André Marois. – La sainte paix. – Montréal : Héliotrope Noir, 2023. – 199 pages.
Polar
Résumé :
Jacqueline et Madeleine vivent chacune de
leur côté de la Mastigouche et, depuis la mort de leurs maris, elles se saluent
de loin chaque jour, sans plus. C’est un arrangement qui leur convient
parfaitement. Alors, quand Madeleine annonce qu’elle a l’intention de vendre sa
maison, pour Jacqueline, c’est une catastrophe. Un nouveau propriétaire
s’incrustera dans le paysage, avec sa famille nombreuse, ou pire, des locations
à court terme ! Et cela, elle ne le supporterait pas. Très vite, la solution
s’impose à Jacqueline : il lui faut tuer Madeleine. Toute mort violente doit
être déclarée par l’agent d’immeuble à des potentiels acheteurs. En plus des
délais de succession, cela devrait retarder suffisamment la vente pour
permettre à Jacqueline de finir ses jours en paix. Certes, c’est extrême, mais
sans risque si rien ne vient contrecarrer son plan minutieux. Un grand-duc ou
un braconnier, par exemple…
Commentaires :
Après Bienvenue
à Meurtreville (2016) et Irrécupérables
(2021) que j’avais beaucoup aimés, André Marois remet en scèce Steve Mazenc,
sergent-détective à la Sûreté du Québec (SQ) en poste à Saint-Gabriel-de-Brandon,
résident de Mandeville dans Lanaudière. Une municipalité qui « a connu un tueur en série soucieux de
l’achalandage des commerces du village […] et qui « a aussi hébergé un homme recherché pour
triple meurtre ». Mandeville, un coin du Québec où on « entend régulièrement des coups de feu même
si la chasse est fermée », où « tout le monde tire tout le temps […] pour le fun. »
Ce polar nous fait accompagner une
septuagénaire plus robuste qu’elle ne paraît dans son parcours meurtrier hors
du commun, dans lequel « on découvre la victime,
on cherche les suspects, on rencontre les témoins » et on espère identifier
le coupable. Péripéties surprenantes et à bout de souffle garanties.
Encore une fois, André Marois nous livre un
récit teinté de l’humour décapant qu’on lui connaît, dans une thématique noire.
Avec une qualité d’écriture et une précision dans les descriptions de ses
personnages et de l’environnement dans lequel il les fait évoluer de saison en
saison, de l’automne au printemps sur les deux rives de la Mastigouche.
Quelques exemples :
« Ça sent l'hiver, même s'il n'a pas encore
neigé. Les feuilles sont tombées et Jacqueline fait chauffer son poêle à bois
depuis une semaine. L'herbe dans la petite prairie en face a jauni. Les
asclépiades ont lâché leurs soies au gré du vent. Les colibris sont repartis
vers le sud avec les monarques et les oies sauvages. Les bêtes qui restent ont
la peau dure et le gras épais. La marmotte galope encore d'un terrier à
l'autre, mais plus pour très longtemps. Une ourse est passée aussi, suivie de
ses deux petits. »
« Il se décroche la mâchoire encore une
fois dans un bâillement digne d’un hippopotame »
Steve
Mazenc qui « ressemble à un artiste
de cirque dans un film en noir et blanc. »
L’agente d’immeuble : « une blonde incendiaire au sourire carnassier, avec des lunettes aux
immenses montures rouges. Un visage qu'on n'oublie pas. Ça doit faire partie de
sa stratégie. »
Ou le rendu du dernier souffle et des
derniers soubresauts de la victime :
« Le corps est suspendu. Il monte en
oscillant. […] Soudain, sa jambe
droite se projette en avant, puis la gauche, comme si elles voulaient frapper
un ennemi. Des mouvements vifs, imparables. Les bras suivent le rythme. [Elle]
semble se débattre, chercher à se
détacher, à s'arracher au supplice en cours, mais non. C'est un réflexe […].
