Brébeuf (Catherine Côté)


Catherine Côté. – Brébeuf. – Montréal : Triptyque, 2020. – 236 pages.

 


Polar

 

 


Résumé :

 

Montréal, automne 1947. Léopold Gauthier, vétéran de la Seconde Guerre mondiale et ancien détective de la Sûreté de Montréal, a de la difficulté à réintégrer la vie civile. Après sept ans d'absence, Léopold devrait être heureux de son retour, de revoir sa conjointe Suzanne... mais quelque chose cloche.

 

Lorsqu'on demande à Marcus O'Malley, l'ancien partenaire de Léopold, d'enquêter sur le meurtre brutal d'un étudiant du collège Jean-de-Brébeuf, Marcus prie son vieil ami de lui prêter main-forte. Suzanne Gauthier, devenue reporter de crimes au Montréal-Matin, encourage Léopold à accepter l'offre de Marcus.

 

S'improvisant détective privé, Léopold se joint donc à Marcus. Mais lorsque les victimes commencent à se multiplier, l'enquête se transforme en course contre la montre pour arrêter le tueur qui cible les élèves des collèges de Montréal...

 

 

Commentaires :

 

J’avais bien aimé Femmes de désordre (2023). Comme on annonce une trilogie aux enquêtes de Léopold Gauthier, j’ai décidé de remonter aux sources avec Brébeuf, le premier roman policier de l’auteure montréalaise Catherine Côté.

 

En 1947, pendant sept jours, du lundi au dimanche, les événements entourant une série de meurtres sont racontés, ponctués par des intermèdes d’une consultation de Gauthier dans le bureau d’un psychologue le lundi entre 9 et 10 heures, où la trotteuse de la pendule « est coincée, elle oscille sans cesse au-dessus de la même seconde. Comme si le temps ne passait plus vraiment, qu’ils stagnait depuis un moment déjà ». Une belle association avec l’état d’âme du héros imaginé par Catherine Côté, de retour du front après six ans d’absence, indemne physiquement, mais confronté à ses cauchemars post-traumatiques :

 

« Vers la fin de la guerre, il ne dormait presque plus. Les Fusiliers se frayaient un chemin jusqu'à Berlin, libérant village après village. Avec son unité, Léopold vivait dans des maisons réquisitionnées par l'armée, en dedans, au sec, au chaud.

 

Il pouvait prendre des douches et il aurait pu se reposer, mais il passait plutôt la nuit à fixer le plafond et à penser à Suzanne et à se dire qu'il avait hâte de rentrer. Mais quand la guerre s'est terminée, il s'est aperçu qu'il avait perdu les plus belles années de sa vie en Europe, sans trop savoir pour quoi, et qu'il n'était pas prêt à rentrer à Montréal, à revoir ses proches, à répondre à leurs questions. »

 

Dans Brébeuf, l’intrigue policière joue un rôle secondaire. Et sa résolution n’a rien de spectaculaire. L’auteure montréalaise s’est davantage concentrée sur transformations majeures de la société canadienne-française dans les années glauques d’après-guerre. Elle y aborde, entre autres, l’émancipation des femmes découlant de l’absence des hommes partis faire la guerre en Europe :

 

Pour O’Malley, « la police n'est pas un milieu pour les femmes, et les mères devraient rester à la maison », lui qui «  était très réticent à l'idée [que sa femme] commence à travailler, après la naissance de leurs filles. Que c'est l'une des raisons pour lesquelles elle a fini par le mettre dehors. »

 

Le tout enveloppé dans un polar historique avec des références à des personnalités de l’époque (Roger Duhamel au Montréal Matin et Pacifique Plante à l’Escouade de la moralité) :

 

« L'Escouade est un service piloté par Pacifique Plante, un jeune procureur désirant purger Montréal de ses vices: la prostitution, les paris, les maisons de jeu. Même si le zèle de Plante ne fait pas l'unanimité, ses initiatives sont généralement bien accueillies... Mais ça, c'était avant que Pax Plante affecte des femmes à la nouvelle branche de son escouade: la Moralité juvénile. Accepter des femmes dans la police, c'est un beau projet politique pour certains, mais une grosse perte de temps pour d'autres. »

 

