Les Piliers de la Terre 1. Le rêveur des cathédrales (Didier Alcante, Steven Dubré, Jean-Paul Fernandez | Ken Follet)


Didier Alcante, Steven Dubré, Jean-Paul Fernandez | Ken Follet. – Les Piliersde la Terre 1. Le rêveur des cathédrales. – Grenoble : Glénat & Robert Laffont, 2023. – 100 pages.

 


Bande dessinée

 

 

Résumé :

 

Angleterre, XIIe siècle. Dans un royaume en perdition, morcelé par la guerre et affaibli par la famine, Tom, modeste maître bâtisseur, rêve de construire, un jour, la plus grandiose des cathédrales… Après avoir perdu son épouse et son nouveau-né durant un hiver des plus rudes, il échappe de peu à une mort certaine grâce à la troublante Ellen. Cette jeune femme rebelle et solitaire, vivant repliée dans la forêt avec son fils Jack, deviendra sa compagne. Ensemble, ils prendront la route, bravant le froid et la misère. Pendant ce temps, le nourrisson abandonné est recueilli par une communauté de moines en proie à une véritable crise religieuse…

 

Commentaires :

 

N’ayant pas lu les milliers de pages de la version littéraire de ce roman vendu à plus de 28 millions d’exemplaires, l’avant-propos signé par Ken Follett confirme une adaptation réussie dans l’univers du neuvième art.

 

Le premier tome (six sont prévus) s’ouvre sur une magnifique illustration sur une double planche qui met la table à l’action dramatique : le naufrage du navire La Blanche et la mort de l’unique fils légitime du roi d’Angleterre Henri Ier. Et la page titre en noir et blanc suggère la grande austérité des mœurs sociales et les enjeux politiques et religieux de cette tranche de l’histoire européenne.

 

Cette première tranche du récit campe le contexte historique et permet de présenter les caractéristiques des principaux personnages. Le tout dans un décor souvent grandiose tel ces vues aériennes animées du village, du château d’Earlscastle, de la cathédrale de Werstmonster, de la forêt, du prieuré de Kignsbridge, de la progression de l’armée des Hamleigh…

 

Sur un peu moins de 100 pages, le scénario de Didier Alcante colorisé par Jean-Paul Fernandez nous plonge dans la vie rude de l’époque, entre des extérieurs hivernaux aux couleurs froides et des intérieurs aux teintes plus chaudes, mettant en opposition la pauvreté de la population en général et  l’aisance relative des classes « fortunées ».

 

Le découpage dynamique des planches adapté aux séquences du scénario contribue à entretenir le rythme des événements. Les dialogues, particulièrement ceux entre les membres de la communauté monacale et ceux avec la hiérarchie épiscopale décrivent bien l’esprit d’intrigues ténébreuses qui se trament.

 

Les dessins de Steven Dupré dont certains remplacent avantageusement des descriptions et des dialogues sont d’une précision remarquable : plan général des scènes, détails vestimentaires, visages des personnages en plan rapprochés ou éloignés, décors intérieurs (particulièrement la messe dans le chœur du prieuré) et extérieurs, scènes d’assaut du château de Bartholomew…

 

En postface, le bédéiste explique sa démarche, mettant l’accent sur les personnages, « comprenant leurs motivations, partageant leurs espoirs, leurs peurs, leurs ambitions, leurs haines, leurs amours et leurs passions. » Ce qui se sent tout au long de la lecture de ce premier tome. Et il ajoute :

 

« Par son mélange unique de texte et de dessin, ce médium [la bande dessinée] si particulier peut en effet garder toute la puissance du récit littéraire, tout en y adjoignant celle des images. Outre leur aspect purement esthétique et expressif, ces dessins aident à donner vie aux personnages et à leurs émotions. Les illustrations permettent aussi aux lecteurs de se représenter plus facilement des détails visuels importants, tels que l'architecture du Moyen Âge, ou à comprendre des scènes complexes, comme une bataille. »

 

Tous les genres littéraires peuvent contribuer à intéresser un lectorat à l’Histoire humaine : les ouvrages scientifiques, bien sûr, mais aussi les romans, les polars, les thrillers historiques… et les bandes dessinées.

