Le mur des silences (Arnaldur Indriðason)


Arnaldur Indriðason. – Le mur des silences. – Paris : Éditions Métailié, 2022. – 333 pages.

 


Polar

 

 



Résumé :

 

C’est une maison dans laquelle les femmes ne se sont jamais senties bien, les familles n’y sont jamais restées longtemps. Une médium dit même y avoir perçu une sensation d’étouffement. Pendant des travaux de modernisation, le mur de la cave s’écroule et un corps apparaît.

Konrad enquête et met au jour des mystères anciens.

Dans le même temps, il presse la police d’élucider le meurtre de son père, mais il a oublié qu’à l’époque, l’enfant qu’il était avait menti, et il se retrouve soupçonné.

 

 

Commentaires :

 

La quête de la vérité sur l’assassinat du père de Konrad se poursuit dans ce quatrième opus. Mais comme l’affirme l’auteur par la bouche de son personnage : « Il faudra bien qu’on finisse par clore cette enquête » (p.283). D’intrigue en intrigue, des informations recueillies en lien avec des enquêtes parallèles de l’ex-policier don on découvre peu à peu les côtés sombres devraient permettre dans une dernière suite, on l’espère, de découvrir qui a commis ce meurtre cette nuit-là devant le fumoir de la rue Skulagata à Reykjavik.

 

Dans « Le mur des silences », Indriðason dénonce la violence familiale, la vulnérabilité des femmes et l’impunité en reliant habilement une histoire qui s’est passée alors que Konrad était adolescent avec les événements récents. Il poursuit sa description noire d’une fange de la société islandaise avec de nombreuses références à la présence sur le territoire des militaires américains pendant le dernier conflit mondial et des relations que ceux-ci ont entretenues avec les locaux.

 

Pour bien apprécier ce roman, il me semble essentiel d’avoir lu les précédents : « Ce que savait la nuit », « Les Fantômes de Reykjavik » et « La pierre du remords ».

 

Moins enlevantes que celles de la série Erlendur Sveinsson dont un prochain titre « Le silence de la tombe » est annoncé, les enquêtes de Konrad, personnage ambigu, plus ou moins sympathique qui noie ses soucis dans l'alcool demeurent tout de même des fictions divertissantes.

 

Bien hâte de connaître les conclusions que nous réserve cet écrivain islandais qui fait partie du panthéon de mes auteurs favoris.  

 

 

Originalité/Choix du sujet :
****
Qualité littéraire :
*****
Intrigue :
*****
Psychologie des personnages :
*****
Intérêt/Émotion ressentie :
****
Appréciation générale :
****

Minuit, dernière limite (Lee Child)


Lee Child. Minuit, dernière limite. – Paris : Calmann Levy, 2021. – 432 pages.

 


Thriller

 

 


Résumé :

 

De passage dans une petite ville du Wisconsin, Jack Reacher découvre une bague de West Point dans la vitrine d’un prêteur sur gage. Plus intrigant encore, cette bague a appartenu à une femme. Pourquoi cette ancienne de West Point s’est-elle séparée d’un bijou si précieux, preuve de quatre années de durs combats en Irak et en Afghanistan ? Ancien de West Point lui-même, Reacher soupçonne un vol, voire pire, et décide de retrouver cette femme et de lui rendre sa bague.

 

Ainsi commence un périple de plus en plus violent et crépusculaire qui le verra errer jusque dans les déserts du Wyoming et régler leur compte à tous ceux qui, bikers, dealers et corrompus divers, n’ont aucune envie de le voir fouiner dans leurs trafics. Au fil de son voyage, Reacher comprend que cette bague raconte surtout l’honneur, mais aussi l’horreur de ce qu’a vécu et vit encore cette femme, qu’il lui faut sauver coûte que coûte.

 

 

Commentaires :

 

Minuit, dernière limite, m’a réconcilié avec les enquêtes de Jack Reacher, 1,98 mètre, 113 kilos, après avoir été déçu avec Formation d’élite, publié en 2019. Ici, on retrouve l’écriture dans le style Lee Child avec une histoire entraînante qui invite à dévorer en enfilade les courts chapitres du récit.

 

Bien sûr, le militaire à la retraite, qualifié à la fois de Big Foot et d’Incroyable Hulk nous fait la démonstration de ses capacités de défaire à mains nues sept motards en colère, de quoi alerter tout un réseau de criminels appréhendant son arrivée. Cet étalage de techniques de combats complété, l’enquête peut débuter, l’auteur nous faisant parcourir en compagnie de son héros les routes désertiques et poussiéreuses du Wyoming et de ses partenaires : un ex-agent du FBI devenu détective privé et la sœur jumelle de l’ex-militaire propriétaire de la fameuse bague. Dans les grands espaces d’une région américaine sous-peuplée, la laborieuse enquête de Reacher, complémentaire à celle des autorités policières, exige de nombreux déplacements inter états, sur de longues distances avec de nombreux allers-retours.

