J.L. Blanchard. – La femme papillon. – Montréal : Fides, 2024. – 350 pages.
Polar
Résumé :
Invité par le président de la République,
l’inspecteur Bonneau disparaît dès qu’il met les pieds à Paris. Plus troublant
encore, le chauffeur qui doit l’accueillir à l’aéroport est retrouvé mort dans
le coffre de sa limousine.
Dépêché en France pour élucider ce mystère,
Lamouche fait face à la méfiance de la police locale, qui voit cette ingérence
d’un mauvais œil. Résolu à mener sa propre enquête, il découvre qu’on lui cache
l’existence d’un indice retrouvé sur les lieux du crime : un médaillon qui semble
relier l’affaire à une mystérieuse organisation, l’Ordre des Monarques. Quand
un deuxième cadavre est découvert, affreusement mutilé, la quête de Lamouche
devient une course contre la montre.
Dans cette affaire à l’apparence de complot
international, deux questions s’imposent: par quel fil obscur Bonneau est-il
lié à l’Ordre des Monarques ? Et surtout, quel est le but de cette secte et de
son énigmatique dirigeante, celle que l’on surnomme « la femme papillon» ?
Commentaires :
Est-ce un signe des temps ? Il semble que
certains auteurs québécois innovent en déplaçant en Europe l’action de leurs
thrillers et de leurs polars et, par le fait même, les aventures de leurs
personnages. C’est le cas de Jean-Louis Blanchard qui fait voyager son
inspecteur Bonneau et son adjoint Lamouche à Paris ainsi qu’au bord du lac
Léman à Genève, à Montreux et dans l’abbaye moyenâgeuse du domaine fictif de Montrailles.
« La
femme papillon » est le quatrième tome mettant en vedette le binôme du
service de police de Montréal aux personnalités aux antipodes l’une de l’autre.
Contrairement aux opus précédents, l’enquête « plus classique » est menée
à part entière par le jeune Lamouche, « impertinent, un peu rebelle, mais plutôt futé » alors que son
collègue gaffeur se retrouve isolé dans un lieu qu’il peine à identifier.
L’humour qui a caractérisé jusqu’à présent
cette série y est moins burlesque.
Le récit s’inscrit dans une suite logique de
l’affaire entourant le Le radeau de la Méduse, « un tableau signé Delacroix avait été au cœur d’une
enquête importante que Bonneau et lui avaient menée quelques mois plus tôt »
habilement rappelée dans une scène au Jardin du Luxembourg : Lamouche et
son interlocutrice s’arrêtant devant une des nombreuses sculptures :
« … un buste représentant Eugène
Delacroix ». Aussi en lien avec celle du trésor des Chouans et, par la
bande, de celle des Pélicans.
On y retrouve un Bonneau dont l’accent laisse
croire qu’il est Belge, toujours aussi bougonneur qui, en arrivant à l’aéroport
Charles-de-Gaulle regrette de s’être laissé convaincre de traverser
l’Atlantique…
«
…écrasé de fatigue. Il venait de passer
plus de sept heures, assis bien droit dans un avion, à souffrir de terribles
démangeaisons. À ruminer des pensées terrifiantes. À se demander si le pilote
saurait faire comme le commandant Piché en cas d'urgence. À se convaincre que,
pour le retour, valait mieux prendre le bateau. »
… et
«
… pourquoi avait-il fini par accepter
cette stupide invitation ? Venir à Paris juste pour faire plaisir au président
de la République ! Pire encore : pour un dîner où on lui servirait certainement
des plats immangeables aux noms farfelus ! D'ailleurs, quelle sorte de
conversation pourrait-il même entretenir avec ce politicien dont il ne savait
rien ? Non ! Il se doutait depuis le début que c'était une très mauvaise idée.
La petite voix dans sa tête lui avait répété maintes fois : N'y va pas, Bonneau
! Tu vas te retrouver là comme un pauvre clown ! Comme le phoque dans la
chanson de Beau Dommage. Il avait donc repoussé cette visite pendant des mois,
et regrettait amèrement aujourd'hui d'avoir abdiqué. »
Lui qui a laissé derrière lui sa « chaise vide, [son] vieux bureau encombré de papiers, [son] antique dactylo Remington que plus personne n’utilisait depuis des
décennies » sauf lui-même, sans oublier « le canapé qui […] servait de
lieu de travail » à Lamouche.
