Surface [roman et bande dessinée] (Olivier Norek)

Olivier Norek. Surface. – Paris : Michel Lafon, 2019. – 425 pages.

 




Polar (roman et bande dessinée)

 

 


Résumé :

 

Après un grave accident, Noémie, une capitaine de la police judiciaire parisienne, est envoyée dans le petit village d'Avalone bien malgré elle. C'est alors que le cadavre d'un enfant disparu vingt-cinq ans auparavant est découvert. L'enquête bouleverse à la fois le quotidien des villageois et la reconstruction de la policière.

 

 

Commentaires :

 

C’est mon premier Olivier Norek. Je ne peux donc pas comparer avec ses quatre titres précédents : Code 93 (2013), Territoires (2014), Surtensions (2016) et Entre deux mondes (2017). Surface est un polar que j’ai beaucoup aimé.

 

D’abord pour la simplicité et l’efficacité de l’écriture, la structure générale de l’intrigue, le personnage principal de l’enquêtrice qui, malgré le drame personnel vécu au départ, s’emploie progressivement à dénouer celui du village dans lequel on lui a confié une tout autre mission, les enchaînements, les rebondissements, les fausses pistes et la finale que je défie quiconque de prédire.

 

L’auteur nous entraîne dans l’Aveyron, en Occitanie, au centre d'un triangle formé par les villes de Toulouse, Clermont-Ferrand et Montpellier. Dans une commune inondée par la construction d’un barrage, me rappelant « Dégât des eaux »  (une aventure de John Dortmunder) » de Donald Westlake.

 

Une histoire de « cold cases » originale et bien documentée grâce au réseau de collaboratrices et de collaborateurs des milieux policiers, médicaux… de l’auteur lui-même ex-policier, crédible, non sanglante comme je les aime, au suspense moyen croissant de chapitre en chapitre. Avec un clin d’œil de l’auteur à des collègues écrivains de littérature policière – Clautre Favan et Jacques Saussey – dans la scène de comptabilisation des défunts inhumés dans le cimetière communal.

Dès les premières pages, je n’ai eu qu’une envie : poursuivre la lecture des 63 courts chapitres répartis en quatre blocs aux titres évocateurs : En pleine tête - En pleine campagne - En pleine tempête - En plein cœur. Et ce  jusqu’au véritable dénouement.

 

Avec l’annonce de l’adaptation de ce polar efficace sous forme de bande dessinée [Olivier Norek, Matz & Brahy. – Surface. – Paris : Michel Lafond, 2022. – 136 pages], j’ai voulu comparer avec l’œuvre romanesque.

 

Magnifique couverture de première. L’album respecte l’esprit et la lettre de l’œuvre avec un scénario adapté pour couvrir l’ensemble du récit et y transposer le suspense en 136 planches très colorées. Excellent résultat avec un clin d’œil, en page 69, avec l’annonce d’une séance de dédicace d’Olivier Norek pour son plus récent polar, « Dans les brumes de Capelans », à la boutique de journaux et librairie Presse-Bulle de Decazeville.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  *****

Appréciation générale : *****

La chambre du fils (Jørn Lier Horst)


Jørn Lier Horst. 
La chambre du fils. – Paris : Gallimard, 2022. – 475 pages.

 



Polar

 

 




Résumé :

 

Bernhard Clausen, ancien ouvrier soudeur, membre important du parti travailliste et ex-ministre, meurt soudainement d’une crise cardiaque. Un proche va inspecter son chalet pour s’assurer que rien n’y traîne qui risquerait de compromettre le parti. Il découvre neuf cartons entassés comme à la hâte dans une chambre, remplis de billets datant du début des années 2000 : l’équivalent de quatre-vingts millions de couronnes en euros, livres sterling et dollars.

 

L’inspecteur Wisting est chargé par le procureur général de Norvège de découvrir leur origine. Rapidement et le plus discrètement possible : les élections approchent.

 

Mais son enquête prend une nouvelle dimension quand remonte à la surface une lettre anonyme mettant en cause Clausen dans la disparition, en 2003, d’un jeune homme parti pêcher au bord du lac Gjersjøen.

