Le lézard lubrique de Melancholy Cove (Christopher Moore)


Christopher Moore. – Le lézard lubrique de Melancholy Cove. – Paris : Gallimard, 2002. – 432 pages.

 


Faux polar

 

 


Résumé :

 

Il se passe quelque chose dans la morne station balnéaire de Melancholy Cove. On y trouve, pour un cocktail détonant, un flic qui se console de l'être en tirant sur des joints, une schizophrène ex-actrice de films de série Z postapocalyptiques réfugiée dans une caravane, un joueur de blues poursuivi par un monstre marin dont il a tué le petit quarante années plus tôt, une psy qui ne donne plus à ses malades que des placebos, un pharmacien lubrique ne rêvant que d'accouplements avec des dauphins, une femme qui se pend, des gens qui disparaissent... Une seule certitude : tous ont la libido qui explose. Tous sans le savoir sont sous le signe du lézard...

 

 

Commentaires :

 

Je ne me souviens plus qui m’avait recommandé la lecture de ce roman de Christopher Moore originaire de l’Ohio, auteur de quinze romans, dont plus de la moitié sont des succès de librairie.

 

Le lézard lubrique de Melancholy Cove m’a servi d’interlude au cœur de ma pile à lire pour la production de mes avis de lecture et de mes chroniques sur Les littératures du crime au Québec. Une fiction divertissante dans laquelle s’entremêlent humour, enquête policière et fantastique. Un peu à l’image de son auteur qui, avant de devenir écrivain, a été couvreur, caissier, veilleur de nuit, vendeur d’assurances, serveur, photographe et DJ rock, expériences de vie dont il s’inspire pour créer ses personnages.

 

J’y ai trouvé une galerie de personnages tous plus loufoques les uns que les autres impliqués dans une histoire qui n’a presque ni queue ni tête mettant en vedette un « dragon » nommé Steve dont la lubricité a des impacts insoupçonnés sur les résidents dépressifs de cette petite ville fictive de la côte californienne. Et un musicien qui a peur de « perdre le blues et de devenir heureux ». Sans oublier un labrador qui y va de ses réflexions sur les humains qui l’entourent.

 

Quelques moments drôles, parfois absurdes. Un récit bien construit dans lequel l’auteur ne s’est pas imposé de limites dans son imaginaire débridé.

 

Un bémol : la traduction franco-française qui rend les dialogues et des portions de la narration hors contexte dans un scénario qui se déroule sur la côte ouest-américaine.

 

En résumé : un roman déjanté qui part tous azimuts dans lequel Christopher Moore se moque à sa façon des travers de la société Américaine. Une finale un peu à l’eau de rose. Pas de la grande littérature, mais quelques heures de plaisirs avant de retomber dans les univers glauques de véritables polars.

 

 

Originalité/Choix du sujet : ****

Qualité littéraire : ***

Intrigue :  ****

Psychologie des personnages :  ****

Intérêt/Émotion ressentie :  ***

Appréciation générale : ***

Chaîne de glace (Isabelle Lafortune)


Isabelle Lafortune. – Chaîne de glace. – Montréal : XYZ, 2023. – 446 pages.

 


Polar

 

 


Résumé :

 

Sept ans ont passé depuis les événements ayant ébranlé Schefferville, mais Émile Morin n’a jamais tourné la page. Son obsession pour la Métald’Or et autres pilleurs du Nord en mal d’éthique l’a mené à prendre la tête d’une unité spéciale dédiée à ces dossiers, et à creuser, creuser encore. Faute de résultats probants, ou peut-être justement parce qu’il est sur le point d’en livrer, voilà qu’il sent son soutien politique vaciller. Sa santé mentale également.

 

L’enquêteur Morin a besoin d’une victoire. Pour prouver à sa hiérarchie qu’il avait raison de sonner l’alerte au sujet des minières ; pour convaincre Giovanni qu’il a fait le bon choix en endossant l’uniforme… Mais aussi pour rebâtir le lien de confiance l’unissant à sa fille, de plus en plus distante.

 

C’est du côté de Havre-Saint-Pierre, sur le site de la centrale hydroélectrique La Romaine-1 où un cadavre a été découvert, qu’il sera mis devant le premier maillon d’une chaîne de conséquences le menant, peut-être, vers la vérité.

