Impunité – La Nyctale (Claude Fleury)


Claude Fleury. – Impunité – La Nyctale. – Paris : Hugo-Roman, 2023. – 451 pages.

 



Polar

 

 


Résumé :

 

Sur les rives de l’Atlantique Nord, en Europe, au Massachusetts, d’horribles tueries de masse déciment systématiquement les descendants des généraux et des gouverneurs responsables de la déportation des Acadiens. Ces crimes collectifs d’innocents, commis avec une rare audace 260 ans plus tard, confondent les enquêteurs. Obstinée, Sarah Donnelly, une inspectrice britannique, parvient à établir les liens qui unissent ces affaires sordides. Mais le cerveau de l’opération, François Broussard, a-t-il agi seul ? Le récit épique de la folie d’un homme obsédé par l’impunité. Sans justice, le désir de vengeance ne s’éteint jamais !

 

 

Commentaires :

 

Impunité – La Nyctale est un polar original, hors du commun, par sa structure qui, tout au long de 30 chapitres sur 33, dévoile progressivement au lecteur le détail des meurtres massifs en série successif.

 

Original aussi par l’implication d’un généalogiste de profession, François Broussard, « titulaire d'un doctorat en histoire de l'Université de Moncton […] également président de l'entreprise Famycom International dont le siège social est à Halifax. L'entreprise, spécialisée en recherches généalogiques et regroupements familiaux, possède des filiales à Boston, Londres et Paris. Depuis sa fondation, Famycom International a organisé plusieurs centaines de regroupements familiaux… ». Un protagoniste surnommé le « Vengeur acadien » qui a imaginé des « pactes d’extinction » pour venger ses ancêtres victimes du « Grand dérangement », la déportation de plus de 12 000 Acadiens entre 1755 et 1763 dont environ 8 000 mourront avant d'arriver à destination à cause des épidémies, du froid, de la malnutrition ou des naufrages. Et les Micmacs, le peuple autochtone allié des Acadiens pendant la Guerre de la conquête, en partie exterminés par une épidémie de petite vérole propagée par la distribution par les militaires anglais de couvertures infectées.

 

Claude Fleury a inscrit sa fiction dans une réflexion sur les génocides commis par le passé dont, entre autres, ceux des Arméniens (1915-1923), les Assyriens (1915-1918) et des Grecs du Pont-Euxin (1916-1923). Il nous livre un roman intelligent, un tourne-page ingénieux et pédagogique qui nous transporte des provinces maritimes canadiennes (Halifax, Renous et Moncton) aux états de la Nouvelle-Angleterre (Amherst et Boston) jusqu’en Angleterre et en Suisse, en passant par Saint-Pierre-et-Miquelon, Paris et Tbilissi.

 

La Nyctale, le symbole de la résistance du peuple acadien, cache également une autre image emblématique dans cette guerre contre l’Impunité menée par François Broussard qui justifie son action et celle de ses « associés » en s’appuyant sur l’article 7.1 a) du Statut de Rome de la Cour pénale internationale qui définit les crimes contre l’humanité comme étant des meurtres « commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque. »

 

Ce roman aux ascendants historiques ponctué de coups d’éclat meurtriers fait référence aux militaires britanniques adulés par les Anglais d’Angleterre et des États-Unis et détestés par les Acadiens : Charles Lawrence, Robert Monckton, Jeffery Amherst, William Shirley, John Winslow et James Murray.

 

Il faut souligner la qualité d’écriture et le style fluide de ce pavé très documenté de près de 450 pages qui se savoure avec délectation, le personnage principal se révélant plutôt sympathique malgré l’horreur qui découle de sa sombre machination vengeresse.

