La femme de Montréal (Pauline Vincent)

 


Pauline Vincent. – La femme de Montréal. – Lévis : Éditions Alire, 2024. – 307 pages.

 

 

 

Thriller historique

 

 

 

Résumé :

 

Montréal, 1934.

 

Fille d’une mère irlandaise et d’un bourgeois canadien-français, Claude Dufresne a reçu une éducation de haut niveau dans les grandes écoles suisses et françaises. Brillante, elle aspire à changer le monde comme journaliste, et rien ne peut l’arrêter. Sauf qu’elle est une femme !

 

Qu’à cela ne tienne, elle décide de postuler au quotidien La Laurentie sous le nom de Claude Dumesne, un alter ego masculin créé de toutes pièces… et ce dernier est immédiatement convoqué pour un entretien d’embauche ! Elle s’y présente travestie et obtient le poste tant convoité.

 

Claude n’est au journal que depuis peu quand un collègue l’invite sans détour à participer à la réunion d’une « association de patriotes qui a à cœur l’avenir des Canadiens français ». Curieuse de nature, elle accepte et découvre avec stupeur que ladite association – l’Ordre ! – est en fait un rassemblement de fanatiques xénophobes et misogynes ayant à sa tête un leader charismatique masqué entouré de « frères » dévoués.

 

Pour la journaliste en elle, l’occasion est trop belle : elle infiltrera l’organisation, au péril de sa propre vie. Or, son existence sera transformée à jamais quand elle découvrira l’identité secrète du grand commandeur… et la nature du complot visant à l’éliminer !

 

 

Commentaires :

 

J’ai beaucoup aimé « La Femme de Montréal » de Pauline Vincent.

 

D’abord parce qu’il s’agit d’un thriller historique qui se déroule à une époque dont on parle peu dans ce genre littéraire.

 

Ensuite puisqu’il traite d’une « société secrète canadienne-française » calquée sur les grandes lignes de l’Ordre de Jacques-Cartier fondé en 1926, que l’auteure a renommé l’Ordre de la Patrie, pour faire contrepoids à la Franc-Maçonnerie exclusivement anglophone. Parmi les 40 000 membres que comptait l’Ordre en 1950, figuraient des personnages célèbres : l'ex-maire de Montréal, Jean Drapeau, les anciens premiers ministres du Québec, Jean-Jacques Bertrand, Jacques Parizeau et Bernard Landry, et le cardinal Paul-Émile Léger. »

 

Aussi parce que cette fiction et ses personnages fictifs s’inscrivent dans la perspective « promouvoir les intérêts politiques, religieux et économiques des Canadiens français ».

 

De plus, le livre de Pauline Vincent est d’une actualité troublante puisqu’on peut tirer des leçons sur les dérives découlant des abus de pouvoir.

 

« Le roman pose aussi la question : est-ce que le Québec aurait pu, lui aussi, sombrer dans le fascisme ? Par exemple, l’un des membres de l’Ordre se rend à Rome pour obtenir le soutien du pape, mais aussi du parti de Benito Mussolini. »

 

 

En 1995, Pauline Vincent avait déjà publié chez Libre Expression un roman intitulé L’imposture, un scénario précurseur de « La Femme de Montréal ». Qualifié sur le site de la Bibliothèque de Baie-Comeau d’œuvre « populaire de suspense et d'intrigues, ayant pour cadre le milieu journalistique et politique québécois dans les années 1930 [...] sur fond historique précis (la société secrète canadienne-française et catholique " la Patente " » tenant « le lecteur en haleine malgré ses invraisemblances. Quant à l'héroïne, elle se déguise en homme, pour prouver à son puissant paternel qu'elle est quelqu'un, et " triompher de toutes les impostures ". »

 

Dans une entrevue qu’elle accordait en 2024 à Catherine Doucet lors de l’émission Place publique à Radio-Canada et à Simon Cordeau du journal Accès de Saint-Sauveur, Pauline Vincent parle de ses sources d’inspiration :

 

·        « Mon père, en mourant, m’a dit qu’il avait fait partie de l’Ordre de Jacques-Cartier » [...] Chez nous, c’était une porte ouverte de politiciens, de religieux, d’académiciens, et beaucoup de sujets importants sur l’avenir des Canadiens français flottaient dans l’air. C’était un lieu important ».