 

 

Commentaires :

 

Quatre ans après la parution de Terminal Grand Nord, Isabelle Lafortune nous entraîne à nouveau dans une nouvelle enquête menée à Havre-Saint-Pierre et à Schefferville par ses deux protagonistes : le policier Émile Morin, de la Sûreté du Québec, devenu responsable d’une unité spécialisée dans les crimes liés au développement industriel du Nord-du-Québec et de son fidèle écrivain Giovanni Celani – plus que jamais l’alter ego de l’auteure – qui, dans l’intervalle, a suivi une formation à l’École de police du Québec. Avec l’omniprésence du philosophe néerlandais Baruch Spinoza dont les citations accompagnent un grand nombre de chapitres.

 

Chaîne de glace s’inscrit dans un ensemble de sujets d’actualité associés au Grand Nord québécois, mais aussi d’un point de vue sociétal : espionnage industriel, fuites de secrets de production chez Hydro-Québec, relations diplomatiques avec la Chine, course vers la production de batteries plus durables pour les voitures électriques, vente à rabais des ressources minérales, lutte contre le réchauffement climatique, vols de toiles de grands maîtres, chaînes de blocs (blockchains) d’où probablement le titre du roman, espionnage industriel, cryptomonnaies, indépendance énergétique, terrorisme international, manifestations environnementalistes… à quelques mois d’une pandémie annoncée en filigrane par l’éclosion de plusieurs activités grippales sur le continent asiatique.

 

On est en présence d’un thriller policier au scénario qui m’a paru fort complexe, l’action étant concentrée sur à peine sept jours. Beaucoup d’action sur une période si courte et une efficacité des services de lutte contre le crime qui m’a semblé sortir de l’ordinaire. Et ce dans un rythme d’écriture, parfois alourdi par certains dialogues ou certaines scènes qui, à mon humble avis, auraient pu être raccourcis, voire éliminés, et dont la dynamique ne s’accélère que dans les tout derniers chapitres.

 

Sans dévoiler trop de détails, tout au long de ma lecture, j’ai de plus été sceptique sur le réalisme des segments qui se déroulent « quelque part au nord du 54e parallèle ». Et ce jusqu’à la chute finale plutôt étonnante où toutes les fausses pistes trouvent leurs explications.

 

Ce roman repose sur une recherche très fouillée sur un milieu isolé où l’omerta est omniprésente lorsqu’on tente de soulever le voile sur des pratiques industrielles et des relations de travail parfois toxiques des compagnies minières en quête de territoires à exploiter.

 

Isabelle Lafortune connaît bien la région. Elle qui y a déjà vécu et enseigné dans une école secondaire. Comme elle l’a raconté en entrevue dans un journal montréalais, dans un périple de 16 heures en train, de Sept-Îles à Schefferville, « elle a pu entendre des conversations très intéressantes... et inattendues puisque des passagers, employés par des compagnies minières, se sont mis à jaser de choses et d’autres pour passer le temps. » Et elle ajoute : « … si je ne l’avais pas fait, il y a des éléments de mon histoire qui ne seraient pas dans mon livre. »

 

Vous apprécierez certaines références régionales : l’incontournable restaurant Chez Julie à Havre-Saint-Pierre; les références au poète nord-côtier Roland Jomphe dont cette strophe : « Sur des visages d'étrangers/Venant de près ou de loin/Une impression de passagers/Sur le chemin ou le destin »… Et la qualité d’écriture de l’écrivaine comme dans ce magnifique extrait :

 

« Quelques fils noirs parcouraient encore son abondante chevelure, mais il avait la conviction qu'ils ne tarderaient pas à se vider de leur mélanine dans les prochains jours. »

 

Chaîne de glace permet à son auteure de partager ses réflexions personnelles, traduites dans celles de son personnage écrivain Giovanni Celani, narrateur omniscient du récit :

 

« L'humain est la seule espèce qui se permet de s'aveugler sur sa place dans l'univers, mais lorsqu'elle en aura assez de ses parasites, la Terre nous servira un shampoing vigoureux dont on ne se relèvera pas. »

 

« Dans cinquante ans, ces terres vierges seront dévalisées de leur substance pour satisfaire les besoins de plus en plus grands des uns et des autres. Les nostalgiques des traditions, forcément réfractaires aux changements, me font hurler: ils ne cessent de chialer et restent figés dans le passé, alors que les promoteurs et le développement irrespectueux de l'environnement me donnent des envies d'assassinat. Je n'adhère à aucune doctrine, celle des anciens me lasse parce qu'elle demeure campée sur ses positions, celle des jeunes m'énerve parce qu'elle manque cruellement de perspective et souvent de maturité. Tandis que les pôles s'affrontent, des intérêts sans noms ni visages qui ne fonctionnent que selon un modèle de rentabilité en profitent. Où me situer maintenant, puisqu'aucun des camps représentés dans les médias ou pire, sur les réseaux sociaux, ne me convient ? »

 

Au moment de la publication de cet avis de lecture, ce deuxième roman d’Isabelle Lafortune était finaliste aux Grands Prix du livre de la Montérégie – Prix Arlette-Cousture 2023. L'auteure était également finaliste du « Awards of Excellence » Best French Crime Book du Crime Writers of Canada pour Chaîne de glace.

