Le dernier souffle est le plus lourd (Catherine Lafrance)


Catherine Lafrance. – Le dernier souffle est le plus lourd. – Montréal : Éditions Druide, 2023. – 408 pages.

 


Polar

 

 


Résumé :

 

En pleine tempête de neige historique, alors qu’un évènement tragique entraîne la paralysie d’une partie de la ville de Montréal, le reporter Michel Duquesne se retrouve malgré lui aux premières loges d’une affaire énigmatique. Son intuition le pousse à la creuser, ce qui le plonge au cœur de l’industrie pharmaceutique, où il découvrira à quel point la corruption sévit. Les ramifications de cette nouvelle enquête le mèneront dans l’antichambre du pouvoir politique, à Québec et à Ottawa. Le premier ministre serait-il mêlé à tout cela ? Le journaliste, en levant le voile sur ces fraudes, mesurera à quel point l’existence humaine compte parfois pour bien peu, quand l’avidité est le moteur de toute action. Pendant ce temps, sa vie personnelle et celle d’Odile, sa conjointe, seront bouleversées par une découverte inattendue. Alors qu’il se croyait à l’abri, dans sa bulle familiale, Duquesne devra se battre pour qu’elle n’éclate pas.

 

 

Commentaires :

 

Si, comme moi, vous avez aimé la première enquête du reporteur intrépide, Michel Duquesne, que Catherine Lafrance a imaginée, L’étonnante mémoire des glaces, vous allez vous régaler avec celle-ci. Mais, d’entrée de jeu, il n’est pas nécessaire d’avoir lu le premier tome d’une série qui s’annonce pour en apprécier la suite.

 

Gravitent autour du journaliste professionnel spécialisé dans le reportage des personnages dont on a fait la connaissance dans l’histoire qui se déroulait à Saint-Albert-sur-le-Lac et qui se dévoilent davantage :

  • l’avocate Odile Imbeault, devenue la conjointe de Duquesne obsédée par le sauvage assassinat de ses parents et avec qui il a eu une fille, Victoria qui, malgré elle, joue un rôle important dans l’histoire,
  • Juliet Sullivan, sa mère, atteinte de la maladie l’Alzheimer,
  • Louis Duquesne, son père adoptif mélomane,
  • la journaliste Anne-Marie Bérubé maintenant rattachée à la Tribune de presse au parlement de Québec,
  • l’exécrable Robert Painchaud, directeur de l’information au journal où il travaille dans le Vieux-Montréal, Yves Lavoie, son chef de pupitre et sa collègue Linda Fasalli aux bracelets cliquetants et pour qui l’informatique n’a pas de secrets.
  • Sans oublier William Latendresse, autrefois à la Sûreté du Québec (SQ), maintenant rattaché au Service de police de la ville de Montréal (SPVM).
  • Et, surprise, Blue, rescapée de Saint-Albert.

 Cette fiction qui, dans sa thématique (magouilles politiques) et sa construction, pourrait renvoyer à une réalité potentielle se déroule dans les derniers mois de 2019. Elle s’ouvre dans une ville de Montréal aux prises avec une « première tempête exceptionnelle hâtive au sud du Québec ». Pour se terminer dans une finale toute en douceur, ouverte pour une suite évidente avec un nouveau personnage qui se pointe alors que les médias annoncent que quelque chose se passe en Chine en faisant défiler « des images de la ville de Wuhan, tandis qu'un correspondant [explique] que des cas d'une étrange pneumonie qui ne ressemblait à aucune maladie connue avaient fait leur apparition. »

 

Le dernier souffle est le plus lourd est un roman captivant très documenté. Les informations médicales sont d’une précision chirurgicale quand il est question d’anévrisme, des façons de soigner les aortes déficientes, des prothèses synthétiques (aortes artificielles), du remplacement de l’aorte ascendante…

 

Aussi pour l’évocation de certains lieux, tels que les locaux de la Tribune de la presse à Québec :

 