·        Son expérience de journaliste et ses relations avec ses collègues au journal La Patrie qu’elle a transposées dans son personnage Claude Dufresne qui doit se déguiser en homme pour faire sa place comme journaliste en devenant Claude Dumesne. 

·        La parution dans La Patrie en 1964 d’un texte sarcastique par un des grands maîtres de l’Ordre de Jacques-Cartier, Roger Cyr, peignant « l’esprit de caste proche du ségrégationnisme » de la société secrète et révélant les secrets de l’organisation.

·        Ses deux années de recherches et la consultation des archives de l’Ordre dont le rite initiatique reproduit en intégralité (pages 45 à 54) selon la vraie initiation de 1954 dont elle a retrouvé les procédures.

 

Il en résulte un récit fascinant, un tourne-page réparti sur 48 courts chapitres alors que l’action se déroule sur six mois en 1934 et 1935. Avec une chute finale qui vous surprendra. Personnellement, j’avais deviné à mi-parcours qui se cachait sous la cagoule du grand commandeur.

 

Au menu : misogynie, xénophobie, antisémitisme, homosexualité, liaisons interdites, filature, dossiers secrets, chantage – quoiqu’à ce sujet, je me suis demandé comment les fameuses photos ont pu être prises et récupérées par le maître chanteur !

 

Avec comme plat de résistance un « ...soi-disant sauveur, l'homme de l'Ordre de la Patrie ! Qu'une illusion à laquelle on s'accroche pour se persuader qu'on est bien vivant au royaume des autres. Un Moïse perfide et violent qu'on aime suivre aveuglément. Un poison qui nous contamine à petites doses d'élégante rhétorique. Une façade séduisante qui masque sa trahison, son imposture [...] le seul à pouvoir nous guider sur les voies d’une autonomie économique et culturelle et nous soustraire au pouvoir des Anglais. »

 

Le style de Pauline Vincent est fluide et imagé. En voici quelques exemples :

 

« Un autre silence s’abattit sur la pièce, comme si les ornements de plâtre du plafond s’affaissaient sur leurs épaules. »

 

« Le sang gicla sur le tapis rouge pour se transformer en une fleur parmi les fleurs. »

 

« Il piqua une sainte colère que seule Némésis aurait pu applaudir. »

 

« Un fil blanc collait à la manche de son smoking. Avec précaution, il l’enleva en se disant que c’était peut-être un présage de chance, comme le lui disait sa mère. »

 

« Le grincement des gonds dans la nuit la transporta dans le monde d’Edgar Allan Poe. »

 

« L’odeur du papier la ramena au royaume des vivants. »

 

Et à propos de la transformation masculine du personnage principal, une femme forte qui décide aussi d’être « sur le front comme [sa] mère qui se bat pour le droit de vote des femmes [...] peut-être une chance de faire avancer [sa] propre cause » :

 

« Elle s'était inspirée, en partie, du monde de l'illusion, celui du cinéma, une de ses grandes passions: perruque et moustache noires à la Clark Gable, lunettes cerclées d'or, un feutre à la Gary Cooper, un costume de serge légèrement glacé par l'usure, un nœud papillon et des souliers noirs en cuir verni. Et la touche finale, à la mode parmi les intellectuels, un minuscule porte-cigarettes en ivoire. Eh oui ! Elle fumait même avant d'entrer au journal. C'était une forme de rébellion et d'affirmation. De plus, elle s'appropria des tics comme gratter sa moustache et lisser sa perruque. Côté personnalité, Claude choisit de jouer sur toutes les tonalités de la timidité et de la réserve, de l'écoute au silence. »

 

Le message nationaliste des membres de l’Ordre de la patrie est fort éloquent :

 

« Notre cause est très importante. Nous nous battons contre l'impérialisme anglais et sa poignée de suppôts qui contrôlent notre économie et dictent notre conduite.

 

Ils ont trop tendance à bafouer nos droits, notre langue, notre religion et à nous reléguer à des rôles de subalternes, au gouvernement fédéral. On croit qu'il est temps qu'on s'occupe de nos affaires, à notre manière !

