Babylon Berlin (Arne Jysch)


Arne Jysch. – Babylon Berlin. – Grenoble : Glénat, 2019. – 214 pages.

 


Bande dessinée

 

 


Résumé :

 

Berlin. Dans les années 1920, alors que l’Allemagne connaît de graves difficultés économiques et politiques, la naissance de la République de Weimar se fait au rythme de la corruption, du trafic et du scandale. À la suite d’un malencontreux homicide involontaire dans une période où le pays connaît des changements radicaux, l’inspecteur Gereon Rath est muté de Cologne à Berlin. Il se heurte alors à une enquête criminelle liée aux cercles de la nuit. En fréquentant la vie nocturne berlinoise, Roth va vite se rendre compte qu’ici, on ne peut faire confiance à personne. Pas même la police.

 

 

Commentaires :

 

Belle découverte que cette adaptation en images par Arne Jysch de la première des six enquêtes du commissaire Rath, le roman « Le poisson mouilléDer nasse Fisch » de Volker Kutscher, Babylon Berlin de Arne Jysch sur lequel j’avais publié un avis de lecture en novembre 2023. Avec un titre bien choisi, la ville de Berlin de la fin des années 1920 associée à la Babylone antique, symbole de la déchéance et de la perversion dans la jeune République de Weimar.

 

Cette version graphique en noir et blanc « avec ses nuances d'aquarelle granuleuses » du roman de Kutscher traduit bien l’atmosphère tendue des quartiers malfamés de la cité et du contexte sociopolitique corrupteur d’une Allemagne de l’entre-deux-guerres, au bord du précipice nazi, comme le mentionne Arne Jysch dans une conversation publiée sur le site web de Mystery Tribune :

 

« L'éditeur et moi avons décidé de trouver un style en noir et blanc. Au début, c'était un choix économique d'illustrer en noir et blanc. Mais lorsque j'ai commencé à chercher le style de dessin approprié, j'ai découvert qu'il était beaucoup plus facile de plonger le lecteur actuel dans le passé en utilisant l'atmosphère des œuvres d'art, des films et des photographies en noir et blanc contemporains des années 1920. »

 

Ce dernier qui a consacré six années à la production de cette BD a découpé le récit dans lequel alternent des scènes d’enquête et d’action en quatre parties :

 

1.    Le Mort du Landwehrkanal (le point de départ de l’enquête)

2.    Inspection A (le transfert de Gereon Rath à la section des affaires criminelles)

3.    Toute la vérité (la découverte du policier corrompu)

4.    Le Plan (le piège imaginé pour coincer le traître)

 

Pour se plonger dans les années folles, l’auteur a consulté un certain nombre de publications dont il fournit une liste abrégée en page liminaire. Ces albums illustrés et les ouvrages sur la danse, les restaurants, le graphisme et la publicité de l’époque, la politique, la mode et les services de police ont permis de mettre en valeur les lieux, les véhicules, la circulation, les références architecturales, les enseignes commerciales, les costumes, la représentation des piétons, les scènes plus intimes... À preuve, l’attrayante couverture de première inspirée d’une photographie des années 1920 avec en fond de scène le « Château Rouge », le siège de la Préfecture de police et sa « façade de deux cent mètres sur l’Alexanderstrasse, […] l’une des plus grosses constructions de Berlin. » Et, au premier plan, un Gereon Rath sosie de l’acteur américain Humphrey Bogart !


Arne Jysch a signé une mise en scène d’inspiration cinématographique offrant au lecteur différents angles de vue : plongée, contre-plongée, gros plans, plans panoramiques, jeux d’ombres et de lumières…

 

Son narrateur protagoniste, à la limite de la rectitude, raconte son histoire dans des phylactères rectangulaires aux textes rédigés à l’aide de caractères de machine à écrire, les distinguant ainsi des paroles des nombreux personnages qu’il côtoie.