 

Merci aux éditions XYZ pour le service de presse.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  ***

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  ***

Appréciation générale : ****


Terminal Grand Nord (Isabelle Lafortune)


Isabelle Lafortune. – Terminal Grand Nord. – Montréal : XYZ, 2019. – 348 pages.

 


Polar

 

 


Résumé :

 

Avril 2012. Les corps de Natasha et de sa soeur Gina sont retrouvés aux abords d’un sentier de motoneige de Schefferville. L’inspecteur Émile Morin, dépêché sur place par un gouvernement qui craint le scandale, a beau fouiller, personne ne se rappelle avoir croisé les deux jeunes Innues originaires de Maliotenam, quelques centaines de kilomètres plus au sud.

 

Devant une situation où s’entremêlent des réalités culturelles, sociales et politiques complexes, se frayer un chemin vers la vérité n’est pas chose simple. L’inspecteur emmène donc avec lui son bon ami l’écrivain Giovanni Celani, un habitué de la région, pour l’aider à naviguer dans le climat de tension de cet ancien eldorado minier.

 

Leurs théories seront constamment ébranlées par les phrases cryptiques de Sam, un Innu de la réserve voisine, philosophe à ses heures et gardien des secrets de chacun. Alors qu’émergent regrets et demi-vérités, l’inspecteur Morin devra trouver à qui s’allier pour empêcher que l’horreur ne se répète.

 

 

Commentaires :

 

Voici la première enquête (publiée) du « célèbre enquêteur » Émile Morin, directeur des enquêtes criminelles à la Sûreté du Québec et secondé par un civil, son bon ami l’écrivain Giovanni Celani, « Prix du Gouverneur général », tous deux amateurs d’échecs et de bons vins, les Château Léoville Las Cases et Château Margaux, pour ne nommer que ceux-là.

 

Dans Terminal Grand Nord, l’auteure montréalaise Isabelle Lafortune, diplômée de l’Université du Québec à Montréal (UQÀM) en études littéraires, nous entraîne dans le nord du Québec, entre Sept-Îles et Shefferville où, depuis son premier séjour dans cette ville nordique elle savait qu’elle écrirait un roman qui s’y déroulerait.

 

L’action se situe dans un environnement aux antipodes de celui du sud où se côtoient des populations innues vivant sur leurs terres ancestrales partagées entre réserves autochtones et villes construites par les Blancs qui s’y sont établis pour y travailler dans l’exploitation minière.

 

Dans un contexte social, économique et judiciaire où les violences physiques, les meurtres, l’alcoolisme, les suicides, les drogues, la prostitution… font partie de l’ordre des choses. Particulièrement en ce qui a trait aux nombreux cas de femmes malmenées et vulnérables laissées sans « système de justice adéquat » et sans « services pour qu’elles ne soient plus seules et qu’elles puissent se sentir en sécurité ».

 

Terminal Grand Nord est un roman bien construit. L’intrigue se développe au gré du déroulement de l’enquête. Le lecteur chemine au gré de la quête de la vérité et des déductions du policier enquêteur. Les commentaires du narrateur écrivain « Johnny » Giovanni Celani – alter ego évident d’Isabelle Lafortune – procure un ressenti  de la rudesse du climat et de la vie nordique. Inspirée de faits relatés entre autres en Abitibi dans les médias sur les relations malsaines entre certains éléments des forces de l’ordre en territoire des Premières Nations avec des femmes autochtones, cette sombre histoire est concentrée sur à peine six jours et met en évidence les tensions sociopolitiques québécoises que nous raconte Isabelle Lafortune est plus vraie que vraie.

 

Difficile de prendre une pause de lecture jusqu’à la conclusion annoncée par un revirement de situation imprévisible et un rythme accéléré des événements. À noter les citations de Nicolas Machiavel en début de plusieurs chapitres, l’auteur fétiche d’un des personnages dont la personnalité de « philosophe de brousse » se dévoile au gré du récit.