 

En d'autres termes, on veut décider de la destinée de nos enfants sur notre coin de terre. »

 

Ou encore, sur le lit de mort d’un des personnages :

 

 « Mais moi, je suis un Canadien français pure laine. Pour me hisser au sommet, j'ai dû me battre pour être accepté à chaque échelon. J'ai vécu chaque misère, chaque affront, chaque ignominie que les conquérants infligent aux Canadiens français. Imbus de leur supériorité, ils tirent prétexte de tout pour nous assujettir: notre manque d'instruction, notre langue, notre religion et même notre sang chaud. Il faut que tu comprennes que l'Ordre de la Patrie est l'instrument de l'éclosion de notre peuple. Pour y arriver, nous nous sommes engagés dans un processus de changement. Cesser d'être un peuple colonisé pour devenir un peuple fier et autonome exigera des générations de travail et de volonté. Reprendre confiance en nous et nous affirmer, réprimer notre esprit destructeur de soumission, travailler ensemble en marchant dans la même direction, voilà les clés de notre survie. Tu verras, quand nous deviendrons un peuple respecté, rien ne nous arrêtera... Tout le reste suivra ! »

 

Et cette citation du journaliste et historien canadien-français Benjamin Sulte à propos de la Saint-Jean-Baptiste, « la fête de la nation », dont on retrouve une brève et belle description du défilé au chapitre 41 :

 

« Nous sommes des patriotes qui marchons vers notre destinée... La Saint-Jean-Baptiste, c'est une secousse qui réveille les endormis, ranime les faibles, redouble le courage des forts. Pas de Saint-Jean-Baptiste, ce serait presque vivre dans l'oubli d'un noble passé et l'indifférence du présent ; il s'ensuivrait l'abandon de ce qui nous caractérise en ce monde..." »

 

Parlant d’actualité, je n’ai pu m’empêcher de faire le parallèle avec cette affaire de terroristes, trois membres de l'armée canadienne, dont deux caporaux de Valcartier, qui voulaient s’approprier par la force un territoire au nord de la ville de Québec avec pour projet d’instaurer par la force un état de non-droit et celle citée dans le roman :

 

« La Sûreté a découvert dans les Laurentides un campement peu ordinaire où de jeunes fanatiques d'extrême droite s'entraînent à des techniques militaires semblables à celles pratiquées par les partisans en Espagne, au Portugal et en Italie. »




En complément de lecture, consulter l’essai de Hugues Théoret pour en savoir davantage sur « La Patente – L’Ordre de Jacques-Cartier, le dernier bastion du Canada français » publié en 2024 aux éditions du Septentrion.

 

 

  

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Pauline Vincent est une figure importante du monde culturel québécois. Écrivaine, conférencière et journaliste, elle est reconnue pour sa carrière dans le domaine du journalisme et des communications et pour son implication dans la promotion et la défense des écrivains et de la littérature québécoise.

 

Pauline Vincent a fondé plusieurs regroupements d’écrivains en Montérégie et dans les Laurentides et elle a laissé sa marque en fondant l’Interrégionale des associations régionales d’auteurs du Québec, en participant à la création de la nouvelle Coalition québécoise de la littérature et du conte et en s’impliquant très étroitement, depuis sa fondation, dans les activités de l’Union des écrivaines et des écrivains du Québec.

 

Active dans les médias depuis le milieu des années soixante, elle fut successivement journaliste, scripteur, animatrice, reporter, chroniqueur et recherchiste à la radio et à la télévision, après un séjour en Europe en tant que correspondante à Paris et à Rome.

 

 

Je tiens à remercier les éditions Alire pour l’envoi du service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire du livre via la plateforme leslibraires.ca et le récupérer dans une librairie indépendante.

 

 

Évaluation :

Pour comprendre les critères pris en compte, il est possible de se référer au menu du site [https://bit.ly/4gFMJHV], qui met l’accent sur les aspects clés du genre littéraire.

 

Intrigue et suspense :

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Originalité :

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Personnages :

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Ambiance et contexte :

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Rythme narratif :

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Cohérence de l'intrigue :

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Style d’écriture :

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Impact émotionnel :

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Développement de la thématique :

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Finale :

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Évaluation globale :

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