Éric Forbes. – Le fugitif, le flic et Bill Ballantine. – Montréal : Héliotrope, 2024. – 275 pages.
Thriller
Résumé :
Un an après les évènements qui ont
ensanglanté Amqui et ses notables corrompus, le policier Denis Leblanc débarque
à Paris avec l’intention ferme de régler son compte une fois pour toutes à
Étienne Chénier, le libraire en cavale qui s’y cache et qu’il traque sans
répit. Mais voilà, rien ne se déroule comme prévu. Pourchassés par des meurtriers
à la solde d’un des chefs de la mafia montréalaise, le flic et le fugitif
devront bien malgré eux unir leurs forces s’ils veulent réussir à échapper à
leurs poursuivants, décidés à les descendre coûte que coûte.
Avec l’aide inattendue d’un garçon un peu
trop dégourdi pour son propre bien et d’une jeune femme, sa mère, au caractère
bouillonnant et particulièrement astucieuse pour arrondir ses fins de mois,
Chénier et Leblanc tenteront tant bien que mal de sortir vivants de cette
course-poursuite sauvage dans Paris.
Commentaires :
Avec « Le fugitif, le flic et Bill Ballantine », le deuxième roman d’Éric
Forbes, un thriller humoristique, les littératures du crime québécoises s’introduisent
principalement dans les arrondissements centraux de Paris et en banlieue de l’aéroport
Charles-de-Gaulle. Des assassinats en cascade d’un couvert à l’autre, de la
capitale française à Baie-Saint-Paul pour respecter la philosophie de la collection
Héliotrope Noir : « tracer,
livre après livre, une carte inédite du territoire québécois dans lequel le
crime se fait arpenteur-géomètre » dont je possède tous les titres.
Une trentaine de courts chapitres dans lesquels l’auteur s’en donne à cœur joie
pour, entre autres, souligner les particularités langagières qui distinguent
les descendants des Gaulois et leurs « cousins » d’Amérique :
« Elle a un accent québécois, [constate le
Français Jocelyn Garand]. Cette façon
qu’elle a de prononcer son nom, Garin, ne
ment pas. »
Avant d’en entreprendre la lecture, j’ai
revisité en survol « Amqui »
en me concentrant sur les derniers chapitres et l’épilogue pour rafraîchir ma
mémoire sur le scénario et les personnages qu’avait imaginés Éric Forbes dans
un roman que j’avais bien aimé en 2017. Si vous n’avez pas
lu son premier opus, n’ayez crainte, car l’auteur rappelle à quelques reprises,
dans la bouche du narrateur ou de ses deux principaux personnages, le contexte
de cette fuite sur le vieux continent du libraire assassin Étienne Chénier et
de celui qui le poursuit, l’ex-détective devenu manchot, Denis Leblanc.
Dès le premier chapitre, on retrouve donc
Chénier (qui ne se sépare jamais de la photo de sa mère) devenu propriétaire d’une
librairie, « Une touche de noir
», (…) « une librairie de polars
usagés qui survivait de peine et de misère, les librairies spécialisées ayant
de moins en moins la cote auprès des consommateurs », ayant pignon sur
la rue Cardinal Lemoine, dans le 5e arrondissement :
« …la tête plongée dans un bouquin,
confortablement installé dans son fauteuil, face à sa table de travail, sa jambe
droite nonchalamment posée sur son genou gauche. Insouciant. »
Pratiquant, comme son auteur, un métier dont
le travail minutieux consiste à classer des tablettes entières « par ordre alphabétique, une des tâches les
plus pénibles pour un libraire. »
Éric Forbes s’est surpassé en intégrant dans
ce récit rocambolesque une brochette de personnages hauts en couleur dont j’ai
suivi les déplacements des plus réalistes dans la Ville lumière avec Google Street à portée de la main.
Parmi ceux-ci, le désopilant et exaspérant Axel/Alexandre/Édouard,
11 ans, pour qui « l’avenir
appartient à ceux qui savent prendre des initiatives », « phrase que sa mère prononce souvent »,
grand admirateur de « Bill
Ballantine, son idole,
l’acolyte de Bob Morane, ce géant roux sans peur et sans reproche » amateur de
whisky. Cette admiration donne un sens à une portion du titre du récit.
Comme sa mère et tous les autres acteurs
français qu’il côtoie, le jeune garçon peine à déchiffrer le dialecte des
Québécois. Une poursuite en voiture dans les rues de Paris, comme dans le film «Taxi », l’excite au plus haut
point. De plus, il sait s’imposer, ayant acquis « une certaine expertise en matière de filature, grâce à ses lectures
– Le Club des cinq, Bob
Morane, Sherlock Holmes et plein
d’autres ». Il a « la tête
pleine de projets. Dont écrire une tonne de bouquins, voyager au centre de la
Terre, faire le tour du monde en quatre-vingts jours, visiter l’île au trésor
et, si possible, rencontrer le grand Bill Ballantine. » Il sait
« qu’on ne se de débarrasse par d’un
type aussi rapidement qu’on se vide la vessie. À moins de s’appeler Bill
Ballantine, évidemment. Ou d’être pourvu d’une gigantesque vessie. Comme Bill
Ballantine. Qui ne va jamais au petit coin. »
J’ai beaucoup aimé la technique d’écriture d’Éric
Forbes qui a confié à son narrateur omniscient la présentation de deux points
de vue d’une même scène comme, par exemple, la rencontre du duo Chénier/Leblanc
avec le jeune Axel/Alexandre/Édouard.