 

Quelques notes en bas de page permettent de décoder certaines réalités ou expressions allemandes. Les scènes d’action sont très réalistes, quelques planches sans dialogues fort éloquentes comme dans cet exemple :

 

 

Arne Jysch s’est assuré que le scénarimage qu’il avait imaginé restait fidèle à la vision de l'inventeur de l'original en lui envoyant plusieurs brouillons :

 

« Chaque fois que je n'étais pas sûr de l'intention d'une certaine scène ou de la motivation d'un personnage, par exemple, je pouvais lui demander. »

 

« … j'ai pu améliorer certaines des scènes déjà passionnantes du roman. C'était amusant d'étoffer le jeu des acteurs et les dialogues des personnages sans avoir à se soucier de l'intrigue, car l'intrigue était si bien conçue dans l'original de Kutscher. »

 

Pour avoir lu la version romanesque, on peut que la transposition graphique est une réussite.

 

Arne Jysch est originaire de Brême (Allemagne). Il a étudié la communication visuelle et l’animation à Hambourg et à Potsdam. Il a produit en 2004 un court-métrage multiprimé, Der Beste. En 2012, sa première bande dessinée, Wave and Smile, l’histoire d’un soldat allemand en Afghanistan est publiée. Il vit à Berlin avec sa famille et travaille en tant que scénariste, illustrateur et conférencier à l’École du cinéma de Babelsberg, à Potsdam. 

 

Merci aux éditions Glénat pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité graphique et littéraire : *****

Intrigue : *****

Psychologie des personnages : *****

Intérêt/Émotion ressentie : *****

Appréciation générale : *****


La femme papillon (J.L. Blanchard)


J.L. Blanchard. – La femme papillon. – Montréal : Fides, 2024. – 350 pages.

 

Polar

 


 


Résumé :

 

Invité par le président de la République, l’inspecteur Bonneau disparaît dès qu’il met les pieds à Paris. Plus troublant encore, le chauffeur qui doit l’accueillir à l’aéroport est retrouvé mort dans le coffre de sa limousine.

 

Dépêché en France pour élucider ce mystère, Lamouche fait face à la méfiance de la police locale, qui voit cette ingérence d’un mauvais œil. Résolu à mener sa propre enquête, il découvre qu’on lui cache l’existence d’un indice retrouvé sur les lieux du crime : un médaillon qui semble relier l’affaire à une mystérieuse organisation, l’Ordre des Monarques. Quand un deuxième cadavre est découvert, affreusement mutilé, la quête de Lamouche devient une course contre la montre.

 

Dans cette affaire à l’apparence de complot international, deux questions s’imposent: par quel fil obscur Bonneau est-il lié à l’Ordre des Monarques ? Et surtout, quel est le but de cette secte et de son énigmatique dirigeante, celle que l’on surnomme « la femme papillon» ?

 

Commentaires :

 

Est-ce un signe des temps ? Il semble que certains auteurs québécois innovent en déplaçant en Europe l’action de leurs thrillers et de leurs polars et, par le fait même, les aventures de leurs personnages. C’est le cas de Jean-Louis Blanchard qui fait voyager son inspecteur Bonneau et son adjoint Lamouche à Paris ainsi qu’au bord du lac Léman à Genève, à Montreux et dans l’abbaye moyenâgeuse du domaine fictif de Montrailles.

 

« La femme papillon » est le quatrième tome mettant en vedette le binôme du service de police de Montréal aux personnalités aux antipodes l’une de l’autre. Contrairement aux opus précédents, l’enquête « plus classique » est menée à part entière par le jeune Lamouche, « impertinent, un peu rebelle, mais plutôt futé » alors que son collègue gaffeur se retrouve isolé dans un lieu qu’il peine à identifier.

 

L’humour qui a caractérisé jusqu’à présent cette série y est moins burlesque.

 

Le récit s’inscrit dans une suite logique de l’affaire entourant le Le radeau de la Méduse, « un tableau signé Delacroix avait été au cœur d’une enquête importante que Bonneau et lui avaient menée quelques mois plus tôt » habilement rappelée dans une scène au Jardin du Luxembourg : Lamouche et son interlocutrice s’arrêtant devant une des nombreuses sculptures : « … un buste représentant Eugène Delacroix ». Aussi en lien avec celle du trésor des Chouans et, par la bande, de celle des Pélicans.

