Le chat qui voulait sauver les livres (Sôsuke Natsukawa)


Sôsuke Natsukawa. – Le chat qui voulait sauver les livres. – Paris : Nil, 2022. – 201 pages.

 


Conte

 

 



Résumé :

 

Rintarô Natsuki, lycéen flegmatique, est sur le point de fermer la librairie héritée de son grand-père quand il reçoit une visite inattendue. Au milieu des livres, il découvre un gros chat brun tigré, un chat qui parle ! Et ce félin exprime une requête plutôt inhabituelle : il demande - ou plutôt exige - l'aide de l'adolescent pour aller sauver des livres. Le monde serait en effet peuplé de livres solitaires, non lus et mal aimés que le chat et Rintarô se doivent de libérer de leurs propriétaires négligents.

 

Le duo atypique se lance alors dans une quête périlleuse au cœur de labyrinthes extraordinaires....

 

 

Commentaires :

 

Si vous aimez les livres, les librairies, les bibliothèques... et la littérature, vous trouverez matière à réflexion sur le pouvoir des livres dans ce conte philosophique japonais, le parcours initiatique et de développement personnel d’un adolescent héritier de la librairie d’occasion de son grand-père. Un court opus en quatre chapitres qui prennent presque la forme de quatre nouvelles sur un même thème : l'importance des livres dans notre vie, ce qu'ils nous apportent au quotidien, leur valeur intellectuelle et de divertissement, et même l'impact qu’ils peuvent avoir sur notre individualité.

 

L’ouvrage est divisé en quatre chapitres au cours desquels le protagoniste, Rintarô Natsuki, voyage de dédale en dédale en compagnie de Sayo Yuzuki, la déléguée de sa classe, dans un environnement fantastique de mondes parallèles sous s’impulsion du chat Tigre replet et à la voix rugueuse qui veut sauver les livres. Une incursion dans l’univers de personnages qui n’aiment pas les livres, microcosmes desquels il semble ressortir comme d’un rêve, prenant conscience, à chaque étape, de ses forces, apprenant à mieux se connaître, à savoir ce qu'il souhaite être et devenir.

 

Première confrontation : Celui qui enfermait les livres.

 

Un lecteur qui veut tout lire, qui ne prend pas le temps d'apprécier ses lectures et qui refuse de relire un livre. Un homme qui enferme ses livres dans des bibliothèques vitrées. Très occupé, il n’a « encore lu que soixante-cinq volumes » sur la centaine qu’il dévore habituellement chaque mois. Lui qui possède 57 622 livres. Il n’a pas le temps de relire plusieurs fois le même ouvrage parce qu’il y a « dans ce monde une montagne de textes. Un nombre incalculable d’œuvres [qui] ont été composées par le passé et continuent de l’être au présent. » Pour lui, « une personne ayant lu vingt mille livres aura plus de valeur qu’une autre ayant lu dix mille. »

 

Deuxième confrontation : Celui qui découpait les livres.

 

Un chercheur qui pense que pour pouvoir lire plus de livres, il faut lire des abrégés au lieu de lire l'intégralité des œuvres. Aussi, maltraite-t-il les livres en les découpant pour les résumer. La lecture rapide n’étant pas suffisamment efficace, il s’est donné comme mission de publier des synopsis offrant la possibilité d’assimiler une centaine d’œuvres par jour et permettant aux « histoires en voie de disparition de laisser une trace sur notre époque moderne, tout en satisfaisant les attentes de ceux qui souhaitent assimiler des chefs-d’œuvre dans un temps limité. » Ce passage m’a fait sourire alors que je venais de lire un article publié le 20 juin 2023 dans le journal Le Devoir de Montréal et intitulé Le Québec fait-il encore trop de livres ?

 

L’interlocuteur imaginaire de Rintarô Natsuki, qui considère sauver les livres en les découpant, se justifie ainsi :

 

« Le synopsis est une sorte de résumé. Les personnes maîtrisant déjà la technique de la lecture rapide pourront encore maximiser leur vitesse de lecture en se procurant des synopsis ou résumés ne retenant que l'essence du texte. Bien sûr, un tel synopsis devra être dépourvu de tout terme technique, de toute tournure stylistique particulière ou de tout idiome savoureux.

 

Il conviendra de dépouiller l'écriture de toute individualité, de s'en tenir à des expressions banales et de peaufiner minutieusement le tout afin de le rendre facile à digérer. Ainsi, une œuvre dont la lecture prenait auparavant dix minutes n'en prendrait plus qu'une, par exemple. »

 

Dans ce chapitre, Sôsuke Natsukawa glisse une comparaison intéressante entre la musique et la lecture :

 

« La musique trouve sa place un peu partout dans notre quotidien : dans l'autoradio d'un chauffeur, le lecteur portable d'un piéton, la radiocassette d'un laboratoire, prête à nous apaiser à tout moment. Mais il n'en va pas de même avec les livres. On peut faire son jogging en écoutant de la musique, mais pas en lisant un livre. Je peux poursuivre mes recherches en savourant la Neuvième de Beethoven, mais je ne puis écrire d'essai tout en dévorant le Faust de Goethe. Cette loi aussi naturelle que pathétique est la raison profonde du déclin de l'écrit. Si je me consacre corps et âme à la recherche, c'est afin de secourir les livres promis à ce triste destin. »

 

Il en profite également pour égratigner le milieu académique japonais :

 

« Le monde croule sous les distinctions académiques. Le Japon est peuplé de « professeurs ». Essayez donc de crier ce mot, et vous verrez pas moins de quatre universitaires sur cinq se retourner, chacun avec le titre de professeur dans son domaine de recherche. De l'expert en lecture rapide à celui en sténographie, ce ne sont pas les professeurs qui manquent, ici. Chaque nouveau domaine d'étude apporte son lot de professeurs, qu'il s'agisse de rhétorique, de syntaxe, de style, de phonologie, de typographie ou encore d'évaluation de la qualité du papier. Vous aurez plus de chances d'isoler un non-professeur que d'identifier un professeur en particulier

 

Troisième confrontation : Celui qui liquidait les livres.

