Tintin au pays du polar (Bob Garcia)


Bob Garcia. – Tintin au pays du polar. – Mac Guffin Éditions, 2005. – 119 pages.

 


Essai

 

 


Résumé :


Les Aventures de Tintin ont pour moteurs l'action, le suspense et l'humour. Les cascades de Tintin surpassent celles du journaliste Jean Marais/Fandor dans " Fantomas " contre Scotland-Yard ou le permissionnaire Jean-Paul Belmondo/ Adrien dans " L'homme de Rio ". Tintin saute sur le toit d'un train en marche, s'écrase plusieurs fois en avion, se fait tirer dessus à bout portant. Mais il s'en sort toujours. Mission impossible ? Pas pour un dur à cuire comme lui !

 

Chaque Aventure contient une foule de références au monde du Polar. " L'Amérique " est une histoire de gangsters dans laquelle Tintin joue le rôle d'Eliot Hess face au dangereux Scarface. " Les Cigares " nous embarque dans une mystérieuse Croisière sur le Nil. Dans l' " Affaire Tournesol ", Tintin devient espion et traverse le rideau de fer pour délivrer le professeur, comme le héros d'Alfred Hitchcock dans " Le rideau déchiré ". Parfois l'aventure tourne à la parodie. Dans " Les Picaros ", Tintin se fond dans un carnaval pour parvenir à ses fins, comme James Bond dans " Moonrakor ". Et dans " Les bijoux ", les Dupondt montrent qu'ils sont de bien piètres élèves de leur compatriote Hercule Poirot.

 

S'appuyant sur un solide travail de documentation et de recherche, Bob Garcia montre que les " Aventures de Tintin " appartiennent à l'univers du Polar, avec toutes ses sensibilités, depuis le roman d'énigme jusqu'au roman noir en passant par l'enquête de police classique. Poursuivant son objectif pédagogique, Bob Garcia souhaite en outre faire découvrir aux jeunes - et moins jeunes - lecteurs le monde du Polar à travers une lecture inédite et passionnante des " Aventures de Tintin ".

 

 

Commentaires :

 

Je croyais être devenu passionné de littérature du crime (de romans noirs, de thrillers et plus spécifiquement de polars) après la lecture du roman de Michael Connelly, Les égouts de Los Angeles. Il semble que cet intérêt remonte probablement à mon enfance avec Les aventures de Tintin dont je possédais la collection d’une vingtaine de titres de la série. Bob Garcia vient de m’en convaincre avec cet impressionnant essait fort documenté sur Tintin au pays du polar. Un ouvrage tiré seulement à 500 exemplaires, rarissime particulièrement au Québec, que j’ai réussi à me procurer, non sans de nombreuses recherches.

 

D’entrée de jeu, en préface, l’auteur tintinologue annonce qu’il « vise à montrer que Les Aventures de Tintin appartiennent à l'univers du roman policier, au moins autant qu'à celui du roman populaire et du roman d'aventure. »

 

L’ouvrage est divisé en trois parties.

 

La première partie « expose brièvement les principaux éléments de fond et de forme qui rattachent Les Aventures de Tintin à l'univers du polar. » Y sont énoncés les « thèmes généraux abordés par Hergé (gangstérisme, affairisme, magouilles politico-économiques, trafics, etc.) » et s’attarde sur la narration (action, mécanismes du suspense…) à partir des « trois grandes tendances dans le polar : le roman d'énigme, le roman noir et le roman de suspense » et de leurs multiples combinaisons et variantes. Elle permet de montrer « que les Aventures de Tintin relèvent à des degrés divers de ces trois genres. »

 

Le roman d'énigme, « roman dans lequel le cheminement romanesque va du mystère à l'élucidation du mystère [...] Souvent conçu, dans les années 1920-1930, comme un jeu intellectuel, comme un match entre le lecteur et l'auteur, et, comme tel, moralisé par des règles »

 

Le roman noir né aux États-Unis dans les années 1920 ayant « pour ambition de rendre compte de la réalité sociétale du pays : gangstérisme, corruption politique et policière, toute-puissance de l'argent, utilisation ostensible de la violence [...] un roman policier inscrit dans une réalité sociale précise et porteur d'un discours critique, voire contestataire, sur cette réalité sociale. » En s’appuyant sur de nombreux exemples tirés de la littérature de genre, Bob Garcia illustre les trois principales caractéristiques du roman noir : l’action, le réalisme et la violence. Il en profite pour souligner comment « Hergé dénonce sans complaisance les trafics et magouilles en tous genres. Il montre la cupidité des puissants, des businessmen et des politiciens; l'exploitation des faibles; le pouvoir de l'argent et la corruption; la collusion des politiciens et de la mafia; les organisations criminelles de tout crin; le monde frelaté du show-business et des sectes. » Autant de thèmes développés dans la deuxième partie de l’ouvrage pour chacun des albums.