 

On y retrouve un Bonneau dont l’accent laisse croire qu’il est Belge, toujours aussi bougonneur qui, en arrivant à l’aéroport Charles-de-Gaulle regrette de s’être laissé convaincre de traverser l’Atlantique…

 

« …écrasé de fatigue. Il venait de passer plus de sept heures, assis bien droit dans un avion, à souffrir de terribles démangeaisons. À ruminer des pensées terrifiantes. À se demander si le pilote saurait faire comme le commandant Piché en cas d'urgence. À se convaincre que, pour le retour, valait mieux prendre le bateau. »

 

… et

 

« … pourquoi avait-il fini par accepter cette stupide invitation ? Venir à Paris juste pour faire plaisir au président de la République ! Pire encore : pour un dîner où on lui servirait certainement des plats immangeables aux noms farfelus ! D'ailleurs, quelle sorte de conversation pourrait-il même entretenir avec ce politicien dont il ne savait rien ? Non ! Il se doutait depuis le début que c'était une très mauvaise idée. La petite voix dans sa tête lui avait répété maintes fois : N'y va pas, Bonneau ! Tu vas te retrouver là comme un pauvre clown ! Comme le phoque dans la chanson de Beau Dommage. Il avait donc repoussé cette visite pendant des mois, et regrettait amèrement aujourd'hui d'avoir abdiqué. »

 

Lui qui a laissé derrière lui sa « chaise vide, [son] vieux bureau encombré de papiers, [son] antique dactylo Remington que plus personne n’utilisait depuis des décennies » sauf lui-même, sans oublier « le canapé qui […] servait de lieu de travail » à Lamouche.

 

Pour celles et ceux qui découvrent l’univers des personnages imaginés par Jean-Louis Blanchard, l’auteur a également inséré un court paragraphe permettant de contextualiser la présence de de ce dernier appelé à « jouer les James Bond » et qui, « comme à son habitude, choisit [toujours] de monter par l’escalier plutôt que par l’ascenseur » :

 

« Ce jeune blanc-bec n'avait pas encore franchi la moitié du contrat de douze mois qu'on lui avait accordé, et pourtant, il prenait ses aises comme si les lieux lui appartenaient. Ou comme s'il voulait rappeler à son directeur qu'il n'avait jamais été dupe de la situation : on lui avait offert ce contrat précisément en raison de sa réputation de casse-pieds, parce que [le directeur] St-Pierre espérait ainsi qu'il pousse l'incompétent Bonneau à la retraite. Et c'est pourquoi Lamouche s'évertuait depuis à faire passer ce même Bonneau pour un génie, allant jusqu'à lui attribuer tous les mérites du succès de leurs enquêtes. »

 

Parmi la panoplie de personnages qui interagissent dans cette histoire plutôt abracadabrante, celui du président de la République qui souhaiterait réussir « un nœud de cravate aussi impeccable que ceux du roi Charles III » est définitivement haut en couleur. À commencer par le mouvement conséquent de ses sourcils selon la gravité de la situation faisant « des vagues au milieu de son front » ou s’activant « de bas en haut. »

 

Au cœur de l’enquête, l’Ordre des Monarques dont le leitmotiv se résume à cette question existentielle : « Pourquoi vous contenter de rester chenille ? » adressée à ceux qui souhaitaient « faire partie d’une certaine élite. Ceux qui se croyaient imbus de sagesse et de clairvoyance, et qui partageaient la vision d’un monde gouverné par la crème de l’humanité. » Une organisation secrète dont les activités se rapprochent de celles de l’Église de scientologie, l’Ordre du Temple solaire (OTS), l’Ordre de Rose-Croix, voire la franc-maçonnerie (la cérémonie initiatique à Montrailles s’inspirant d’ailleurs de cette dernière).