Pour celles et ceux qui découvrent l’univers
des personnages imaginés par Jean-Louis Blanchard, l’auteur a également inséré un
court paragraphe permettant de contextualiser la présence de de ce dernier
appelé à « jouer les James Bond »
et qui, « comme à son habitude, choisit
[toujours] de monter par l’escalier
plutôt que par l’ascenseur » :
« Ce jeune blanc-bec n'avait pas encore
franchi la moitié du contrat de douze mois qu'on lui avait accordé, et
pourtant, il prenait ses aises comme si les lieux lui appartenaient. Ou comme
s'il voulait rappeler à son directeur qu'il n'avait jamais été dupe de la
situation : on lui avait offert ce contrat précisément en raison de sa
réputation de casse-pieds, parce que [le directeur] St-Pierre espérait ainsi qu'il pousse l'incompétent Bonneau à la
retraite. Et c'est pourquoi Lamouche s'évertuait depuis à faire passer ce même
Bonneau pour un génie, allant jusqu'à lui attribuer tous les mérites du succès
de leurs enquêtes. »
Parmi la panoplie de
personnages qui interagissent dans cette histoire plutôt abracadabrante, celui
du président de la République qui souhaiterait réussir « un nœud de cravate aussi impeccable que ceux
du roi Charles III » est définitivement haut en couleur. À commencer
par le mouvement conséquent de ses sourcils selon la gravité de la situation
faisant « des vagues au milieu de
son front » ou s’activant « de
bas en haut. »
Au cœur de l’enquête, l’Ordre des Monarques
dont le leitmotiv se résume à cette question existentielle : « Pourquoi vous contenter de rester chenille ? »
adressée à ceux qui souhaitaient « faire
partie d’une certaine élite. Ceux qui se croyaient imbus de sagesse et de
clairvoyance, et qui partageaient la vision d’un monde gouverné par la crème de
l’humanité. » Une organisation secrète dont les activités se
rapprochent de celles de l’Église de scientologie, l’Ordre du Temple
solaire
(OTS), l’Ordre de Rose-Croix, voire la franc-maçonnerie (la cérémonie
initiatique à Montrailles s’inspirant d’ailleurs de cette dernière).
Pour concocter l’intrigue de « La femme papillon », l’auteur s’est
appuyé sur une recherche fouillée sur le phénomène des sectes. On y trouve des
références sur :
·
les
enquêtes réalisées par le Parlement européen ;
·
MIVILUDES,
la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives
sectaires mise en place en France au début des années 2000 pour contrer
l’influence des organisations pseudoreligieuses sur les partis politiques ;
·
l’influence
de certains groupes religieux sur la présidence américaine : « … une image lui revint à l'esprit : celle
d'une dizaine d'évangélistes charismatiques entourant le président Trump dans
le bureau ovale de la Maison-Blanche, au début de son mandat en 2017. Il avait
souri en les voyant ainsi célébrer l'arrivée de leur nouveau messie. »
Alors que les autorités sont à la recherche des
auteurs de la disparition de Bonneau, Jean-Louis Blanchard a glissé parmi les
hypothèses certaines réalités politiques françaises. Un complot …
… des Maliens ?
« Le Mali ! La question qui hantait tout le
cabinet depuis des mois! L'épine dans le pied du président de la République
depuis des années! Que de nuits il avait passées à se poser la question: est-ce
que je retire mes troupes de ce foutu pays, oui ou non? Sommes-nous vraiment en
train d'aider, ou plutôt d'envenimer la situation? Au final, même les groupes
que l'armée française était censée défendre étaient devenus hostiles à sa
présence là-bas. Le Mali... À n'en pas douter, cette hypothèse était non
seulement une piste sérieuse, mais elle semblait la plus logique. »
… des Saoudiens ?