 

Avec, au cœur de l’intrigue, une réflexion sur l’utilisation des opiacés considérés au début du XXe siècle comme remède miracle administré, entre autres, à des militaires blessés au combat, traumatisés de guerres atroces comme en Afghanistan, vétérans devenus accros à ces antidouleurs funestes.

 

Un roman bien construit qui mérite peut-être bien ce commentaire du New York Times comme étant  « ... le plus touchant que Lee Child ait jamais écrit. » D’autant plus que l’auteur livre un message politique dénonçant le sort que réserve le gouvernement américain à celles et ceux revenus de l’enfer.

 

Rassuré par les résultats de ses recherches, Jack Reacher, sa brosse à dent comme seul bagage, peut poursuivre sa route, en direction du Sud pour continuer de divertir son public.

 

 

Originalité/Choix du sujet :
****
Qualité littéraire :
****
Intrigue :
****
Psychologie des personnages :
****
Intérêt/Émotion ressentie :
****
Appréciation générale :
****

L’habitude des ruines (Marie-Hélène Voyer)


Marie-Hélène Voyer. – L’habitude des ruines. – Montréal : Lux Éditeur, 2021. – 216 pages.

 


Essai

 

 



Résumé :

 

« Malgré tout, il faut bien écrire et persister. Redire la nécessité de préserver notre patrimoine bâti et notre patrimoine paysager, ces balises de notre mémoire extérieure qui irriguent notre mémoire intérieure. Dans cette éternelle province jalonnée de rivières et de clairières, de boisés et de chemins de traverse, de maisons tranquilles, de lieux de peines et de labeurs, il faut ruser toujours mieux pour résister aux attaques avalantes et aplanissantes des promoteurs qui ne pensent qu’à engloutir l’espace et le bien commun pour leur propre profit.

 

Il le faut, car tous ces lieux de ressouvenance dont on ne parlera bientôt plus, tous ces lieux sont à la base de ce que Jacques Ferron appelle notre “orientation”, cette conscience aiguë du temps et de l’espace qui nous protège de l’aliénation. »

 

Avec L’habitude des ruines, Marie-Hélène Voyer signe un texte magnifique sur le rapport trouble du Québec au temps et à l’espace. Elle y parle de nos démolitions en série, de notre manière d’habiter ce territoire en nous berçant trop souvent d’images empruntées. Elle pose ainsi une question fondamentale : peut-on bâtir ce pays sans le détruire et sans verser dans l’insignifiance ? Son essai offre un plaidoyer pour ces lieux modestes qui forment l’ordinaire de nos vies et qui dessinent les refuges de nos espoirs et de nos solidarités.

 

 

Commentaires :

 

Je me contenterai comme commentaires de vous citer la motivation de cette autrice, professeure de littérature au cégep de Rimouski, qui décrit parfaitement ce petit ouvrage qui parle de parle de nos démolitions en série, de notre manière d’habiter ce territoire en nous berçant trop souvent d’images empruntées qui n’ont rien à voir avec ce qui nous a façonnés comme nation :


« J’ai voulu cet essai habité de ces images de démolitions et de reconstructions en carton-pâte, un essai plein de repiquages et de hors-champs, de broderies d’images, de notes éparses et de souvenirs. S’y déclinent les figures, les points d’intensité et les paradoxes qui caractérisent notre rapport au bâti […]. »

 

De quoi s’interroger sur la devise à laquelle on tient temps : « Je me souviens » face au « sacre de l’oubli et de la laideur au Québec » !

 

J’en recommande la lecture à tous les décideurs des administrations publiques et à toutes celles et à tous ceux qui ont à cœur de protéger l’essence même de notre culture.

 

 

Originalité/Choix du sujet :
*****
Qualité littéraire :
*****
Intérêt/Émotion ressentie :
*****
Appréciation générale :
*****



Indépendance (Javier Cercas)

Javier Cercas. Indépendance. – Arles : Actes Sud, 2022. – 340 pages.

 

 


Polar politique

 

 


Résumé :

Melchor quitte provisoirement sa Terra Alta d’adoption pour venir prêter main-forte aux services de police de Barcelone dans une affaire de tentative d’extorsion de fonds basée sur l’existence présumée d’une sextape. L’enquête doit être menée avec célérité et discrétion car la victime est la maire de la ville.