 

Pour concocter l’intrigue de « La femme papillon », l’auteur s’est appuyé sur une recherche fouillée sur le phénomène des sectes. On y trouve des références sur :

 

·        les enquêtes réalisées par le Parlement européen ;

·        MIVILUDES, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires mise en place en France au début des années 2000 pour contrer l’influence des organisations pseudoreligieuses sur les partis politiques ;

·        l’influence de certains groupes religieux sur la présidence américaine : « … une image lui revint à l'esprit : celle d'une dizaine d'évangélistes charismatiques entourant le président Trump dans le bureau ovale de la Maison-Blanche, au début de son mandat en 2017. Il avait souri en les voyant ainsi célébrer l'arrivée de leur nouveau messie. »

 

Alors que les autorités sont à la recherche des auteurs de la disparition de Bonneau, Jean-Louis Blanchard a glissé parmi les hypothèses certaines réalités politiques françaises. Un complot …

 

… des Maliens ?

 

« Le Mali ! La question qui hantait tout le cabinet depuis des mois! L'épine dans le pied du président de la République depuis des années! Que de nuits il avait passées à se poser la question: est-ce que je retire mes troupes de ce foutu pays, oui ou non? Sommes-nous vraiment en train d'aider, ou plutôt d'envenimer la situation? Au final, même les groupes que l'armée française était censée défendre étaient devenus hostiles à sa présence là-bas. Le Mali... À n'en pas douter, cette hypothèse était non seulement une piste sérieuse, mais elle semblait la plus logique. »

 

… des Saoudiens ?

 

«  … l’assassinat à Istanbul du journaliste Jamal Khashoggi, que les forces spéciales saoudiennes avaient torturé avant de le démembrer et de transporter ses morceaux dans une valise. »

 

… des Afghans ?

 

Eux qui contrôlaient « la jungle de Calais » … « la zone du port de Calais où s’entassaient des milliers de migrants qui espéraient rejoindre le Royaume-Uni » … « Une véritable mafia ».

 

… des Barjols ?

 

Un groupuscule terroriste d'extrême droite identitaire actif de 2017 à 2018 en France dont le président « gardait un souvenir douloureux de ces tristes sires qui avaient fomenté son assassinat deux ans plus tôt ».

 

Le tout faisant en sorte que le scénario imaginé s’inscrit dans un contexte des plus réalistes. Incluant certaines descriptions de lieux fréquentés par les personnages qui, après vérification sur Google Street, démontrent à quel point l’auteur est rigoureux. Comme ce lieu de rendez-vous, le Café Pavane, rue de Vaugirard où Lamouche « prit le temps de s’asseoir sur le petit banc de bois, juste à côté de la porte, à l’extérieur. »

 

Vous apprécierez la narration de certaines mises en situation plutôt amusantes tel que le long monologue au téléphone de Louisette, la « petite amie » de Bonneau.

 

La séquence où Bonneau se croit mort ou qu’il se retrouve « dans un endroit de la Turquie où l’on parlait français », contraint d’utiliser des « toilettes turques » dont il ignore les caractéristiques :

 

« On aurait dit un enclos sans porte, ou mieux: un box à chevaux, limité d'un côté par le mur de pierre, et de l'autre par le panneau latéral en bois. Près du mur du fond se trouvait une pompe manuelle qui servait vraisemblablement à tirer l'eau d'un puits souterrain. Par terre, un trou d'à peine quinze centimètres de diamètre, duquel émanait une odeur nauséabonde. »

 

Ou encore quand il utilise des livres et une bibliothèque pour tenter de s’évader en s’inspirant d’un de ses héros du septième art :

 

« … il ne cessait de fixer la fenêtre en ogive, quatre mètres plus haut. S'il pouvait grimper jusque-là, il arriverait peut-être à s'échapper de cette manière? Mais comment faire pour briser la vitre sans faire de bruit? Il se rappela que dans un film qu'il avait vu à la télé des années auparavant, Sean Connery réussissait à tordre une pièce de monnaie entre ses dents pour en faire un coupe-verre. Mais voilà: on ne lui avait rien laissé, pas même un dix cents! Et il n'était pas certain non plus que sa dentition soit aussi solide que celle de Sean Connery. »

 

Une mention spéciale pour le masque vénitien que Lamouche porte dans une réception au manoir de Montrailles : « celui de Scaramouche, popularisé par la commedia dell arte » et la scène avec les deux gendarmes.

