Dopamine (Sonia K. Laflamme)


Sonia K. Laflamme. – Dopamine. – Paris : Hugo Roman, 2023. – 360 pages.

 


Polar

 


 


Résumé :

 

Julie Hamelin, 49 ans, ex-criminologue et parkinsonienne, se réveille au beau milieu de la nuit auprès d’un amant assassiné. Au-delà de la valse des témoins et en dépit de crises de tremblements, la police considère la femme comme son suspect principal. Et si elle avait un complice ? Et si les membres de son entourage n’étaient pas aussi fiables qu’elle le pensait.

 

 

Commentaires :

 

Après, entre autres, 29 romans, cinq documentaires et 9 nouvelles  pour la jeunesse, Sonia K. Laflamme, originaire de Saint-Romuald, en banlieue de Québec, publie une première fiction pour adultes : Dopamine, « Un polar qui secoue » comme son éditeur en fait la promotion. Un slogan au double sens qu’on découvre en cours de lecture.

 

Sept jours d’enquête policière, à l’automne 2019, dirigée par le lieutenant-détective à la tenue vestimentaire monochrome, Louis Samson, de la police de Montréal, assisté de son adjointe Lili Chang – en trame de fond – et la maladie de Parkinson, qui occupe tout l’espace littéraire en avant plan. Le tout interrelié dans un scénario classique procédural : scène de crime, interventions des techniciens du laboratoire médico-légal…

 

« Dans la chambre, le corps de […] avait disparu. Il ne restait que deux techniciens de la Scientifique qui retiraient les draps du lit. Ils placèrent sous la zone contaminée par le sang de la victime une bande de plastique, puis une seconde par-dessus afin d'éviter que les substances corporelles n'imbibent les parties intactes du tissu lors du pliage. Ils ramenèrent ensuite les quatre coins du drap vers son centre, le plièrent trois fois de suite et le glissèrent dans un sac de papier avant de retourner au laboratoire, situé dans le même immeuble que la Centrale. »

 

… diagnostic du médecin légiste, recherches et rencontres de témoins et de suspects, visionnement de caméras de surveillance, présence policière aux funérailles, tableau d’enquête, hypothèses et contre hypothèses, fausses pistes, pression du supérieur immédiat... À noter, par contre, l’absence des médias, généralement intrusifs au cours des investigations.

 

D’entrée de jeu, dès le premier chapitre, le meurtre est commis…

 

« La mort étendit son bras et distribua sa propre justice. Un coup de feu déchira la nuit. »

 

« L’auréole de sang se propageait. Elle absorbait la vie, gourmande et impitoyable. »

 

…dans des circonstances qui m’ont paru plutôt invraisemblables. Je vous laisse le découvrir.

 

Et, pendant 350 pages, le titre du récit trouve sa justification dans la définition de la dopamine énoncée en couverture de première :

 

« DOPAMINE [dopamin] n. f.

1. Neurotransmetteur.

2. L'une des quatre hormones du bien-être, avec la sérotonine, l'endorphine et l'ocytocine, secrétées par le cerveau humain.

3. Hormone du plaisir immédiat que le cerveau associe à un sentiment de satisfaction, comme c'est le cas, par exemple, pour un orgasme sexuel et différentes addictions.

4. La dopamine assure, entre autres, la coordination des mouvements en transmettant l'information d'un neurone à l'autre. On dit que, lorsque le diagnostic de la maladie de Parkinson est rendu par le médecin, le patient a déjà perdu environ 75 % des neurones dopaminergiques, lesquels produisent la dopamine. »

 

Et dans les effets indésirables de la médication prescrite aux patients atteints par cette maladie neurodégénérative irréversible : le pramipexole, entre autres, sur l'hypersexualité et la levodopa qui possède la particularité de pouvoir être transformée directement et naturellement en dopamine dans le cerveau. Le comportement de Julie Hamelin multipliant les aventures d’un soir, personnage féminin principal imaginé par Sonia K. Laflamme qui souffre elle-même de cette maladie depuis une quinzaine d’années et qui en connaît bien les divers enjeux, en est une parfaite illustration :

 