L’inspecteur plonge alors dans l’univers de la haute bour­geoi­sie catalane et de ses rejetons élevés au-dessus des lois. Protégées par un clan qui leur assure une impunité de classe, ces âmes si bien nées connaissent peu de limites et la vie des sans-grades leur est parfaitement indifférente. Sous un vernis de raffinement, ces privilégiés n’ont rien à envier aux prostituées et aux junkies peuplant les bas-fonds qui ont vu naître l’enquêteur. Et quand le chantage est assorti d’une demande de démission de l’édile, il apparaît évident qu’il est le fruit d’une manœuvre politique visant à déstabiliser la mairie pour favoriser quelques intérêts. L’indéfectible intégrité de Melchor est mise à rude épreuve au contact des rouages du pouvoir, là où règnent le cynisme, l’ambition décomplexée et l’arrogance des nantis.

 

Commentaires :

 

Avertissement : cet avis de lecture repose sur un parti pris évident à la cause catalane.

 

En tournant la dernière page, je me suis demandé pourquoi un titre comme « Indépendance » puisqu’à peine quelques lignes dans des dialogues entre personnages font référence au « procés català », l’ensemble les faits sociopolitiques s’étant déroulés à partir de 2012 dans le but de faire émerger un nouveau pays d’Europe : la république catalane. Puisqu’il est surtout question de luttes de pouvoir de chantage politique, de tentative de contrôle des institutions politiques par de grandes familles fortunées, de guerre de pouvoir entre la Generalitat et la mairie de Barcelona (ce qu’une amie catalane m’avait d’ailleurs mentionné lors d’un de mes premiers séjours dans la capitale catalane : le Palau de la Generalitat faisant face à l’édifice de l’Ajuntament).

L’éditeur décrit ainsi le deuxième volet de la trilogie Melchor de Javier Cercas : « Indépendance est un roman furieux qui brosse un portrait sans fard des élites politiques et économiques barcelonaises et vient épingler un mouvement souverainiste qui, en guise d’indépendance, entendrait surtout préserver celle de sa caste. »

 

Dans ce deuxième « tome » de la série Melchor, Javier Cercas m’a semblé vouloir régler des comptes. Avec les grandes familles bourgeoises dont il n’est pas issu : lui-même fils d'un vétérinaire de campagne, d’une humble famille d'émigrés espagnols sympathisants de la dictature franquiste originaires d'Estrémadure qui s'installe à Girona en 1966 où il a pu progresser jusqu'à devenir professeur en philologie à l’Universitat de Girona. Et avec les Catalans, plus particulièrement les indépendantistes, qu’il a certainement déçu, notamment ceux qui l'ont aidé à progresser et à devenir ce qu'il est devenu et qui avaient cru ce qu'il disait avant, quand l'indépendantisme catalan était encore minoritaire. Son œuvre littéraire semble s’inscrire au service de la lutte contre l'indépendantisme, lui qui a déjà publiquement demandé l'intervention de l'armée espagnole pour mettre fin à la démarche catalane. Pendant la période de violence du nationalisme basque, il était de ceux qui disaient que, sans violence, tout pouvait être réglé, déniant par la suite tout droit au mouvement indépendantiste pacifique catalan, comme me le rappelait un ami catalan. Cercas a bien sûr droit à son opinion et le polar, comme genre littéraire, favorise l’intégration de la critique sociale. Mais un lecteur non averti doit en être sensibilisé pour mieux comprendre le contexte de cette fiction proche de la réalité.  

 

Le problème est que dans ce récent opus dont l’histoire se déroule en 2025, Cercas avance des « hypothèses » sans vraiment les appuyer sur un ensemble de données probantes, laissant de côté des événements majeurs tels la violence disproportionnée de la Guardia Civil le jour du référendum, l’emprisonnement et le procès factice des dirigeants catalans et leur libération sans amnistie quelques mois plus tard. C’est un roman, vous me direz. Quand il déclare par personne interposée que « Le Catalan qui ne veut pas l’indépendance n’a pas de cœur ; celui qui la veut n’a pas de tête » et que les « idées, c’est pour les intellectuels, et les idéaux, pour les gens humbles », il faudrait d’expliquer davantage que ce sont ceux qui ont l’argent et le pouvoir qui ont mis « les gens dans la rue », qui ont « transformé la revendication d’une minorité en une revendication de près de la moitié du pays » !

 

Sinon, ce polar politique s’inscrit dans la foulée du précédent, Terra Alta, auquel l’auteur réfère d'ailleurs de manière sarcastique, avec une conclusion qui y était déjà indirectement annoncée. Une histoire sans grand suspense - j’ai identifié à mi-parcours qui était l’auteur du chantage au centre de l’énigme avec une conclusion en catastrophe en épilogue, bien que l’horrible chute demeure imprévisible.