 

Normal que cette fiction ait reçu le Prix Jacques-Mayer du premier polar remis en 2019 par la Société du roman policier de Saint-Pacôme et qu’elle ait été finaliste aux Grands Prix du livre de la Montérégie – Prix Arlette-Cousture en 2020.

 

Un excellent polar qui aurait pu s’intituler « Le piège des monstres », aux dires de Giovanni Celani.

 

Aussi, en terminant ma lecture, j’avais hâte de m’attaquer au deuxième tome d’une série qui s’amorce.


Merci aux éditions XYZ pour le service de presse.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  *****

Appréciation générale : *****


Rien… (Jean-Jacques Pelletier)


Jean-Jacques Pelletier. – Rien… – Lévis : Alire, 2023. – 556 pages.

 



Polar

 

 


Résumé :

 

Fort d’une carrière où il en a vu de toutes les couleurs, Henri Dufaux n’en est pas moins stupéfait quand il se voit confier la garde d’une ado. De fait, la jeune mais ô combien brillante Maryann est sous sa protection depuis la mort de son père, empoisonné pour avoir refusé de vendre sa maison à un mystérieux acheteur.

En tentant de découvrir ce qui se cache derrière ce meurtre et de déjouer les menaces qui pèsent toujours sur Maryann, Dufaux et son équipe mettent à jour un groupe anonyme qui cherche à acquérir – par tous les moyens ! – des centaines de kilomètres carrés dans les Laurentides.

Or, quand le SCRS débarque dans son enquête, Dufaux comprend que l’affaire est plus vaste qu’il ne croyait, car Henry Trent, un milliardaire mort récemment, possédait justement une propriété dans la zone tant convoitée… et le SCRS a toujours cru Trent proche de la très énigmatique et secrète Liste XIII !

Face à un complot qui prend des dimensions internationales, Dufaux se sait à court de ressources. Toutefois, il a un as dans sa manche : un certain Gonzague Théberge…

 

 

Commentaires :

 

Dans cette quatrième enquête de Henri Dufaux, un des personnages fétiches de Jean-Jacques Pelletier, ex-professeur de philosophie au cégep Lévis-Lauzon, cet auteur prolifique tant en nombre de romans que de pages publiées nous précipite dans une réalité très d’actualité. La crise climatique et une fiction pour en anticiper l’avenir qui glace dans le dos par l’imaginaire de son créateur.

 

Pelletier a beau nous avertir que les « lieux, les milieux, les institutions, les médias, les réseaux sociaux, les sites Internet et les personnages publics qui constituent le décor de ce roman ont été en bonne partie empruntés à la réalité », que « les événements qui sont racontés, de même que les actions et les paroles prêtées aux personnages sont entièrement imaginaires », que « les intervenants apparaissant dans les médias, les sites Internet et les réseaux sociaux, sont des personnages inventés » et que « leurs propos ne sauraient être attribués à des personnes réelles », plus on progresse dans ce tourne page de 223 courts chapitres, plus on a l’impression de vivre au quotidien ces événements qui se déroulent sur une douzaine de mois en 2022 . D’autant plus qu’il ajoute que « les informations sur l'état de la planète ont été vérifiées et sont, au meilleur de [sa] connaissance, avérées » !

 

Réglons d’abord la question du titre, plutôt intrigant, sur une couverture de première annonçant l’apocalypse. Il trouve son sens dès le septième chapitre avec des rappels par intervalles tout au long des 556 pages d’un récit documenté, très bien structuré, entrecoupé d’extraits de bulletins de nouvelles, d’émissions télé et de commentaires entre amis Facebook et regroupant un très grand nombre de personnages. On trouvera d’ailleurs en annexe du livre une brève description de ceux-ci (24 principaux, 35 secondaires et 6 groupes dits « notables » - je vous laisse découvrir) fort utile en cours de lecture.

 

Le tout dans un environnement très techno où se côtoient les moyens de communication les plus sophistiqués, le « darknet », différentes formes d’intelligences artificielles plus vraies que vraies qui fabriquent des faux et et qui examinent le résultat pour déterminer s'il y a des indices que c'est un faux : « Après chaque passe, l'intelligence qui fabrique le faux corrige les erreurs détectées par l'autre. Les différences finissent par être tellement petites qu'elles sont non significatives ».