L’auteur étant libraire de métier, il était
normal qu’il glisse tout au long de « cette
course-poursuite sauvage » dans les rues parisiennes plusieurs
références littéraires :
·
des
auteurs de polars et de romans noirs : Pierre Siniac et son humour très
noir, Frédéric H. Fajardie, Jean-Patrick Manchette, Simenon, Lawrence Block, le Britannique Robin Cook, Dashiell Hammett (« La clé de verre »), Davis Goodis (« Sans espoir de retour »), San
Antonio, François Barcelo (nom qu’emprunte
Étienne Chénier pour décliner son identité face à un flic parisien qui lui demande :
« Barcelo, c’est un nom espagnol
? » Et lui de répondre, « Oui,
espagnol. Du sud. » ;
·
les
mythiques collections Série Noire (dont certaines
jaquettes valent une fortune), Le Masque, Fleuve Noir, Rivages/Noir ;
·
et
autres auteurs (Hugo, Dumas, Stendhal, Balzac, Zola. Modiano, Despentes, Duras,
Tournier… sans oublier René Goscinny / Albert Uderzo et leur Astérix en Hispanie.
Il y a de quoi rigoler avec ces traits de
caractère des Parisiens dépeints par certains personnages pendant que des pseudomeurtriers
incompétents se font buter en rafale :
La
nonchalance des touristes qui « exaspère les Parisiens, des citoyens
toujours pressés ».
« …
il manque de se faire renverser par une
voiture, les conducteurs parisiens ayant cette certitude, bien ancrée dans leur
minuscule cerveau, de la ville leur appartient. »
« Les flics de petite taille sont les pires,
lui a toujours dit sa mère. »
« …
les gens qui portent toujours des
survêtements sont des grosses feignasses. Surtout les vieux. »
« Tu lis trop de livres, mon pote ! »
« Ben au moins, moi, j’en lis. Ça
fait que j’suis pas limité à une dizaine de mots, quand je m’exprime ! En
incluant putain, merde, connard pis
du coup ! » […] « Ah ! J’avais
oublié que dalle ! Pis à chier
! »
Il
« …se dissimule derrière un homme
obèse, soufflant comme un phoque, qui cherche désespérément des yeux un siège
où s’effondrer. Les gens ont beaucoup de sympathie pour les personnes âgées ou
les femmes enceintes, a-t-il déjà constaté. Très peu pour les enfants. Encore
moins pour les gros, comme dit sa mère. »
« …
y a-t-il un peuple sur terre plus
paisible et inoffensif que les Canadiens. Bien sûr, elle n’en connaît pas des
tonnes. Elle n’en connaît aucun, à vrai dire, sauf ceux qu’on voit
occasionnellement à la télé – Garou, Céline Dion, Isabelle Boulay, Lara Fabian –,
et, de ce qu’elle sait, ils apparaissent rarement sur les premières pages des
journaux pour les mauvaises raisons, contrairement à ces tarés d’Américains. »
Et que dire de ces belles images…
« … le barbu aux allures de terroriste
islamique se penche vers lui et chuchote à son oreille une longe suite de mots
à peine compréhensibles – son accent est vraiment à chier –, dont le thème
principal semble être la religion catholique. Les mots tabernacle, ciboire,
sacrement et hostie reviennent à intervalles réguliers, des mots qu’il a
récemment appris en cours de religion. De toute évidence, ce type n’a plus
toute sa tête. Ou alors la peur le rend débile. »
« …
se faisant l‘effet d’être un personnage
des livres de Simenon, l’état dépressif en moins. »
Il
« le dévisage et sourit. Ce genre de
sourire méchant qu’il doit pratiquer devant un miroir. Probablement en se
parlant, tel Robert De Niro, dans Taxi Driver. »
… et de ces mises en situation :
« Dans les films policiers, les vieillards se
font rarement pourchasser. Ou alors la traque ne dure jamais bien longtemps, la
proie finissant presque inévitablement avec une balle dans le crâne. »
« Je vous présente Johnny Renaud. Deux
chanteurs pour le prix d’un. C’est-tu pas merveilleux, ça ? »
« La
chose que je trouve le plus dure depuis que j’ai perdu un bras, c’est quand
j’essaie de me tourner du mauvais côté dans le lit. Je perds l’équilibre, pis
je me retrouve comme un épais la face dans l’oreiller, en train de m’étouffer. »
Vous y apprendrez que le refrain de Stayin’ Alive des Bee Gees « Ah, ha, ha, ha, stayin’alive, stayin’alive »
peut vous permettre de sauver une vie !
Ces quelques extraits illustrent bien la
qualité d’écriture et le style parfois mordant d’Éric Forbes. Le scénario de ce
thriller est tricoté serré. L’action en continu et les personnages truculents en
rendent la lecture addictive jusqu’à la finale et son clin d’œil aux polars
nordiques à la Stieg Larsson.
Je vous recommande sans restriction « Le fugitif, le flic et Bill Ballantine »
en empruntant les mots de l’éditeur : « une histoire aussi haletante qu’explosive » qui vous fera
passer de bons moments.
Libraire et collectionneur de polars, Éric Forbes a grandi dans la petite ville d’Amqui avant d’entreprendre plus tard ses études au Cégep de Rimouski puis, en littérature à l’Université du Québec à Montréal (UQÀM. Il a aussi collaboré à la revue littéraire Les Libraires. Il vit aujourd’hui à Montréal. Amqui (2017) a reçu le prix Jacques-Mayer du premier polar.
Merci aux éditions Héliotrope pour le service
de presse.
Au Québec, vous pouvez commander votre
exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès
de votre librairie indépendante.
Originalité/Choix du sujet : *****
Qualité littéraire : *****
Intrigue : *****
Psychologie des
personnages : *****
Intérêt/Émotion
ressentie : *****
Appréciation générale : *****
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