 

À vous de vous faire une tête en attaquant ce roman après avoir lu Terra Alta faisant référence aux terroristes de Cambrils quelques semaines avant le référendum du 1er octobre 2017 pour mieux comprendre le contexte dans son ensemble.

 

 

Originalité/Choix du sujet :
****
Qualité littéraire :
*****
Intrigue :
***
Psychologie des personnages :
****
Intérêt/Émotion ressentie :
***
Appréciation générale :
***

Dernière manche : une enquête de Gaétan Tanguay (Mikaël Archambault)


Mikaël Archambault. Dernière manche - Une enquête de Gaétan Tanguay. – Boucherville : Éditions de Mortagne, 2022. – 362 pages.

 


Thriller

 

 


Résumé :

Samuel Cadieux, le joueur de tennis numéro un au classement mondial, décède en plein match aux Internationaux du Canada, à Montréal.

S’agit-il d’un cas de « mort subite du sportif »?

Pas pour Gaétan Tanguay, journaliste spécialisé en statistiques avancées. Contacté par un mystérieux informateur qui affirme détenir d’importantes révélations au sujet du joueur, il croit plutôt à un meurtre déguisé.

Aidé par Tarah, une jeune femme très intéressée par le passé de Cadieux, Gaétan mène l’enquête et déterre des secrets qui ne demandaient qu’à rester enfouis. Mensonges, menaces, complots : dans l’entourage de la star du tennis, tout le monde semble avoir quelque chose à cacher.

 

 

Commentaires :

 

À ce jour, le sacro-saint monde du sport professionnel avait échappé à l’imaginaire des auteurs et des autrices de thrillers québécois. Mikaël Archambault, auteur dans le domaine de l’humour, scénariste à la télévision et scripteur pour de nombreux artistes saute à pieds joints dans ce filon romanesque mettant en scène un couple de blogueurs atypique plus efficace qu’un duo à la Dupond et Dupont du service de police de Montréal.

 

D’une part, ce Gaétan Tanguay, journaliste propriétaire du site web Référence-sport.com, au nom parfaitement symétrique, une encyclopédie universelle de statistiques sportives sur deux pattes à l’image d’un Paul Houde, célèbre commentateur sportif québécois, un ascète fanatique à l’agenda réglé au quart de tour qui se consacre à son dogme de la précision, fils de parents tout aussi maniaques.

 

D’autre part, Tarah, la seule candidate ayant répondu à l’appel de Tanguay à la recherche d’une assistante, une jeune femme au franc-parler, à l’habillement et aux manières laissant à désirer aux yeux du journaliste, lui qui refuse d’enfiler des bas qui n’ont pas été repassés !

 

Et une brochette de personnages bien campés évoluant dans une histoire enlevante aux rebondissements qui s’enchaîne tout au long des 112 courts chapitres. Et comme il se doit, une chute finale non prévisible. Truffé d’expressions propres à la discipline sportive en vedette, le tennis, ce récit repose sur une écriture fluide. Même si, comme moi, vous n’y connaissez rien de ce sport de raquettes et de balles ni de son écosystème, vous apprécierez cette immersion dans une enquête dans laquelle se démarque la portion féminine du couple mal assorti.

 

Ce quatrième roman de Mikaël Archambault annonce déjà une suite, « En échappée », dans l’univers du hockey professionnel dont un extrait nous en donne un avant-goût en post-scriptum. Connaissant « la vaste palette d’intérêts » de Tanguay « connaissant tout du hockey jusqu’au baseball, en passant par le bobsleigh et le ballon-balai », on peut déjà prévoir que la littérature du crime québécoise s’enrichira de quelques nouveaux titres. Même si le journaliste tatillon « déteste une unique discipline : le soccer » et qu’il en « a une aversion viscérale, comme d’autres vouent une haine à Céline Dion sans réelle bonne raison », je mettrais ma main au feu que son auteur lui infligera le supplice d’y mener une autre enquête avec sa nouvelle associée. Pour notre grand plaisir.

 

J’ai beaucoup aimé ce roman rafraîchissant que j’ai dévoré dès les premières pages. Merci à l’éditeur pour le service de presse : l’ouvrage était accompagné d’une balle de tennis autographiée par l’auteur.     