Évidemment, le dîner à l’Élysée, dans le Salon d’argent, amusant lui-aussi, à l’occasion duquel le président fait des confidences croustillantes alors qu’on leur sert un « Pol Roger 1988 […] cuvée Sir Winston Churchill », leur « dernière bouteille » pour accompagner le plat préféré de Bonneau qui « porte son nom » (à vous de le découvrir), garni « des cornichons, des radis forts, pis un peu de fèves au lard pour donner un p’tit goût canadien. »

 

Impossible de ne pas citer cette réplique du président : « il me tardait de vous rencontrer ! Il est rare que j'aie le privilège de partager ma table avec quelqu'un qui ait autant de panache que vous ! » qui amène Bonneau à se rembrunir : « Cette comparaison avec un orignal ne lui disait rien de bon. »

 

D’autant plus que « dans le salon où on l'avait conduit, Bonneau [avait attendu] sans bouger d'un poil. Le smoking qu'on lui avait suggéré de porter s'avérait aussi contraignant qu'une camisole de force. Au milieu de ce décor grandiloquent, il se sentait plus que jamais comme le phoque de la chanson, bien loin de sa banquise. »

 

On se régale aussi de certaines descriptions, comme dans ces exemples :

 

L’ambassadeur du Canada à Paris qui « s’exprimait avec un niveau d’articulation qui frisait la caricature ». « Une fois son boniment terminé, sa tête hochait toujours, comme s’il réécoutait en écho les paroles qu’il venait de prononcer et voulait s’assurer qu’il avait su y insuffler le niveau d’émotion désiré » … « ce qui était toujours pour [le président] un exercice long et pénible ».

 

Ou, selon Lamouche, « … les Parisiens ont vraiment des goûts étranges. Et c’est justement à Paris qu’on en trouve le plus. »

 

« Qu’ils soient de gauche ou de droite, rappela le premier ministre, les extrémistes ne réfléchissent pas toujours au moment où ils commettent leurs méfaits. »

 

« … il ouvrit la fenêtre toute grande et admira un moment le tableau qui s’offrait à lui sous ce soleil matinal. Le Louvre majestueux, les ponts de Paris et bien sûr la Seine, dont l’eau miroitante semblait danser sur un air de java. »

 

Un incontournable pour une enquête sur le territoire de l’Hexagone : des  clins d’œil à l’usage d’expressions anglaises, ici dans le milieu hôtelier : « C’est pour un check in ? » … « C’est pour un check out ? » Et lorsque

Bonneau qui baragouine l’anglais se retrouve face à un Carrefour Market : « Ceci l’embêta considérablement. Carrefour était un mot indubitablement français, mais Market, ça sonnait pas mal anglais… »

 

J’ai aussi souri chaque fois que dans le but de se conforter, le président se référait à des citations de certains de ses prédécesseurs :

·        Sarkozy « Pour être président de la République, il faut être calme ».

·        Chirac : « Il y a, dans le peuple français, des trésors d’intelligence, de combativité et de vertu ».

·        Mitterand : « Ma patience est faite de mille patiences » et « Il y a un avenir pour ceux qui pensent à l’avenir »

·        De Gaulle « La gloire se donne seulement à ceux qui l’ont rêvée ».

 

 

Quant aux réflexions de l’oncle Archibald, le frère du père de Lamouche dont le fantôme hante aussi les trois autres romans, qui inspirent ce dernier…

 

·        « … la convoitise fait commettre bien des crimes et croire bien des sottises ! »

·        « Quand le chacal se croit en danger, il lève les yeux et en oublie momentanément sa proie. »

·        « Vous aurez beau couper le ver et en faire disparaître une partie, l’autre bout finira tout de même par bouffer la pomme ».

 

… elles alimentent le désir qu’un jour Jean-Louis Blanchard nous fasse découvrir ce personnage dans des aventures tout aussi insolites que sa série Bonneau/Lamouche.

