Il était une fois en France (Fabien Nury / Sylvain Vallée / Delf)


Fabien Nury / Sylvain Vallée / Delf. – Il était une fois en France. – Grenoble : Glénat, 2020. – 374 pages.

 


Bande dessinée / Roman graphique

 

 


Résumé :

 

« Il était une fois en France » raconte l'histoire de Joseph Joanovici, juif roumain devenu l'homme le plus riche de France pendant l'occupation. Ferrailleur, collabo, résistant, il fut pour certain un criminel, pour d'autres un héros. C'est le cheminement de ce personnage ambigu baptisé le roi de Paris par ceux qui ont croisé sa route, que relate cette saga au thème délicat. Monsieur Joseph se confie sur son lit de mort aux côtés de Lucie-Fer, celle qui fut sa plus fidèle compagne. Intelligence avec l'ennemi, corruption de fonctionnaires, contrebande, enrichissement personnel et même meurtre seront reprochés à la Libération à celui qui possédait pendant l'occupation un appartement en plein cœur de la préfecture de police. Portant fièrement la rosette de la résistance, Joseph reçoit les plus huppés du Tout-Paris, alors que de sombres nuages annoncent la fin de son règne...

 

 

Commentaires :

 

Ce roman graphique est une œuvre magistrale qui réunit dans une intégrale somptueuse (jaquette rigide, couverture de première à l’image du personnage, reliure cousue, signet ficelle : un bel objet en soi) les six tomes publiés séparément entre 2007 et 2012 :

 

1. L'empire de monsieur Joseph

2. Le vol noir des corbeaux

3. Honneur et police

4. Aux armes citoyens !

5. Le petit juge de Melun

6. La terre promise

 

On l’aura compris, « Il était une fois en France » est un clin d’œil à « Il était une fois en Amérique » de Sergio Leone, « le parcours hors norme d’un gangster dans le New York des années 1920 ». Certains critiques y voient également un lien avec la série « Le Parrain » ou des allusions à « Il était une fois la révolution » et « Les Tontons flingueurs ».

 

Comment décrire cette œuvre magistrale toute en couleurs sinon en soulignant quelques caractéristiques de ce projet colossal :

 

Sur le fond :

 

Un scénario qui nous entraîne, dès les premières pages, dans de multiples scènes brèves et retours dans le passé qui permettent d’insérer progressivement les pièces d’un vaste puzzle historique.

 

Un suspense continu jusqu’au dénouement tragique de la vie de ce ferrailleur qui, gravissant peu à peu les échelons, devient, de malversation en malversation, un criminel dont il a la carrure, craint de tous.

 

 

Une galerie remarquable de personnages qui entourent Monsieur Joseph, comme l’appellent autant ses amis que ses ennemis : Eva : née à Kichinev, son épouse, Lucie Schmidt, surnommée Lucie-fer, son assistante et compagne, Robert Serge Scaffa, jeune résistant assassiné par ses « camarades », dont Joanovici et le juge Legentil, « ennemi juré » de ce dernier, qui le poursuit sans relâche. Sans oublier des acteurs réels de l’occupation : le chef de la Gestapo Henri Lafont, le résistant Armand Fournet, membre de « Honneur et police » et Marcel Petiot, médecin crapuleux, un des pires tueurs en série de la période de l’Occupation qui a fait l’objet d’un film réalisé par Christian de Chalonge, pour ne nommer que ceux-là.

 

Une immersion dans une période noire de l’histoire de France avec comme décor la Seconde Guerre mondiale, l’occupation allemande alors que des Français sympathisent avec des Allemands et des nazis qui pratiquent le chantage pour s’enrichir. Pendant que des résistants utilisent la manipulation et la trahison pour arriver à leurs fins. La réalité se greffe à la fiction avec la mention de l'arrestation des résistants au café Zimmer, de l’attentat rue Lauriston, de l'exécution des moines du couvent de la Brosse Montceaux, de la déportation ainsi que du racisme et de l’antisémitisme des nazis.

 

Sans oublier la Libération de Paris par le général de Gaulle et les conséquences pour les « collabos ».