 

 

Originalité/Choix du sujet :
*****
Qualité littéraire :
****
Intrigue :
*****
Psychologie des personnages :
*****
Intérêt/Émotion ressentie :
*****
Appréciation générale :
*****

Les révélations du crime ou Cambray et ses complices [1837] (François-Réal Angers)


François-Réal Angers. – Les révélations du crime  ou  Cambray et ses complices. [1837]. – Québec : Éditions Nota Bene, 2003. – 161 pages.

 


Roman

 

 


Résumé :

 

Durant la première moitié des années 1830, la ville de Québec subit le règne de terreur instauré par un groupe de bandits appelé « les brigands de Cap-Rouge ». La presse ne parle que de leurs méfaits. Vols, assassinats, sacrilèges se succèdent à un rythme infernal. À peine la justice a-t-elle mis fin aux activités de l'horrible bande en arrêtant et en déportant ses chefs, en mars 1837, que François-Réal Angers s'empare du fait divers pour en faire un roman palpitant qu'il publie en juillet de la même année. Écrit dans la veine des romans de Frédéric Soulié, dont Angers est un fervent admirateur, Les révélations du crime ou Cambray et ses complices demeure un des romans québécois les plus captivants du XIXe siècle.

 


Commentaires :

 

Qualifié de « premier récit criminel québécois à se rapprocher du roman policier (sans en être vraiment un) » par l’expert en polar Norbert Spehner dans son encyclopédie Le roman policier en Amérique française (p. 28), ce roman nous plonge dans l’ambiance glauque de la ville de Québec et de la région environnante au cœur du XIXe siècle. Écrit dans un style littéraire de l’époque (édition originale de 1837), le texte a toutefois été modernisé pour en faciliter la lecture.

 

De chapitre en chapitre, le témoignage d’un des protagonistes, George Waterworth, membre de la bande de criminels qui cumulent fraudes, vols et meurtres et les commentaires de l’auteur narrateur omniscient nous font découvrir le système de justice, les sanctions pénales et les conditions matérielles de détentions des criminels sous l’administration britannique du Bas-Canada. L’auteur, avocat de profession, qui fut secrétaire des débats à l'Assemblée législative de Québec et coéditeur de la Revue de législation et de jurisprudence, allant même jusqu’à critiquer les décisions des tribunaux peu sensibles à la réinsertion sociale des criminels.

 

Révélatrices sont les descriptions des conditions de vie des habitants et des portraits physiques des différents personnages tant principaux que secondaires dont certains sont définitivement peu attachants pour qui le crime est une carrière, « le chemin de la fortune, de l’honneur et de la considération ».

 

En introduction, une brève analyse du texte et des motivations de l’auteur permet de mieux situer ce roman rappelant le style des chroniques et des nouvelles journalistique du XIXe siècle parmi les premiers écrits romanesques québécois.

 

Les amateurs de patrimoine bâti du Vieux-Québec y trouveront une intéressante description des cachots de la prison de Québec que l’on peut d’ailleurs visiter encore aujourd’hui dans l’édifice occupé par le Morrin College intégré à l’Institut canadien de Québec dont François-Réal Angers fut l’un des présidents. La couverture de première du bouquin reproduit d’ailleurs une aquarelle de James P. Cockburn conservée à Bibliothèque et Archives Canada mettant en évidence la prison de la rue Saint-Stanislas et la seule représentation iconographique d’époque de sa potence surplombant l’entrée principale.

 

Mentionnons enfin le talent de l’auteur de transmettre les émotions vécues par ses personnages dans le choix des attributs physiques de chacun.

 

Une belle découverte.

 

 

Originalité/Choix du sujet :
***
Qualité littéraire :
***
Intrigue :
***
Psychologie des personnages :
*****
Intérêt/Émotion ressentie :
***
Appréciation générale :
***


Iberio (David Zukerman)


David Zukerman. – Iberio. – Paris : Calmann Levy, 2021. – 270 pages.

 


Roman

 

 


Résumé :

Mercedes n’avait pas seize ans lorsqu’elle a fui l’Espagne pour s’installer en  France avec Iberio, son fils encore nourrisson. Dix-huit ans plus tard, gardienne d’un immeuble cossu à Paris, Mercedes considère avec autant d’amour que d’exigence et même d’effroi son enfant qui devient un homme. Elle n’en a pas encore conscience, mais désormais s’ouvre devant elle une autre vie. Et  Mercedes, la beauté mystérieuse, la distante et hiératique concierge, accepte de poser pour Ezra Goldweiser, le peintre célèbre du dernier étage...

Dans cet immeuble où la vie tourne autour de Mercedes, alors qu’elle-même ne regarde que son fils, il y a de la passion, du désir, du cynisme, de la jalousie, de l’amour, du désespoir. L’humain dans ses nuances et ses excès.