« Ses pulsions et ses fantasmes se trouvaient exacerbés par un des trois médicaments qu'elle prenait, soit le pramipexole. Elle ingurgitait six doses de 0.5 milligramme par jour. Il avait la réputation d'induire des troubles compulsifs comme effets secondaires indésirables, tels que le jeu pathologique, des dépenses excessives et non justifiées, la boulimie, une augmentation importante de la libido... Le médicament, connu aussi sous le label Mirapex, avait été rebaptisé Mirasex par Julie. Et pour cause, puisqu'il lui faisait miroiter la recherche du bien-être, engendré par les plaisirs charnels avec un partenaire ou en solo, comme une solution avantageuse à la production naturelle de dopamine dans son cerveau. Ce moyen se révélait cependant efficace que pour une courte durée. Si Julie se portait beaucoup mieux au lendemain d'un orgasme sexuel – elle observait toujours une diminution de l'ensemble de ses symptômes –, tout était à recommencer le soir venu. Encore et encore. Elle se trouvait ainsi plongée dans un cercle vicieux, une centrifugeuse qui l'aspirait et la maintenait dans un certain état de dépendance, recherchant le vertige de la récompense sans fournir au préalable l’effort pour la mériter. »

 

S’ensuit un récit troublant de sensualité exacerbée, d’infidélités conjugales imbriquées, de défis malsains d’un « club d’investissement » à savoir « qui baiserait le plus de filles » pendant 15 ans :

 

« Tous les ans, on se réunit pour authentifier les preuves, soit les photos des filles inscrites sur chacune des listes de l'année. On profite de l'occasion pour renouveler notre cotisation annuelle, fixée à mille dollars chacun, et de l'investir dans un fonds négocié en Bourse en haute technologie. Les frais de gestion sont minimes et le risque, très élevé. […] Avec les intérêts composés et malgré la fluctuation de la devise canadienne, notre cagnotte représente une jolie somme. […] on devrait atteindre les sept cent cinquante mille dollars canadiens l'an prochain. À moins d'un effondrement de la Bourse, c'est ce qu'empochera le vainqueur. »

  

L’auteure ayant étudié la criminologie est aussi en mesure de dresser le portrait psychologique d’un meurtrier :

 

« Les délinquants ont tendance à agir à l'intérieur de leur propre groupe ethnique.

[…] Quatre raisons fondamentales poussent un individu à commettre un crime : la jalousie, la vengeance, l'argent et le désir de dominer.

[…] Le passage à l'acte dépend de trois conditions sine qua non : une motivation, des moyens et une occasion. Lorsqu'elles sont réunies, elles permettent au délinquant d'évaluer si le jeu en vaut la chandelle. C'est le principe du choix rationnel. [Le] ‘’ rationnel ‘’ n'équivaut pas ici à un choix objectif, rigoureux ou scientifique. Ce choix n'est rationnel que par rapport au vécu, aux sentiments, aux attentes, aux griefs personnels de la personne qui le fait. D'où l'importance de se mettre dans sa peau afin d'établir le meilleur profil possible. Ce qui prend du temps et un certain entraînement. »

 

J’ai noté au passage quelques réflexions intéressantes, dont celles-ci :

 

« … les gestes d’une personne momentanément lâche marquent toujours davantage l’imaginaire collectif qu’un cursus sans réels faux pas. »

 

« … nous sommes un peu comme les écrivains: quand on n'écrit pas, on pense à ce qu'on va écrire et à la manière de raconter les choses. Le cerveau ne s'éteint jamais. Il n'y a pas de commutateur. »

 

Et également les détails cliniques sur la stimulation cérébrale profonde comme solution pour réduire pendant une dizaine d’années la consommation de pramipexole :

 

« Le traitement se faisait en deux étapes. Au cours d'une première opération, on pratiquait deux petits trous dans la calotte crânienne et on insérait des électrodes dans le cerveau, jusqu'au noyau sous-thalamique. La cible anatomique de chaque électrode ayant été déterminée au préalable par imagerie médicale. Au cours de cette étape, l'anesthésiste faisait alterner chez le patient les périodes de sommeil et de veille afin que le neurochirurgien vérifie le bon emplacement des électrodes. Il soumettait alors le patient à de légers exercices de coordination manuelle, visuelle et vocale.

 

L'observation des effets instantanés des électrodes sur le corps lui permettait de corriger leur positionnement au besoin.