 



Sur la forme :

 

Un scénario et un découpage cinématographiques de chaque portion du récit avec de très nombreux gros plans de visages mis en valeur par un graphisme simple et évocateur : les truands, les nazis, les collaborateurs ont des mines patibulaires ; même les représentants de la justice ou de la police, malhonnêtes ou pas, ont des allures de  mafieux.

 

 

Quant aux quelques personnages féminins, ils sont à la fois séduisants, parfois sévères, sans verser dans la caricature.

 

Une palette de couleurs à la fois chaudes et froides qui traduit l’ambiance parfois inquiétante des intérieurs et des scènes de nuit.

 

 

De nombreuses planches sans dialogues contribuent à accentuer l’intensité dramatique.

 

 

J’ai consacré plusieurs heures pour apprécier, de planche en planche, le travail impressionnant du trio de créateurs de ce chef-d’œuvre du 9e art. J’y ai trouvé une autre occasion de parfaire mes connaissances de cette période trouble de la France occupée qui a laissé des traces indélébiles dans la mémoire des Français.

 

Je vous en recommande la lecture sans aucune réserve.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire et graphique : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  *****

Appréciation générale : *****

Faces de bœufs (Vic Verdier)


Vic Verdier. – Faces de bœufs. – Lévis : Éditions Alire, 2024. – 330 pages.

 


Polar

 

 


Résumé :

 

Trois ans après l’été des brasiers, Vic Verdier et Jessy Di Filipo, sa partner de patrouille devenue partenaire de vie, envisagent de fonder une famille. Pendant que Vic s’emmerde dans des enquêtes de routine, Jessy exulte à titre d’agente de liaison auprès de Companion, la startup qui pilote un projet visant à équiper tous les policiers de Montréal d’une caméra corporelle. Vic, pour sa part, n’est guère enthousiasmé par ce projet : le monde entier a-t-il vraiment besoin de voir en permanence leurs « faces de bœufs » ?

 

Jessy déchante à son tour quand elle constate en direct sur ses écrans les déboires de ses collègues. Quand ce n’est pas l’un qui se fait littéralement prendre les culottes à terre, c’est un autre qui, le regard vide, attaque brutalement un suspect. Décidément, l’algorithme du programme est particulièrement efficace pour repérer les bavures !

 

Puis deux crimes violents requièrent l’expertise de Vic – dans chacun des cas, un vol d’œuvre d’art a mal tourné et un homme a été battu à mort. Or, plus ses enquêtes avancent, plus le policier remarque des parallèles troublants avec des événements survenus lors du passage à Montréal en 1976 de membres de la mafia napolitaine et – est-ce un hasard ? – il se chuchote dans certains milieux qu’une délégation de celle-ci est récemment débarquée en ville, le jour même du lancement d’une certaine startup

 

 

Commentaires :

 

Mes commentaires seront brefs. Il arrive parfois que certains romans ne nous accrochent pas au point de les déposer à quelques reprises pour n’en reprendre la lecture que quelques jours plus tard. Pour moi qui ne suis pas un critique littéraire patenté et qui ne partage que des « ressentis de lecture », ce fut le cas avec « Faces de bœufs ». Je dois avouer que je me suis fait violence pour en terminer la lecture.

 

De chapitre en chapitre, je me suis perdu dans la panoplie de personnages – entre autres les Italiens associés à des groupes mafieux au Québec et en Italie – et dans un scénario que je n’ai pas senti très crédible. Particulièrement la scène finale sur le chantier de travaux sur le site du stade olympique de Montréal. Et que dire de ce policier qui se pointe dans un salon de « massage » alors qu’il porte sur lui, en toute conscience, un caméra qui enregistre ses moindres gestes.

 

On parle beaucoup dans ce roman, un peu comme dans ceux de Christine Brouillette, ce qui contribue à ralentir le déroulement de l’action. Je n’ai pas retrouvé la dynamique du récit que j’avais bien aimé dans « Cochons rôtis ».