 

 

Commentaires :

 

Un autre coup de cœur que ce deuxième roman de David Zukerman – j’avais beaucoup aimé son premier opus, San Perdido, prix Québec-France Marie-Claire Blais 2021 – cette fois-ci dans un tout autre registre.

 

Des tableaux qui s’enchaînent dans un microcosme, un chic immeuble du XVIe arrondissement de Paris, une palette de personnages bien campés dont l’interaction nourrit l’univers de Mercedes – la loge de la concierge –, le personnage principal et par ricochet celui d’Iberio, l’enfant qu’elle chérit depuis sa naissance. Une histoire de passion et d’amour obsessionnel dans tous les sens de l’expression qui, pour certains personnages secondaires fort colorés, se traduit en désespoir, en jalousie et en vengeance. Avec une chute à vous jeter par terre. Garanti, vous ne la verrez pas venir.

 

Une écriture simple parfaitement adaptée à la description de ces tranches de vies de personnages qui attire la sympathie du lecteur. Un tourne page qui démontre à quel point cet auteur de talent sait raconter des histoires captivantes.

 

Comme le mentionne l’éditeur, David Zukerman a été successivement ouvrier spécialisé, homme de ménage, plongeur, contrôleur dans un cinéma, membre d’un groupe de rock, comédien et metteur en scène. Pendant toutes ces années, il a également écrit une quinzaine de pièces de théâtre, dont certaines furent diffusées sur France Culture, et quatre romans qu’il n’a jamais voulu envoyer à des éditeurs. Dans la mise en marché de ce deuxième roman, Calmann Levy a mis en évidence le nom de l’auteur sur le titre du récit.

 

 

Originalité/Choix du sujet :
*****
Qualité littéraire :
*****
Intrigue :
*****
Psychologie des personnages :
*****
Intérêt/Émotion ressentie :
*****
Appréciation générale :
*****

Un livre sur Mélanie Cabay (François Blais)


François Blais. Un livre sur Mélanie Cabay. – Longueuil : L’instant même, 2018. – 127 pages.

 


Essai auto/biographico-journalistique

 

 


Résumé :

 

C'est avec sa verve habituelle que François Blais aborde de plein fouet un sujet difficile et douloureux, celui de la disparition de Mélanie Cabay, survenue le 22 juin 1994. En fait, la disparition et la mort de la jeune femme servent de prétexte à un récit hybride, qui allie enquête policière et réflexions personnelles.

 

Devant la violence faite à des dizaines de jeunes femmes, devant l'incapacité des forces de l'ordre à résoudre ces crimes odieux, François Blais répond avec un mélange de vulnérabilité et de sens critique qui secouent le lecteur. Si les souvenirs de cet été 1994 permettent un voyage dans le temps à la François Blais, la nostalgie est ici teintée de douleur, voire de culpabilité. Ces jeunes femmes qui disparaissent, ces Mélanie, Kristina, Karine ou Rosiana, François Blais les ramène à notre mémoire, leur redonne vie quelques instants, le temps de se dire qu'elles auraient pu être ses sœurs, ses copines, ses professeures.

 

L'enquête qu'a menée François Blais auprès des membres de la famille de Mélanie Cabay, les échanges qu'il a eus avec ses amies et amis, de même que ses lectures minutieuses de tout ce qui concerne ce douloureux épisode n'ont rien de voyeur ou d'opportuniste. Au contraire, la tendresse et la douceur que l'auteur manifeste pour Mélanie, et avec elle, envers toutes les jeunes filles évoquées, rappellent en fin de compte qu'au-delà des statistiques et des “cold cases” se dissimulent des vies remplies de sourires, de promesses et de quotidien heureux.

 

Commentaires :

 

Tout est dit dans le résumé de cette plaquette qui se lit d’un trait mettant en parallèle le vécu ordinaire de l’auteur alors adolescent en 1994 (« Ce que je glandais, moi, pendant ce temps-là ») et celui tout aussi ordinaire qu’il imagine de celle (« Qui était Mélanie Cabay ? Quelqu’un de bien, il faut croire ») dont le meurtre crapuleux, comme ceux de dizaines de jeunes femmes, n’a toujours pas été résolu. Et de l’importance de « se souvenir des noms des victimes plutôt que de ceux des assassins » et de tenter de comprendre ce qui s’est réellement passé (« Qui a tué Mélanie Cabay ? On parle pour parler ») ce 22 juin de l’année où « On mourait beaucoup à l’époque ».