 

Dans Rien…, il est question de complots et de  manipulation des comportements face à la crise climatique et de moyens que certains ont décidé de prendre pour assurer la survie de l’humanité… ou la leur, face à « l'effondrement des populations animales, […] le plafonnement de l'énergie disponible, l’épuisement des métaux stratégiques et des sols cultivables, l'acidification des océans, la réduction continue des territoires habitables... la stérilisation progressive des espèces animales et des êtres humains par les perturbateurs endocriniens » sans oublier « les mouvements migratoires et les violences qu'ils vont déchaîner... ». De quoi faire dire à un des personnages qu’il avait « sous-estimé la bêtise collective de notre espèce », qu’il croyait un peu naïvement « que lorsque la situation serait connue, lorsque les effets de ces crises deviendraient évidents, les populations et les gouvernements comprendraient » et qu’il avait « fait preuve d'un optimisme... excessif ».

 

Quelques solutions envisagées :


·        Réduire la taille de la population en éliminant les pauvres à l’aide de vaccins favorisant l’apparition de nouvelles pandémies.

·        Exterminer les pires pollueurs, « ceux dont les destructions environnementales n’ont rien à envier aux ravages sociaux qu’ils ont provoqués, […] les un pour cent du un pour cent les plus riches de l'humanité. Parce que [c’est] la seule façon de sauver la planète : éliminer la microminorité qui s'enrichit sur le dos du reste du monde et qui s'oppose aux mesures qu'il faudrait prendre pour sauver l'écosystème Terre. »

·        Soutenir financièrement les écolos pour alimenter la grogne des masses populaires et surtout des jeunes et justifier leurs actions ? « Transformer en une occasion d'enrichissement […] les multiples désastres que l'humanité va continuer de provoquer dans les prochaines décennies... catastrophes climatiques, pénuries d'eau et de nourriture, guerres... le niveau de vie de l'Occident qui s'aligne sur celui de l'Afrique plutôt que le contraire. Le retour à une sorte de Moyen Âge, en somme, mais en plus sombre ».

·        Financer des groupes musicaux multiplicateurs de propagande dans leurs succès musicaux : « Plus ils occupent de place dans les infos, plus ils imposent le thème de l'urgence écologique dans l'actualité, plus ça suscite l'agressivité contre les riches... » En alimentant le climat général d'insécurité des riches, ça renforce leur inquiétude et l’attrait de bénéficier de la protection qu’un groupe secret souhaite leur offrir tout en s’enrichissant.

 

Des questions troublantes bien campées dans un contexte politique américain et international : la réélection potentielle de Trump en 2024, « ses actions antérieures et son emprise sur le Parti républicain, associées à la division du Parti démocrate, vont conduire, tôt ou tard, à l'équivalent d'une guerre civile », la destruction par Clinton et Obama de « la législation fiscale au profit de Goldman Sachs et de l'ensemble du monde financier »,

l'essor de la Chine et les routes de la soie dont le « choc démographique risque de plomber la croissance du pays, ce qui va s'aggraver avec la décision probable de Xi Jinping d'envahir Taiwan vers 2027, comme le craignent les Américains »... Avec une référence à la deuxième tranche du rapport du GIEC récemment publiée qui constate que les « choses s'accélèrent : la mer monte plus vite que prévu, la disparition des espèces animales s'aggrave et le réchauffement de l'atmosphère s'intensifie, notamment à cause de la présence de nano-particules. »

 

Mais n’ayez crainte. Malgré le sérieux du contexte romanesque, le tout est remarquablement ficelé dans un scénario haletant, facile à suivre, avec un Henri Dufaux constamment tourmenté par ce qu’il appelle son « critique intérieur » qui lui fait la morale. Une enquête qui se déroule au Québec et en Europe dont on n’ose imaginer la finale, écrite dans un style fluide et qui permet à son auteur de partager ses réflexions sur la réalité sociale à laquelle nous sommes confrontés au quotidien lors de la diffusion des bulletins d’information et des échanges sur les réseaux sociaux. Trois exemples :

 

« On ne peut pas tuer tous les imbéciles. Il y en a trop... De toute façon, ce ne sont pas eux, les responsables. Enfin, pas les premiers responsables. Ceux qui les utilisent, par contre, ceux qui leur lavent le cerveau. »