 

Le texte truffé d’expressions anglaises dont certaines exigent la consultation d’un dictionnaire m’a irrité au point de pousser des soupirs à répétition. L’auteur justifiera certainement ce choix d’écriture pour décrire la réalité policière montréalaise. Si c’est le cas, il y a définitivement un problème de langue de travail au SPVM ! Personnellement, j’y vois une autre illustration du déclin de notre langue officielle dans la métropole, particulièrement dans une organisation municipale. Mais bon, c’est mon opinion. L’extrait qui suit prouve que Vic Verdier a aussi le talent de nous livrer des moments d’écriture :

 

« Sa force vitale le quitte, lentement, mais sûrement. Il ne meurt pas dans son lit, rassasié, avec la saveur onctueuse du foie gras et des figues sur la langue, comme il l’avait espéré. Il meurt avec, dans la bouche, le goût ferreux du sang et l’espèce de silex qui provient de ses os qui s’émiettent, un peu plus à chaque coup. »

 

Comme dans son roman précédent, l’auteur nous renseigne sur l’environnement professionnel du Service de police de la ville de Montréal. Il apporte des précisions sur la structure des postes de quartier (PDQ), les centres opérationnels (CO), la numérotation des voitures par poste de quartier, le nom familier du syndicat des policiers (Frat), le surnom de l’École nationale de police du Québec (Nicolet).

 

Et sur certaines expressions courantes du métier. Noter encore une fois la prédominance de l’anglais dans plusieurs cas :

 

·        « Sam Brown » : nom de la ceinture de travail sur laquelle les policiers accrochent leur équipement.

·        « Fall in » : réunion de toute l’équipe avant le début du quart de travail.

·        « Vols dans » : expression qui signifie vols dans un véhicule, par opposition à vol, tout court, qui suppose un vol dans une résidence ou un commerce.

·        « Beat » : faire du beat ou être sur le beat, patrouiller à pied, plutôt qu’en voiture.

·        « 10-10 » : code qui veut dire annulé.

·        « SU » : code qui désigne un suspect.

·        « Stat » : urgences santé, au plus vite.

·        « Burner » : téléphone cellulaire temporaire.

 

Ceci dit, « Faces de bœufs » n’est pas un roman inintéressant en soit. À vous de vous faire votre propre idée.

 

* * * * *

 

Vic Verdier est le pseudonyme de Simon-Pierre Pouliot, né en 1976 près de Québec. Diplômé de l’Université Laval, en histoire, et de l’Université McGill, en communications, il a travaillé à écrire plein de choses pour plein de monde, aussi bien au Cirque du Soleil qu’à la Commission de la construction du Québec. Vic Verdier – un emprunt à son grand-père, qui a lui-même publié des œuvres musicales sous ce nom-là dans les années 1960 – est un projet d’écriture qui se moque des étiquettes et passe, toujours à sa façon, par la chick-lit pour homme, le thriller, la science-fiction, l’horreur et le polar. Huit romans très différents sont parus à ce jour. Quant à L’Empire bleu sang, il a remporté le prix Jacques-Brossard 2015.

 

Merci aux Éditions Alire pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : ***

Qualité littéraire : ***

Intrigue :  ***

Psychologie des personnages :  ***

Intérêt/Émotion ressentie :  **

Appréciation générale : ***



Adolphus - Les enquêtes de Joseph Laflamme 06 (Hervé Gagnon)

Hervé Gagnon. – Adolphus - Les enquêtes de Joseph Laflamme 06. – Montréal : Hugo, 2024. – 394 pages. 



Thriller

 

 

 

 

 

Résumé :

 

Montréal, octobre 1893. Joseph, Mary, Emma et McCreary visitent le parc Sohmer, où un cirque itinérant s’est installé avec son musée de curiosités. On peut y voir entre autres la hache utilisée par le Montréalais Adolphus Dewey pour assassiner son épouse en 1833. Le soir même, un couple est trouvé mort près du chapiteau; manifestement, l’assassin s’est inspiré du meurtre sordide survenu soixante ans plus tôt. Désormais privé de son complice, l’inspecteur Arcand, et malgré les policiers qui lui font la vie dure, Joseph mène l’enquête. Celle-ci l’amène à interroger les forains, et il découvre un univers étrange, aux nombreux secrets…

 

 

Commentaires :

 

Avec « Adolphus », Hervé Gagnon et Joseph Laflamme récidivent pour une sixième enquête à Montréal, fin du XIXe siècle. D’entrée de jeu, ils nous invitent « dans la maison de fond de cour, sur l’avenue De Lorimier » où on retrouve le quatuor de connivence que le destin a constitué depuis 1891 :