 

Impossible de ne pas vouloir en faire autant avec les raisons qui ont pu pousser cet auteur, dont le premier roman, « Iphigénie en Haute-Ville », publié en 2006 avait été immédiatement remarqué, finaliste pour le Prix des libraires du Québec, le Prix France-Québec et le Prix Senghor de la création littéraire, à s’enlever la vie quatre ans après la publication d’Un livre sur Mélanie Cabay.

 

Un livre qui aborde de plein fouet un sujet difficile et douloureux, celui de ne pas avoir eu la chance de vieillir au grand désespoir de sa famille :

 

« À partir du moment où vous devenez parent, la peur ne vous lâche plus. Il y a là, soudain, ce petit être infiniment fragile, cette personne que vous aimez plus que vous-même, exposée à tous les accidents, toutes les maladies, tous les coups du destin. Vous avez peur pour elle, bien sûr, mais surtout peur pour vous, parce que vous savez que la joie vous quitterait pour toujours s’il lui arrivait quelque chose. »

 

 

Originalité/Choix du sujet :
*****
Qualité littéraire :
*****
Intrigue :
*****
Psychologie des personnages :
*****
Intérêt/Émotion ressentie :
*****
Appréciation générale :
*****

La Grande Débandade (Pierre Tourangeau)

Pierre Tourangeau. La Grande Débandade. – Montréal : Québec Amérique, 2022. – 276 pages.

 


Roman

 

 



Résumé :

 

À l’aube des années 1980, un jeune journaliste hyperactif enquête sur des scandales sexuels à l’Assemblée nationale du Québec au moment où se prépare un référendum sur l’indépendance. Il tente aussi de reconquérir une femme qui l’a largué six ans plus tôt, lassée de son inconstance chronique et de ses infidélités.

 

Défilent dans La Grande Débandade, qui flirte ouvertement avec le polar : un directeur de la sécurité dépressif qui protège des députés délinquants, un jeune ministre gay harcelé par l’animateur vedette d’une radio poubelle, un inspecteur de police aguerri qui traque un réseau de prostitution juvénile, des politiciens véreux et abuseurs, des journalistes pas toujours à la hauteur et bien d’autres personnages truculents… Tout ça sur fond d’un débat référendaire qui s’éternise.

 

Commentaires :

 

Pour qui a vécu cette époque trépidante de la prise du pouvoir par le Parti québécois et de la tenue du premier référendum à la question interminable de 117 mots sur la Souveraineté-association avec le Canada, le roman de Pierre Tourangeau, quoique pure fiction, sème des doutes amers sur cette vision cynique d’un environnement politique tordu qu’il nous déballe.

 

Joël Bégin, dans Plessis, s’était permis une brève incursion dans la description des mœurs politiques corrompus de l’époque de la grande noirceur et du climat régnant au Parlement de Québec.. Mais cette fois-ci, Tourangeau nous plonge dans une pétaudière où élus, personnel politique et journalistes évoluent dans un bordel sans nom dans tous les sens du terme. Empruntant à son expérience de jeune courriériste parlementaire, l’auteur a créé un monde troublant avec des références géographiques qui rendent presque crédible la trame dramatique. Avec un réseau de points de chute qu’un résident de Québec est en mesure d’identifier.

 

L’intérêt de ce roman réside davantage sur la somme des réflexions anthropophilosophiques du personnage principal, le journaliste Laurent Tremblay, sur les rapports de force et les abus de pouvoir dans les relations hommes/femmes, patrons/employés, radios poubelles/citoyens et politiciens...; sur la morale et l’éthique politique – Tourangeau a occupé le poste d’ombudsman à la Société Radio-Canada – ; sur la corruption et la dépravation sexuelle de ceux et celles qui se croient tout permis et imperméables à toute condamnation de par leur statut social – Gilles Simard y faisait aussi allusion dans Basse-ville blues. Et sur les affirmations plutôt déstabilisantes que l’auteur met dans la bouche de ses personnages à propos de l’avenir du Québec. Comme quoi les Québécois sont trop lâches pour se séparer du Canada, que l’indépendance n’aurait aucun impact sur les grands enjeux qui interpellent la société... Et ce constat désespérant à la suite de l’échec référendaire de 1980 et de celui anticipé en 1995 :

 

« J'espère qu'on a compris que l'impatience ne mène nulle part, qu'il faut attendre que le fruit mûrisse, ne pas le forcer tout vert et amer dans la gorge de ceux qui n'y voient qu'une pomme de discorde. Mais nous étions pressés, nous voulions tous connaître ça de notre vivant. Alors nous avons troqué les arguments pour les slogans, la raison pour l'émotion, la stratégie pour l'astuce. Au fond, nous n'avions pas confiance en notre vision. Nous avons eu peur que notre rêve disparaisse avec nous au lieu de consacrer notre vie à le faire survivre, et avec lui la possibilité que le Québec devienne un jour ce qu'il n'avait jamais été. Peut-être même que dans quelques années certains essaieront encore. Et alors, s'il est encore trop tôt, nous perdrons pour de bon. » (p. 356)

 

La Grande Débandade, un roman atypique au style direct, à la langue crue – oreilles chastes soyez averties.