«
… l’assassinat à Istanbul du journaliste
Jamal Khashoggi, que les forces spéciales saoudiennes avaient torturé avant de
le démembrer et de transporter ses morceaux dans une valise. »
… des Afghans ?
Eux qui contrôlaient « la jungle de Calais »
… « la zone du port de Calais où
s’entassaient des milliers de migrants qui espéraient rejoindre le Royaume-Uni »
… « Une véritable mafia ».
… des Barjols ?
Un
groupuscule terroriste d'extrême droite identitaire actif de 2017 à 2018 en
France dont le président « gardait
un souvenir douloureux de ces tristes sires qui avaient fomenté son assassinat
deux ans plus tôt ».
Le tout faisant en
sorte que le scénario imaginé s’inscrit dans un contexte des plus réalistes.
Incluant certaines descriptions de lieux fréquentés par les personnages qui,
après vérification sur Google Street, démontrent à quel point l’auteur est
rigoureux. Comme ce lieu de rendez-vous, le Café Pavane, rue de Vaugirard où
Lamouche « prit le temps de
s’asseoir sur le petit banc de bois, juste à côté de la porte, à l’extérieur. »
Vous apprécierez la narration de certaines mises
en situation plutôt amusantes tel que le long monologue au téléphone de
Louisette, la « petite amie » de Bonneau.
La séquence où Bonneau se croit mort ou qu’il
se retrouve « dans un endroit de la
Turquie où l’on parlait français », contraint d’utiliser des « toilettes turques » dont il ignore les
caractéristiques :
« On aurait dit un enclos sans porte, ou
mieux: un box à chevaux, limité d'un côté par le mur de pierre, et de l'autre
par le panneau latéral en bois. Près du mur du fond se trouvait une pompe
manuelle qui servait vraisemblablement à tirer l'eau d'un puits souterrain. Par
terre, un trou d'à peine quinze centimètres de diamètre, duquel émanait une
odeur nauséabonde. »
Ou encore quand il utilise des livres et une
bibliothèque pour tenter de s’évader en s’inspirant d’un de ses héros du
septième art :
« … il ne cessait de fixer la fenêtre en
ogive, quatre mètres plus haut. S'il pouvait grimper jusque-là, il arriverait
peut-être à s'échapper de cette manière? Mais comment faire pour briser la
vitre sans faire de bruit? Il se rappela que dans un film qu'il avait vu à la
télé des années auparavant, Sean Connery réussissait à tordre une pièce de
monnaie entre ses dents pour en faire un coupe-verre. Mais voilà: on ne lui
avait rien laissé, pas même un dix cents! Et il n'était pas certain non plus
que sa dentition soit aussi solide que celle de Sean Connery. »
Une mention spéciale pour le masque vénitien que
Lamouche porte dans une réception au manoir de Montrailles : « celui de Scaramouche, popularisé par la
commedia dell arte » et la scène avec les deux gendarmes.
Évidemment, le dîner à l’Élysée, dans le
Salon d’argent, amusant lui-aussi, à l’occasion duquel le président fait des
confidences croustillantes alors qu’on leur sert un « Pol Roger 1988 […] cuvée Sir
Winston Churchill », leur « dernière
bouteille » pour accompagner le plat préféré de Bonneau qui « porte
son nom » (à vous de le découvrir), garni « des cornichons, des radis forts, pis un peu de fèves au lard pour
donner un p’tit goût canadien. »
Impossible de ne pas citer cette réplique du
président : « il me tardait de
vous rencontrer ! Il est rare que j'aie le privilège de partager ma table avec
quelqu'un qui ait autant de panache que vous ! » qui amène Bonneau à se rembrunir : « Cette
comparaison avec un orignal ne lui disait rien de bon. »
D’autant plus que « dans le salon où on l'avait conduit, Bonneau [avait attendu] sans bouger d'un poil. Le smoking qu'on lui
avait suggéré de porter s'avérait aussi contraignant qu'une camisole de force.