  

·        Joseph Laflamme, journaliste toujours aussi arrogant, gouailleur, crâneur ... comme le qualifie son auteur, qui ne peut plus compter sur l’inspecteur Marcel Arcan du Département de police de Montréal qui est parti en France avec sa famille ;

·        Emma Laflamme, sa sœur déterminée, soupe au lait, devenue modiste ;

·        George McCreary, dandy narquois et ironique, ex-limier perspicace de Scotland Yard, anglican et indépendant de fortune, qui peine parfois à se déplacer avec sa jambe de bois en s’appuyant sur sa canne afin de ménager le moignon qui lui tient lieu de jambe gauche, fiancé d’Emma ;

·        Mary O’Gara, Irlandaise, ex-prostituée, associée d’Emma, fiancée de Joseph.

 

Au petit groupe fort sympathique s’ajoutent quelques personnages des romans précédents : le Dr Baptiste Hébert, médecin légiste, l’exécrable inspecteur Edgard Lafontaine et les constables complices Patrick Nolan et Prudent Jolicœur.

 

Dans une enquête, comme l’affirme lui-même l’auteur à mi-chemin du récitm qu’il ne s’agit « pas de l’histoire du siècle [sans] aucune mesure avec [...] les plus importantes [de Joseph Laflamme]. Capturer l’Éventreur, retrouver un trésor confédéré, démasquer un réseau d’agresseurs d’enfants ou découvrir que la province de Québec était passée à un cheveu de devenir un État américain était plus prestigieux que quelques meurtres banals... » Et qui n’implique pas, cette fois-ci les francs-maçons !

 

En concoctant la même recette qui a fait ses preuves : l’introduction d’un fait historique à partir duquel le scénario dramatique trouve sa raison d’être fictive : ici l’assassinat sauvage le 24 mars 1833 d’Euphrasine Martineau par son mari, Adolphus Dewey, un des drames judiciaires les plus effroyables qu’a connu à l’époque la ville de Montréal qui se conclut le 30 août suivant par la pendaison publique du meurtrier à laquelle assistaient 10 000 personnes massées sur le Champ-de-Mars.

 

Puis nous téléporter 60 ans plus tard au « Parc Sohmer Park », fondé par le musicien Ernest Lavigne et le comptable Louis-Joseph Lajoie, « le lieu de rassemblement le plus couru de Montréal. Comme on s’y amusait, les curés le dénonçaient vertement en chaire, tonnant contre la bière qu’on y vendait à vil prix et qu’on y buvait trop, criant au scandale contre les divertissements jugés immoraux qu’on y présentait. Circonstance aggravante, les couples pouvaient s’y courtiser librement, ce qui était nécessairement une occasion de péché. »

 

 

En compagnie de Joseph, d’Emma, de Mary et de McCreary, on découvre les kiosques, les terrasses, les animaux exotiques, le « Labyrinthe de cristal » et « le chapiteau du Cirque nommé ‘’ Sarazini ‘’ [...] dont la modestie et une certaine décrépitude laissaient augurer un spectacle de qualité moyenne » avec son maître de piste « coiffé d’un haut-de-forme et vêtu d’une queue-de-pie », sa cavalière et ses chevaux, son clown aux blagues impertinentes et son homme fort. Comme si on y était.

 

Et, à la fin de la représentation, une invitation à visiter le « Cabinet de curiosités », un mélange hétéroclite de monstres, son magicien de pacotille, son avaleur de sabres, son musée des horreurs abominables, sa prétendue  diseuse de bonne aventure. Et, dans une vitrine en verre et en bois, « une hache en apparence banale au fer piqué de rouille accompagnée d’une vignette écrite à la main sur un carton jauni : Ceci est la hache que Dewey a tué sa femme avec ».

 

Une visite qui se termine sur un cri strident : « Au secours ! Au meurtre ! Appelez la police ! Vite !  Une chute de chapitre efficace qui nous entraîne dans un tourne-page assorti d’une série de sordides assassinats et d’une finale annoncée par quelques indices bien en évidence qui laissera Joseph Laflamme marqué « pour le reste de sa vie et pour l’éternité ensuite, qu’il aille au paradis ou en enfer ».