« Le problème avec la chaleur, […] c'est qu'on en ajoute davantage à certains endroits, moins à d'autres. Et comme la chaleur, c'est de l'énergie… […] Le système cherche à se rééquilibrer. Autrement dit, à répartir l'énergie également. Et plus l'énergie ajoutée est grande au même endroit, plus les processus de rééquilibrage sont violents... Ça fait fondre des glaciers, ça modifie les courants sous-marins, ça bouleverse la température de l'atmosphère au-dessus des continents... La pluie arrête de tomber à certains endroits, des ouragans et des tornades en ravagent d'autres, des pluies torrentielles s'abattent un peu partout... En fait, on ne devrait pas parler de réchauffement, mais de bouleversements climatiques. D'instabilité. »

« Trois chiffres résument la performance de l'espèce humaine: en quelques années, on a réduit la masse biologique des insectes des deux tiers; en quelques décennies, on a réduit la masse des animaux sauvages des deux tiers; en quelques millénaires, on a réduit la masse des arbres des deux tiers... Enfin, peut-être pas des deux tiers, mais plus de la moitié. La prochaine cible sur la liste, c'est l'humanité. Combien d'années est-ce que ça va prendre pour réduire sa taille des deux tiers ? Même sans épidémies ?... Les famines, le manque de médicaments, les guerres pour les ressources qui se raréfient devraient y parvenir assez vite. »

Rien…, un roman à lire pour réfléchir à notre sort en tant qu’humains tout en se divertissant en tant que lectrice ou lecteur. De la littérature intelligente. Qui donne le goût de remonter dans les enquêtes antérieures de Henri Dufaux et de naviguer dans l’imaginaire de Jean-Jacques Pelletier. Je me suis laissé convaincre que le personnage de Maryann puisse être, disons, aussi « exceptionnel ». 

 

Merci aux éditions Alire pour le service de presse.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  *****

Appréciation générale : *****


Noir Montréal (Collectif)


Collectif. – Noir Montréal. – Laval : Guy Saint-Jean Éditeur, 2023. – 375 pages.

 


Nouvelles

 

 


Résumé :

 

16 plumes, issues d’horizons aussi diversifiés que la population de la ville, mettent la métropole en vedette dans un recueil étonnant et percutant, où la violence côtoie le suspense.

 

Avec des textes d’autrices et auteurs bien connus du monde du polar (et quelques invités !), ce recueil formidable témoigne à la fois du choc des cultures montréalaises et de leur amalgame. Proposant des nouvelles signées Patrick Senécal, Martin Michaud, Johanne Seymour, Maureen Martineau, Geneviève Lefebvre, Guillaume Morrissette, Éric Dupont et Pierre-Yves McSween, Noir Montréal révèle un Montréal grungy, cosmopolite, un peu rebelle et unique, telle qu’on l’aime, avec des quartiers qui ont leur propre couleur et leur ambiance particulière. Des nouvelles mystérieuses, sanglantes, étonnantes ou haletantes, des auteurs qu’on adore ou qu’on découvre, tout est là pour passer des nuits blanches dans la noirceur de Montréal !

 

 

Commentaires :

 

Présenté comme le titre d’« une série qui fait le tour du monde » associant les littératures du crime à plus de 120 villes sur la planète et publiée depuis 2004 par Akashic Books [sept recueils en préparation pour 2023], Noir Montréal regroupe 16 nouvelles noires ou policières par autant d’auteur,es du Québec et du Canada. En fait, il s’agit de la livraison en français par Saint-Jean Éditeur de 12 des 15 textes initialement publiés en anglais (Noir Montreal. – Brooklyn : Akashic Books, 2017. – 288 pages). Dont un de Patrick Senécal, « Heure de pointe », qui faisait partie aussi d’un autre recueil (Montréal Noir. – Montréal : Numéro de série N-0016, 2017. – 152 pages), un projet initié à l’époque par l’écrivain québécois François Barcelo.


 

Sous la direction de Jacques Filippi et John McFetridge (aussi éditeurs de la version anglaise) qui livrent une brève introduction historique, géographique et littéraire de la ville, Noir Montréal nous plonge dans une variété d’univers glauques d’auteur,es francophes et anglophones campés dans autant de quartiers de la métropole et regroupés sous trois thématiques :

 

Première partie - Jungle de béton (Concrete Jungle*)

Heure de pointe [Centre-ville] (Rush Hour*) - Patrick Senécal

Une si belle petite fille [Ville-Marie] (Such a Pretty Little Girl*) - Geneviève Lefebvre

La fumerie hantée [Boul. Saint-Laurent] (The Haunted Crack House*) - Michel Basilières

Les chevaux sauvages [Mile End] (Wild Horses*) - Arjun Basu

Le street smart [Griffintown] (nouvelle originale) - Pierre-Yves McSween

 