 

Les Piliers de la Terre 1 en version imagée apporte assurément une valeur ajoutée à l’œuvre originale de Ken Follett déclinée depuis 1989 en « une mini-série, un jeu de société, un jeu vidéo et même une comédie musicale ».

 

Les cinq futurs tomes permettront très certainement de le constater si on en juge la qualité de ce premier épisode mettant en scène Tom le bâtisseur, pauvre maçon, Le rêveur de cathédrales.

 

Merci aux éditions Glénat et Robert Laffont pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander et récupérer votre exemplaire auprès de votre librairie indépendante sur le site leslibraires.ca.

 

 

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  *****

Appréciation générale : *****


Le Nom de la rose – Livre premier (Milo Manara | Umberto Eco)


Milo Manara | Umberto Eco. – Le nom de la rose – Livre premier. – Grenoble : Glénat, 2023. – 72 pages.

 

Polar médiéval - Bande dessinée

 

 


Résumé :

 

En 1327, des bandes d'hérétiques rebelles à toute autorité sillonnent les royaumes chrétiens et font à leur insu le jeu des pouvoirs. Parvenu à une abbaye entre Provence et Ligurie, l'ex-inquisiteur Guillaume de Baskerville, accompagné de son secrétaire, est prié par l'abbé d'élucider la mort d'un moine. En sept jours, au rythme des heures canoniales, adviennent crimes, stupre, vice et hérésie.

 

Commentaires :

 

J’avais lu dans les années 1980 la version littéraire de Le Nom de la rose, ce grand roman policier de Umberto Eco dont la conclusion de l’enquête ne se dégage que dans un ultime rebondissement. Un polar qui faisait le lien avec les cours d’histoire du Moyen-Âge qu’animaient avec brio à l’Université Laval alors que j’étudiais en histoire le médiéviste et spécialiste de la méthode historique, André Ségal, un professeur d’origine belge qui maîtrisait l’art de communiquer ses connaissances et sa passion pour cette période de l’humanité.

 

Le Nom de la rose sous forme de bande dessinée donne le goût de se replonger dans la nouvelle édition augmentée incluant croquis et notes préparatoires de Umberto Eco pour marquer le 40e anniversaire de ce livre culte dont la conclusion de l’enquête ne se dégage que dans un ultime rebondissement.  

 

C’est à la demande des héritiers de l’universitaire, érudit et écrivain italien reconnu pour ses nombreux essais sur la sémiotique, l’esthétique médiévale, la communication de masse, la linguistique, la philosophie et sa production romanesque que le maître de la bande dessinée érotique, Milo Manara, a accepté de relever le défi d’adapter et de mettre en images ce chef-d’œuvre vendu à plusieurs millions d'exemplaires et traduit en 43 langues.

 

Ayant eu carte blanche, Milo Manara, dès les trois premières pages, met en scène Umberto Eco lui-même s’adressant aux lectrices et aux lecteurs pour raconter l’origine et le contexte du roman. Avant de passer la parole à Adso de Melk, le secrétaire du héros enquêteur, l’ex-inquisiteur Guillaume de Baskerville, qui amorce le récit. 

 

Manara a dessiné l’ensemble de l’œuvre au lavis en noir et blanc, la mise en couleurs ayant été réalisée par sa fille Simona sous sa supervision. S’y dégagent les ambiances froides des extérieurs hivernaux, la chaleur des entrailles de l’abbaye, le mystère des délires et des hallucinations d’Adso, la relation des événements passés, les enluminures inspirées des tableaux du peintre néerlandais Hieronymus Bosch. Le tout contribuant à créer une atmosphère à la fois sobre et ténébreuse assorti de scènes où l'Inquisition torture des hérétiques ayant succombé à la luxure et pimenté de scènes érotiques associant les femmes à la cause de la perdition des hommes.

 

La représentation aérienne de l’abbaye et celles de son église, de ses cuisines, de son scriptorium, de sa porcherie, de son laboratoire et de sa bibliothèque labyrinthe, la plus importante de l’Occident, m’ont rappelé la palette graphique des Cités obscures de François Schuiten. Quant à la narration de ce récit réparti sur à peine 64 pages, elle nous accroche dès les premiers phylactères et nous tient en haleine, nous prenant à la fois comme témoin, voire comme complice des événements tragiques dans un climat d’omerta où chaque frère bénédictin est suspect.