 

Et pour terminer, cette belle description du Vieux-Québec :

 

 « Dès que je franchis les murs de la vieille ville, je suis assailli comme chaque fois par sa beauté, par ce macramé de camaïeu gris et noir à peine égratigné par le temps, qui sert de façade à une improbable nation. On y marche et on y vit à l'abri des tempêtes comme dans un havre que le vent n'ébranle pas, une tanière qui nous garde au chaud alors même que tout autour n'est que bourrasques et froidure. Québec est un refuge, un fort où la question de l'identité ne se posera jamais, elle est notre identité, peu importe ce qui restera de nous dans cent, deux cents, mille ans. Il se dégage de ses murs un calme si grand, une telle sérénité suinte de ses moellons que l'avenir n'a aucune prise sur elle. Québec est construite sur la nostalgie d'une époque qui n'a jamais existé, le deuil d'un âge où la mère patrie ne l'a pas laissée pour morte sur une terre hostile. » (p. 112)

 

 

Originalité/Choix du sujet :
*****
Qualité littéraire :
*****
Intrigue :
****
Psychologie des personnages :
*****
Intérêt/Émotion ressentie :
****
Appréciation générale :
***

Maigret – Maigret et la jeune morte (Patrice Leconte – Georges Simenon)


Patrice Leconte. – Maigret. – Production franco-belge, 1 h 28 minutes.

 


Polar

 

 



Résumé :

 

Maigret enquête sur la mort d’une jeune fille. Rien ne permet de l’identifier, personne ne semble l’avoir connue, ni se souvenir d’elle. Il rencontre une délinquante, qui ressemble étrangement à la victime, et réveille en lui le souvenir d’une autre disparition, plus ancienne et plus intime.

 


Commentaires :

 

Parce que le film de Patrice Leconte a été réalisé d’après le roman Maigret et la Jeune Morte de Georges Simenon publié en 1954, je me permets de partager mon avis « de visionnement ».


D'entrée de jeu, je n’ai pas lu le roman - c'est souvent préférable - qui, dit-on, avait déjà été adapté pour la télévision. Cette production franco-belge nous présente un Jules Maigret comme personnellement je l'ai toujours imaginé incarné par un Gérard Depardieu qui a su se glisser dans la peau du personnage plus grand que nature. Même si je n’ai jamais été un admirateur de cet acteur aux déclarations et aux frasques qui le déshonorent. Mais je dois admettre que ce Maigret, entouré d’une brochette d’excellents comédiens, est convaincant dans sa lente quête de la vérité.


L’inspecteur accompagné par son fidèle Janvier et appuyé par madame Maigret fin cordon bleu parle peu, pose quelques questions, réfléchit, doute. Tout est dans l’expression du visage, du regard qui nous fait bien sentir que l’enquêteur a d’abord un parti pris pour la victime avant de débusquer l’assassin.


Une magnifique reconstitution de l’époque et une direction artistique très soignée : des décors que les ensembliers ont enrichis de mille objets créant à l’occasion des toiles de grands maîtres fictifs. Des images de Paris, de cafés, de bars, de restaurant chic, de ruelles délabrées, de quai de la Seine, de boutique d’antiquaire, d’hôtel particulier, de morgue et, bien sûr du 36, quai des Orfèvres dans lesquelles Maigret au souffle court, en complet suranné, chemise immaculée, cravate rayée, pardessus gris et chapeau mou traîne le poids de son quotidien à la recherche du parcours de la victime.


Il n’y manque rien : les expressos, les verres de vin blanc, les sandwichs, les pipes que Maigret de fume plus sur recommandation de son médecin. Une histoire noire teintée d’humour subtil, un suspense appuyé par une trame musicale envoûtante.


Et peut-être de clin d’œil respectueux de Leconte au deuil de Simenon à la suite du suicide de sa fille Marie-Jo en 1978 avec la jeune paumée qui ressemble beaucoup à la morte, elle aussi empreinte de mélancolie.


Avec en finale, une sortie majestueuse en ombre chinoise.


En somme un film fascinant.


 

Originalité/Choix du sujet :

*****
Qualité cinématographique :
*****
Intrigue :
*****
Psychologie des personnages :
*****
Intérêt/Émotion ressentie :
*****
Appréciation générale :
*****