R.J. Ellory. – Au nord de la frontière. – Paris : Sonatine., 2024 – 999 pages.
Polar/Thriller
Résumé :
Victor Landis est shérif dans une petite
ville de Géorgie. C’est un homme solitaire, qui a voué son existence au
travail. Pour toute famille, il ne lui reste que son frère, Frank, avec qui il
a partagé une enfance misérable avant qu’une brouille ne les sépare. Lorsque
Frank est retrouvé mort dans des circonstances étranges, Victor décide de se
rendre dans le comté de Dade, près de la frontière avec le Tennessee, afin d’en
savoir plus. Là, il découvre que son frère avait une ex-femme, et une fille,
dont il ignorait l’existence. Pour sa nièce, Victor doit tenter d’en savoir
plus sur la mort de Frank. Le voilà immergé au cœur des communautés isolées des
Appalaches, où la drogue, les trafics en tout genre et la corruption sont
omniprésents. Bientôt, sa piste le conduit à une série de meurtres inexpliqués
de jeunes adolescentes…
Commentaires :
Comme le mentionne l’éditeur, Au nord de la frontière est un « thriller magistral [qui] cumule une intrigue au suspense implacable
et une histoire familiale d'une émotion rare [ayant] pour cadre les Appalaches, région la plus pauvre des États-Unis,
personnage à part entière du récit. »
Meurtres, corruption, trafic de drogue, enlèvements, violence… sont au
rendez-vous dans une atmosphère sombre et oppressante. Mettant en scène Victor
Landis, shérif taciturne de Blairsville, presque asocial, tourmenté à cause du ressentiment
qu'il éprouve envers son frère Franck, shérif à Trenton, dont on découvrira sur
la tard la raison de ce conflit.
Dès les premiers chapitres, l’auteur décrit
ainsi, en deux paragraphes, leur contexte familial :
« Frank et Victor Landis descendaient d'une
lignée de personnes dures et laconiques. Leurs ancêtres se méfiaient des mots
qui excédaient trois syllabes, des banques, des assureurs, des machines
automatiques, des végétariens, des choses faites rapidement quand elles
demandaient de la patience et du temps. Leurs grands-parents et
arrière-grands-parents avant eux venaient du Midwest, où les granges
monolithiques - maladroitement inclinées entre un paysage desséché et un ciel
vide - étaient souvent le seul signe que l'homme avait foulé la terre. Leur
père, Walter Landis, avait été un homme aux espoirs illusoires, constamment
certain que l'avenir effacerait le passé. Il avait les épaules étroites et la
charpente anguleuse, n'avait jamais dansé et ne le ferait jamais. Il portait
une montre achetée dans une boutique de prêteur sur gages, la trotteuse mal
fixée bougeant librement derrière le cristal rayé. Pas besoin des secondes,
disait-il. Même pas des minutes. Les heures peuvent servir, parfois les jours
pour les anniversaires et tout, mais ici c'est les saisons qui comptent. Il
était rompu au travail et trimait à toute heure. Et le reste du temps, il se
tenait silencieux et emprunté comme s'il attendait des instructions. Ou bien il
demeurait sur le porche, les yeux tournés vers le ciel comme s'il estimait la
distance entre la Terre et quelque autre monde où il trouverait plus aisément
sa place. »
Au nord de la frontière nous entraîne dans le quotidien des forces de l’ordre de la Géorgie et du Tennessee à l’automne 1992. Ce qui donne lieu à mettre en lumière les relations, les territoires et les champs de compétence entre shérifs, département de police, Unité de collaboration judiciaire et FBI. Le tout reposant sur un travail de recherche poussée que R.J. Ellory a dû effectuer sur les rouages administratifs des comtés, sans oublier le repérage des différents lieux où se déroule l’action.
L’enquête de Victor Landis progresse
lentement au rythme du cheminement et de l’évolution psychologique de ce
dernier prenant progressivement conscience de sa part de responsabilité dans la
dispute qui l’a opposé son frère pour finalement reconnaître son erreur.Les
hypothèses qu’il formule de façon ponctuelle, refaisant périodiquement le fil
des événements en cours de progression de son enquête, alimentent un suspense
efficace en crescendo jusqu’à la dernière portion du roman où les choses
s’accélèrent pour nous faire assister à un dénouement violent et sanglant.
Tout au long du scénario où évoluent un très
grand nombre de personnages complexes sympathiques ou détestables, R.J. Ellory
fait à l’occasion baisser la tension en insérant des scènes plus légères comme
la description d’une fête foraine à Trenton :
« Le croissant de tentes avait dissimulé la
foule qui s'était réunie. Il était un peu plus de 10 heures, mais des centaines
de personnes étaient déjà présentes. Des stands de nourriture débordant de
pickles, de viandes séchées et de bocaux; une franchise de hot dogs avait
attiré une file de dix bons mètres de long; il y avait des ateliers de peinture
sur visage, une troupe de jongleurs, un type sur des échasses vêtu comme
Abraham Lincoln, une jeune femme portant une panoplie de clown et tenant
tellement de ballons de baudruche qu'elle semblait devoir faire un gros effort
de concentration pour ne pas décoller du sol. […] Loin sur la droite se trouvait un chapiteau, au-dessus de l'entrée
duquel une banderole annonçait ‘’ SAUVAGES ET SENSATIONNELS ‘’. »
Et cette réflexion sur le destin parfois dramatique
des gens ordinaires :
« Landis regardait les gens sur le trottoir.