Quelques jours plus tard, lors d'une seconde intervention chirurgicale, on reliait avec des fils les électrodes à un neurostimulateur qu'on implantait dans la poitrine du patient, de la même manière qu'un stimulateur cardiaque.

 

[…] En prévision du traitement, elle devait se soumettre à une batterie de tests préopératoires : prélèvements sanguins, électrocardiogramme, évaluation psychologique, tests cognitifs, physiothérapie, imagerie par résonance magnétique, réactivité à la lévodopa... »

 

Écrit dans un style fluide, Dopamine sait garder notre intérêt jusqu’en finale plus ou moins prévisible. Sonia K. Laflamme nous offre une lecture à la fois divertissante et pédagogique qui mérite de s’y intéresser. Si on doit se fier au site Babelio, un des réseaux sociaux français du livre les plus populaires, une suite serait à prévoir.

 

Un dernier commentaire : est-ce parce que ce roman écrit par une Québécoise est publié chez un éditeur de l’Hexagone qu’on dénombre plus d’une dizaine de « du coup », expression favorite des Français ?

 

Au Québec, vous pouvez commander et récupérer votre exemplaire auprès de votre librairie indépendante sur le site leslibraires.ca.

 

 

Originalité/Choix du sujet : ****

Qualité littéraire : ****

Intrigue :  ***

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  ***

Appréciation générale : ***1/2


Juillet rouge au matin (Stéphanie Gauthier)


Stéphanie Gauthier. – Juillet rouge au matin. – Montréal : Robert Laffont Québec, 2023. – 372 pages.

 


Polar

 

 


Résumé :

 

C'est une journée ensoleillée sur le Plateau.

 

Un chauffeur Uber cueille deux clients devant un café de la rue Saint-Laurent.

 

Peu après, une fusillade éclate dans une ruelle isolée de Montréal et cible les trois occupants du taxi Uber : le chauffeur et ses deux passagers, un homme et une femme. Les deux hommes meurent sur le coup, la femme est grièvement blessée.

 

Rien ne semble lier les victimes, qui ne sont aucunement impliquées dans le milieu criminel.

 

Qui était visé, et pour quelle raison ?

 

 

Commentaires :

 

Stéphanie Gauthier se distingue dans la confrérie des auteur.es québécois.es de polars en impliquant une galerie de personnages crédibles tous liés entre eux d’une façon ou d’une autre et mêlés de près ou de loin, parfois à leur insu, au drame qu’elle a imaginé. Elle récidive avec Juillet rouge au matin, son 3e roman policier mettant en scène l’inspecteur Pierre Blackburn.

 

Sans divulguer l’issue du récit, je me suis amusé à schématiser les interrelations entre ceux et celles dont l’auteure nous dévoile, de chapitre en chapitre consacré à l’un d’eux, des zones troubles et certains de leurs jardins secrets susceptibles de nous fournir des indices ou de nous entraîner sur de fausses pistes jusqu’au dénouement dans une finale tout à fait imprévisible.  

 

   .

En quatrième de couverture Stéphanie Gauthier résume bien la recette qu’elle applique aux règles de l’écriture de polars :

 

« J'aime présenter des gens ordinaires, qui, pour une raison ou une autre, sont incités à commettre des actes répréhensibles. À mon avis, personne n'est complètement à l'abri de vivre ce genre de choses. »

 

Répartie sur quatre jours, cette enquête convenue se déroule d’interrogatoire en interrogatoire de personnes proches des victimes et en visionnements de vidéos captées par des caméras de sécurité. Peu à peu, les pièces du casse-tête trouvent leur place jusqu’à une finale où l’auteure nous révèle ce qui s’est effectivement passé dans cette ruelle.

 

Scénario bien ficelé serti de nombreux détails qui trouvent leurs places dans la recherche de la vérité, Juillet rouge au matin est un roman qui capte notre intérêt, particulièrement dans le dernier tiers de l’enquête alors que s’accélère le rythme des indices.

 

Quant au titre inspiré d’un dicton de la sagesse paysanne française – « Juillet rouge au matin, au soir apporte crachin » –, il trouve sa justification dans l’imbrication des événements tragiques auxquels sont confrontés bien malgré eux les différents personnages.

