Helen Faradji. – La corde blanche. – Montréal : Éditions Héliotrope, 2025. – 271 pages.
Polar
Résumé :
Un corps affreusement mutilé est découvert
dans un stationnement du Plateau-Mont-Royal Est. Omar Masraoui, acteur influent
du monde interlope mais respecté dans le quartier, est aussitôt incarcéré. Pour
les détectives Lisa Giovanni et Thomas Villeneuve, liés à lui par une amitié
indéfectible, aucun doute n’est possible : Omar ne peut avoir tué. Qui alors ?
Pourquoi leur ami a-t-il été désigné comme coupable ?
Et si au cours de l’enquête parallèle qu’ils
vont mener la réponse était encore plus sinistre qu’ils ne pouvaient l’imaginer
?
Commentaires :
J’ai bien aimé ce premier polar d’Helen
Faradji dont la finale un peu abrupte annonce clairement une suite pour
résoudre un deuxième volet de cette enquête des détectives Lisa Giovanni et
Thomas Villeneuve, assistés par le truand Omar Masraoui : un trio surprenant
dans ce genre littéraire.
Ce récit entraîne le lecteur dans une époque
trouble de l’histoire de Montréal, au cœur des relations tendues avec les
communautés musulmanes et juives en quête d’accommodements raisonnables et
confrontées aux réactions violentes de groupuscules anti immigration. Et leurs
impacts sur des sondages publiés dans les médias indiquant qu’un « nombre croissant de Québécois voulaient
moins d’immigration, Beaucoup moins. »
L’auteure situe l’action en 2005 et rappelle
à notre mémoire ...
... l’affaire des érouv :
« Depuis qu'en 2001 la Cour supérieure avait
autorisé l'installation d'un érouv dans le quartier d'Outremont, malgré les
plaintes de citoyens contre ce fil tendu par des juifs hassidiques pour
agrandir le territoire sur lequel certaines activités sont permises durant le
sabbat, tous les jours, c'était la même chose. Les mêmes préoccupations, les
mêmes enjeux, les mêmes nœuds de vipères. »
... les cocktails Molotov lancés sur des
mosquées :
« ... plusieurs cocktails Molotov ont été
lancés sur la mosquée Aboubakr située sur Jean-Talon entre les rues Saint-Denis
et Drolet. Aucune victime n'est à signaler, heureusement, mais les dégâts
matériels sont considérables. La façade de la mosquée est en grande partie
détruite, et cette dernière devra fermer ses portes au public et à la
communauté pour le moment. »
... l’affaire des vitres teintées du YMCA :
« Comme il fallait changer les stores
défectueux sur les quatre grandes fenêtres à l'arrière du centre sportif qui
donnaient directement sur une synagogue, des membres de la communauté juive
hassidique Yetev Lev avaient exigé qu'on les remplace par des vitres givrées
afin de ne plus avoir vue sur les corps des femmes qui s'entraînaient. En
avril, le YMCA les avait installées. »
... les locaux de prière et le port du kirpan :
« Après qu'en mars la direction de l'École de
technologie supérieure eut alloué un local aux étudiants musulmans pour en
faire un lieu de prière permanent, et que la Cour suprême eut autorisé un
étudiant à porter en classe son kirpan, un poignard cérémonial sikh, cette
nouvelle histoire en faisait bouillir certains. »
... et certaines réactions déplorables :
« Des croix gammées avaient été dessinées sur
la façade et les nouvelles vitres du YMCA, et un homme avait été arrêté pour
avoir crié des insultes antisémites durant de longues heures sur l'avenue
Bernard, à proximité. »
L’auteure a concocté un scénario très
réaliste autour d’un meurtre sur le Plateau Mont-Royal en mettant en scène des
personnages principaux très crédibles et leurs réseaux d’informateurs et de
collaborateurs. Dont l’enquêteur Villeneuve aux prises avec ses démons d’un
passé trouble impliquant son ex-collègue du Service de police de la ville de
Montréal.
Dans une entrevue publiée le 5 avril 2025 dans
le journal La
Presse, Helen Faradji se dit « inspirée
du côté de la littérature par Dennis Lehane, Jérôme Leroy, Olivier Norek ou
encore Benjamin Dierstein, parmi tant d’autres... » et déclare s’être « amusée avec les archétypes du genre.
Elle nous livre un polar sociopolitique qui, à sa manière, contribue à « décrypter le monde dans lequel on vit ».
Avec une certaine portée pédagogique. J’y ai appris...
... comment établir l’heure approximative de
la mort d’une victime :
« Vous avez tout oublié de vos cours ou quoi?