 

Le roman de suspense « défini comme le ‘’roman de la victime‘’, ou de manière plus judicieuse encore, comme le ‘’roman de la menace‘’ [mettant] généralement en scène un personnage placé en situation de danger ou dans l'orbe d'une machination et joue machiavéliquement du compte à rebours et de la tension dramatique, de l'attente et de la chute. Sa grande caractéristique est son tempo de plus en plus rapide, de plus en plus fiévreux », comme dans Les Aventures de Tintin dans lesquelles s’imbriquent « la peur, l’onirisme, le fantastique ou la folie ».

 

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La deuxième partie explore chacun des 24 titres de la série, récit par récit, en mettant en évidence les stéréotypes et thèmes du polar associés à de « multiples comparaisons avec le monde du polar dans son ensemble, incluant toutes tendances (énigme, noir, thriller, fantastique, etc.) et tous médias (romans, films, bandes dessinées, etc.) » démontrant « que les Aventures de Tintin peuvent être lues comme des romans policiers. » Tant par leurs scénarios, les mécanismes mis en jeu et les sujets abordés.

 

Ainsi on constate que pour la très grande majorité des albums publiés entre 1929 et 1986, la structure narrative de chaque aventure est la suivante : « une introduction dans laquelle Tintin mène une enquête; le corps du récit, où Tintin et ses amis se lancent dans une course-poursuite contre les malfrats; la victoire des héros (complot déjoué, trésor retrouvé, ami délivré, etc.); le rapport de l'affaire, présenté le plus souvent de façon elliptique par la presse (écrite, radio ou télévision); un gag de fin pour décongestionner le récit. »

 

Tintin au Tibet fait cependant exception, Hergé ayant « choisi la voie courageuse, car non dépourvue de risque, du renouvellement, en développant de nouveaux axes de création » avec une enquête qui se double d'une quête individuelle de l'auteur, Hergé rejoignant ainsi « la cohorte des auteurs de romans policiers qui ont utilisé leur oeuvre à des fins d'auto analyse ». Alors que dans les titres suivants (Les bijoux de la Castafiore, Vol 714 pour Sydney et Tintin et les picaros), on sent de plus en plus que le héros, comme son auteur, est fatigué, prêt même à refuser l’aventure.

 

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La troisième partie compare Tintin et différents héros du roman policier. Elle sert aussi de prétexte à caractériser le personnage « insensible à l'argent. Les honneurs ne le changent pas. Il gardera le même état d'esprit de la première à la dernière de ses aventures, malgré une succession de victoires éclatantes. Il n'a pas peur de la mort et préfère même mourir plutôt que de pactiser avec l'ennemi. » Un personnage mythique « né sans état civil, comme une pure fonction narrative, […] sans nom, sans âge, sans réelle profession et sans autre famille que celle qu'il se forge peu à peu. [...] contrairement aux autres personnages, ses souvenirs sont strictement limités aux actions que nous l'avons vu accomplir dans les albums de Hergé. Sa mémoire est celle d'un corpus, non d'un corps : aucun souvenir, aucune allusion, ne renvoie à un entre-deux-livres, moins encore à un événement antérieur à Tintin au pays des Soviets... »

 

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L’ouvrage abondamment illustré est complété par la liste de près de 225 œuvres et références bibliographiques citées. Il permet, en conclusion, d’affirmer que « Tintin est bien un héros de polar et que Hergé est un des précurseurs de la bande dessinée policière européenne, sinon mondiale. Le mélange d'humour et de suspense qu'il distille dans ses récits tient toujours les lecteurs du 21ème siècle en haleine et continue d'inspirer des générations d'écrivains et d'auteurs de polars. En outre, l'extraordinaire actualité des thèmes qu'il aborde, dont certains frôlent parfois la prémonition, rend son œuvre indémodable. »

 

Tintin au pays du polar est une invitation à la relecture de l’œuvre de Hergé avec des yeux de passionné,es des romans policiers d’hier et d’aujourd’hui, toute nationalité des auteur,es confondue.

 

 

Appréciation générale : *****

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