 

Le tout campé dans un décor de l’époque victorienne très critique de l’hypocrisie religieuse et morale de la hiérarchie cléricale catholique montréalaise, du jeune séminariste inverti jusqu’au secrétaire de l’archevêque, et de la piètre qualité des « forces » de l’ordre – dirigeants et exécutants – du Département de police de Montréal :

 

« la plupart d’entre eux ne valaient pas beaucoup mieux que les criminels qu’ils arrêtaient parfois »

 

« ... la seule différence entre des policiers et des criminels, c’est que les premiers ont la loi de leur côté et qu’ils se protègent entre eux. La plupart sont des voyous qui, s’ils n’avaient pas leur uniforme, se retrouveraient dans l’autre groupe. »

 

« ... il suffit de recruter une brute à gros bras, de lui mettre un uniforme, et on obtient un agent de police qui se considère au-dessus de la loi. »

 

Tous en prennent donc pour leur rhume.

 

Parlant de rhinite, Hervé Gagnon a eu l’audace de faire attraper à son héros un « rhume de cerveau carabiné », « un rhume d’homme » accompagné d’une « quinte de toux creuse » qui donne l’impression « que ses côtes venaient d’en prendre un coup » avec « le nez plein et des frissons », « pris d’un éternuement explosif qui lui laissa les mains couvertes d’une morve épaisse qui s’étirait en filets entre ses doigts », avec du « sirop de rhubarbe [...] afin de faire baisser la fièvre ». Tellement réaliste que j’en ai été contaminé en cours de lecture !

 

Comme toujours, l’auteur nous fait apprécier la prose de Laflamme en reproduisant les articles qu’il rédige pour La Patrie en rivalité ouverte avec son « collègue » Lusignan de La Minerve. Il nous offre également de belles scènes d’échanges sur les coupables potentiels entre le journaliste et son comparse britannique unijambiste. Une mention spéciale à la mise en situation au cours de laquelle ce dernier use de sa canne « au lourd pommeau en laiton » pour écraser brutalement le menton d’un policier qui s’apprêtait à l’attaquer.

 

Les descriptions de lieux et de personnages sont brèves et fort imagées. Les hommes de l’époque arborent généralement une moustache, Hervé Gagnon nous en présente un échantillonnage : en guidon de bicyclette, en brosse à dents, en tablier de sapeur, en balais, fine, épaisse, défrisée...

 

On notera au passage trois références à des réalités historiques assorties d’annotations :

 

·        « Das Kapital » de Karl Marx : « L’homme a l’écriture aussi lourde que les haltères de Louis Cyr, mais il dit des vérités sur lesquelles ceux qui nous dirigent ne se pencheront jamais, au risque de perdre leurs privilèges. »

 

·        Sherlock Holmes « Un détective créé par le Dr Doyle voilà quelques années. Ses aventures sont passionnantes. Je [George McCreary] possède plusieurs livres. Je vous [Joseph Laflamme] les prêterai si vous voulez. » Et l’autre de répondre qu’il est « bien trop occupé pour lire. »

 

·        Le quartier montréalais des prostituées, des « dames de nuit », des « coureuses de rues » : « Dans le Red Light, les divisions entre les classes sociales s’estompaient. Bon bourgeois et ouvrier pauvres, jeunes et vieux s’y côtoyaient, partageant le besoin universel que tous les hommes cherchaient à assouvir. Quand il était question d’entrejambe, ils étaient tous égaux. À l’époque où il arpentait ces rues, Joseph avait lui-même croisé de temps à autre un curé dont le déguisement laïque n’arrivait pas à masquer les manières ecclésiastiques. »

 

Hervé Gagnon, grand amateur de whisky écossais, a transmis à Joseph Laflamme sa prédilection pour cette eau-de-vie de grain « dont les propriétés calorifiques étaient bien connues ». Une boisson alcoolisée qui permet de se « réconforter », se « réchauffer les entrailles », se remonter le moral « après avoir fait tourner le liquide ambré dans la lumière de la lampe à l’huile ». Toutes les occasions sont bonnes pour s’en envoyer une rasade dans la cuisine de l’avenue De Lorimier, à la taverne...