 

Vous adorerez « La femme papillon » (je vous défie de découvrir la véritable identité avant Lamouche) dont le scénario repose sur une « … légende concernant des tableaux qui auraient été cachés par les moines cisterciens pendant la guerre afin qu’ils ne tombent pas entre les mains des nazis ». Et vous en connaîtrez le sort au moment où Bonneau, toujours égal à lui-même, se retrouvera dans un capharnaüm indescriptible :

 

« Il devait se contorsionner pour contourner ces obstacles, ou pour passer par-dessus des rouleaux empilés au sol. Il s’arrêta devant une toile encadrée, appuyée contre la paroi rocheuse, sur laquelle était peint un simple vase contenant des fleurs de tournesol. Des dessins d’enfants, décréta-t-il en soupirant profondément. »

 

Les polars de Jean-Louis Blanchard sont incontournables pour qui s’intéresse aux littératures du crime au Québec. « La femme papillon », n’y échappe pas. L’imagination débordante de l’auteur nous laisse espérer de futures lectures à la fois enrichissantes et divertissantes pour nous faire oublier les véritables histoires d’horreur qui alimentent au quotidien les médias.

 

Merci aux éditions Fides pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue : *****

Psychologie des personnages : *****

Intérêt/Émotion ressentie : *****

Appréciation générale : *****


Le fugitif, le flic et Bill Ballantine (Éric Forbes)


Éric Forbes. – Le fugitif, le flic et Bill Ballantine. – Montréal : Héliotrope, 2024. – 275 pages.

 

Thriller

 

 


Résumé :

 

Un an après les évènements qui ont ensanglanté Amqui et ses notables corrompus, le policier Denis Leblanc débarque à Paris avec l’intention ferme de régler son compte une fois pour toutes à Étienne Chénier, le libraire en cavale qui s’y cache et qu’il traque sans répit. Mais voilà, rien ne se déroule comme prévu. Pourchassés par des meurtriers à la solde d’un des chefs de la mafia montréalaise, le flic et le fugitif devront bien malgré eux unir leurs forces s’ils veulent réussir à échapper à leurs poursuivants, décidés à les descendre coûte que coûte.

 

Avec l’aide inattendue d’un garçon un peu trop dégourdi pour son propre bien et d’une jeune femme, sa mère, au caractère bouillonnant et particulièrement astucieuse pour arrondir ses fins de mois, Chénier et Leblanc tenteront tant bien que mal de sortir vivants de cette course-poursuite sauvage dans Paris.

 

 

Commentaires :

 

Avec « Le fugitif, le flic et Bill Ballantine », le deuxième roman d’Éric Forbes, un thriller humoristique, les littératures du crime québécoises s’introduisent principalement dans les arrondissements centraux de Paris et en banlieue de l’aéroport Charles-de-Gaulle. Des assassinats en cascade d’un couvert à l’autre, de la capitale française à Baie-Saint-Paul pour respecter la philosophie de la collection Héliotrope Noir : « tracer, livre après livre, une carte inédite du territoire québécois dans lequel le crime se fait arpenteur-géomètre » dont je possède tous les titres. Une trentaine de courts chapitres dans lesquels l’auteur s’en donne à cœur joie pour, entre autres, souligner les particularités langagières qui distinguent les descendants des Gaulois et leurs « cousins » d’Amérique :

 

 

« Elle a un accent québécois, [constate le Français Jocelyn Garand]. Cette façon qu’elle a de prononcer son nom, Garin, ne ment pas. »

 

Avant d’en entreprendre la lecture, j’ai revisité en survol « Amqui » en me concentrant sur les derniers chapitres et l’épilogue pour rafraîchir ma mémoire sur le scénario et les personnages qu’avait imaginés Éric Forbes dans un roman que j’avais bien aimé en 2017. Si vous n’avez pas lu son premier opus, n’ayez crainte, car l’auteur rappelle à quelques reprises, dans la bouche du narrateur ou de ses deux principaux personnages, le contexte de cette fuite sur le vieux continent du libraire assassin Étienne Chénier et de celui qui le poursuit, l’ex-détective devenu manchot, Denis Leblanc.