 

Premier tome de deux volumes, Le Nom de la rose – Livre premier est un bijou de bande dessinée. En annexe, l’éditeur a joint les recherches graphiques de Milo Manara. On y retrouve les esquisses des différents personnages, dont entre autres celle de Guillaume de Baskerville aux traits empruntés à l’acteur américain Marlon Brando, et de certaines scènes.

 

Vivement le livre second, même si je connais la clé qui mettra fin aux mystérieux assassinats.

 

Merci aux éditions Glénat pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander et récupérer votre exemplaire auprès de votre librairie indépendante sur le site leslibraires.ca.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Intrigue :  *****


Intérêt/Émotion ressentie :  *****

Appréciation générale : *****


Le poisson mouillé (Volker Kutscher)


Volker Kutscher. – Le poisson mouillé. – Montréal : Flammarion Québec, 2023. – 584 pages.

 


Polar historique

 

 


Résumé :

 

Mai 1929. Rétrogradé à la brigade des moeurs après une bavure, le jeune commissaire Gereon Rath débarque à Berlin. La ville est en pleine effervescence. Rixes avec les communistes, cabarets clandestins, mafia et trafic de drogue… Les flics sont sur tous les fronts. Et puis il y a ce corps retrouvé dans le canal, affreusement mutilé, dont seul Rath connaît l’identité. Une aubaine pour le nouveau venu qui nourrit l’espoir d’être réintégré à la criminelle. Sans lui, cette enquête risque de rejoindre les affaires classées non élucidées, les fameux « poissons mouillés ».

 

Un commissaire ambitieux, une sténodactylo qui aime faire la fête, des policiers qui nagent en eaux troubles tandis que les nazis se font de plus en plus présents… Le poisson mouillé dresse un tableau politique et social fascinant du Berlin de l’entre-deux-guerres.

 

 

Commentaires :

 

Le poisson mouillé est le premier polar d’une série de Volker Kutscher dont le héros est le commissaire Gereon Rath. Le roman a été publié initialement en allemand en 2007 chez Piper Verlag GmbH, München, Berlin et en français aux éditions du Seuil en avril 2010 (et non pas en 2020 et en 2023 comme l’annonce, en pages préliminaires, l’éditeur québécois).

 

Cette enquête berlinoise s’inscrit dans le sillon des romans de Philippe Kerr mettant en vedette son enquêteur Bernhard « Bernie » Gunther dont l'action se déroule essentiellement en Allemagne sous le Troisième Reich ou durant l'après-guerre. À cette différence près que Gereon Rath nous fait découvrir la vie nocturne, sexuelle et clandestine, les mœurs policières troubles en lien avec le crime organisé, les mouvements sociaux ainsi que les combats de rue entre forces de l'ordre et communistes à l’époque de la République de Weimar qui agonise, avec à l’horizon la montée du nazisme. Il nous livre un intéressant portrait politique et social troublant du Berlin des années vingt.

 

Le récit de Kutscher foisonne de noms de rues et de lieux plus ou moins fréquentables  par une faune de touristes, d’honnêtes Berlinois et des criminels de la pire espèce :  l’Eldorado, le Palais de Delphes, le Café Berlin, le Plaza pouvant accueillir près de 3000 spectateurs, la Maison de la Patrie, le Grinzing, la Pilule, le Pavillon de l’Europe, la Cave de Vénus, la Dernière Instance, le Cacatoès… Une carte de Berlin aurait été d’une grande utilité pour le lecteur.

 

L’auteur y fait évoluer une panoplie de personnages qu’on s’attend à retrouver dans un roman policier digne de ce nom.

 

Son héros, le commissaire Gereon Rath, un jeune inspecteur brillant, mais accroc à la cocaïne, originaire de Cologne, qui doit son transfert à Berlin et l’évolution de sa carrière à son père, Engelbert Rath, un ami du préfet de police berlinois, un amoureux de jazz qui n’a pas peur de trafiquer les pièces à conviction.