 

Un éditeur qui pense que seuls comptent les livres qui vont se vendre, les nouveautés, les livres qui n'imposent aucune réflexion. Un homme qui aime mal les livres, à la tête de « la Plus Grande Librairie du Monde, première maison d’édition à l’échelle de la planète ».

 

Sa pensée se résume ainsi :

 

« Nous sommes une grande maison d'édition. Chaque jour, nous fabriquons des montagnes d'ouvrages, que nous vendons à la société. Avec l'argent ainsi récolté, nous fabriquons encore plus de livres, que nous vendons à leur tour. Plus et plus et plus nous en vendons, plus nous accumulons d'argent. »

 

Pour lui, le livre est un bien de consommation...

 

 « Mon travail consiste à faire en sorte que ce bien soit consommé par le plus grand nombre à travers le monde. C'est un travail que je ne pourrais accomplir si je disais simplement aimer les livres. Quoi qu'il en soit. »

 

... qui doit répondre à ce que demande la société...

 

« Si nous publions des livres, ce n'est pas dans un but de transmission. Nous publions les livres que réclame la société. Peu importe le message à faire passer ou la philosophie à transmettre aux générations futures, les vérités cruelles ou complexes à révéler. Ce n'est pas ce qu'attend la société. Ce qu'ont besoin de savoir les maisons d'édition, ce n'est pas « ce qu'il faut transmettre au monde », mais « ce que le monde veut qu'on lui transmette. »

 

... ou les lecteurs...

 

« Pour les lecteurs cherchant juste le frisson, il n'y a pas mieux que des descriptions explicites de scènes violentes ou érotiques. Pour les personnes dépourvues d'imagination, il suffira d'ajouter la mention « histoire vraie » pour augmenter les ventes et faire grimper le chiffre d'affaires. »

 

... car seules comptent les ventes :

 

« Plus personne ne s'intéresse à la vérité, la logique ou la philosophie. Tout le monde est fatigué de vivre et ne demande qu'à être diverti et apaisé. Pour subsister dans une telle société, le livre doit s'adapter. [...] Peu importe le chef-d'œuvre, s'il ne se vend pas, il est condamné à disparaître [...] « ce n’est pas la profondeur [des] sentiments qui déterminera la valeur des livres. C’est le nombre d’exemplaires tirés. »

 

Quatrième confrontation : L’ultime dédale.

 

Dans ce dernier chapitre, après avoir argumenté avec le lecteur, le chercheur et l’éditeur pour les convaincre d’aimer véritablement les livres, le jeune Rintarô Natsuki décode finalement le leitmotiv de son grand-père sur le pouvoir des livres, « celui de la compassion » [...] « qui apporte courage et soutien à beaucoup de gens » :

 :

 

« Les livres nous apportent savoir et sagesse, valeurs et opinions, et bien d'autres choses. Apprendre de nouvelles informations est un plaisir, et il n'y a pas plus exaltant que de découvrir les choses sous un angle neuf. Pourtant, j'ai toujours senti qu'ils devaient abriter un pouvoir plus puissant, plus précieux encore. »

 

« Les livres nous donnent à lire les pensées de milliers de gens. Qui éprouvent de la souffrance, de la tristesse, du bonheur, de la gaieté... En découvrant leurs histoires et leurs propos, en ressentant leurs émotions, nous apprenons à connaître le cœur de notre prochain. À travers les livres, nous pouvons comprendre non seulement le cœur des membres de notre entourage, mais aussi celui de personnes habitant un tout autre monde. »

 

Dans cette apologie du livre et de la lecture, Sôsuke Natsukawa grossit jusqu’à la caricature certains lecteurs ou éditeurs en menant une charge contre les littératures populaires, dont entre autres les mangas, en idéalisant les livres, les lecteurs et l’écosystème de la littérature. Surprenant pour un auteur japonais, il met en évidence de nombreux livres de culture occidentale, de grands classiques de littérature et de philosophie. Mais ne cite aucun auteur de sexe féminin !

 

Le chat qui voulait sauver les livres dans l'esprit du Petit Prince de Saint-Exupéry se caractérise par une écriture simple dans un style presque épuré, à la japonaise, au rythme lent, au scénario répétitif d’un chapitre à l’autre.  

 

À noter la splendide couverture et le rappel du chat de l’arrivée, la présence et le départ du matou en quête de la force de Rintarô pour libérer les livres, présent dans la mise en page.

 

Médecin né à Osaka, Sôsuke Natsukawa est l'auteur de plusieurs romans dont Kamisama no Karute qui a reçu les prix Shogakukan Fiction et Japan Bookseller Award et qui a été adapté au cinéma. Le chat qui voulait sauver les livres, un succès de librairie, au Japon et à l’international, a été traduit dans 36 langues.

 

 

Originalité/Choix du sujet : ****

Qualité littéraire : ****

Intrigue :  ***

Psychologie des personnages :  ****

Intérêt/Émotion ressentie : ****

Appréciation générale : ****