 

Au Québec, vous pouvez commander et récupérer votre exemplaire auprès de votre librairie indépendante sur le site leslibraires.ca.

 

 

Originalité/Choix du sujet : ****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  ****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie : ****

Appréciation générale : ****

La bibliomule de Cordoue (Wilfrid Lupano et Léonard Chemineau)


Wilfrid Lupano et Léonard Chemineau. – La bibliomule de Cordou. – Paris : Dargaud, 2022. – 264 pages.

 


Bande dessinée

 

 


Résumé :

 

Cordoue, fin du Xe siècle.

 

Des descendants survivants de la dynastie omeyyade ont fait de l'émirat d'al-Andalus un califat. Ils ont pour ambition de rivaliser avec Bagdad, où règnent les Abbassides qui ont massacré leurs ancêtres. Deux de ces descendants en particulier, les califes Abd al-Rahmân III et son fils al-Hakam II, ont consacré leur vie à faire de Cordoue le lieu de tous les savoirs et de tous les arts. Ils ont construit des universités gratuites, rassemblé des milliers d'ouvrages, accueilli les savants, développé l'art de la copie en arabe, pour faire de leur capitale le plus grand centre culturel de l'ouest du monde connu. Mais en 976, al-Hakam II meurt subitement des suites d'une attaque cérébrale et son jeune fils Hicham n'a que onze ans...

 

 

Commentaires :

 

Cette fable sur fond politique et social est un vibrant éloge des livres et de la connaissance qu’ils permettent de transmettre. Elle est particulièrement d’actualité à l’ère de la montée de l’intégrisme, du fanatisme religieux, du complotisme et de la diffusion d’informations fallacieuses. Cette bande dessinée a pour thématique les autodafés de centaines de milliers de livres, conséquences des guerres de religions, des confrontations entre les dépositaires du savoir et du pouvoir ou des conquêtes de territoires.

 

La bibliomule de Cordoue est le fruit de cinq années de travail, un projet hors norme imaginé et écrit par Wilfrid Lupano (Vieux fourneaux, Le Singe de Hartpool, Azimut...) et illustré par Léonard Chemineau (Les Amis de Pancho Villa, Julio Popper : Le Dernier Roi de la Terre de Feu, Le Travailleur de la nuit...) avec la collaboration d’une dizaine de coloristes. Wilfrid Lupano a été jusqu'à marcher dans les montagnes avec une mule « pour voir ce que ça fait ! ». Avec comme résultat une histoire  teintée d’humour qui nous tient en haleine dès le début. Et un visuel à scruter dans ses moindres détails.

 

La bibliomule de Cordoue est aussi un beau livre, un bel objet avec sa reliure cartonnée, charnière et tranchefile, son dos rappelant les publications du début du XXe siècle, sa magnifique couverture dorée, ses tranches bleu roi, son signet ficelle et ses pages de garde aux motifs floraux.

 

En introduction, les auteurs ont eu la bonne idée d’insérer une Carte du monde en l’an 976 à laquelle les lecteurs peuvent se référer pour situer géographiquement l’action. La mise en page dynamique et cinématographique à découpage variable contribue à entretenir sans narration le rythme du récit avec de nombreuses chutes dans les dernières vignettes de pages de droite. À noter également le choix des couleurs pour introduire des événements passés, pour les scènes de rêves... Et les portions du récit sans phylactères qui sont aussi éloquentes que celles qui contiennent des dialogues.

 

Cette épopée de sauvetage du plus grand nombre de livres possible de la bibliothèque de Cordoue est campée dans l’al-Andalus (partie de la péninsule ibérique conquise au début du VIIIe siècle par les troupes du califat omeyyade de Damas en Syrie), dans le haut Moyen-âge de l’histoire du bassin méditerranéen. Elle se conclut sur une liste d’autodafés subséquents annonciateurs, telle la destruction mystérieuse de la bibliothèque d’Alexandrie et de celle de Cordoue :

 

« En 1239, le pape Grégoire IX ordonne aux rois de France, d’Espagne et d’Angleterre de confisquer tous les exemplaires du Talmud. »

 

« En 1242, Louis IX fit brûler quatre charrettes de Talmud Place de Grève. »

 