 

La hérarchie policière logée au Château Fort : le chef de la brigade criminelle, commissaire divisionnaire Ernst Gennat (policier ayant réellement existé et qui est devenu une légende de la police judiciaire allemande du fait de son très faible taux d'affaires non élucidées aussi appelées « poissons mouillés  ; le commissaire principal Wilhelm Böhm qui se gave de pâtisseries ; le préfet de police Karl Zörgiebel ; Bruno Wolter, le chef de la section des mœurs aux méthodes peu orthodoxes.

 

Quelques collègues dont l’assistant de police Stephan Jänicke et la secrétaire Charlotte (Charly) Ritter avec qui Rath a une relation amoureuse complexe.

 

Et, bien sûr, un médecin légiste, le Dr Magnus Schwartz, ainsi qu’un journaliste complice, Berthold Weinert.

 

Le scénario fait référence à quelques personnages réels (Hitler, Goebbels, Trotski, Staline…), à un certain trésor, à l’importance d’une colonie russe installée à Berlin après la Première Guerre mondiale, à des groupes politiques ayant réellement existé (les communistes [Cocos], les socialistes, le Ringverein, le Front Rouge allemand, divers cercles nationalistes, l’Armée Rouge, les Bolcheviks…) ou le fruit de l’imaginaire de l’auteur à des fins dramatiques (la société secrète Forteresse Rouge).

 

J’ai noté au passage quelques extraits qui illustrent jusqu’à un certain point la forme littéraire du récit traduit en France, du coup ponctué  de nombreux « du coup » d’usage :

 

À propos des machines à écrire :

 

« …Wolter était déjà assis à sa place et tapait à la machine. Les tiges résonnaient sur le papier comme des coups de feu. »

 

« Rath s’assit à son bureau et retira la housse de protection de l’Adler, Modèle d’avant-guerre. La machine noire le fixait, tel un insecte mal intentionné. »

 

« Schmittchen, leur secrétaire, avait déjà préparé le café. On entendait le cliquetis ininterrompu de sa machine à écrire dans l’antichambre. Ratatata – aussi rapide qu’une mitrailleuse. »

 

« Tu savais que nous possédons plus de machines à écrire que d’armes ? »

 

… de la description d’un lieu :

 

« La façade de l’immeuble de Schneid était recouverte d’une telle quantité de stuc qu’on avait l’impression que les anges en plâtre devaient se battre pour ne pas perdre leur place. »

 

… sur le travail et les techniques policières :

 

« Rath savait que quatre-vingt-dix pour cent du travail de la police consistait en des efforts inutiles… »

 

« Certes, il existait toujours plusieurs interprétations de la vérité. Tous les officiers de police le savaient, il suffisait d'assister à une audience du tribunal. Certains avocats faisaient preuve d'une telle ingéniosité qu'ils arrivaient à mettre en doute les faits les plus évidents. C'est pourquoi le travail de la police était si important : elle devait mettre à la disposition du procureur des preuves en béton afin qu'aucun avocat ne puisse les démonter. Et Wolter? Il venait de faire exactement le contraire; avec son rapport, il avait rendu une preuve inutilisable. Bien sûr, uniquement dans le but de protéger les forces de l'ordre des attaques. »

 

« … tes indics sont plus crédibles auprès de leurs potes s'ils ont des ennuis avec les flics de temps en temps. - Mais pas s'ils sont libérés plus tôt que prévu. - Personne ne l'apprendra. Leurs copains enfermés dans la même cellule croient qu'on les emmène pour l'interrogatoire et qu'on les cuisine. Et une fois libérés, ils sont redevables de quelques faveurs à leur ami et protecteur. C'est comme ça que ça marche. Tu dois faire en sorte que tes indics t'obéissent. Sinon ils deviennent vite insolents. Tu dois leur montrer qui est le chef. Qui décide du fait qu'ils aient des ennuis ou pas. »

 

… sur la place des femmes dans la société :

 

« Les femmes sont toujours désavantagées. Dans tous les secteurs professionnels, même chez les criminels. »

 

On y apprend aussi sur le modus operandi des vendeurs de drogue qui « se faisaient souvent passer pour des vendeurs de cigarettes et zozotaient en prononçant le mot « cigarette » afin que leurs clients puissent les reconnaître. »

 

J’ai souri à l’évocation de cette technique qu’on utilisait parfois avec nos amis d’enfance pour partager des messages secrets : « Deux feuilles de papier mince dont la signification n’apparaît que si on les superpose et qu’on les place à contre-jour. »

 

Globalement, l’intrigue policière qui s’étire en trois actes (1. Le cadavre du canal : 28 avril au 10 mai 1929 ; 2. Inspection A : 11 mai au 21 mai 1929 ; Toute la vérité : 21 mai au 21 juin 1929) est parsemée de trop nombreuses pistes. Une lecture longue, presque imposée. À mon avis, le récit aurait gagné à être resserré afin de soutenir le rythme de lecture.