Deuxième partie - Liens de sang (Bloodlines*)

Dindon de la farce [Notre-Dame-de-Grâce] (Joke’s On You*) - Catherine McKenzie

Coyote [Westmount] (Coyote*) - Brad Smith

La doublure [Hochelaga] (nouvelle originale) - Maureen Martineau

L'aimant à ordures [Île Sainte-Thérèse en Montérégie] (The Crap Magnet*) - Peter Kirby

Juste une image [Centre-Sud] (nouvelle originale) - Guillaume Morrissette

Papa [Petite-Bourgogne] (Poppa*) - Robert Pobi

 

Troisième partie - Au bord du gouffre (On the Edge*)

Journal d'une obsession [Plateau Mont-Royal] (Journal of an Obsession*) - Johanne Seymour

Dents de lait [Rue Rachel] (Milk Teeth*) - Howard Shrier

Les mange-péchés [Côte-des-Neiges] (The Sin Eaters*) - Melissa Yi

Suitcase Man [Cimetière Notre-Dame-des-Neiges] (Suitcase Man*) - Martin Michaud

Immunité diplomatique [Place d’Youville] (nouvelle originale) - Eric Dupont

____________

* Titre dans la version anglaise de 2017.

 

De courtes notices biographiques résument la carrière de chaque écrivain,e.

 

Mes préférées parmi ces courtes histoires :

·        Coyote et Papa pour la surprise en finale.

·        Juste une image pour la structure à rebours du récit.

·        Journal d’une obsession par sa thématique, la création littéraire.

·        Suitcase Man pour sa chute imprévisible et la découverte d’un jeune policier qui ne tardera pas à devenir une vedette, Victor Lessard.

 

À noter un point de contact entre quelques-uns des textes proposés : la présence de « hipsters », ces jeunes citadins branchés omniprésents dans les cafés où se retrouvent certains des personnages J.

 

Bien d’accord avec l’éditeur pour affirmer que ce recueil original nous offre un éventail de nouvelles aussi variées que le style des auteur,es qui le composent : « mystérieux ou flagrant, sanglant ou psychologique, haletant ou étonnant ». Des histoires d’une vingtaine de pages imaginées par des écrivain,es « qui, parfois, sortent de leur zone de confort pour s'encanailler dans les ruelles ou sur les grands boulevards de Montréal », dont « des anglophones, certains traduits ici pour la première fois en français, qui sont de belles découvertes » dans cette littérature de genre.

 

Merci à Guy Saint-Jean Éditeur pour le service de presse.

 

 

Originalité/Choix du sujet : ****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  ****

Psychologie des personnages :  ****

Intérêt/Émotion ressentie :  ****

Appréciation générale : ****


L’espion qui venait du livre (Luc Chomarat)


Luc Chomarat. – L’espion qui venait du livre. – Paris : La Manufacture de livres, 2022. – 158 pages.

 


Faux roman d’espionnage

 

 


Résumé :

 

Bob Dumont, agent secret, combat sans cesse le maléfique Igor. D’aventure en aventure, notre héros surentraîné au charme dévastateur lutte pour l’empêcher de devenir le maître du monde. Mais au détour d’une rue de Singapour, alors qu’il quitte les bras d’une hôtesse de l’air, Dumont tombe sur un adversaire d’une autre trempe. Delafeuille, éditeur parisien, n’a pas l’intention d’ingurgiter une fois de plus les clichés invraisemblables, racistes et sexistes de ce roman. Le monde du livre a changé, les lecteurs ont d’autres exigences. Pour donner un nouveau souffle à cette histoire, l’éditeur a décidé de rentrer dans le récit, de récupérer Bob Dumont et de l’emmener chez John Davis, l’auteur, histoire d’avoir entre hommes une petite conversation…

 

 

Commentaires :

 

Très intéressant ce pastiche caricatural d’une fiction d’espionnage en écriture et en réécriture, à la sauce des romans des années 1950, une réflexion sur la création littéraire, l’édition et la littérature en tant qu’objet de culture et de marketing. Ainsi que sur l’interaction entre les personnages, l’auteur et, sans contredit l’éditeur en quête de succès de librairie. Incluant un essai déridant sur le style « nouveau roman » des années 1960. Une «  joute verbale qui concerne les antagonismes possibles, réels ou fantasmés, entre la création [que l’auteur représente] et les impératifs de l'économie de marché [ceux de l’éditeur] ».

