéraire.

 

Avec « Ceux dont on ne redoute rien », Mathieu Thomas nous livre un premier roman qui atteint pleinement cet objectif. L’auteur nous entraîne à partir de Montréal dans deux enquêtes palpitantes qui nous tiennent en haleine jusqu’en finale (les dernières phrases précurseures d’une scène tragique qui plongeront la région dans une effroyable tragédie) : une première qui se déroule en 1864 menée par un apprenti typographe, Charles Sévigny, en alternance avec une deuxième, en 2012, réalisée par un traducteur, Édouard Martin, d’une certaine manière l’alter ego de celui qui a imaginé cette quête d’un secret caché de l’histoire du Québec, lui-même hanté par son sujet.

 

Ce roman roman à saveur indépendantiste est le résultat de plus de deux années de recherches pour intégrer une brochette de personnages imaginés sur une « réalité plausible » dans une trame historique crédible, la « visite de deux aristocrates français en ce pays encore inachevé » qui « demeure drape de mystère ».

 

Chaque époque effervescente à sa manière est bien campée dans son contexte.

 

En 1864, à la veille de la fondation de la Confédération canadienne, un projet néfaste pour les Canadiens français, les oppositions au projet se manifestent dans le Bas-Canada, un projet de mise en tutelle des Canadiens français. Le lecteur est transporté au cœur des activités organisées par un petit groupe œuvrant autour du journal L’Union nationale. On assiste, entre autres, à des « rencontres » avec deux importants protagonistes : Papineau dans ses terres de la Petite-Nation et Beaumont, compagnon de Tocqueville, dans son château de Beaumont-la-Chartre auxquels Mathieu Thomas donne la parole inspirée par l’importante bibliographie qu’il cite en postface. Avec comme source principale Regards sur le Bas-Canada d’Alexis de Tocqueville que ce roman donne le goût de lire. Ce qui donne lieu à de belles descriptions du quotidien social, politique et religieux (p 289-290 et 359 et suivantes) et de la géographie (p. 367). Il est aussi question du mouvement des zouaves pontificaux et de l’influence du haut clergé qui, depuis 1760, s’est rangé dans le camp des conquérants. Et de certaines élites économiques et politiques canadiennes-françaises devenues collaboratrices de la Couronne britannique après 1837.  

 

En 2011-2012, en plein « printemps érable », les manifestations les plus importantes s’étant déroulées à Montréal après le référendum de 1995 dans le cadre d’une grève étudiante générale illimitée en réaction à l'augmentation projetée des droits de scolarité universitaires. Des mouvements sociaux et des perturbations supplantant dans l’opinion publique les CCC des libéraux de Jean Charest qui déclenchera des élections anticipées. L’apparition d’un nouveau parti indépendantiste, Option nationale. L’élection de Pauline Marois à la tête d’un gouvernement minoritaire et l’épisode de terrorisme politique, l’attentat raté contre celle-ci le soir de sa victoire. D’excellents prétextes pour mettre en scène des constats et des questionnements sur la condition politique et linguistique québécoise d’aujourd’hui par les échanges entre Edouard et son entourage.

 

Le tout écrit dans un style fluide, très abordable, où chaque personnage (et peut-être même l’auteur) livre sa perception de la réalité d’hier devenue celle d’aujourd’hui, peut-être pas très différente d’un passé pas si lointain. Avec en annexe de brèves notes biographiques sur les personnages de l’époque de Charles Sévigny.

 

Personnellement, l’ai particulièrement apprécié certains passages toujours d’actualité en 2022, entre autres :

 

-      Édouard qui sa démarche, un peu celle de Mathieu Thomas (p. 151);

-      les différents points de vue d’intellectuels sur le voyage en Amérique, et au Bas-Canada, d’Alexis de Tocqueville et de Gustave de Beaumont (p.179) ;

-      la démocratie, « germe de l’égoïsme individuel » amenant « les individus de la classe moyenne » à avoir « tendance à se replier sur eux-mêmes et à devenir indifférents à ce qui se passe au sein de l’État », ce qui ouvre « la porte aux affaires de la corruption » (pp. 184-85) ;

-      la place des francophones et de la langue française au sein de l’équipe de hockey les Canadiens de Montréal (p. 243) ;

-      la distinction entre British devenus Canadians, les « vrais Canadians : ceux qui parlent anglais » et les Canadiens français (p. 246) ;

-      l’instrumentalisation de l’immigration par le pouvoir anglais « pour favoriser notre minorisation » en « faisant de ces nouveaux arrivants des Canadiens (plutôt que des Québécois), on s’assure qu’ils voteront libéral jusqu’à la fin de leurs jours » (p. 280) ;

-      le mystère Québec (ville) dont les citoyens ont voté majoritairement NON au référendum de 1995, comme ils ont refusé de se joindre aux soulèvements des Patriotes de 1837-1838 ;

-      l’habile technique de l’auteur faisant décrire un de ses protagonistes (ex. : Gustave de Beaumont) par un personnage secondaire, en l’occurrence la tenancière d’une auberge (p. 315).

 

Avec une mention spéciale pour

 

-      le passage loufoque sur les incohérences du fédéralisme dans le domaine de la biologie (p. 335-336) ;

-      la définition d’un Canadien au XIXe siècle, selon Papineau : « d’un point généalogique, c’est quelqu’un dont les ancêtres habitaient le pays avant 1759. Mais politiquement, c’est quelqu’un qui fait cause commune avec les habitants du pays, peu importe son origine » (p. 389) [on pourrait en dire autant d’un Québécois en 2022] ;

-      la réflexion de Tocqueville décrétant, en 1831-1832, que « celui qui doit remuer la population française et la lever contre les Anglais n’est pas encore né » (p. 389), faisant référence à Papineau [dans un Québec contemporain, l’aristocrate français aurait probablement modifié sa pensée avec l'émergence des René Lévesque, Jacques Parizeau et, qui sait, Paul Saint-Pierre Plamondon].

 

Sans oublier la référence à cette horrible version « mariachi » d’Un Canadien errant interprétée par un Leonard Cohen atypique (p. 247), chanson écrite en 1842 par Antoine Gérin-Lajoie après la Rébellion du Bas-Canada de 1837-1838 lors de laquelle certains des rebelles ont été condamnés à mort et d'autres ont été exilés aux États-Unis et en Australie.

 

Né à Montréal de parents français et américains, Mathieu Thomas a étudié en science politique avant de faire une maîtrise en sciences de l’information. Il est bibliothécaire dans une université montréalaise. Dans un balado sur le site À la recherche du Québec, il nous parle de son roman.

 

Définitivement plus qu’une simple fiction ou qu’un ouvrage savant, Ceux dont on ne redoute rien est un de mes coups de cœur 2022. Un tourne-page que j’ai savouré en trois jours. J’espère vous avoir donné le goût de le lire.  

 

Merci à Gaston Bernier, secrétaire général de l’Association pour l’usage et le soutien de la langue française – ASULF pour la recommandation de lecture.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  *****

Appréciation générale : *****