Un degré par heure, à partir de la troisième heure après la mort... »
... du sens à accorder à certains chiffres :
« ...
il fouilla en profondeur dans ce que le
Web cachait de plus nauséabond. Et assez rapidement - ce qui l'étonna -, cela
apparut. Le cinq était fréquemment utilisé par les néonazis pour évoquer cette
idée d'une lâcheté sans nom : I have nothing to say. Cinq mots brandis par les accusés ou prévenus aux États-Unis pour se
prévaloir de leur droit au silence garanti par le cinquième amendement de leur
Constitution, véritable code d'honneur des pourris qui, selon eux, les
protégeait. »
« Lors de ses recherches, il avait trouvé
toutes sortes d'autres chiffres exprimant une haine pure : 88, 18, 311, 23...
Mais ce cinq, ce symbole que les faibles et les lâches brandissaient pour
clamer leur droit à ne rien dire, l'exaspérait... »
L’écriture cinématographique de l’auteure contribue
à installer l’atmosphère dramatique dans
laquelle se déroule l’enquête. Comme ici au laboratoire
de sciences judiciaires et de médecine légale sur la rue Parthenais à
Montréal :
« À chaque fois qu'il y entrait, il avait
l'impression de débarquer dans un film dystopique soviétique des années 1970 et
ça l'oppressait un peu. Au douzième étage, où se trouvait le laboratoire de
sciences judiciaires et de médecine légale, il étouffait carrément. L'odeur
tenace de métal, de pourriture et d'eau de Javel incrustée dans les murs
remplissait ses poumons et lui brouillait l'esprit. »
Ou lors de cette visite à la prison de Bordeaux :
« Le gardien nous fit entrer dans le sas
étroit d'une clarté rendue tranchante par les rangées de néons blancs accrochés
au plafond. Il nous fit déposer nos porte-documents sur un tapis roulant - les
deux agents postés derrière les rayons X continuèrent à discuter entre eux - et
passer sous un portique de sécurité d'un autre âge. Personne ne bipa. Puis il
nous demanda d'attendre dans une pièce beige et sale, pleine de casiers fermés
par des cadenas et d'affichettes polycopiées énonçant les règlements de la
prison. Le ‘’ pas de chandail au-dessus du nombril ‘’ illustré par un pictogramme sommaire avait l'air d'avoir été
dessiné par un enfant.
Après avoir emprunté
un couloir dont les fenêtres donnaient sur une cour vide et bétonnée d'à peine
quelques mètres carrés, nous avons franchi des portes qui s'ouvraient à la suite
de vérifications vocales. Le gardien déverrouilla lui-même la dernière et nous
fit pénétrer dans une minuscule salle sans fenêtre. [...] La salle était angoissante. Dès qu'on y
pénétrait, une odeur de transpiration tenace, comme incrustée dans l'air,
prenait à la gorge. Les murs étaient d'une couleur non identifiable, entre le
jaune et le gris. Une table beige et rectangulaire entourée de quatre chaises
en plastique moulé vissées au sol occupait tout l'espace. »
Avec sa référence à un groupe secret d’individus
qui « se réunissaient plusieurs fois
par mois pour discuter de l’avenir du pays », le roman d’Helen Faradji
m’a rappelé celui de Pauline Vincent (« La
femme de Montréal ») et sa société secrète dont un des membres
était prêt à toutes les bassesses pour atteindre le même objectif.
J’ai grandement apprécié certaines descriptions
éloquentes :
« Autour de sa taille, un énorme trousseau de
clés et un talkie-walkie massif le faisaient pencher légèrement vers la gauche. »
« Exténué, il se
laissa tomber dans le trou creusé par l’usure de son canapé. »
« Le vieil homme était rongé par l’emphysème
et la haine des autres. »
« La
corde blanche » traite d’un sujet d’actualité avec débats entourant la
laïcité de l’état. Il vient enrichir la collection « Héliotrope noir » qui a pour mission originale de « tracer, livre après livre, une carte inédite
du territoire québécois dans lequel le crime se fait arpenteur-géomètre ».
Ce 20e titre dont je vous recommande la lecture trouvera sa place dans
ma bibliothèque de polars aux côtés des 19 autres.
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Née à Strasbourg, Helen Faradji vit au Québec
depuis 1999. Elle est critique et chroniqueuse cinéma, pour Radio-Canada
notamment. Elle est aussi directrice de la programmation du Festival de cinéma
de la ville de Québec. « La Corde
blanche » est son premier roman.
Je tiens à remercier les éditions Héliotrope pour l’envoi du service de presse.
Au Québec, vous pouvez commander votre
exemplaire du livre via la plateforme leslibraires.ca
et le récupérer dans une librairie indépendante.
Évaluation :
Pour
comprendre les critères pris en compte, il est possible de se référer au menu
du site [https://bit.ly/4gFMJHV],
qui met l’accent sur les aspects clés du
genre littéraire.
Intrigue et suspense
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Originalité :
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Personnages
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Ambiance
et contexte :
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Rythme
narratif :
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Cohérence
de l'intrigue :
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Style
d’écriture :
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Impact
émotionnel :
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Développement
de la thématique :
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Finale
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Évaluation globale :
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