 

Dès le premier chapitre, on retrouve donc Chénier (qui ne se sépare jamais de la photo de sa mère) devenu propriétaire d’une librairie, « Une touche de noir », (…) « une librairie de polars usagés qui survivait de peine et de misère, les librairies spécialisées ayant de moins en moins la cote auprès des consommateurs », ayant pignon sur la rue Cardinal Lemoine, dans le 5e arrondissement :

 

« …la tête plongée dans un bouquin, confortablement installé dans son fauteuil, face à sa table de travail, sa jambe droite nonchalamment posée sur son genou gauche. Insouciant. »

 

Pratiquant, comme son auteur, un métier dont le travail minutieux consiste à classer des tablettes entières « par ordre alphabétique, une des tâches les plus pénibles pour un libraire. »

 

Éric Forbes s’est surpassé en intégrant dans ce récit rocambolesque une brochette de personnages hauts en couleur dont j’ai suivi les déplacements des plus réalistes dans la Ville lumière avec Google Street à portée de la main.

 

Parmi ceux-ci, le désopilant et exaspérant Axel/Alexandre/Édouard, 11 ans, pour qui « l’avenir appartient à ceux qui savent prendre des initiatives », « phrase que sa mère prononce souvent », grand admirateur de « Bill Ballantine, son idole, l’acolyte de Bob Morane, ce géant roux sans peur et sans reproche » amateur de whisky. Cette admiration donne un sens à une portion du titre du récit.

 

Comme sa mère et tous les autres acteurs français qu’il côtoie, le jeune garçon peine à déchiffrer le dialecte des Québécois. Une poursuite en voiture dans les rues de Paris, comme dans le film «Taxi », l’excite au plus haut point. De plus, il sait s’imposer, ayant acquis « une certaine expertise en matière de filature, grâce à ses lecturesLe Club des cinq, Bob Morane, Sherlock Holmes et plein d’autres ». Il a « la tête pleine de projets. Dont écrire une tonne de bouquins, voyager au centre de la Terre, faire le tour du monde en quatre-vingts jours, visiter l’île au trésor et, si possible, rencontrer le grand Bill Ballantine. » Il sait « qu’on ne se de débarrasse par d’un type aussi rapidement qu’on se vide la vessie. À moins de s’appeler Bill Ballantine, évidemment. Ou d’être pourvu d’une gigantesque vessie. Comme Bill Ballantine. Qui ne va jamais au petit coin. »

 

J’ai beaucoup aimé la technique d’écriture d’Éric Forbes qui a confié à son narrateur omniscient la présentation de deux points de vue d’une même scène comme, par exemple, la rencontre du duo Chénier/Leblanc avec le jeune Axel/Alexandre/Édouard.

 

L’auteur étant libraire de métier, il était normal qu’il glisse tout au long de « cette course-poursuite sauvage » dans les rues parisiennes plusieurs références littéraires :

 

·        des auteurs de polars et de romans noirs : Pierre Siniac et son humour très noir, Frédéric H. Fajardie, Jean-Patrick Manchette, Simenon, Lawrence Block, le Britannique Robin Cook, Dashiell Hammett (« La clé de verre »), Davis Goodis (« Sans espoir de retour »), San Antonio, François Barcelo (nom qu’emprunte Étienne Chénier pour décliner son identité face à un flic parisien qui lui demande : « Barcelo, c’est un nom espagnol ? » Et lui de répondre, « Oui, espagnol. Du sud. » ;

 

·        les mythiques collections Série Noire (dont certaines jaquettes valent une fortune), Le Masque, Fleuve Noir, Rivages/Noir ;

 

·        et autres auteurs (Hugo, Dumas, Stendhal, Balzac, Zola. Modiano, Despentes, Duras, Tournier… sans oublier René Goscinny / Albert Uderzo et leur Astérix en Hispanie.

 

Il y a de quoi rigoler avec ces traits de caractère des Parisiens dépeints par certains personnages pendant que des pseudomeurtriers incompétents se font buter en rafale :

 

La nonchalance des touristes   qui « exaspère les Parisiens, des citoyens toujours pressés ».