 

 

Commentaires :

 

Une enquête policière et journalistique méticuleuse racontée pas à pas par un auteur qui s’appuie sur son expérience d’ancien inspecteur de police familier avec les rouages judiciaires norvégiens. Une écriture rythmée, efficace et très cinématographique.

 

Un tourne page qui nous tient en haleine avec ses rebondissements, ses fausses pistes, le souci du détail dans cette investigation policière intelligente et dans l’inclusion de scènes de la vie quotidienne des personnages principaux (l’inspecteur Wisting, sa fille Line et sa petite fille Amalie). Entourés d’une galerie de personnages crédibles, les bons comme les méchants.

 

De chapitre en chapitre, les suspects s’éliminent un à un jusqu’à la solution finale dans une séquence sur les chapeaux de roue.

 

La chambre du fils est la sixième enquête de Wisting. Sa lecture donne le goût de remonter dans la séquence littéraire imaginée par Jørn Lier Horst originaire du sud de la Norvège, qualifié par l’éditeur comme « le digne héritier du suédois Henning Mankell : Fermé pour l’hiver (2017), Les chiens de chasse (2018), L’usurpateur (2019), Le disparu de Larvik (2020) et Le code de Katharina (2021).

 

Un de mes coups de cœur 2022.

 

Petit bémol : l’insertion à plusieurs reprises de l’expression « du coup » dans la traduction française impeccable du texte norvégien.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  *****

Appréciation générale : *****

Tuer Pétain (Pascal Chabaud)

Pascal Chabaud. Tuer Pétain. – Strasbourg : Éditions du Signe, 2022. – 258 pages.

 


Type : Polar historique

 

 



Résumé :

 

Qui a tué Gaston Tournayre, pharmacien à Clermont[1]Ferrand ? Violeur, escroc et avorteur, il comptait d’innombrables  ennemis. Au cours de l’automne 1941, alors que le  régime de Vichy fait face aux premiers attentats contre l’occupant allemand et que la Police aux Questions Juives se met en place, Joseph Dumont mène l’enquête, et déjoue in extremis un attentat contre le maréchal Pétain dont la disparition entraînerait la mise sous tutelle du pays par l’Allemagne ! Parviendra-t-il à neutraliser le tueur ? Cette tentative d’attentat est-elle liée au meurtre du pharmacien et au réseau de Justes qui émerge ? À lui de le découvrir !

 

 

Commentaires :

 

Quand l’imaginaire vise un objectif pédagogique pour faire découvrir des pans de l’Histoire connus et même insoupçonnés est le fondement de la création littéraire, alors chapeau !

 

C’est ainsi que je qualifierais la deuxième enquête de Joseph Dumont ayant pour cadre un événement fictif, un attentat contre le maréchal Pétain, le 11 novembre 1941 aux pieds du monument Vercingétorix à Clermont-Ferrant combiné à l’assassinat d’un pharmacien. Le cadre idéal pour poursuivre la description du quotidien pendant cet épisode noir de l’histoire de France, le régime de Vichy, sous l’occupation allemande. Un récit aussi passionnant que celui du premier opus de Pascal Chabaud, Mort d’un sénateur. Inutile de répliquer mes commentaires sur ce dernier titre s'appliquant également à Tuer Pétain qui s’appuie lui aussi sur une documentation publiée et sur une recherche fouillée dans les archives

 

J’ajouterais avoir apprécié l’amorce de chaque chapitre avec les unes du journal La Montagne, quotidien régional de Clermont-Ferrand, assurant l’intégration du récit aux événements qui se déroulent en parallèle.

 

L’auteur nous fait accompagner son personnage principal, policier de Clermont, évoluant au cœur d’un réseau de résistants et de collaborateurs, en nous faisant découvrir les balbutiements des méthodes « scientifiques » à sa disposition (analyses balistiques et au microscope, empreintes digitales), les confrontations avec les atrocités policières antijuives et germanophiles.

 

Je ne peux passer sous silence le clin d’œil de Chabaud avec le Québec, le Canada français à l’époque, avec l’intégration d’un personnage secondaire malouin qui trouve refuge dans un petit village de la Côte Nord du Québec, Natasquan pour ne pas le nommer, dans une famille dont le fils deviendra célèbre quelques années plus tard en chantant, entre autres, « Mon pays, ce n’est pas un pays, c’est l’hiver ».