« En 1258, Bagdad fut prise par Hulagu Khan, petit-fils de Gengis Khan, et tous les livres de la bibliothèque de Bagdad furent délibérément jetés dans le Tigre. On dit que l’encre se mêla au sang des 500 000 morts dans les eaux du fleuve. »

 

« Puis ce fut le tour des Corans d’être brûlés lors de la reconquista en Espagne. »

 

« En 1499, Jiménez de Cisneros, archevêque de Tolède, fit brûler publiquement, à Grenade, des milliers de livres arabes. »

 

« À la même époque, au Mexique, le père Zumarraga et l’évêque Landa collectèrent et brûlèrent l’intégralité des codex et documents mayas, car ils étaient ‘’ superstitions et mensonges de démons ’’. Seuls quatre ou cinq codex échappèrent à ce massacre. »

 

« Après la popularisation de l’imprimerie, les destructions de livres ne s’arrêtent pas pour autant. Hier : le Vatican, Hitler, Staline, Mao... Aujourd’hui : Daesh, Boko Haram... »

 

« En 2007, la bibliothèque de Bagdad fut à nouveau entièrement détruite, cette fois par les bombardements américains. »

 

Avec comme constat que « des quelques quatre cent mille ouvrages que contenait la bibliothèque des Califes, un seul a été retrouvé en 1936, à Fez » et une conclusion interrogative : demain, d’où viendra le prochain péril qui menacera le savoir ?

 

La bibliomule de Cordoue rappelle que c’est par les traductions arabes que l’Europe a découvert entre autres la philosophie grecque, les mathématiques et des contes indiens.

 

J’y ai appris que « Lafontaine avait découvert, grâce à Pilpay [écrivain moraliste indien du IIIe siècle av. J.-C. qui serait l'auteur de Pañchatantra, un livre de contes et de fables], des versions arabes des contes indiens tirés d’Ésope, qui les avait lui-même repris de contes perses encore plus anciens. »

 

Que le mathématicien et astronome al-Khuwarizmi a donné son nom à l’algèbre alors que l’encyclopédiste al-Jahiz, dans son livre Kitāb al-Ḥayawān (Le livre des animaux dont il est question dans la BD), « parle du serpent comme d’une ‘’ anguille qui s’est adaptée à la vie hors de l’eau ‘’... mille ans avant Darwin ... lequel n’en savait probablement rien ». Et les auteurs d’ajouter que « sur les six cents pages du manuscrit original de ‘’ L’origine des espèces ‘’ de Darwin, seules quarante-cinq nous sont parvenues. Darwin lui-même les avait conservées parce que ses enfants avaient fait des dessins dessus... » comme le fait un des personnages de la BD sur Le livre des animaux de al-Jahiz.

 

En postface, un texte sur le califat de Cordoue, le savoir et le pouvoir en Islam et à Cordoue et sur les femmes et les esclaves au Xe siècle dans l’Islam occidental rédigé par Pascal Buresi, directeur de recherche au CNRS, permet de comprendre le contexte historique de La bibliomule de Cordoue. À lire avant d’accompagner les trois protagonistes – Tarid un eunuque responsable de la bibliothèque de Cordoue, Lubna une esclave noire copiste de la bibliothèque et Marwan un vagabond aussi mauvais voleur qu'il est un piètre menteur – et leur mule dans leur pérégrination à la fois instructive et amusante dans les montagnes de l’al-Andalus.

 

Au Québec, vous pouvez commander et récupérer votre exemplaire auprès de votre librairie indépendante sur le site leslibraires.ca.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie : *****

Appréciation générale : *****

Septembre avant l’apocalypse (Lionel Noël)


Lionel Noël. – Septembre avant l’apocalypse. – Lévis : Alire, 2023. – 529 pages.

 


Roman d’espionnage

 

 


Résumé :

 

Grand reporter, Desmond Bingham couvre les pires scènes de guerre, caméra à l'épaule et Nikon en main, depuis deux décennies. Connu de tous, il n'est pas surpris quand un colonel de l'armée américaine lui propose une rencontre secrète. Mais lorsque John Drax lui révèle ce qu'il veut rendre public, Bingham est soufflé: c'est une bombe politique que Drax lui offre sur un plateau d'argent !

