Indépendance (Javier Cercas)

Javier Cercas. Indépendance. – Arles : Actes Sud, 2022. – 340 pages.

 

 


Polar politique

 

 


Résumé :

Melchor quitte provisoirement sa Terra Alta d’adoption pour venir prêter main-forte aux services de police de Barcelone dans une affaire de tentative d’extorsion de fonds basée sur l’existence présumée d’une sextape. L’enquête doit être menée avec célérité et discrétion car la victime est la maire de la ville.

L’inspecteur plonge alors dans l’univers de la haute bour­geoi­sie catalane et de ses rejetons élevés au-dessus des lois. Protégées par un clan qui leur assure une impunité de classe, ces âmes si bien nées connaissent peu de limites et la vie des sans-grades leur est parfaitement indifférente. Sous un vernis de raffinement, ces privilégiés n’ont rien à envier aux prostituées et aux junkies peuplant les bas-fonds qui ont vu naître l’enquêteur. Et quand le chantage est assorti d’une demande de démission de l’édile, il apparaît évident qu’il est le fruit d’une manœuvre politique visant à déstabiliser la mairie pour favoriser quelques intérêts. L’indéfectible intégrité de Melchor est mise à rude épreuve au contact des rouages du pouvoir, là où règnent le cynisme, l’ambition décomplexée et l’arrogance des nantis.

 

Commentaires :

 

Avertissement : cet avis de lecture repose sur un parti pris évident à la cause catalane.

 

En tournant la dernière page, je me suis demandé pourquoi un titre comme « Indépendance » puisqu’à peine quelques lignes dans des dialogues entre personnages font référence au « procés català », l’ensemble les faits sociopolitiques s’étant déroulés à partir de 2012 dans le but de faire émerger un nouveau pays d’Europe : la république catalane. Puisqu’il est surtout question de luttes de pouvoir de chantage politique, de tentative de contrôle des institutions politiques par de grandes familles fortunées, de guerre de pouvoir entre la Generalitat et la mairie de Barcelona (ce qu’une amie catalane m’avait d’ailleurs mentionné lors d’un de mes premiers séjours dans la capitale catalane : le Palau de la Generalitat faisant face à l’édifice de l’Ajuntament).

L’éditeur décrit ainsi le deuxième volet de la trilogie Melchor de Javier Cercas : « Indépendance est un roman furieux qui brosse un portrait sans fard des élites politiques et économiques barcelonaises et vient épingler un mouvement souverainiste qui, en guise d’indépendance, entendrait surtout préserver celle de sa caste. »

 

Dans ce deuxième « tome » de la série Melchor, Javier Cercas m’a semblé vouloir régler des comptes. Avec les grandes familles bourgeoises dont il n’est pas issu : lui-même fils d'un vétérinaire de campagne, d’une humble famille d'émigrés espagnols sympathisants de la dictature franquiste originaires d'Estrémadure qui s'installe à Girona en 1966 où il a pu progresser jusqu'à devenir professeur en philologie à l’Universitat de Girona. Et avec les Catalans, plus particulièrement les indépendantistes, qu’il a certainement déçu, notamment ceux qui l'ont aidé à progresser et à devenir ce qu'il est devenu et qui avaient cru ce qu'il disait avant, quand l'indépendantisme catalan était encore minoritaire. Son œuvre littéraire semble s’inscrire au service de la lutte contre l'indépendantisme, lui qui a déjà publiquement demandé l'intervention de l'armée espagnole pour mettre fin à la démarche catalane. Pendant la période de violence du nationalisme basque, il était de ceux qui disaient que, sans violence, tout pouvait être réglé, déniant par la suite tout droit au mouvement indépendantiste pacifique catalan, comme me le rappelait un ami catalan. Cercas a bien sûr droit à son opinion et le polar, comme genre littéraire, favorise l’intégration de la critique sociale. Mais un lecteur non averti doit en être sensibilisé pour mieux comprendre le contexte de cette fiction proche de la réalité.  

 

Le problème est que dans ce récent opus dont l’histoire se déroule en 2025, Cercas avance des « hypothèses » sans vraiment les appuyer sur un ensemble de données probantes, laissant de côté des événements majeurs tels la violence disproportionnée de la Guardia Civil le jour du référendum, l’emprisonnement et le procès factice des dirigeants catalans et leur libération sans amnistie quelques mois plus tard. C’est un roman, vous me direz. Quand il déclare par personne interposée que « Le Catalan qui ne veut pas l’indépendance n’a pas de cœur ; celui qui la veut n’a pas de tête » et que les « idées, c’est pour les intellectuels, et les idéaux, pour les gens humbles », il faudrait d’expliquer davantage que ce sont ceux qui ont l’argent et le pouvoir qui ont mis « les gens dans la rue », qui ont « transformé la revendication d’une minorité en une revendication de près de la moitié du pays » !

 

Sinon, ce polar politique s’inscrit dans la foulée du précédent, Terra Alta, auquel l’auteur réfère d'ailleurs de manière sarcastique, avec une conclusion qui y était déjà indirectement annoncée. Une histoire sans grand suspense - j’ai identifié à mi-parcours qui était l’auteur du chantage au centre de l’énigme avec une conclusion en catastrophe en épilogue, bien que l’horrible chute demeure imprévisible.

 

À vous de vous faire une tête en attaquant ce roman après avoir lu Terra Alta faisant référence aux terroristes de Cambrils quelques semaines avant le référendum du 1er octobre 2017 pour mieux comprendre le contexte dans son ensemble.

 

 

Originalité/Choix du sujet :
****
Qualité littéraire :
*****
Intrigue :
***
Psychologie des personnages :
****
Intérêt/Émotion ressentie :
***
Appréciation générale :
***