 

Avec ce polar historique qui se termine à la fin de l’année 1941, il y a fort à parier que l’enquêteur Joseph Dumont risque d’être impliqué dans d’autres aventures jusqu’au 9 août 1944, jour de la chute du régime politique autoritaire, traditionaliste, xénophobe et antisémite permettant à son lectorat de poursuivre sa réflexion sur cette époque peu reluisante de l'humanité.

 

À noter que l’ouvrage « offre la possibilité d'une lecture en réalité augmentée, grâce à des pictogrammes à scanner avec le téléphone, pour accéder à des documents correspondant au contenu du roman » :

  • le discours radiodiffusé du maréchal Pétain, quelques jours après sa rencontre avec Hitler le 26 octobre 1940;
  • une vidéo de la rencontre de Pétain avec Goering à Saint Florentin Vergigny le 12 décembre 1941;
  • des photos de bagnes au XIXe et au XXe siècle;
  • une photo du Fidèle Berger où se rencontrent Dumont et Albertine;
  • une photo de la rencontre de Pétain avec des écoliers de Clermont.

Il suffit de télécharger gratuitement l’application « Éditions du Signe ». Une fois l’application ouverte, il suffit de sélectionner « Tuer Pétain », de positionner la caméra du téléphone sur la page où apparaît le pictogramme de « réalité augmentée » et d’appuyer sur la flèche pour déclencher la vidéo, le fichier audio ou afficher la photo. Si l’ouvrage était disponible en format numérique, cette fonctionnalité pourrait être activée à partir d’hyperliens.

 

Très bonne idée également d’avoir intégré un signet détachable de la couverture de quatrième et un pictogramme permettant de visualiser une présentation du sympathique auteur.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  *****

Appréciation générale : *****

Comment cuire un ours (Mikael Niemi)


Mikael Niemi. Comment cuire un ours. – Paris : Stock, 2017. – 516 pages.

 


Polar historique

 

 


Résumé :

 

Nous sommes en 1852, au cœur des magnifiques paysages du Grand Nord suédois. Lars Levi Læstadius, botaniste émérite, pasteur haut en couleur du petit village de Kengis et fondateur d'un mouvement  connu pour son éthique rigoureuse, tente tant bien que mal de combattre l’athéisme et l’alcoolisme de ses paroissiens. Contre l’avis des villageois, Læstadius a recueilli un jeune garçon sámi, affamé et illettré, Jussi, qu’il initie aux secrets de la botanique et qui le suit comme son ombre.

 

Lorsqu’une servante est retrouvée morte dans la forêt, le commissaire s’empresse d’imputer l’odieux crime à… un ours. Fort de son intuition et de son savoir scientifique, Læstadius n’y croit pas un instant. Quand une deuxième jeune fille vient à disparaître, le pasteur, secondé par son fidèle Jussi, décide de mener l’enquête, quitte à s’attirer les foudres des autorités locales.

 

 

Commentaires :

 

Quelle belle découverte que ce roman policier à saveur historique campé près de la frontière nordique séparant la Suède de la Norvège, mettant en vedette un pasteur luthérien excentrique féru de botanique et écrivain à ses heures. Une œuvre de fiction intègre un personnage ayant réellement existé, Lars Levi Læstadius (10 janvier 1800 - 21 février 1861), chef de file du mouvement religieux conservateur læstadien. Sous la plume à la fois romanesque et poétique de Mikael Niemi, né en 1959 à Pajala, dans les lieux mêmes où se déroule l’action. En 2000, cet auteur suédois lauréat du prestigieux prix August, prix littéraire décerné en Suède depuis 1989, avait publié un premier roman, Le goût du baiser d’un garçon (Actes Sud) vendu à plus d’un million d’exemplaires.

 

Comment cuire un ours nous immerge dans la vie quotidienne rude, violente et glauque d’une petite communauté, décor d’une série de meurtres dans lequel évoluent des personnages, plusieurs attachants et d’autres détestables, une société hiérarchisée rongée l’alcoolisme et ses impacts sur les comportements. Fléau que condamne à répétition le pasteur Læstadius.