 

En rédigeant cet avis de lecture, j’ai été estomaqué de constater a posteriori que cette édition québécoise a été imprimée en Chine !!!

 

Merci aux éditions Flammarion Québec pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander et récupérer votre exemplaire auprès de votre librairie indépendante sur le site leslibraires.ca.

 

 

Originalité/Choix du sujet : ***

Qualité littéraire : ****

Intrigue :  ***

Psychologie des personnages :  ***

Intérêt/Émotion ressentie :  ***

Appréciation générale : ***


La punition (Jean-Philippe Bernié)


Jean-Philippe Bernié. – La punition. – Montréal : Glénat Québec, 2023. – 220 pages.

 


Roman noir

 

 


Résumé :

Monica Réault mène une vie rangée. Un jour, elle rencontre par hasard Grace Davenay Lockhart, son auteure préférée. L’illustre écrivaine américaine vient de s’installer à Pointe-Claire et lui propose de devenir son aide-littéraire. Monica accepte ce défi avec beaucoup d'enthousiasme, mais également d’appréhension. Sera-t-elle à la hauteur?

Happée par l’univers créatif de sa patronne, Monica la laisse peu à peu envahir sa vie, jusqu’à ce que Grace devienne cassante, méprisante, autoritaire. Totalement manipulée, Monica commence à sombrer. Avant de couler, elle découvre l’inavouable secret de la grande écrivaine et constate que cette dernière veut la rendre complice de ses coups bas...

 

 

Commentaires :

 

À première vue, le titre et la couverture de première de la quatrième fiction de Jean-Philippe Bernié, docteur en génie chimique et finaliste en 2019 du prix Arthur-Ellis du meilleur roman policier pour « Un dernier baiser », m’avaient laissé quelque peu perplexe. La lecture du synopsis a toutefois titillé ma curiosité.

 

Sans divulgâcher l’intrigue qu’a imaginée l’auteur de « La punition », si la création littéraire, les relations entre les personnages et les romanciers, les techniques d’écriture et les droits de propriété intellectuelle d’une œuvre vous intéressent, vous serez servis par cette histoire qui laisse entrevoir une sombre perspective dans l’univers créatif d’écrivain,es avides de gloire. D’auteur,es qui transposent dans leurs récits leurs états d’âme (« Il faut exploiter la souffrance de l’auteur pour en tirer un bon livre ») et qui cachent le secret de fabrication et de publication de leurs œuvres littéraires à un rythme soutenu.

 

Dans La punition, il est question de synopsis permettant de structurer un texte pour le transformer « en un roman de quatre cents pages » :

 

« Chaque chapitre était résumé en quelques lignes ; y était indiqué le nombre final de pages qu’il devrait avoir ; on trouvait – parfois – une ou deux scènes rédigées ; pour le reste, c’était une succession de notes. »

 

Aussi d’ateliers d’écriture, d’appropriation du travail de talents anonymes ayant le même ton et la même voix que l’auteure, de contestation de propriété intellectuelle, de contrat de collaboration nébuleux :

 

 « Le contrat s'avéra être un long document de cinq pages, en anglais légal, truffé de clauses, de sous clauses, de phrases interminables où se succédaient des processions de verbes ayant des significations voisines, mais distinctes, et de sections qui semblaient toutes signifier la même chose, mais ne le faisaient probablement pas. »

 

Jean-Philippe Bernié utilise son personnage principal qu’il a imaginé, la romancière à succès Grace Davenay Lockhart, pour énoncer un certain nombre de techniques d’écriture tout en insistant, entre autres, sur l’importance du rythme et les enjeux pour susciter l’intérêt des lecteurs :

 