 

Selon le militaire, le gouvernement des États-Unis utilise depuis des années une agence privée, Atropos inc., non seulement pour accumuler du renseignement, mais aussi pour exécuter ses basses besognes à l'abri du regard des agences officielles du pays. Or Atropos, qui vient tout juste d'alerter le gouvernement qu'un risque d'attentat imminent plane sur le pays, est sur le point d'être démantelée.

 

Quand, peu de temps après, Bingham apprend la mort de Drax – et de tous les agents d'Atropos inscrits sur la liste que le colonel lui avait remise – dans une mystérieuse explosion au Québec, le reporter voit son scoop disparaître... jusqu'à ce qu'une source l'informe que deux personnes ont échappé au carnage, deux personnes actuellement sous la protection de la GRC.

 

Dès lors, pour Bingham, le sprint débute. Car pour valider son scoop, il doit absolument interroger ces rescapés avant qu'on les élimine une bonne fois pour toutes!

 

 

Commentaires :

 

Si vous êtes friands de thrillers d’espionnage, de contre-espionnage, de commandos puissamment armés, d’agents secrets infiltrés qui carburent à l’alcool, aux drogues dures et au sexe dans un univers technologique et politique qui fait froid dans le dos : « assassinats d'opposants politiques à des gouvernements pro-Washington dans des pays du Moyen-Orient et du tiers-monde, opérations de déstabilisation de régimes défavorables aux multinationales américaines, des pots-de-vin versés à des politiciens pour des contrats industriels, des luttes d'influence privilégiant certaines nominations à des postes clés d'institutions... », « ... chiffrement cartographique des données circulant dans le domaine du commerce électronique mondial. », collecte de renseignement gouvernemental et de « ...toutes les informations de type militaire, politique et économique dans le monde. », Septembre avant l’apocalypse vous comblera.

 

Lionel Noël est un auteur qui se fait désirer. Après quatre thrillers publiés depuis 1999 (Louna, Opération ISKRA, Brouillard d’automne et Halifax Express) et un roman épicurien reposant sur son expérience de cuisinier et son souci d’arrimage d’un récit fictif avec des faits historiques (L’Ordre du Méchoui - 2017), il nous livre une œuvre digne d’un John Le Carré dont un de ses personnages principaux « garde en mémoire ses lectures de jeunesse. La Taupe, [...] qui illustre ce climat de suspicion générale, la lourdeur et la désillusion de ceux qui arpentent cet univers obscur. » Et croyez-moi, ça valait la peine d’attendre.

 

Dès les premières pages, la table est mise. Le rythme est soutenu.  L’action se déroule en 18 chapitres sous forme d’un compte à rebours de 20 jours avant les attentats du World Trade Center. Une séquence qui nous permet de suivre les multiples péripéties d’un très grand nombre de personnages principaux et secondaires américains, canadiens, québécois, anglais, belges, allemands, russes...

 

Un conseil : en cours de lecture, notez sous forme de schéma le lien de chacun des protagonistes avec l’une des différentes organisations listées en annexe dans un lexique de 53 acronymes la plupart méconnus de non-initiés. Vous apprécierez encore davantage le rythme imposé par l’auteur dans un tourne page rédigé dans une langue française de haute qualité sans interférence d’expressions anglaises inutiles.

 

Chaque chapitre est découpé en sous-sections aux titres liés à une expression citée dans le texte. De nombreuses références musicales sont choisies en fonction du contexte. Y est aussi insérée la biographie en 10 temps de celui qui est au cœur de ce branle-bas meurtrier. Il raconte progressivement son cheminement historique sur fond de Pierre et le loup de l'auteur-compositeur-interprète russe Sergueï Prokofiev.

 

Lionel Noël – que je soupçonne d’être lui-même un agent secret – est un des rares auteurs québécois à se consacrer à genre littéraire. Il nous fait voyager de part et d’autre de l’Atlantique : le scénario nous transporte au Kosovo, à Londres, à Paris, à Bruxelles, à Berlin, à Milan, en Russie, au Québec (Montréal, Georgeville sur le bord du lac Memphrémagog près de la frontière américaine, Trois-Rivières, Québec, île d’Orléans), à Washington et, évidemment, à New York. Donnant lieu à quelques descriptions imagées :

 