 

L’essentiel du récit repose sur la narration du jeune sámi, Jussi Sieppinen, autochtone lapon, recueilli en forêt par l’ecclésiastique dont il devient le disciple qu’il assiste tout au long de l’enquête. Au point à se retrouver au cœur même de l’énigme. Une recherche de la vérité contrecarrée par un commissaire Brahe incompétent et alcoolique prêt à conclure plus rapidement qu’autrement pour identifier un coupable. Avec la complicité du garde champêtre Michelsson, flagorneur de la pire espèce. Injustice sociale, maltraitance, fanatisme religieux, violence extrême, transes mystiques sont au rendez-vous. Mais également un hymne à l’amour, à la flore des zones nordiques, à la lecture, à l’écriture, au genre romanesque, à la parole, à l’ouverture sur la modernité aux portes du prochain siècle.

 

Plus qu’un roman policier, Comment cuire un ours foisonne de descriptions détaillées et d’échanges entre les personnages qui complètent cette peinture sociale qui ne laisse pas indifférent. Ce qui ne nuit nullement au rythme et au suspense croissant du récit dont le dénouement est plus qu’imprévisible.

 

Et que dire de tels passages savoureux, comme celui-ci sur les effets de l’alcool :

 

« Jamais auparavant  je n'avais eu d'alcool en bouche. La sensation était bien celle d'un feu, mais de courte durée. Suivait l'impression pénible d'avoir dans le ventre un œuf, qui enflait, se muait en un cœur empoisonné, battait, fouettait. Puis l'œuf se lézardait, sa coquille noire éclatait, il en sortait des pattes griffues à la peau pourvue d'écailles, enfin une gueule prête à mordre. » (p. 141)

 

Ou sur la force des mots :

 

« Les mots qu'on écrit sont importants, mais vois ce qui se produit quand on les prononce ! Il faut les mordre, les mettre en petits morceaux comme des éclats de poterie. Les mastiquer jusqu'à les rendre mous comme la glaise, pour ensuite leur redonner forme avec les lèvres et les cordes vocales. C'est alors seulement qu'ils prennent toute leur force ! » (p. 126)

 

Ou encore sur l’existence légale d’un individu :

 

« Depuis ce jour, j'existe dans le livre [état civil] où il m'a inscrit. Plus jamais mon nom ne pourra être oublié. Car être oublié, n'est-ce pas le pire, quand on vit encore? Traverser sa propre vie sans qu'elle soit jamais justifiée par des lettres. Les lettres sont comme des clous forgés, sortis brûlants de la forge, qui tiédissent puis rougissent peu à peu, avant de devenir noirs et résistants. » (pp. 47-48)

 

Une de mes lectures coup de cœur 2022. Un roman, « dans la droite lignée du Nom de la Rose » (Umberto Eco), comme le qualifie l’éditeur, que je regrette de ne pas l’avoir découvert cinq ans plus tôt.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  *****

Appréciation générale : *****

Tenir (Graham Moore)


Graham Moore. Tenir. – Paris : Calmann Lévy, 2022. – 370 pages.

 



Thriller judiciaire

  



Résumé :

 

Bobby Nock, un professeur afro-américain, est accusé d’avoir assassiné une de ses élèves. Alors que le procès débute, personne ne doute de sa culpabilité. Mais la jeune Maya Seale persuade le jury, dont elle fait partie, de l’innocence de Nock, lequel est acquitté.

 

Dix ans plus tard, une chaîne de télévision décide d’adapter l’affaire en série et convoque tous les jurés dans les lieux mêmes où ils ont délibéré. De vieilles querelles et des secrets enfouis remontent à la surface et soudain, l’un des jurés est retrouvé mort… dans la chambre de Maya. Celle-ci, devenue avocate, va devoir donner le meilleur d’elle-même pour révéler une vérité trop longtemps cachée.

 

 

Commentaires :

 

Un thriller judiciaire, un peu à la manière de Douze hommes en colère, mettant en vedette « la seule jurée assez courageuse pour dire la vérité à ses pairs aussi aveugles qu’impitoyables ». Car ce roman de Graham Moore s’intéresse aux interrelations entre la justice et la vérité. Et aux limites des décisions des tribunaux et sur la dynamique de celles des jurés ayant chacun des antagonismes parfois secrets.

