Victor Guilbert. – Brouillards. – Paris : Hugo Thriller, 2023. – 268 pages.
Polar
Résumé :
Marcel Marchand, excentrique espion des
services secrets français, est assassiné par des agents de la CIA dans
l’immense réserve d’accessoires d’un célèbre théâtre de New York : le Edmond Theater.
Avant de mourir, il a eu le temps de
dissimuler, dans le fatras de décors et accessoires de scène, un mystérieux
objet que la CIA comme la DGSE [Direction générale de la Sécurité extérieure] veulent
récupérer. Suspectant que l’identité de nombre de leurs agents est tombée entre
les mains des renseignements américains à cause de cet espion décédé soupçonné
de trahison, les services secrets français veulent envoyer un inconnu hors du
circuit pour récupérer l’objet caché.
Or, Marchand a eu le temps de griffonner un
nom avant de pousser son dernier soupir: « Boloren ». Comme le nom de cet
ancien flic, Hugo Boloren, qui s’ennuie dans sa formation de zythologue («
c’est comme œnologue, mais pour la bière ») dans un petit village de montagne.
Le colonel Grosset, haut gradé de la DGSE et cousin de l’ancien commissaire
d’Hugo Boloren, va donc le convaincre de partir à New York, de s’infiltrer dans
le Edmond Theater, d’identifier et de
récupérer l’objet caché.
À son arrivée, Hugo va découvrir le monde
étrange de ce théâtre de Broadway dirigé par une équipe de Français aux
nombreux secrets… L’intransigeant Felix, le gardien trisomique de la réserve
d’accessoires, un directeur exhibitionniste, une régisseuse qui ressemble à
Mary Poppins, un éclairagiste aveugle, un perroquet alcoolique, une vieille
actrice qui a perdu la tête, un janitor de Harlem qui parle français avec
l’accent d’un lord anglais, sans compter Clara Colombo, l’agent de la DGSE à
peine majeure qui veille sur Hugo de loin, et Germain Jary, l’ancien consul qui
tire les ficelles dans l’ombre…
Toute cette petite foule évoluant dans un New
York plongé dans une brume inquiétante et tenace dont on murmure qu’elle ne
serait pas totalement naturelle. Et même si le colonel Grosset lui rappelle que
sa mission se limite à retrouver l’objet caché et le rapporter en France, la
petite bille qu’Hugo a dans la tête lui souffle de regarder plus loin.
Qu’est-ce qu’un agent de la DGSE faisait dans le sous-sol de ce théâtre ?
Pourquoi tout le monde est intéressé par cette montagne d’accessoires
poussiéreux ? Est-ce vraiment un agent de la CIA qui a assassiné Marcel
Marchand ? Pourquoi a-t-il écrit ce nom de « Boloren » avant de mourir ? Hugo
va avancer à tâtons dans le brouillard de son enquête, dans le brouillard de sa
vie personnelle et dans le brouillard de la ville de New York… Alors qu’au
milieu de ces brouillards, la tragédie s’apprête à frapper Hugo Boloren de
plein fouet.
Commentaires :
Avec Brouillards,
j’ai fait une agréable découverte de cet écrivain dont les deux précédents
romans (Douve, 2021 et Terra nullius, 2022) ont été récompensés
par trois prix. Un polar au titre énigmatique dont l’action est campée dans la
ville de New York, « la ville du
fric et de la décadence », enveloppée dans une brume épaisse,
métaphore du contexte de l’enquête de l’ex-policier français Hugo Boloren. Dans
cette ville où, à une époque, « des
artistes utopistes […] rêvaient d'être
les prochains Andy Warhol. Aujourd'hui [peuplée] de businessmen qui rêvent de pouvoir en accrocher un chez eux. »
Avec en fond de scène, le brouillard opaque invasif dans la mémoire de sa mère,
tel un « cep de vigne ».
Victor Guilbert nous livre un thriller d’atmosphère qui prend son élan à partir du quatrième chapitre. Au cœur de Broadway et de ses théâtres, s’y installe progressivement une brochette de protagonistes aux noms et aux surnoms inspirés de personnages légendaires :
- Colombo, de la série télévisée policière américaine dont le rôle-titre est interprété par l'acteur Peter Falk, inspecteur de police en apparence un peu simplet, brouillon et laborieux, mais qui se révèle en fait très intelligent, perspicace et obstiné ;
- Merlin l’enchanteur ;
- James Bond, l’espion des services secrets britanniques au matricule 007 ;
- Mary Poppins, personnage créé par l'écrivaine australienne Pamela L. Travers ;
- Tristan personnage du cycle arthurien, héros de la légende de Tristan et Iseut, mythe littéraire médiéval normand ;
- Lancelot, personnage du cycle des romans de la Table ronde.
Ainsi que des références à des productions théâtrales
mythiques comme Harold et Maude de
Colin Higgins, une adaptation du scénario du film réalisé en 1971 par Hal Ashby,
Macbeth, tragédie de William
Shakespeare et Bérénice, tragédie
historique en cinq actes et en vers de Jean Racine présentée pour la première
fois le 21 novembre 1670.
Sans oublier certains dramaturges célèbres :
Sacha Guitry, Marcel Pagnol et Anton Tchekhov.
Cette enquête sur l’assassinat d’un certain Marcel
Marchand, amateur de chaussettes sur mesure de grands couturiers, baigne dans l’univers
de la production d’œuvres destinées à être jouées par des acteurs, un
microcosme que l’auteur connaît bien étant lui-même entre autres auteur de
théâtre.