 

Quelques exemples :

 

« En prison, les jours d'hiver s'écoulent avec une insoutenable lenteur. Le blanc de la neige et le froid rivalisent de monotonie, accentuant la grisaille du pénitencier. Les détenus ont l'impression de vivre sous terre, dans une immense termitière gelée et démoralisante. Au-delà des murs d'enceinte, les arbres immobiles qui flanquent les contours des champs ont l'apparence de spectres grisâtres, même quand le soleil luit. Le bleu du ciel, lui-même si vif en été, blanchit au-dessus de la ligne d'horizon. La poudrerie balayant les champs agite les têtes de broussaille givrées, comme de tristes pendules qui rythment les secondes. »

 

Ou cette description des lendemains de la déportation :

 

« Ferme tes yeux ! Je vais te faire revivre en images ce que Jeanne et sa fille ont apparemment traversé, à leur retour au village : d'abord ce silence, un silence de mort, terrible, entrecoupé des bruissements sporadiques du vent d'automne dispersant les fumées éparses des maisons incendiées. Une odeur fétide, celle des carcasses d'animaux morts, mais aussi celle des corps en décomposition des habitants ayant résisté à leur déportation.

 

Des chiens errants, cherchant en vain leurs maîtres. Des vaches qui meuglent de douleur, car il n'y a plus personne pour les traire.

 

Des objets abandonnés jonchant le sol et rappelant avec émotion la vie qui animait le village. Peu à peu, l'espoir de retrouver une âme vivante disparaît, au cœur de cette vision d'apocalypse. Il ne restait plus rien : son mari, ses enfants, ses proches, tous disparus à jamais ! Jeanne doit s'être effondrée, totalement désemparée, ne sachant plus où aller, résignée à mourir, pressant la tête de sa fille en pleurs contre sa poitrine. C'est ainsi que j'imagine sa souffrance, sa dévastation. »

 

Celle d’une scène de crime :

 

« L'inspectrice poursuivit son examen de la scène du drame, en prenant bien soin de ne pas endommager les restes humains.

 

Elle songea aux difficultés qui les attendaient pour identifier les soixante-dix victimes. Toutes étaient méconnaissables. Leur peau calcinée était noirâtre, épaisse, desséchée. Certaines dépouilles s'étaient craquelées lorsque les cavités intestinales avaient éclaté.

 

Les viscères eux-mêmes avaient un aspect cuit, spongieux, déshydraté. Le sang répandu autour des corps s'était transformé en une pâte rougeâtre. Et partout, cette odeur abominable qui prenait à la gorge. »

 

Et celle décrivant la démesure du territoire nord-côtier québécois :

 

« … les rivières immenses aux berges sablonneuses, les archipels aux sentinelles de calcaire, ainsi que les chapelets d'îles rocailleuses à peine duvetées, comme si les rochers de la Basse-Côte-Nord souffraient de calvitie. Disséminés le long de la rive du Saint-Laurent, les villages côtiers du bout du monde apparaissaient comme par enchantement, sillonnés de trottoirs de bois ou de sentiers recouverts de coquillages concassés, avec de petites maisons blanches disposées sans ordre, comme les traits de pinceaux d'une aquarelle. […] le souffle puissant des baleines et les galipettes des phoques nageant près de l'étrave du navire. […] les cris éraillés des nuées d'oiseaux à la remorque des bateaux de pêche, plongeant sans relâche pour se disputer les poissons rejetés à la mer. »

 

Sans oublier la narration descriptive du naufrage (pages145-146) et de l’incendie (pages171-172), comme si on y était.

 

J’ai également souri en lisant cet extrait de dialogue découlant de la panique de certaines communautés face aux risques de propagation de nouveaux pactes d’extinction :

 

« – Oui, la Ville de Québec a décidé de céder à la pression populaire. Elle a mandaté la Commission de toponymie pour remplacer les noms des rues Moncton et Murray. »

 

Impunité – La Nyctale est un polar incontournable qui laisse la porte ouverte à une possible nouvelle alliance dans cette guerre contre l’Impunité.

 

Claude Fleury est né à Québec en 1954 et réside actuellement à Beaupré. Nomade dans l’âme comme l’ont été ses ancêtres avant lui, ce juriste, documentaliste de formation et curieux de nature a occupé différentes fonctions de gestion dans les secteurs privé et public, principalement dans les domaines des communications, de la culture et des relations internationales. Il a notamment œuvré comme directeur du Bureau du Québec à Barcelone, de 2007 à 2011. Ce globe-trotteur a fait le tour du monde et parle quatre langues. Son vécu personnel et professionnel alimente son imaginaire romanesque.

 

Merci aux éditions Hugo Roman pour le service de presse.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  *****

Appréciation générale : *****



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