J’ai apprécié les détails apportés sur les origines et la psychologie de certains des personnages principaux que j’avais vus évoluer dans Femmes de désordre :

 

·        Marcus O’Malley, policier pas toujours net et porté sur la bouteille (accro au cigare, au café irlandais et au rye whisky dont le liquide doré trône sur la couverture de première) dont le père « s’est fait rabrouer toute sa vie par ses patrons à cause de ses habitudes de boisson ». Fils d’ouvrier qui n’a pas « fait d'études classiques, seulement l'école de police. Son père était un travailleur d'usine, il n'aurait jamais eu les moyens de le faire étudier, là ou ailleurs. Marcus aimait se bagarrer, en plus. Il s'est fait renvoyer de deux écoles différentes avant de décider d'arrêter l'école, tout simplement. Il avait sa dixième année. C'était assez pour rentrer dans la police. »

  

Avant la guerre, Léopold Gauthier et Marcus étaient de simples agents. Ce dernier est devenu sergent et a maintenant son propre bureau fermé : « Même aux premiers jours de leur entraînement, au gymnase de la police, Marcus fumait déjà le cigare. »

 

·        Léopold Gauthier, lui aussi fils d’ouvrier dont les parents ont économisé pour qu’il étudie à Brébeuf. Il a deux frères et une sœur. Son père vit à Toronto et sa mère est décédée. Avant la guerre, il était « agent dans l’équipe des meurtres de la Sûreté municipale. » Il en retirait une grande satisfaction : « les patrouilles de nuit, la Sûreté, les cris, les poursuites. Les montées d'adrénaline. Et l'impression de vivre pleinement. » Mais le retour à Montréal remet en cause sa carrière dans les forces de l’ordre. En l’impliquant dans son enquête, Marcus O’Malley souhaite lui redonner progressivement le goût « à la job de police » et, qui sait, à se transformer en détective privé.  

 

On apprend aussi que Léopold « a toujours eu une aptitude pour le dessin. Pendant la guerre, il traînait un crayon et un calepin dans sa poche, croquait les villes qu'il visitait, envoyait les feuilles à Suzanne par la poste le plus rapidement possible. [...] Pour lui, c'était surtout un moyen de capter les horreurs du conflit, de s'en débarrasser et puis de se dire que c'était fini, qu'il pouvait oublier désormais. Les souvenirs ne sont pas tous partis, mais il a continué à faire des esquisses. »

 

·        Suzanne Desmarais, journaliste de faits divers au Montréal Matin qui a aussi étudié dans un collège, issue d’une famille aisée comme on l’apprend de la bouche du père Thibodeau, directeur du collège Brébeuf : « Vous étiez bien mademoiselle Desmarais avant de vous marier, non ? Le nom de votre mari est beaucoup plus discret. Comme ça, les gens ne se demandent pas comment vous avez trouvé votre emploi.»

 

·        Adèle Dubosc de l’Escouade de la moralité à la Sûreté municipale qui, avec les autres femmes de son unité, qui n’ont pas le droit d’avoir d’armes, seulement des matraques, doit trouver sa place et s’imposer auprès de ses collègues masculins.

 

Catherine Côté égratigne aussi au passage le clergé prêt à acheter le silence des médias pour protéger la réputation du collège. On assiste à la manœuvre peu subtile du père Thibodeau sortant « une liasse de billets de sa soutane. » [...] « Suzanne jette un coup d'œil aux alentours, mais il n'y a personne. Il dépose la liasse de billets sur le bureau, la fait glisser vers Suzanne. Elle l'empoigne et compte les billets, les faisant rapidement passer d'une main à l'autre. Trois cents. Pas mal, se dit-elle. Il est sérieux, le père. » Et la journaliste d’empocher la rondelette somme !.

 

En finale, un clin d’œil au projet de trilogie de l’auteur, quand Suzanne déclare : « Paraît que Duhamel veut que j'écrive quelque chose à propos des maisons de désordre, dans le Red Light. On verra ce que ça donne. »

 

Résultat : une suite passionnante.

 

 

Originalité/Choix du sujet :*****

Qualité littéraire : *****

Intrigue : ***

Psychologie des personnages : *****


Intérêt/Émotion ressentie : ****


Appréciation générale : ****


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