Les fils de la poussière (Arnaldur Indridason)

Arnaldur Indridason. – Les fils de la poussière. – Paris : Métaillé, 2018. 304 pages.

 

Polar

 
 
 
 

Résumé : Daniel, quadragénaire interné dans un hôpital psychiatrique de Reykjavík, se jette par la fenêtre sous les yeux de son frère Palmi. Au même moment, un vieil enseignant, qui a eu Daniel comme élève dans les années 60, meurt dans l’incendie de sa maison.

L’enquête est menée parallèlement par le frère de Daniel, libraire d’occasion, un tendre rongé par la culpabilité, et par une équipe de policiers parmi lesquels apparaît un certain Erlendur, aux côtés du premier de la classe Sigurdur Oli et d’Elinborg. Peu à peu, ils découvrent une triste histoire d’essais pharmaceutiques et génétiques menés sur une classe de cancres des bas quartiers, des gamins avec qui on peut tout se permettre.

Commentaires : Quel plaisir de retrouver « le génial Erlendur, bien sûr, tourmenté, maussade, sombre comme un ciel islandais » dans ce roman paru en 1997 qui « ouvre magistralement la voie au polar islandais » !

La mode est aux publications ou aux rééditions de premiers romans d’auteurs ayant acquis la célébrité par l’abondance et la qualité de leur œuvre littéraire. Dans le cas présent, elle permet de remonter à l’origine des 12 enquêtes du désormais célèbre Erlendur Sveinsson.

Flirtant avec la science-fiction, Indridason nous entraîne dans une enquête rythmée mettant en scène une brochette de personnages bien campés. Déjà, les origines modestes et le  caractère bouillant de son enquêteur méticuleux sont mis en évidence. On y apprend qu’Erlendur a deux enfants, Eva Lind qui sombre dans la drogue et Sindri Snaer qu'il voit rarement. Aucune mention, par contre, du drame qui hantera le personnage depuis son enfance : pris dans une tempête de neige avec son petit frère, dont il a lâché la main alors qu’il a lui-même été retrouvé, mais son petit frère, jamais.

Malgré la faible crédibilité de certaines situations dans le déroulement et le dénouement de l’enquête qu’on peut pardonner à l’auteur d’un premier opus, Les fils de la poussière est une fiction passionnante annonciatrice d’une série qui séduira un lectorat féru de littérature policière. L’engagement social de l’auteur s’y traduit par la mise en lumière de certains points d’éthique scientifique en projetant dans le futur les risques qui guettent l’humanité qui pourrait être tentée de rêver d’éternité. Avec, au passage, une lecture critique de certains travers de la société islandaise. Une constante dans l’œuvre de ce diplômé en histoire, journaliste et critique de cinéma originaire de Reykjavik dont les écrits traduits dans une quarantaine de langues ont été couronnés par de nombreux prix prodigieux.

Récit qui nous tient en haleine de chapitre en chapitre jusqu’à une finale plutôt surprenante, Les fils de la poussière, est une lecture incontournable en attendant l’émergence d’un nouvel enquêteur, un jumeau littéraire d’Erlendur, qui, selon son éditeur français, inscrit Indridason « dans la lignée de Simenon, avec la construction d’un environnement social et affectif soigné et captivant. »

Ce que j’ai aimé : L’originalité du récit. La qualité littéraire. Quelques rebondissements inattendus. 

Ce que j’ai moins aimé : -

Cote :

Au fond de l'eau (Paula Hawkins)

Paula Hawkins. – Au fond de l’eau. – Paris : Sonatine éditions, 2017. 405 pages.

  

Polar

 


 

Résumé : En froid avec sa sœur Nel depuis des années, Julia n'a pas voulu lui répondre lorsque celle-ci a tenté de la joindre. Une semaine plus tard, le corps de Nel est retrouvé dans la rivière qui traverse Beckford, la ville de leur enfance. Obligée d'y revenir, Julia est terrifiée. De quoi a-t-elle le plus peur ? D'affronter le prétendu suicide de sa sœur ? De s'occuper de Lena, sa nièce de quinze ans, qu'elle ne connaît pas ? Ou de faire face à un passé qu'elle a toujours fui ? Plus que tout encore, c'est peut-être la rivière qui la terrifie, ces eaux à la fois enchanteresses et mortelles, où, depuis toujours, les tragédies se succèdent...

Commentaires : Après l’avoir terminé, ce long, très long, très très long roman de Paula Hawkins m’a laissé une impression mitigée. Bien sûr la structure du récit réparti sur les témoignages, de chapitre en chapitre, de chaque personnage (et ils sont nombreux) est intéressante. Quoiqu’il est difficile de les situer, au départ. Il y a du mystère dans cette histoire de Bassin des suicidées dont on ne vient plus à bout de dénouer l’intrigue. Le rythme est lent, la narration est un peu confuse, à tel point que j’ai failli abandonner avant la fin de la première partie (140 premières pages). Le tout est entremêlé de fausses solutions qui visent à dérouter le lecteur. En ce sens, c’est réussi jusqu’à la dernière phrase du dernier chapitre (si vous avez l’intention de vous taper Au fond de l’eau, n’allez surtout pas la lire : vous allez gâcher votre « plaisir »). Surprenant dénouement après des heures de lecture d’une histoire plutôt superficielle !