 

L’auteur utilise avec efficacité les alternances entre le déroulement d’un procès, dix ans plus tôt, psychologie des différents intervenants par rapport aux événements récents mettant en cause celle qui avait à l’époque fait basculer le sort d’un accusé. La technique engendre un certain suspense, une certaine dynamique de lecture, jusqu’au dénouement inattendu de l’affaire.

 

À la différence de Michael Connelly qui nous illustre les techniques parfois « vicieuses » utilisées par les procureurs et les avocats de la défense en mettant en scène Micky Haller, Graham Moore nous présente une autre facette d’un procès en nous plongeant dans le quotidien des jurés.

 

Deux bémols : certaines structures de phrases obligent une relecture pour s’assurer d’une bonne compréhension, résultat d’une traduction plus ou moins réussie ; des coquilles (mots manquants ou inappropriés). Plutôt étonnant pour une production par une maison réputée. Considérant le prix de plus en plus élevé des livres en librairie, certains éditeurs auraient avantage à rehausser le processus de révision des textes avant publication.

 

Un bon roman qui aurait pu s’intituler « Résister », sinon « Tenir le coup » pour mieux correspondre au sens de sa version anglaise (The Holdout).

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : ***

Intrigue :  ****

Psychologie des personnages :  ****

Intérêt/Émotion ressentie :  ***

Appréciation générale : ***

Mort d’un Sénateur (Pascal Chabaud)


Pascal Chabaud. – Mort d’un Sénateur. – Strasbourg : Éditions du Signe, 2022. – 359 pages.

 


Polar historique

 

 


Résumé :

 

Le 10 juillet 1940, un mois après l’occupation de la France par l’armée allemande, l’Assemblée Nationale accorde les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain.

 

Deux jours plus tard, le corps du sénateur Etienne Ferrand est retrouvé dans une chambre d’hôtel de la capitale auvergnate. Adversaire de Pierre Laval, franc-maçon, républicain, le sénateur était un farouche opposant du nouvel État français.

 

Que faisait-il à cinquante kilomètres de Vichy alors que sa présence aurait été indispensable en ce moment où se jouait le sort de la République ? Son intérêt pour un véhicule révolutionnaire conçu par Citroën aurait-il mis sa vie en danger ? Assassinat politique ? Espionnage industriel ?

 

L’inspecteur Joseph Dumont doit enquêter dans ce contexte difficile. Une nouvelle administration d’où sont renvoyés les fonctionnaires républicains est mise en place, et la Cagoule, organisation d’extrême droite reprend du poil de la bête, dont le chef clermontois est le respectable confiseur Lucien Thévenet.

 

Entre Clermont, Vichy et Paris, Joseph découvre les intrigues politiques et politiciennes qui ont entouré la naissance du régime de Vichy.

 

 

Commentaires :

 

Pascal Chabaud a enseigné l’histoire pendant toute sa carrière. Il invite à « relire l’histoire de la France pendant la Seconde Guerre mondiale sous un angle original : comment se comportent les hommes face à des événements qui les dépassent. Sur un fond historique très richement documenté, il construit ses intrigues policières, prétextes à la découverte du régime de Vichy, tiraillé entre collaboration et nationalisme, et nous aide à comprendre les mentalités des hommes politiques pendant ces années noires. »

 

Voilà qui résume bien l’essence de ce polar historique d’un auteur ami Facebook que je viens de découvrir. De l’autre côté de l’Atlantique (au Québec), les dessous de ce pan de l’histoire de cette France divisée, l’occupée et la libre sont peu ou mal connus. Avec Mort d’un Sénateur, Pascal Chabaud, passeur de mémoire, nous imprègne du climat social, politique et économique auquel sont confrontés les citoyens qui sont restés au nord et ceux qui ont fui vers le sud. Accompagnés par les membres du gouvernement, élus et sénateurs depuis Paris jusqu’à Vichy. Un quotidien où antisémitisme, chasse aux francs-maçons et groupes extrémistes côtoient les purges politiques : 


« Les lois sur les sociétés secrètes et sur le nouveau statut des Juifs donnaient à la police des pouvoirs qui n'étaient pas ceux que Joseph recherchait. Et qui ressemblaient à ceux dont disposait la Gestapo. » (p. 336)

 

Pour apprécier au maximum ce roman très riche dans sa facture – faits historiques, politiciens et personnages acteurs de l’époque, vie quotidienne… –, je vous suggère vous aussi de lire au préalable la préface de Eric Alary, professeur de la Chaire supérieure en histoire à Tours, mais également la postface de l’auteur aux pages 353-354. Ces deux textes permettent d’intégrer la trame policière fictive dans la chronologie des événements.

 

En 2019, Mort d’un Sénateur s’est mérité le Prix du roman historique décerné par le cercle littéraire Catherine de Médicis de Clermont-Ferrand. La qualité littéraire de ce récit se démarque par la qualité d’écriture de l’auteur et par la précision quasi chirurgicale des moindres détails qui font cheminer cette première enquête de l’inspecteur Joseph Dumont jusqu’à son dénouement imprévisible. Le tout enchâssé dans des descriptions à la fois révélatrices et poétiques comme celle-ci :

 

« Ils restèrent silencieux dans le soir tombant. Les oiseaux se préparaient à la nuit. Un merle, juché à la cime d'un érable racontait sa journée à la terre entière, insensible aux malheurs et aux incohérences des hommes. » (p. 305)

 

Ou celle-ci sur la vie quotidienne :

 

« Certains quartiers avaient été épargnés par la présence allemande et, sans les files d'attente devant les commerçants, on aurait pu se croire en temps de paix. Il traversa les Halles qui n'avaient rien à voir avec celles du Ventre de Paris. Les étals étaient presque vides, proposaient rutabagas, topinambours et quelques carottes. Les bouchers faisaient grise mine et Joseph aurait hésité à donner à ses chiens les rares morceaux de viande exposés. Sur sa vitrine, un crémier rayait les produits qui n'étaient plus disponibles, au grand désespoir des clients dont certains repartaient sans rien dire. Joseph suivit une vieille dame des yeux. Elle s'approcha de caisses en bois qui contenaient des rebuts de légumes. Elle ouvrit son sac, et ramassa trois oignons. » (p. 333)

 

Ou sur la littérature du crime, que partage Chabaud avec son enquêteur :

 

« Ses lectures de Conan Doyle ou d'Edgar Poe le fascinaient par la facilité de déduction avec laquelle Holmes ou Dupin pouvaient trouver la profession d'un témoin ou le tabac qu'il fumait.

 

Il savait qu'il ne serait jamais ni Holmes ni Dupin, parce que l'auteur du roman connaît avant tout le monde le nom de l'assassin. Mais il aimait partir sur des pistes différentes, variées, faire fausse route aussi, parce que c'était de l'erreur que naissait parfois le germe qui permettait de suivre la bonne direction. » (p. 335-336)

 

Comment ne pas endosser cette réflexion que se fait l’auteur sur la création littéraire : « D'où viennent ces mots, ces expressions que l'on écrit sans vraiment l'avoir voulu, mais qui font partie de notre ‘’ capital lexical ‘’ ? » (p. 357)

 

Un volet historique important dans ce polar historique qui se lit d’un trait :

Mort d’un Sénateur  vous fera peut-être aussi découvrir comme moi les dessous du projet de TPV (Toute Petite Voiture) de Citroën/Michelin, projet de véhicule minimaliste devant être accessible aux classes moins fortunées.

 

Définitivement, Pascal Chabaud est un auteur à découvrir si ce n’est déjà fait. Particulièrement au Québec. Pour ma part, j’ai bien hâte d’accompagner Joseph Dumont dans sa prochaine enquête : Tuer Pétain.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  *****

Appréciation générale : *****


L’automne du commissaire Ricciardi (Maurizio De Giovanni)

Maurizio De Giovanni. L’automne du commissaire Ricciardi. – Paris : Rivages/Noir, 2019. – 412 pages.

 


Polar

 

 


Résumé :

 

Le cadavre d'un gamin des rues, qui avait été accueilli dans un foyer catholique où règnent les mauvais traitements, est retrouvé dans les rues de Naples, la semaine qui précède le jour des morts. L'enfant a été empoisonné à la mort aux rats. Alors que la ville s'apprête à recevoir Mussolini, le commissaire Ricciardi et son adjoint Maione se battent pour que l'affaire ne soit pas classée.