 

L’espion qui venait du livre, qualifié par Le Point, de « malintentionné, irréventieux et furieusement juste ! », soulève plusieurs questions pour qui s’intéresse à l’écriture romanesque, dont, entre autres, celles-ci  :

 

·        Qu’est-ce qui distingue « un bon roman d'un roman lambda » ?

·        Un personnage a-t-il droit de regard sur le déroulement de l’action ? : « On s’en fout de ce qu’il en pense. C’est un personnage de fiction. »

·        Quelle méthode d’écriture utilise l’auteur ?  Avec ou sans « une idée de la trame générale » ? Au « fil de la plume » ? Sans plan parce qu’il « trouve tout au fur et à mesure », n’ayant, pour la suite des choses, pas la moindre idée puisqu’il « essaie de faire durer » chaque scène parce qu’il ne sait « pas comment enchaîner » ?

·        Un roman doit-il « arriver à temps pour les prix de la rentrée. » ?

 

Ou ce commentaire sur les « vrais » auteurs :

 

« …dès lors que l'authenticité du scribe est un argument de vente, je comprends qu'aucun éditeur ne soit assez fou pour s'en priver. Si ce sont de vrais écrivains […]. Il n'y a rien de plus authentique chez eux. Les gens qui écrivent sincèrement ne sont pas publiés. Plus maintenant. »

 

Et l’importance d’une « série » pour un éditeur :

 

« Je suis l'éditeur de la série, et sans [le héros], la série ne peut pas continuer. » Même si « de toute façon, avec ou sans lui, la série va s'arrêter », le comptable de l’éditeur sachant « parfaitement combien font deux et deux » : « Oui, eh bien, je ne suis pas comptable, figurez-vous. Je suis Delafeuille, de la maison Delafeuille, et je suis là pour veiller à ce que [le héros] trouve ses lecteurs, même s'ils ne sont que trois. Et les lecteurs […] attendent qu'il terrasse ses ennemis et consomme très rapidement un certain nombre de jeunes dames blondes. »

 

L’opuscule se termine sur une postface qui aurait pu être écrite par un illustre critique littéraire dans laquelle sont confrontés les rôles réels de l’auteur, du personnage et de l’éditeur :

 

Si l’auteur « est réellement l’auteur », c’est tout de même « lui, et lui seul, qui a créé » l’éditeur : « Voilà donc un auteur qui s'invente un éditeur, afin d'en faire le protagoniste de son roman » et qui « se prétend tout aussi fictif » que l’éditeur alors « que ni l'un ni l'autre n'ont, à l'intérieur de cette fiction, l'intuition, s'ils vont jusqu'au bout de leur logique, qu'ils se sont mutuellement créés. » Chaque antagoniste ayant sa propre perception de l’autre.

 

Pour l’éditeur, l’auteur est « coupé du monde, paresseux, alcoolique, inconscient de toute réalité économique ».

 

Quant à « l'auteur qu'il a créé, et qui l'a créé, [il] ne peut envisager d'éditeur que prêt à toutes les compromissions, et totalement imperméable au bon sens ou à la liberté de créer. » « L'un et l'autre sont des fantasmes, projections de projections en une galerie des glaces sans matrice, labyrinthe sans commencement ni fin ».

 

Le héros se sentant inutile et manipulé par ses créateurs !

 

Intéressant, n’est-ce pas ? J’avais aussi imaginé sous un autre angle les conflits potentiels entre auteur, éditeur et personnage dans « J’ai tué mon Auteur », une fantaisie romanesque publiée en 2020. J’y ai trouvé certains atomes crochus J.

 

L’espion qui venait du livre, qui suscite la réflexion des lectrices et des lecteurs sur l’écosystème éditorial, m’a permis de découvrir un auteur : Luc Chomarat, né en Algérie en 1959, remarqué dès son premier roman, La Folle du roi (1982) avant de choisir d’exercer ses talents de rédacteur dans la publicité. Poursuivi pour fraude fiscale, il se réfugie dans un monastère tibétain.

 

En 2014, il revient au roman avec L’Espion qui venait du livre (réédité en 2022 par La Manufacture de livres). En 2016, il reçoit le Grand prix de littérature policière pour Un trou dans la toile. Traducteur de l’écrivain américain de roman noir Jim Thompson, il a aussi publié Le polar de l’été (2017) et Le dernier thriller norvégien (2019). Trois romans qui feront l’objet de futurs avis de lecture.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  *****

Appréciation générale : *****