J’ai aussi eu beaucoup de difficulté à cerner les caractéristiques de chacun des personnages qui m’ont semblé sans âge, tout au long du récit. Les niveaux de langages dans les dialogues ne permettent pas de départager les adolescents des adultes plus ou moins âgés.

Ce que j’ai aimé : - 

Ce que j’ai moins aimé : Un récit qui s’étire pour aboutir sur une finale simpliste.

Cote :

Le dynamiteur (Henning Mankell)

Henning Mankell. – Le dynamiteur. – Paris : Seuil, 2018. 215 pages.

 

Roman

 

 
 

Résumé : 911. Oskar Johansson a 23 ans. Dynamiteur, il participe au percement d’un tunnel ferroviaire et manipule des explosifs pour fragmenter la roche. Mutilé à la suite d'un grave accident du travail, il reprendra pourtant son ancien métier, se mariera, aura trois enfants, adhérera aux idéaux socialistes puis communistes. Au soir de sa vie, il partagera son temps entre la ville et un cabanon de fortune sur une île aux confins de l’archipel suédois.

Un mystérieux narrateur recueille la parole de cet homme de peu de mots, qui aura vécu en lisière de la grande histoire, à laquelle il aura pourtant contribué, à sa manière humble et digne.

Ce premier roman de Henning Mankell, écrit à 25 ans, et inédit en France à ce jour, se veut un hommage vibrant à la classe ouvrière, à ces millions d’anonymes qui ont bâti le modèle suédois. Par son dépouillement, sa beauté austère, son émotion pudique, Le Dynamiteur contient en germe toute l’œuvre à venir de Mankell, sa tonalité solitaire, discrète, marquée à la fois par une mélancolie profonde et une confiance inébranlable dans l’individu.

Commentaires : Dans sa première œuvre de fiction, Henning Mankell annonce ses couleurs de romancier : engagement politique et social et portrait de la société suédoise en évolution. Le dynamiteur est le précurseur d’une œuvre littéraire centrée sur la condition humaine. Caractéristique qu’on retrouve aussi dans ses polars nordiques.

En un peu plus de 200 pages, Mankell amène le lecteur à découvrir un personnage attachant, sensible, blessé dans son corps et dans son âme. Jusqu’à s’y identifier. Un récit sensible où s’entremêlent les commentaires du narrateur tout au long de la rude vie du personnage résilient d’Oskar Johansson. Lui qui rêve de justice sociale, de lutter contre le capitalisme sauvage qui écrase le petit peuple. À ce titre, le chapitre intitulé L’affiche (La pyramide du système capitaliste qu’on peut visualiser sur Internet) illustre les préoccupations politiques du personnage et certainement celles de l’auteur.

Oskar rêve : le socialisme est la solution. Il est en partie déçu : « La déchéance la plus honteuse des sociaux-démocrates est d’avoir transformé le socialisme en une sorte d’organisation de fonctionnaires inutiles qui se sucrent sur le dos des travailleurs. Cette organisation a une entrée et une sortie, mais entre les deux on ne sait pas ce qu’il y a. » Ses réflexions sur la solitude (page 201) sont aussi très éloquentes.

Malgré sa condition modeste, Oskar aime la lecture, mais pas n’importe quel type de littérature. Mankell y glisse sa propre vision qui le motivera dans sa propre écriture : « J’ai lu les livres de Moberg (Vilhelm Moberg (1898-1973) écrivain rattaché au courant du roman prolétarien, connu surtout pour La Saga des émigrants).. Ils sont bien. C’est comme des livres d’histoire, mais plus passionnant. On est captivés. Ceux dont il parle n’ont rien d’extraordinaire. Ils sont comme tout le monde. Mais on voit tout ce qu’ils ont dû traverser. Il faudrait écrire plus de livres comme ça. Les gens ont été réduits à murmurer pendant des siècles, mais ce sont quand même eux qui ont pris les coups et ont été battus. Il faudrait écrire davantage sur ce que les gens n’ont pu que murmurer. »

Le dynamiteur est un roman émouvant, comme le seront L’homme inquiet (le dernier de la série Wallander), Les bottes suédoises ou Sable mouvant : Fragments de ma vie.

Un style déroutant, des propos dérangeants, un humanisme fondé sur des valeurs progressistes sans tomber dans le pathétisme.

Évidemment, un incontournable.

Ce que j’ai aimé : Puiser à la source de l’œuvre littéraire de Mankell.  

Ce que j’ai moins aimé : -

Cote :

Nuit d’ô rage (Odile Marteau Guernion)

Odile Marteau Guernion. – Nuit d’ô rage. – Dieppe : Esenal Éditions, 2018. 150 pages.