La gesticulation devient spectaculaire,
violente, insoutenable : la fameuse période convulsive, agonique. Il faut
attendre que ça passe. Tout finit par passer. »
André Marois a imaginé un scénario et une
mise en scène efficaces en en concordance avec une réalité sociale québécoise.
Sa tueuse à la recherche de la sainte paix évalue toutes les options à sa
disposition entre l’aide médicale à mourir et le suicide assisté, seconde solution
qui « s’impose alors comme une
évidence », recherches sur Internet à l’appui : « Les statistiques sont éloquentes. Les hommes
se suicident trois fois plus que les femmes. » Mais « Chez les femmes, le taux augmente avec
l'âge, surtout. Le plus élevé s'observe chez celles de cinquante à
soixante-quatre ans, mais celles de soixante-cinq ans et plus restent bien
positionnées. » Quel heureux hasard ! Cette étape franchie, une panoplie de
moyens sont à sa disposition : le poison (ciguë ou arsenic), la noyade, la strangulation (peut-on vraiment s’étrangler
soi-même ?), suffocation (certainement pas au moyen d’un sac en plastique de
chez IGA avec son slogan « Vive la
bouffe ») ou la pendaison, « les
moyens les plus communs pour s’enlever la vie au Québec ». Très
documenté ce thriller n’est-ce pas !
L’auteur en profite également pour se faire
pédagogue en profitant au passage pour signaler les dispositions de la loi
québécoise obligeant le vendeur d’un immeuble à déclarer toute mort violente
qui y a déjà eu lieu sous peine de sanction. Ou en recommandant certains
produits apaisants parmi les centaines offerts par la Société québécoise du cannabis
(SQDC) parce que, comme l’affirme un des personnages d’un âge vénérable : « tout le monde fume et plus personne ne fait
la révolution ». Ou encore sur le type de mélange de sel à utiliser
selon les conditions météorologiques puisque « tout le monde au Québec possède un gros sac de sel à déglacer dans son
entrée ou son garage. »
Les 18 courts chapitres aux titres évocateurs
sont truffés de scènes loufoques, comme les séances d’auto-interrogatoires que
la criminelle imagine pour affronter les questions pièges du sergent-directive ;
la pratique pour soulever un corps en y substituant « des bûches d’érable bien sèches » ; la démonstration de l’efficacité
du treuil télécommandé du voisin ; la visualisation mentale telle que la
pratiquent les athlètes olympiques…
Au passage, quelques formules nous font aussi
rigoler :
« Ne pas réfléchir : c’est mauvais pour
la performance. »
« J'aime lire le journal papier ; je trouve
que les nouvelles ont l'air plus sérieuses. Ça doit être parce que les
informations sur Internet s'effacent aussi vite qu'elles apparaissent. »
« Trop de nuit, ça nuit. »
Jacqueline Latourette qui « s’exprime posément, avec un accent radio-canadien
presque caricatural » est une meurtrière sympathique. Dans ses déplacements
et ses aller-retour laborieux sur les scènes de crime, on ne peut s’empêcher de
vouloir lui offrir notre assistance pour qu’elle atteigne son objectif sans se
faire prendre. Son auteur faisant d’elle une héroïne quoiqu’elle en pense en
se disant « qu'elle ne pourra jamais
conter ses exploits à personne ! Garder tous ces sinistres souvenirs enfouis en
elle, c'est fâcheux. »
Steve Menzec est égal à lui-même à l’issue de
ses enquêtes. Une pizza végane pourrait l’entraîner en binôme dans une future
aventure, en lien ou non avec la finale diabolique de cette recherche de La sainte paix. Une histoire habilement tricotée
et divertissante étalée sur 200 pages dans un format de livre qui se manipule
bien et dont l’illustration sur la couverture de première résume à merveille l’essence
du récit.
Merci aux éditions Héliotrope pour le service
de presse.
Originalité/Choix du sujet : *****
Qualité littéraire : *****
Intrigue : *****
Psychologie des
personnages : *****
Intérêt/Émotion
ressentie : *****
Appréciation générale
: *****
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