Un millier d'histoires différentes qui défilaient, et ces histoires changeaient
chaque fois qu'elles étaient racontées. La vie était tout sauf une ligne
droite. Parfois les choses s'emmêlaient tellement qu'il était impossible de les
démêler. Les mauvais souvenirs avaient le don d'évoluer au fil du temps, comme
si l'esprit s'arrangeait pour les rendre plus acceptables. Personne ne se
remettait jamais vraiment du passé; on trouvait juste un moyen de s'en sortir
avec aussi peu de dommages que possible. Et rien n'était jamais oublié non
plus. On choisissait juste de ne pas se souvenir. »
Ainsi que celle-ci sur le dilemme auquel peut
être confronté un policier :
« Nous prêtons serment. Nous nous engageons à
faire respecter la Constitution et les lois de l'État. Nous défendons les
citoyens contre tous les ennemis, à l'étranger comme sur le territoire. C'est
ce que nous promettons de faire. Qu'est-ce qui se passe quand les ennemis sont
à l'intérieur? Qu'est-ce qui se passe? Si nous violons une loi pour en faire
respecter ou appliquer une autre? De quel côté sommes-nous? Ou, plutôt, comment
cela sera-t-il perçu? »
Ajoutons que la complicité qu’entretient Victor
Landis avec Barbara, sa « standardiste »,
ponctue le scénario d’un humour incisif qui contribue à rendre le shérif
sympathique.
L’auteur excelle également dans les
descriptions de lieux et de personnages. À titre d’exemples, j’ai retenu les trois
extraits suivants :
« La voûte des arbres ressemblait à un tunnel,
et il parcourut bien quatre cents mètres avant d'atteindre une large maison
basse à l'avant de laquelle courait une véranda dont la rampe et les marches
étaient pourries par endroits. La peinture était craquelée; des morceaux de
blanc s'étaient arrachés de la façade. La pelouse devant la maison n'était
constituée que de pans d'herbe desséchée, avec ici et là des petits arbustes,
deux troncs d'arbres, plus un chemin de terre irrégulier qui reliait la maison
à une grange sur la droite. »
« Cette nuit-là, un froid brutal s’abattit.
Les vêtements sur le fil à linge étaient aussi raides que de la viande séchée. »
« Les signes révélateurs [de Victor
Landis] se trouvaient dans ses yeux, son
langage corporel, ses manières, sa façon de parler. Tout comme le père de
Landis, c'était un homme qui avait atteint un point dans sa vie où il savait
qu'il ne serait jamais ni plus ni moins que ce qu'il était déjà. Et vivre avec
une profonde déception en soi n'était pas une vie. »
Il n’hésite pas à aborder et à justifier des
scènes horrifiantes de torture et son impact sur le supplicié :
« […]
était maintenant effrayé; c'était
évident. Il avait fallu qu'un shérif et un inspecteur de police fassent
silencieusement et méthodiquement preuve d'un degré considérable de violence
pour qu'il comprenne qu'il n'y avait que deux issues possibles. Soit il leur
disait ce qu'ils voulaient savoir, soit il mourait. Son instinct de survie
s'était réveillé, et avec force. »
Ou sur la description dans les moindres
détails de l’exécution par électrocution d’un condamné : « Je vais vous expliquer exactement comment ça
se passe. » Cœurs sensibles soyez avertis.
Quoiqu’il en soit, Au nord de la frontière nous fait découvrir certaines réalités
locales. Comme lorsque Victor Landis apporte « une bouteille de rye et un paquet de viande fumée » ou « cuissot de cerf enveloppé dans du
papier paraffiné » pour faciliter son contact avec un interlocuteur.
Et qu’un shérif a « légalement le droit de traverser n’importe quel comté à la poursuite
d’un criminel. »
Et cette aventure culinaire appalachienne :
la fricassée de « boomer » :
« Un croisement entre un tamia et un écureuil
gris. Faites-le frire avec des patates. » « Et aussi des oignons, peut-être des poivrons. » « Même si [la faim de Victor Landis] fut assouvie, il ne pensait pas en manger
une seconde fois. Passe encore que la viande soit coriace, mais elle avait une
texture qu’il n’appréciait pas trop. »
« Parfois
il faut faire ce qu’on sait juste, sans se soucier des conséquences. »
Cette phrase pourrait résumer à elle seule le thème de cet autre excellent
roman de R.J. Ellory qualifié par Michael Connelly de « magnifique et envoûtant. Un tour de force ».
Ce 15e roman publié aux éditions Sonatine
est un tourne-page étalé sur 93 courts chapitres dont il vous sera difficile de
décrocher grâce au style percutant de l’auteur. Bien que la traduction
française des dialogues ne témoigne pas de la langue parlée dans cette région
du sud-est des États-Unis.
Son goût pour la lecture l'amène également à
s’intéresser à l’alphabétisation et à faire du bénévolat dans ce domaine.
Parallèlement et alors qu’il n’a que 22 ans, il commence à écrire. La vingtaine
de romans qu’il écrit entre 1987 et 1993 ne trouvent, malgré ses tentatives
acharnées, aucun éditeur des deux côtés de l’Atlantique. Il devra attendre 2003
pour que Papillon de nuit soit publié
par Orion.
Le succès est quasiment immédiat. Il obtient
le prix Nouvel Obs/BibliObs du roman noir 2009 pour Seul le silence, son premier roman publié en France qui devient
rapidement un best-seller. À travers toute son œuvre, Roger Jon Ellory met en
scène dans de sombres fresques une Amérique meurtrière et rongée par la
culpabilité, loin de l'Angleterre qui l'a vu naître.
Merci aux éditions Sonatine pour le service
de presse.
Au Québec, vous pouvez commander votre
exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès
de votre librairie indépendante.
Originalité/Choix du sujet : *****
Qualité littéraire : ****
Intrigue : *****
Psychologie des
personnages : *****
Intérêt/Émotion
ressentie : *****
Appréciation générale
: *****
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire