Pascal Chabaud. – Mort d’un Sénateur. – Strasbourg : Éditions du Signe, 2022. – 359
pages.
Polar historique
Résumé :
Le 10 juillet 1940, un mois après
l’occupation de la France par l’armée allemande, l’Assemblée Nationale accorde
les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain.
Deux jours plus tard, le corps du sénateur
Etienne Ferrand est retrouvé dans une chambre d’hôtel de la capitale auvergnate.
Adversaire de Pierre Laval, franc-maçon, républicain, le sénateur était un
farouche opposant du nouvel État français.
Que faisait-il à cinquante kilomètres de
Vichy alors que sa présence aurait été indispensable en ce moment où se jouait le
sort de la République ? Son intérêt pour un véhicule révolutionnaire conçu par Citroën
aurait-il mis sa vie en danger ? Assassinat politique ? Espionnage industriel ?
L’inspecteur Joseph Dumont doit enquêter dans
ce contexte difficile. Une nouvelle administration d’où sont renvoyés les fonctionnaires
républicains est mise en place, et la Cagoule, organisation d’extrême droite
reprend du poil de la bête, dont le chef clermontois est le respectable
confiseur Lucien Thévenet.
Entre Clermont, Vichy et Paris, Joseph
découvre les intrigues politiques et politiciennes qui ont entouré la naissance
du régime de Vichy.
Commentaires :
Pascal Chabaud a enseigné l’histoire pendant
toute sa carrière. Il invite à « relire
l’histoire de la France pendant la Seconde Guerre mondiale sous un angle
original : comment se comportent les hommes face à des événements qui les dépassent.
Sur un fond historique très richement documenté, il construit ses intrigues
policières, prétextes à la découverte du régime de Vichy, tiraillé entre
collaboration et nationalisme, et nous aide à comprendre les mentalités des
hommes politiques pendant ces années noires. »
Voilà qui résume bien l’essence de ce polar
historique d’un auteur ami Facebook que je viens de découvrir. De l’autre côté
de l’Atlantique (au Québec), les dessous de ce pan de l’histoire de cette France
divisée, l’occupée et la libre sont peu ou mal connus. Avec Mort d’un Sénateur, Pascal Chabaud, passeur de
mémoire, nous imprègne du climat social, politique et
économique auquel sont confrontés les citoyens qui sont restés au nord et ceux
qui ont fui vers le sud. Accompagnés par les membres du gouvernement, élus et
sénateurs depuis Paris jusqu’à Vichy. Un quotidien où antisémitisme, chasse aux
francs-maçons et groupes extrémistes côtoient les purges politiques :
« Les lois sur les sociétés secrètes
et sur le nouveau statut des Juifs donnaient à la police des pouvoirs qui
n'étaient pas ceux que Joseph recherchait. Et qui ressemblaient à ceux dont
disposait la Gestapo. » (p. 336)
Pour apprécier au maximum ce roman très riche
dans sa facture – faits historiques, politiciens et personnages acteurs de l’époque,
vie quotidienne… –, je vous suggère vous aussi de lire au préalable la
préface de Eric Alary, professeur de la Chaire supérieure en histoire à Tours, mais
également la postface de l’auteur aux pages 353-354. Ces deux textes permettent
d’intégrer la trame policière fictive dans la chronologie des événements.
En 2019, Mort
d’un Sénateur s’est mérité le Prix du roman historique décerné par le
cercle littéraire Catherine de Médicis de Clermont-Ferrand. La qualité
littéraire de ce récit se démarque par la qualité d’écriture de l’auteur et par
la précision quasi chirurgicale des moindres détails qui font cheminer cette première
enquête de l’inspecteur Joseph Dumont jusqu’à son dénouement imprévisible. Le
tout enchâssé dans des descriptions à la fois révélatrices et poétiques comme
celle-ci :
« Ils
restèrent silencieux dans le soir tombant. Les oiseaux se préparaient à la
nuit. Un merle, juché à la cime d'un érable racontait sa journée à la terre
entière, insensible aux malheurs et aux incohérences des hommes. » (p.
305)
Ou celle-ci sur la vie quotidienne :
« Certains
quartiers avaient été épargnés par la présence allemande et, sans les files
d'attente devant les commerçants, on aurait pu se croire en temps de paix. Il
traversa les Halles qui n'avaient rien à voir avec celles du Ventre de Paris.
Les étals étaient presque vides, proposaient rutabagas, topinambours et
quelques carottes. Les bouchers faisaient grise mine et Joseph aurait hésité à
donner à ses chiens les rares morceaux de viande exposés. Sur sa vitrine, un
crémier rayait les produits qui n'étaient plus disponibles, au grand désespoir
des clients dont certains repartaient sans rien dire. Joseph suivit une vieille
dame des yeux. Elle s'approcha de caisses en bois qui contenaient des rebuts de
légumes. Elle ouvrit son sac, et ramassa trois oignons. » (p. 333)
Ou sur la littérature du crime, que partage
Chabaud avec son enquêteur :
« Ses
lectures de Conan Doyle ou d'Edgar Poe le fascinaient par la facilité de
déduction avec laquelle Holmes ou Dupin pouvaient trouver la profession d'un
témoin ou le tabac qu'il fumait.
Il savait qu'il ne
serait jamais ni Holmes ni Dupin, parce que l'auteur du roman connaît avant
tout le monde le nom de l'assassin. Mais il aimait partir sur des pistes
différentes, variées, faire fausse route aussi, parce que c'était de l'erreur
que naissait parfois le germe qui permettait de suivre la bonne direction. » (p. 335-336)
Comment ne pas endosser cette réflexion que
se fait l’auteur sur la création littéraire : « D'où viennent ces mots, ces expressions que l'on écrit sans vraiment
l'avoir voulu, mais qui font partie de notre ‘’ capital lexical ‘’ ? »
(p. 357)
Un volet historique important dans ce polar
historique qui se lit d’un trait :
Mort d’un Sénateur vous fera peut-être aussi découvrir comme moi
les dessous du projet de TPV
(Toute Petite Voiture) de Citroën/Michelin, projet de véhicule minimaliste
devant être accessible aux classes moins fortunées.
Définitivement, Pascal Chabaud est un auteur
à découvrir si ce n’est déjà fait. Particulièrement au Québec. Pour ma part, j’ai
bien hâte d’accompagner Joseph Dumont dans sa prochaine enquête : Tuer Pétain.
Originalité/Choix du sujet : *****
Qualité littéraire : *****
Intrigue : *****
Psychologie des
personnages : *****
Intérêt/Émotion
ressentie : *****
Appréciation générale
: *****