« ... qu'il soit à Bruxelles est de bon augure, il y découvre chaque fois une hospitalité débonnaire, qu'il préfère à ses consœurs voisines. Paris, centre administratif d'un pays dirigé par des énarques qui règnent comme des monarques élus, est trop nombriliste à son goût. La Haye ne trouve pas grâce à ses yeux, il la trouve ennuyante. Quant à Berlin, le manque de fantaisie si typiquement prussien de ses habitants lui file le bourdon. »

 

À propos de Québec :  

 

« une contrée de frenchies athées et blasphémateurs, socialistes et sécessionnistes. »

 

Ou de Montréal vu par un Russe :

 

« Montréal, ses hivers glacés, ses bagels, sa viande fumée, ses hommes qui boivent comme des trous et ses femmes au tempérament de feu, c'est un peu d'âme russe sans la pesanteur de son histoire. »

 

Aussi dans des lieux qu’il connaît bien, lui qui a voyagé dans plusieurs pays, comme un repas au T’Kelderke, un des meilleurs restaurants de Belgique. Ou en faisant référence à Chez Alexandre :

 

« L'établissement de la rue Peel est le restaurant de prédilection des espions du service de renseignement fédéral, dont les bureaux sont situés à quelques minutes de marche. »

 

Et que dire de cette description du Club T dans la Trump Tower :

 

« La déco est clinquante. Kitch, de l'or partout. Au-dessus du bureau de la réception apparaissent des photos de Donald Trump prises sur le terrain de golf de Camp David, où on le voit vêtu d'un tartan et d'un chandail vert, en train de poser avec deux présidents différents, Ronald Reagan et George Bush père. On y sert les grandes marques d'alcools et de vins, dont quelques bouteilles de Romanée-Conti, agrémentés de caviar, de foie gras et d'une restauration à faire pâlir bien des étoiles »

 

La crédibilité du récit est aussi appuyée par l’insertion de courriels et de messages cryptés entre intervenants (missions à accomplir, suivi des opérations...), par la chorégraphie de scènes comme si on y était et par des dialogues imaginés plus vrais que vrais, tels ceux dans les officines des agences de sécurité ou dans le bureau ovale de la Maison-Blanche. Sans oublier la mention au passage du numéro de téléphone – le vrai – du quartier général du FBI à Washington : 202-324-3000.

 

Vous découvrirez probablement comme moi deux usages du langage des espions : « SIGINT est une abréviation de Signals intelligence, procédé d'écoute clandestine des communications électroniques, contrairement à HUMINT, un terme couvrant les informations recueillies par des individus. »

  

L’écriture cinématographique de Lionel Noël nous rapproche de l’action, tel que l’abordage d’un navire depuis un zodiac près de Québec, la description d’un certain centre opérationnel virtuel d’intervention et de défense avec ses logiciels de reconnaissance faciale et de la voix, « système de communication infaillible de voix féminines très réelles, aux empreintes vocales à la signature à toute épreuve » pouvant « gérer une conversation de base dans une vingtaine de langues. » et l’atmosphère oppressante au 92e étage du World Trade Center après l’impact de l’avion kamikaze.

 

Ou comme dans l’impact d’un tir de mortier :

 

« Craché du tube d'acier, un bruit sourd de détonation se propage, un flop étouffé prolongé d'un chuintement. Une roquette éclate à quelques mètres de Gorchkov qui, d'instinct, se colle par terre. Le sol tremble, des débris volent. Il perçoit les éclats surchauffés le frôlant. Près de lui, le visage arraché, le torse fumant d'éclats incandescents, une des recrues s'affaisse en hurlant. »

 

Vous serez impressionné par la vaste connaissance de l’auteur sur l’arsenal d’armement létal à la disposition du milieu de l’espionnage et du renseignement : lance-roquette, pistolet Automag avec silencieux Stopson, revolver Colt Cobra Detective Special de calibre .38, AUG autrichien, pistolet-mitrailleur BXP sud-africain, pistolet GP de la FN avec munitions de 9 mm, mitraillette UZI, pistolet Glock, Tokarev TT-33 (qui « ... utilise des munitions subsoniques à charge réduite afin d’éviter le bang émis par les balles supersoniques quand elles passent le mur du son. »), Walter PPK, Parebellum 9 mm, pistolet-mitrailleur MAC-10, mitrailleur Heckler & Koch MP5K, Colt 45, carabine d’assaut M16, Beretta 92FS, Colt Commando AR-15, Mosberg de calibre 12 mm, pistolet-mitrailleur Vz61 Skorpion, pistolets Makarov, AK-47, dague Fairbarn, explosifs pyrophoriques laissant des traces de radioactivité (bombe incendiaire performante à énergie cinétique), drone Tilt-Body III Scorpion de la compagnie Freewing, hélicoptère Mi-24 Hind...