 

Commentaires :

 

Après avoir lu et grandement apprécié L’hiver du commissaire Ricciardi et faute de disponibilité au Québec du Printemps… et de L’été…, je me suis plongé tout de même dans cette enquête automnale qui clôt le cycle des saisons imaginé par Maurizio De Giovanni. Et j’y ai retrouvé un autre polar historique intelligent alliant violence, poésie et émotion.

 

Par son style direct et son talent de description des lieux, des événements, du contexte historique et de l’éventail des personnages qu’il introduit au gré du récit, l’auteur nous transporte dans une Naples dont les autorités souhaitent s’enorgueillir de présenter une ville de l’État fasciste mussolinien, débarrassée de la criminalité et des tensions sociales à la veille de la visite du Duce.

 

C’est dans ce contexte que se déroule à raison l’enquête non souhaitée par ses patrons du commissaire Ricciardi sur la mort d’un gamin orphelin dont l’autopsie a conclu à une mort accidentelle. Avec l'assistance de son fidèle brigadier Maione. À la fin du mois d’octobre 1931, pluvieux, humide, brumeux à souhait. Une météo idéale pour y camper cette quête nébuleuse de la vérité qui profitera de l’éclairci du jour des Morts pour trouver, en chute finale, sa résolution en pleine histoire d’amour platonique qu’entretient le policier avec sa voisine d’en face et confronté à l’intérêt que lui porte Livia Lucani, veuve Vezzi, dont l’assassinat du mari a fait l’objet d’une enquête une des saisons précédentes.

 

Dans ce quatrième opus, Maurizio De Giovanni nous fait découvrir de nouveaux aspects de la personnalité de son héros qui a le don de revoir et d’entendre les dernières paroles de certaines personnes décédées dans différents quartiers de la ville. Une cité italienne des années 1930 « … dans laquelle la misère la plus noire s’étend au pied des riches hôtels particuliers, où l’Église encore toute puissante s’allie à la vieille noblesse et à la bourgeoisie dans d’hypocrites actions de charité qui dissimulent mal leur mépris des plus pauvres. Une ville qui semble dévorer ses enfants. » (Encore du noir, sept. 2015).

 

Il faut également souligner le talent de l’auteur pour nous imprégner de l’ambiance sombre dans laquelle il fait évoluer ses personnages :

 

·        l’eau qui ne lave pas, qui sépare, qui dérobe, qui fait peur et qui ne s’arrête jamais (pp. 81-82) en référence aux ondées quotidiennes qui inondent la ville ;

·        le premier matin de froid qui a une saveur et une couleur, qui « arrive en changeant le goût de la pluie, qui sentait un peu la mer et qui, maintenant, sent la glace », où « on s’habille au lit », où les « mères sortent les mitaines qui permettront aux doigts engourdis d’écrire », où « les poêles marchent à plein régime » et que même si on s’y est préparé, arriveront « sans qu’on s’y attende et [cueilleront] par surprise les anciens avec de nouvelles douleurs et la certitude qu’ils vont vivre leur dernier hiver » (pp. 167-169) ;

·        le dimanche sous la pluie qui « te met dans une situation que tu n’attendais pas, que tu n’avais pas souhaitée », qui « ferme les portes », qui « te fait désirer autre chose que tu as », qui « a ses armes », qui « est rempli de pleurs », qui « fait de biens étranges cadeaux », qui « limite les possibilités », qui « a ses invités » et qui « glisse tout de même quelques espoirs au sein des pires solitudes » (pp. 334-337).

 

Et le coloré tableau de l’heure du dîner (souper au Québec) au restaurant Gambrinus où Ricciardi y a sa table : les clients, les serveurs et les barmen, les odeurs, les sons, l’air limpide… (pp. 328-330).

 

Une lecture que vous savourerez de la première à la dernière page et n’ayez crainte, sans posséder une connaissance même minimale de l’histoire italienne de l’entre-deux guerres.

 

Au moment de rédiger cet avis, je viens de repérer sur Internet un exemplaire de L’été du commissaire Ricciardi. Bien hâte de le dévorer.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  *****

Appréciation générale : *****