Le tout écrit dans un style imagé comme en
témoignent les quelques exemples suivants :
« …
chercher une aiguille dans une botte de
foin elle-même dissimulée dans la brume. »
« …
craquement caractéristique de la
languette de métal [d’une canette] cédant
sous la pression de la goupille. »
« …
Clara qui s’en va conclure sa
surveillance brumeuse sur le trottoir d’en face » pour « faire le pied de grue dans cette grande vapeur
humide. »
« Il a l’air de plus en plus petit au fur et à
mesure qu’il se rapproche. »
« C’est le pouvoir ambigu des lieux de vie
quand ils sont vides. »
« On y distingue les phares des voitures qui
avancent prudemment en kIaxonnant et les écrans en hauteur dont les images
tentent aussi bien que mal de jaillir, mais qui ne parviennent à diffuser
qu'une palette de couleurs baveuses. »
Cette histoire bien ficelée est non dénuée d’humour :
« C’est une drôle de sensation d’être dévisagé
par un aveugle »
« Si seulement je savais parler aussi bien que
je me tais. »
« …
lorsque les rats commencent à sortir de
leur cachette, c’est que la maison est sur le point de s’effondrer. »
Elle nous permet d’ajouter à notre vocabulaire deux néologismes intimement associés à la résolution de l’énigme :
- « preudères » : « contraction de ‘’première’’ et ‘’dernière’’ parce que ce sont à la fois des soirs de première et de dernière » ;
- « janitor » : homme à tout faire, concierge et majordome.
Et que dire de cet instant magique, symbole de l’émergence de l’identification du coupable,décrit dans ces quelques lignes, véritable ouverture et fermeture de rideau de scène avant le moment de vérité et admirablement bien représenté par la photo sur la couverture de première :
« … de l'autre
côté de la rue, une fissure dans le brouillard dense qui s'étend
progressivement à la verticale. Le bloc de fumée grise se détache depuis le
trottoir, et derrière la déchirure lumineuse qui croît vers le ciel, apparaît
un immense bâtiment aux murs beiges constellés de fenêtres rectangulaires.
Entre ces rideaux gris vaporeux qui s’ouvrent sur ce spectacle hypnotisant, le
colosse urbain magnifique se dévoile à la poignée de spectateurs privilégiés à
ses pieds. Nous avons à peine le recul suffisant pour deviner le sommet d'où
s'échappe une antenne pointée vers le bleu céleste inédit.
Du fond de mon
inconscient qui en sait plus sur les États-Unis que moi, remonte un nom qui se
déploie comme une évidence : Empire State Building.
Voilà comment se
nomme ce grand immeuble qui se dresse devant nous. Magistral, austère,
silencieux. Je me laisse submerger par le gigantisme et la prestance de ce
gratte-ciel emblématique, cette vieille dame new-yorkaise au charme
grandiloquent. Nous nous abreuvons tous, tant qu'il est possible, de cette
parenthèse d'espace grandiose.
Nous nous abandonnons
à un peu de visibilité à perte de vue.
Puis les rideaux se
referment, le stratus se reforme, les deux côtés des brouillards se mélangent.
L'apparition disparaît, nous laissant hébétés, à ses pieds bétonnés. Les
regards s'échangent, pleins de mélancolie et de soupirs complices. Un mélange
de bonheur d'avoir assisté à ce spectacle privilégié et de lassitude d'être de
retour dans ce nuage qui s'éternise. C'est vertigineux, cet enfermement sans
rempart qui ruine le moral. »
Envers et contre tous et bien malgré lui, Hugo
Boloren conclura son enquête à la manière d’Hercule Poirot, le détective belge
de fiction imaginé par Agatha Christie, dans une mise en scène théâtrale
rassemblant tous les acteurs (ou presque) de l’histoire pour dévoiler ses
différentes hypothèses et livrer la solution finale au moment où « la brume se dissipe alors que l’étau se
resserre. »
En épilogue, le rideau tombe sur une finale
dont le mystère s’éclaircit à la lueur d’une conversation entre le peintre
Claude Monet et le dramaturge Sacha Guitry à propos du sort du décor de La Cigale, pièce de théâtre français d’Henri
Meilhac et Ludovic Halévy créée à Paris au théâtre des Variétés le 6 octobre
1877 qui a connu son heure de gloire jusqu’au début du XXe siècle.
Brouillards est un roman
intelligent qui rend hommage à sa manière au monde du théâtre en mettant en
vedette un enquêteur zythologue (expert en bières) fort sympathique. Un
personnage théâtral qui « …soupçonne
souvent les gens qui se taisent d’être ceux qui ont le plus à dire » que
vous aurez certainement comme moi le plaisir d’accompagner dans des « … zones de brouillard qui résistent encore au
débrumage ». Une enquête bouclée avec brio baignant dans une ambiance qui
entretient la peur parce que « … la
brume est un mur étrange, un mur qu’il est possible de traverser. Mais sans qu’on
sache où ça nous mène. »
Merci aux éditions Hugo Thriller pour le
service de presse.
Originalité/Choix du sujet : *****
Qualité littéraire : *****
Intrigue : *****
Psychologie des
personnages : *****
Intérêt/Émotion
ressentie : *****
Appréciation générale
: *****
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