« Il y régnait toujours un monumental désordre. Les journalistes empilaient sur des étagères ou carrément sur leurs bureaux livres, documents, paperasses en tout genre, qu'ils ne consultaient que rarement. Pourtant - elle s'en étonnait encore chaque fois - ils étaient capables dans le temps de le dire, de retrouver un dossier précis qu'on leur avait demandé, et de le brandir en disant simplement: «Tiens. » Et c'était sans compter tous les objets qui ne servaient qu'à amasser la poussière, mais auxquels ils tenaient comme à la prunelle de leurs yeux : clés USB, vieux micros, enregistreuses datant du siècle dernier, etc. »

 

Ou celle de la salle de rédaction « toujours plongée dans la même pénombre grise que celle qui, souvent, précède l'aurore quand le temps est couvert. Les néons, fixés au très haut plafond, n'éclairaient que de loin, alors, pour y voir clair, il fallait s'en remettre aux petites lampes de bureau, bulles de lumière qui enfermaient les occupants des lieux dans des îlots individuels vaguement sinistres. […] les horloges au mur, qui retardaient, parfois, les tuyaux qui cognaient derrière les cloisons, les vieilles pierres de l'édifice, ébréchées, qui menaçaient de tomber. »

 

De magnifiques descriptions témoignant de l’état d’esprit dans lequel évolue le personnage.

 

Michel Duquesne qui abhorre le désordre et qui ne pénètre jamais dans un lieu sans poser d’abord le pied droit progresse dans son enquête, son cerveau flottant « dans les ruelles de son enfance, à l'instar de sa mère qui avait badaudé dans celles de la ville » est confronté à ses souvenirs « ballotté de famille d’accueil en famille d’accueil ». Ces ruelles où des clans se formaient, où on « s'y réfugiait, on y jouait autant qu'on s'y faisait la guerre. Les batailles constituaient, essentiellement, à repousser l'ennemi à coup de pierres, en vociférant. Ensuite, on se félicitait de la victoire, on pansait ses plaies et, quand la poussière retombait, on apercevait, au beau milieu des projectiles abandonnés, des lignes blanches sur le macadam: les jeux de marelle des petites filles, dessinés à la craie, que les plus sauvages des combats n'arrivaient pas à effacer. »

 

Régulièrement hanté dans les cauchemars qui peuplent ses nuits et qui lui font revivre l’enfoncement de sa voiture piquant de l’avant dans le lac gelé de Saint-Albert.

 

L’essentiel de l’histoire se déroule à Montréal avec une incursion à Trois-Rivières, à Berthierville et à Québec où Duquesne ose trouver toujours jolie la rue Saint-Jean et apprécier « son style Nouvelle-France bien conservé » !

 

Catherine Lafrance qui, pendant plusieurs années, s’est investie à temps plein dans son métier de journaliste avant de se consacrer entièrement à ses projets d’écriture campe son récit dans un milieu dont elle maîtrise les tenants et aboutissants, dans un style imagé. Un exemple : « Michel Duquesne, lui, parcourait le Net, fouillait les réseaux sociaux comme s'il s'agissait d'éventrer, puis de vider de ses entrailles un poisson qu'on va passer à la poêle ».

 

Deux bémols :

 

Plusieurs coquilles, ce qui est étonnant chez un éditeur qui s’appelle Druide J : « les bas sur les accoudoirs », « avait » au lieu de « avant », « mais était donné » au lieu de « mais étant donné » « Duquesne compris » et « Berthier » pour « Berthierville », pour ne mentionner que celles-là.

 

D’autre part, l’intégration d’expressions anglaises dans la narration m’irrite de plus en plus dans bon nombre de romans québécois : laptop, Chinatown, cold cases, move, scoop, off the record, party de départ… Passe toujours dans les dialogues, ce qui illustre peut-être bien l’appauvrissement de la langue et le déclin du français dans les conversations entre francophones au Québec, l’action se situant à Montréal. Souhaitons qu’il ne s’agisse pas d’une recette pour satisfaire le lectorat de l’Hexagone friand de ces incartades dans la langue de ses voisins d’outre-Manche. 

 

Cela dit, Le dernier souffle est le plus lourd est un tourne page qui donne le goût de retrouver Michel Duquesne dans une prochaine aventure, peut-être en pleine pandémie de COVID. Je vous le recommande sans hésitation.

 

Merci aux Éditions Druide pour le service de presse.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  *****

Appréciation générale : *****