 

Chez Willie Sarazin, le forain propriétaire du Cirque Sarazini, c’est « Bourbon du Kentucky » et son « alcool de maïs et de seigle, plus fort et râpeux que le whisky irlandais [...] mais dont la qualité était évidente à son arrière-goût de vanille et de chocolat » qui fait plutôt office de remontant.

 

Et pour apaiser les symptômes du rhume, l’incontournable « ponce de gin » !

 

* * * * *

 

Comme je le propose régulièrement, je tiens à partager ces quelques  extraits qui font apprécier le style et la qualité d’écriture de cet auteur :

 

« Le visage de l’homme s’assombrit comme si un nuage était passé devant le soleil. »

 

« ... le cocher qui semblait aussi vieux que les rues qu’il arpentait... »

 

« Lafontaine laissa échapper un long soupir qui ressemblait à un grondement de fournaise surchauffée. »

 

« Laflamme, le grand Dickens lui-même vous aurait mis dans un roman s’il vous avait connu (dixit McCreary)

 

« Contrairement à l’argent, la misère a une odeur... »

 

« L’air las, elle marchait avec ce pas ardu qu’ont les arthritiques. »

 

« ... avec cette attitude à la fois hautaine et avenante dont seuls les Britanniques semblent avoir le secret. »

 

« Les vrais Canadiens français doivent se tenir, sinon y vont se faire avaler par les Anglais pis leurs lèche-culs. »

 

« Les gens civilisés jouent au cricket ! Le baseball n’en est qu’une pâle imitation. »

 

« Les premières touches qu’il enfonça résonnèrent dans son crâne comme le bourdon d’une église. Sa cervelle semblait y être trop à l’étroit. »

 

« La pluie avait cessé. Soulagé de marcher dans l’air sec et revigorant, Joseph en conçut une vague idée du sentiment qu’avait dû éprouver Noé en descendant de son arche après quarante jours et quarante nuits de déluge. »

 

« ... les images du cauchemar lui collaient à la peau comme des fils d’araignée que l’on ne parvient pas à saisir pour les arracher. »

 

J’ai trouvé annonciateur du roman jeunesse « La Cage » et de ses pouvoirs maléfiques que Hervé Gagnon publiera quatre ans après la première édition d’ « Adolphus » ce commentaire du propriétaire du Cabinet des curiosités à propos de l’influence néfaste de la hache d’Adolphus Dewey :

 

« Je l’ai achetée pour une misère d’un collègue de Québec, il y a une douzaine d’années. Il l’avait montrée un peu partout et il voulait s’en débarrasser [...] il en avait peur. Y paraît qu’elle est maudite. Qu’elle apporte le malheur à celui qui la touche. »

 

L’auteur-historien prêtera à la cage de la Corriveau un parcours malfaisant comparable ! Comme quoi, une idée exprimée en quelques mots peut être source d’inspiration pour nourrir l’imaginaire d’un créateur !


 


En 2018, après six tomes, tout laissait croire que la série des enquêtes de Joseph Laflamme était complète. Mais il n’en était rien. La réédition chez Hugo six ans plus tard de l’ensemble de l’œuvre et ses couvertures de première révélatrices des thèmes traités s’inscrivait dans une stratégie commerciale pour le lancement d’un septième titre « Susan » dont l’action se déroule en 1895.

 

 

 

Comptez sur moi pour partager mes ressentis de lecture dans un prochain avis de lecture !

 

* * * * *

 

Né à La Baie, Hervé Gagnon détient un doctorat en histoire, une maîtrise en muséologie et une maîtrise en histoire. Après avoir enseigné l’histoire et la muséologie dans diverses universités québécoises et travaillé comme muséologue pendant vingt-cinq ans, il se consacre désormais à l’écriture. Hormis le fait d’inventer des thrillers et des polars compliqués (ce qui sera toujours un plaisir, jamais un travail), il aime le whisky, le blues et la guitare. Si vous le cherchez, vous le trouverez dans un petit recoin sombre de l’histoire, en train de débroussailler un petit détail que tout le monde ignore.

 

Merci aux Éditions Hugo pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie : *****

Appréciation générale : *****