« Il faut monter au maximum l'intensité dramatique et les enjeux, il faut monter au maximum l'intensité dramatique et les enjeux, il faut monter au maximum l'intensité dramatique et les enjeux, ce sont les trois uniques vérités de la création littéraire ! »

 

… sur la création des personnages :

 

« L'écrivain fait ce qu'il veut. Il peut installer ses personnages dans une humble cabane. Mais il peut tout aussi bien les faire vivre dans un palais d'or et de marbre. Il peut toujours en mettre plus. Et c'est ce que veut le lecteur. Le lecteur ne veut pas quelque chose qui suffit. Le lecteur en veut plus. Il veut le palais. Il veut l'or et le marbre. »

 

… sur le pouvoir destructeur de l’amour :

 

« L'émotion la plus dangereuse, ce n'est pas la haine, c'est l'amour. […] Il faut que vos personnages éprouvent une émotion positive, et il faut que ce soit elle qui les pousse vers le pire. Il faut exploiter le pouvoir destructeur de l'amour autant qu'on le peut ! »

 

… sur les conflits inéluctables :

 

« Parce que, émotivement, le lecteur s'impliquera beaucoup plus si le combat est inégal. Regardez les méchantes sœurs de Cendrillon : elles sont deux. S'il n'y en avait qu'une, on se demanderait pourquoi Cendrillon n'en vient pas à bout. Mais, comme elles sont deux, c'est perdu d'avance et toute notre sympathie va automatiquement à Cendrillon. »

 

« … vous ne pourrez jamais écrire une bonne fiction si vous ne recherchez pas le conflit maximal. »

 

… et sur la surprise de la chute finale :

 

« Il faut trouver un épilogue étourdissant, en feu d’artifice. »

 

Jean-Philippe Bernié fait aussi référence au dilemme insoluble entre les deux « co-auteures » qu’il met en scène quant au sort réservé à un des protagonistes, au risque de casser « la réputation d’une écrivaine célèbre pour sauver un personnage de fiction » [et] « au point de vouloir commettre le crime ultime – sacrifier une bonne histoire pour prétendre sauver un personnage ! » :

 

« Ce qui [intéressait Monica], c'était John. Ses pensées revenaient sans cesse à lui. Elle l'entendait l'appeler. ‘’ Je suis prêt à donner l'assaut contre le château de mon père – contre mon château – et, toi, au lieu de t'occuper de moi et d'écrire ce qu'il m'arrive, tu me laisses tomber ! Qu'est-ce qu'il se passe ensuite? Qu'est-ce qu'il m'arrive ensuite? ‘' […] Elle envoya un message silencieux à John. ‘’ Mon pauvre, profite bien de tes derniers moments. Grace te prépare un os de faisan qui te sera fatal. J'ai tout essayé pour te sauver, et j'ai échoué. Je suis désolée ‘’. »

 

Vous apprécierez le style fluide et la structure efficace du scénario de ce roman plutôt noir. Et, comme moi, vous relèverez probablement certaines tournures de phrases très imagées comme celles-ci :

 

« [Elle] avait la tête d’un gamin que l’on surprend devant un pot de glace au chocolat et dont les lèvres sont barbouillées de marron. »

 

« [Elle] revint au moment présent et constata, avec un papillon dans l’estomac – non, ce n’était pas un papillon, c’était  la migration des monarques au complet – … »

 

« Son regard croisa celui [du médecin] pendant quelques secondes, un regard d'appréciation réciproque, et elle songea que s'ils avaient encore été primates dans la savane, ils seraient allés s'amuser au milieu des bananiers sans faire plus de façons, mais entre-temps l'humanité avait inventé la civilisation et chacun devait repartir vers ses responsabilités et la planification de son épargne-retraite. »

 

Je me suis bidonné en apprenant qu’à « Pointe-Claire, comme dans tout l'ouest de l'île de Montréal, les écureuils sont noirs ; ailleurs, ils sont gris. Monica avait lu quelque part que ces écureuils noirs étaient des envahisseurs en provenance de l'Ontario qui avaient entrepris de coloniser le Québec. Elle se dit qu'il faudrait placer dans le jardin un poste de radio diffusant la pire chanson française qui soit, Johnny Halliday, et les écureuils ontariens fuiraient jusqu'au Yukon. »

 

Vous aimerez aussi « La punition » de Jean-Philippe Bernié pour l’action dramatique engendrée par cette relation malsaine entre Grace, une écrivaine prête à tout pour rester au sommet de sa gloire, et Monica, son aide-littéraire inexpérimentée et mystifiable « happée par l’univers créatif de sa patronne ». Un amalgame très réussi de l’interdépendance des profils psychologiques et du vécu familial des deux protagonistes qui alimentent l’action dramatique croissante de chapitre en chapitre. Pour atteindre son intensité maximale jusqu’à une finale souhaitée.  