Au milieu de ce décor grandiloquent, il se sentait plus que jamais comme le
phoque de la chanson, bien loin de sa banquise. »
On se régale aussi de certaines descriptions,
comme dans ces exemples :
L’ambassadeur
du Canada à Paris qui « s’exprimait
avec un niveau d’articulation qui frisait la caricature ». « Une fois son boniment terminé, sa tête
hochait toujours, comme s’il réécoutait en écho les paroles qu’il venait de
prononcer et voulait s’assurer qu’il avait su y insuffler le niveau d’émotion
désiré » … « ce qui était
toujours pour [le président] un
exercice long et pénible ».
Ou,
selon Lamouche, « … les Parisiens
ont vraiment des goûts étranges. Et c’est justement à Paris qu’on en trouve le
plus. »
« Qu’ils soient de gauche ou de droite,
rappela le premier ministre, les extrémistes ne réfléchissent pas toujours au
moment où ils commettent leurs méfaits. »
« …
il ouvrit la fenêtre toute grande et
admira un moment le tableau qui s’offrait à lui sous ce soleil matinal. Le
Louvre majestueux, les ponts de Paris et bien sûr la Seine, dont l’eau
miroitante semblait danser sur un air de java. »
Un incontournable pour une enquête sur le
territoire de l’Hexagone : des clins
d’œil à l’usage d’expressions anglaises, ici dans le milieu hôtelier : « C’est pour un check in ? » … « C’est pour un check out ? »
Et lorsque
Bonneau qui baragouine l’anglais se retrouve
face à un Carrefour Market : « Ceci l’embêta considérablement. Carrefour
était un mot indubitablement français, mais Market, ça sonnait pas mal anglais… »
J’ai aussi souri chaque fois que dans le but
de se conforter, le président se référait à des citations de certains de ses
prédécesseurs :
·
Sarkozy
« Pour être président de la
République, il faut être calme ».
·
Chirac :
« Il y a, dans le peuple français,
des trésors d’intelligence, de combativité et de vertu ».
· Mitterand : « Ma patience est faite de mille patiences » et « Il y a un avenir pour ceux qui pensent à l’avenir »
·
De
Gaulle « La gloire se donne
seulement à ceux qui l’ont rêvée ».
Quant aux réflexions de l’oncle Archibald, le
frère du père de Lamouche dont le fantôme hante aussi les trois autres romans,
qui inspirent ce dernier…
·
« …
la convoitise fait commettre bien des
crimes et croire bien des sottises ! »
·
« Quand le chacal se croit en danger, il lève
les yeux et en oublie momentanément sa proie. »
·
« Vous aurez beau couper le ver et en faire
disparaître une partie, l’autre bout finira tout de même par bouffer la pomme ».
… elles alimentent le désir qu’un jour
Jean-Louis Blanchard nous fasse découvrir ce personnage dans des aventures tout
aussi insolites que sa série Bonneau/Lamouche.
Vous adorerez « La femme papillon » (je vous défie de découvrir la véritable
identité avant Lamouche) dont le scénario repose sur une « … légende concernant des tableaux qui auraient
été cachés par les moines cisterciens pendant la guerre afin qu’ils ne tombent
pas entre les mains des nazis ». Et vous en connaîtrez le sort au
moment où Bonneau, toujours égal à lui-même, se retrouvera dans un capharnaüm indescriptible :
« Il devait se contorsionner pour contourner
ces obstacles, ou pour passer par-dessus des rouleaux empilés au sol. Il s’arrêta
devant une toile encadrée, appuyée contre la paroi rocheuse, sur laquelle était
peint un simple vase contenant des fleurs de tournesol. Des dessins
d’enfants, décréta-t-il en soupirant profondément. »
Les polars de Jean-Louis
Blanchard sont incontournables pour qui s’intéresse aux littératures du
crime au Québec. « La femme papillon »,
n’y échappe pas. L’imagination débordante de l’auteur nous laisse espérer de
futures lectures à la fois enrichissantes et divertissantes pour nous faire
oublier les véritables histoires d’horreur qui alimentent au quotidien les
médias.
Merci aux éditions Fides pour le service de
presse.
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Originalité/Choix du sujet : *****
Qualité littéraire : *****
Intrigue : *****
Psychologie des
personnages : *****
Intérêt/Émotion
ressentie : *****
Appréciation générale
: *****