 

 
Roman noir

 

 

Résumé : Une locataire énigmatique et si séduisante qui bouscule, déstabilise la narratrice dans ses convictions. Ce qu’elle avait cru jusqu’alors s’écroule, se désagrège au contact de cette jeune Katia au passé chaotique et sulfureux.

Deux chemins contraires, deux femmes Marie-Noëlle et Katia, deux personnages aux caractères opposés qui ont besoin de façon différente l’une de l’autre. Après la disparition de Katia, mue par un désir irrépressible de comprendre, Marie-Noëlle entame un voyage vers le passé de celle-ci.

Commentaires : Voici un roman que je qualifierais de noir qui a principalement pour cadre la campagne havraise. Le sixième opus de Odile Marteau Guernion qui se spécialise dans les polars et les romans à suspense. Nuit d’ô rage, avec une graphie qui, de prime abord intrigue entre à sa façon dans cette dernière catégorie, avec son côté sombre.

Dès le départ, la narratrice se présente et annonce presque le drame qui s’ensuivra, en parallèle avec celui qui influencera les événements subséquents. Histoire de deux vies parallèles dont le point d’union viendra bouleverser une vie. Un orage, et le récit plonge le lecteur dans l’imprévu quasi prévisible. Jusqu'au dénouement, à la chute finale impossible à imaginer.

Malgré quelques coquilles au passage, le style de l’auteur – de la narratrice – nous entraîne dans un drame contemporain intéressant qui prend sa source à l’aube de l’an 2000.

Odile Marteau Guernion, une auteure à découvrir de ce côté-ci de l’Atlantique.  

Ce que j’ai aimé : L’originalité de l’histoire.

Ce que j’ai moins aimé : -

Cote :

L’homme de l’ombre T.1 Québec, 1770 (Laurent Turcot)

Laurent Turcot. – L’homme de l’ombre T.1 Québec, 1770. – Montréal : Hurtubise, 2018. 326 pages.

  

Roman historique

 

 

 
Résumé : Québec, 17 février 1770. Il fait plus froid que froid. Un mort gît dans la côte de la Montagne, la gorge tranchée. Pierre Dubois, un Français arrivé depuis peu en ville, est un des premiers à voir le corps. Suspecté, il décide de mener une enquête pour découvrir l’auteur du crime. Au cœur du régime britannique, il évolue dans un monde où l’armée est omniprésente. Son ami, Peter O’Sullivan, un Irlandais de la Royal Artillery, va l’aider dans ses recherches — tout comme Madelon, prostituée, qui n’attend plus rien de la vie et qui trouve en Dubois une oreille attentive. Les indices s’accumulent, comme les obstacles. S’agirait-il d’un complot ?

Dubois rencontre toute une galerie de personnages : un curé, une maquerelle, des francs-maçons, un marchand et un juge en chef. Tous veulent connaître la vérité… mais quelle vérité ?

Commentaires : Voici le premier roman de Laurent Turcot, professeur en histoire à l’Université du Québec à Trois-Rivières, titulaire de la Chaire de recherche en histoire des loisirs et des divertissements. Une fiction qui a pour but de « vulgariser l’histoire et de rendre utile et agréable la culture historique ». Un premier tome qui annonce une « suite » qui aura pour cadre l’invasion de 1775 publiée en mars 2019.

Le résultat est intéressant. Dès les premiers chapitres, le lecteur est plongé dans l’ambiance hivernale de Québec tombée dix ans plus tôt aux mains des Anglais, sous la domination de l’armée des conquérants. Les descriptions de la ville et de ses habitants sont fort réalistes, entre la haute ville bourgeoise, le port et ses tripots et maisons closes, le quartier pauvre de Saint-Roch et la banlieue hors murs. Avec des personnages bien campés et attachants. Une intrigue qui alimente un certain suspense. Une vision noire de l’époque du début du régime anglais.

Au passage, l’auteur incruste des commentaires qu’on sent parfois personnels, par exemple quand il fait dire à son héros, combattant déchu de la bataille des Plaines d’Abraham : « Un jour, nous nous déferons de ce joug pernicieux de l’armée britannique et nous saurons nous affranchir pour n’exister que par nous-mêmes… »

L’ouvrage est aussi didactique. On le sent tout au long du récit. L’insertion de certains faits historiques semble parfois un peu trop évidente. Mais on ne saurait en tenir rigueur puisque ce genre romanesque a sa raison d’être : il permet aux générations actuelles de se connecter avec leur passé pour mieux comprendre la société dans laquelle nous vivons aujourd’hui et l’apport de nos ancêtres sur ce que nous sommes devenus.

Une lecture agréable, des dialogues bien concoctés, une belle intégration de personnages réels de l’époque (Carleton, Montcalm, Aubert de Gaspé, pour ne nommer que ceux-là), avec en prime une énigme à la Vigenère.

Ce que j’ai aimé : La géographie du récit au cœur de la vieille ville de Québec avec ses références actuelles.

Ce que j’ai moins aimé : Les éléments à caractère didactique plus ou moins bien intégrés, parfois artificiels.

Cote :