 

Merci aux éditions Glénat Québec pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander et récupérer votre exemplaire auprès de votre librairie indépendante sur le site leslibraires.ca.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : ****

Intrigue :  ****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  ****

Appréciation générale : ****


Rapt (Christian Ricard)


Christian Ricard. – Rapt. – Rosemère : Éditions Pierre Tisseyre, 2023. – 188 pages. 

 

Thriller

 



 

Résumé :

 

J'aurais pu être livreur comme mon père. Mais non… Je suis tueur. À la retraite, mais tueur quand même. De mes années passées au service des motards il me reste ma Harley, un peu d'argent, des fantômes et des regrets. J'ai pas été là pour mes enfants et, aujourd'hui, ils me retournent la faveur… Reste que j'ai toujours veillé au grain. Ils ont eu tout ce qu'il fallait pour échapper à mon monde. Mais là, un petit con est venu rompre l'équilibre. Le chef de gang de Port-au-Prince qui s'est permis d'enlever ma Lola en reportage à l'étranger aurait mieux fait de jouer au soccer avec une mine. Ma valise est déjà faite.

 

Le temps de retrouver mon arme et j'arrive…

 

 

Commentaires :

 

Après trois chapitres où Christian Ricard énonce les principaux éléments (contexte géographique et social, personnages principaux et secondaires, événement déclencheur) du scénario qu’il a imaginé, l’action démarre et insuffle le rythme du récit habilement construit.

 

Rapt se déroule principalement à Haïti et en République dominicaine. L’auteur nous y transporte dans les jours qui ont suivi l’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021. En compagnie de Paul Archambault, le narrateur participant, qui a passé la majeure partie de sa vie à jouer au bandit :

 

« De la détresse, j'en avais causé pas mal à force de profiter de la vulnérabilité des autres en leur vendant de la maudite dope à crédit et en leur foutant la trouille quand ils arrivaient plus à la payer. En revanche, grâce à moi, la société se portait forcément mieux, parce que j'avais éliminé pas mal de pourris. Je me souviens d'une connaissance, avocat de la défense, qui m'avait demandé comment je pouvais être à la fois aussi instruit et incapable de me servir de mon ciboulot pour travailler honnêtement. Je lui avais répondu qu'étant donné le choix de carrière qu'il avait fait, ça prenait des gars comme moi pour assurer l'équilibre. Lui, il faisait libérer les criminels et, moi, je les envoyais dans l'au-delà. »

 

Archambault s’est donné comme mission de libérer sa fille Lola, journaliste à TV5, kidnappée avec son caméraman par une des bandes les plus criminalisées sur l’île d’Hispaniola. Se joindront à lui Bob, un ex-collègue tout aussi malfrat, son fils Alexis (qui, le temps de deux chapitres, se transformera en narrateur témoin, tout comme Lola, en finale) et Will, un ami d’enfance baraqué ex-vedette de football. Le petit groupe sera appelé à côtoyer des insulaires et des policiers crapuleux qui contribueront à leur manière au déroulement des opérations.

 

Rapt nous plonge dans le climat de misère, de corruption et de violence qui caractérise la vie politique, économique et sociale d’Haïti. Les descriptions des lieux et les mises en situation donnent une crédibilité à toute épreuve à cette histoire rédigée dans une langue bien québécoise ponctuée de commentaires humoristiques (l’auteur remercie le Parti libéral du Québec et du Canada, pour l’avoir « inspiré de si bonnes blagues ») ou des références politiques caractérisant son esprit rebelle, comme le qualifie son éditeur :

 

« Elle s’est mise à rire comme une Suzanne Lapointe sur le brandy. »

 

« – Excuse-moi, je voulais pas te réveiller. »