 

« … il manque de se faire renverser par une voiture, les conducteurs parisiens ayant cette certitude, bien ancrée dans leur minuscule cerveau, de la ville leur appartient. »

 

« Les flics de petite taille sont les pires, lui a toujours dit sa mère. »

 

« … les gens qui portent toujours des survêtements sont des grosses feignasses. Surtout les vieux. »

 

« Tu lis trop de livres, mon pote ! » « Ben au moins, moi, j’en lis. Ça fait que j’suis pas limité à une dizaine de mots, quand je m’exprime ! En incluant putain, merde, connard pis du coup ! » […] « Ah ! J’avais oublié que dalle ! Pis à chier ! »

 

Il « …se dissimule derrière un homme obèse, soufflant comme un phoque, qui cherche désespérément des yeux un siège où s’effondrer. Les gens ont beaucoup de sympathie pour les personnes âgées ou les femmes enceintes, a-t-il déjà constaté. Très peu pour les enfants. Encore moins pour les gros, comme dit sa mère. »

 

« … y a-t-il un peuple sur terre plus paisible et inoffensif que les Canadiens. Bien sûr, elle n’en connaît pas des tonnes. Elle n’en connaît aucun, à vrai dire, sauf ceux qu’on voit occasionnellement à la télé – Garou, Céline Dion, Isabelle Boulay, Lara Fabian –, et, de ce qu’elle sait, ils apparaissent rarement sur les premières pages des journaux pour les mauvaises raisons, contrairement à ces tarés d’Américains. »

 

Et que dire de ces belles images…  

 

« … le barbu aux allures de terroriste islamique se penche vers lui et chuchote à son oreille une longe suite de mots à peine compréhensibles – son accent est vraiment à chier –, dont le thème principal semble être la religion catholique. Les mots tabernacle, ciboire, sacrement et hostie reviennent à intervalles réguliers, des mots qu’il a récemment appris en cours de religion. De toute évidence, ce type n’a plus toute sa tête. Ou alors la peur le rend débile. »

 

« … se faisant l‘effet d’être un personnage des livres de Simenon, l’état dépressif en moins. »

 

Il « le dévisage et sourit. Ce genre de sourire méchant qu’il doit pratiquer devant un miroir. Probablement en se parlant, tel Robert De Niro, dans Taxi Driver. »

 

… et de ces mises en situation :

 

« Dans les films policiers, les vieillards se font rarement pourchasser. Ou alors la traque ne dure jamais bien longtemps, la proie finissant presque inévitablement avec une balle dans le crâne. »

 

« Je vous présente Johnny Renaud. Deux chanteurs pour le prix d’un. C’est-tu pas merveilleux, ça ? »

 

 « La chose que je trouve le plus dure depuis que j’ai perdu un bras, c’est quand j’essaie de me tourner du mauvais côté dans le lit. Je perds l’équilibre, pis je me retrouve comme un épais la face dans l’oreiller, en train de m’étouffer. »

 

Vous y apprendrez que le refrain de Stayin’ Alive des Bee Gees « Ah, ha, ha, ha, stayin’alive, stayin’alive » peut vous permettre de sauver une vie !

 

Ces quelques extraits illustrent bien la qualité d’écriture et le style parfois mordant d’Éric Forbes. Le scénario de ce thriller est tricoté serré. L’action en continu et les personnages truculents en rendent la lecture addictive jusqu’à la finale et son clin d’œil aux polars nordiques à la Stieg Larsson.

 

Je vous recommande sans restriction « Le fugitif, le flic et Bill Ballantine » en empruntant les mots de l’éditeur : « une histoire aussi haletante qu’explosive » qui vous fera passer de bons moments.

 

Libraire et collectionneur de polars, Éric Forbes a grandi dans la petite ville d’Amqui avant d’entreprendre plus tard ses études au Cégep de Rimouski puis, en littérature à l’Université du Québec à Montréal (UQÀM. Il a aussi collaboré à la revue littéraire Les Libraires. Il vit aujourd’hui à Montréal. Amqui (2017) a reçu le prix Jacques-Mayer du premier polar.

 

 

Merci aux éditions Héliotrope pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue : *****

Psychologie des personnages : *****

Intérêt/Émotion ressentie : *****

Appréciation générale : *****