« – Pas de problème, je rêvais que Jean Charest redevenait premier ministre. »

 

« On devait être invisibles et silencieux, comme les électeurs de la région de Québec au dernier référendum sur la souveraineté. »

 

« La Révolution tranquille avait été une belle période. On avait mis l'Église dehors, nos banlieues étaient des nids à baise et on était maîtres chez nous. Du moins, c'est ce qu'on avait cru, jusqu'en octobre 1970, où Trudeau avait emprisonné mon abruti de père pendant six semaines sans raison, aucune, à part peut-être d’avoir affiché ses couleurs. »

« Mon père s'était souvent vanté de ce passage derrière les barreaux. Après trois semaines passées à l'ombre, un policier de la Sûreté du Québec l'avait rencontré pour lui proposer dix mille grosses piastres et une sortie de prison rapide en retour d'une tentative d'infiltration du FLQ. Mon bonhomme avait poliment refusé l'offre en spécifiant que jamais il irait contre ses valeurs. Le poulet l'avait remercié et lui avait souhaité une belle fin de séjour dans sa cage. Or, à la prison de Bordeaux, la rumeur de cette rencontre avec le policier s'était répandue comme une traînée de poudre, et mon bonhomme avait non seulement mérité quelques lignes de coke pour l'aider à traverser les trois semaines restantes, mais il avait aussi gagné le respect de plusieurs. Au bout du compte, alors que le ministère des Finances aurait certainement dû faire une enquête plus sérieuse, mon père a eu droit au poste de directeur de la sécurité au ministère des Finances du Québec dès le lendemain de l'élection du Parti québécois, en 1976. La preuve qu'on peut être con, violent et opportuniste en même temps. »

 

Sans oublier les effets d’une certaine pandémie :

 

« Après nous avoir expliqué ce que c'était - un virus coiffé d'une couronne qui était en train de se propager à travers le monde -, les journalistes rapportaient que ce petit salaud semblait avoir un fort penchant pour les vieux souffreteux comme moi, que les résidences pour personnes âgées resteraient fermées, qu'il fallait mettre un masque et se laver les mains toutes les minutes. Tout ça pour dire que les plus optimistes espéraient l'immunité de masse avant la fin de l'année et que les plus pessimistes priaient pour que « la lumière au bout du tunnel ne soit pas celle d'un train ». Expression que j'allais entendre jusqu'à l'« écœurantite », tout comme le futile « ça va bien aller ». Déjà, on recensait des dizaines de milliers de morts. Réalité dystopique. »

 

J’ai noté au passage d’agréables tournures de phrases, telles que :

 

« Je me suis assis sur les marches et j’ai regardé la misère s’amuser avec les voisins. »

 

« Le jour dormait encore comme moi. »

 

« J’ai sauté du lit aussi vite qu’un septuagénaire chambranlant pouvait le faire et j’ai trotté comme une picouille jusqu’à la porte. »

 

« On devrait inventer des canons à tirer des rires d’enfants sur les champs de bataille. »

 

« La chaleur était suffocante, on se serait crus à Montréal, entre mai et septembre. Avant, il y avait deux canicules par été. Maintenant, on en a juste une, entrecoupée de tornades. »

 

« … Bob, c'était pas un ange. En fait, oui, à l'époque, c'était exactement ce qu'on pouvait lire au dos de sa veste de cuir. »

 

Rapt, le deuxième roman de Christian Ricard publié aux Éditions Pierre Tisseyre (Une piste sanglante, 2022) a suscité mon intérêt jusqu’à la toute fin. L’auteur mentionne en introduction qu’il l’a écrit « en hommage à Jean-François Blais, soldat des Forces armées canadiennes, qui a  courageusement veillé au maintien de la paix à Haïti lors de la guerre civile provoquée par le changement de gouvernement de 1996 à 1997 » et qui est décédé le 28 janvier 2022.

 

Un commentaire sur la forme : le choix de la fonte pâlote rend la lecture inconfortable.

 

Merci aux Éditions Pierre Tisseyre pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander et récupérer votre exemplaire auprès de votre librairie indépendante sur le site leslibraires.ca.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : ****

Intrigue : ****

Psychologie des personnages : ****

Intérêt/Émotion ressentie : ****

Appréciation générale : ****