 

Pour vous donner encore davantage le goût de lire Septembre avant l’apocalypse qui repose sur une analyse de 30 ans d’histoire mondiale contemporaine depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, il faudrait mentionner les références à la chute du mur de Berlin, l’implosion de l’URSS, la crise des missiles à Cuba, les techniques d’exfiltration, l’ascension de Vladimir Poutine, la confrérie Skull & Bones regroupant des diplômés de l’université Yale recrutés selon des normes élitistes dont l'ancien président George Bush et son fils G. W. auraient fait partie, des pouvoirs occultes qui influencent les États-Unis depuis sa création avec « pour guide initial George Washington, membre d'une loge maçonnique. »

 

Aussi de Montréal « charnière vitale vers l'estuaire du Saint-Laurent et la côte Est des États-Unis, d'une part, et vers le cœur du continent par les Grands Lacs et Chicago de l'autre. Reliée à près de deux cents ports sur tous les continents par le service de diverses lignes maritimes, la métropole du Québec est un gigantesque relais de conteneurs, difficile à contrôler autant pour les autorités que pour les organisations interlopes. »

 

Et les quatre milliards d'interceptions par jour de données personnelles filtrées à partir de « téléphones cellulaires, radios, les câbles sous-marins, les télécopies, le courrier électronique et vos appels téléphoniques » et « qu'avec Internet l'ensemble est désormais interconnecté. »

 

Je ne saurais passer sous silence quelques citations qui mettent en valeur le style coloré de Lionel Noël :

 

« Dans le monde du secret, tout se sait »

 

« Les dorures des institutions bancaires ne cachent-elles pas, trop souvent, de sombres magouilles ? »

 

« ... l’univers des espions repose sur un mélange contradictoire de la confiance et de la suspicion. »

 

« Un ange passe à travers le Bureau ovale et y saupoudre une poignée d’épices à saveur de suspicion. »

 

« Durant leur progression, les douilles de cuivre surchauffées roulent sur le bitume en émettant un chapelet de sons qui rappellent un triangle musical. »

 

« La réalité renvoie le plus complexe roman d’espionnage au niveau d’un article de seconde page d’un obscur journal. »

 

« Le tueur remonte le col de son manteau, un long imperméable qui lui tombe jusqu'aux pieds. Coiffée d'un large chapeau noir, son ombre évoque les anciennes publicités du porto Sandeman. »

 

« La façade [de l’hôtel de ville de Montréal] de style Second Empire devient quasi menaçante, à cause de l'amoncellement de nuages annonciateurs de pluie dont le passage colore de nuances sombres puis claires les murs monochromes. »

 

J’ai souri à la lecture de cette référence indirecte au référendum québécois de 1995 à propos de la déclaration de Jacques Parizeau au sujet du vote d’un grand nombre de nouveaux immigrants :

 

« Sous la couverture d'une immigrante française, elle est devenue Canadienne, au moment du référendum sur la souveraineté du Québec en 1995, grâce à des formalités simplifiées d'accès à la citoyenneté. »

 

Septembre avant l’apocalypse porte un regard lucide sur le rôle des médias d’information dans un scénario de catastrophe annoncée :

 

« Les rédactions et le lecteur exigent de nous du consommable instantané, de l'aseptisé ou du frisson minute relégué aux oubliettes quelques heures après. Le contenu importe moins, car la vérité remet forcément en cause notre mode de vie. Le troisième millénaire sera celui de l'absence totale de nuances, de l'abrutissement des masses par les images, le virtuel, la peur, l'hyper sexualisation et les infos bidon... »

 

Il met aussi en évidence que la cible du World Trade Center n’était pas due au hasard :

 

« Si New York est le centre du monde, l'immeuble est le cœur de Manhattan. Telle une forteresse indestructible, les tours jumelles apparaissent dans la nébuleuse financière comme un nœud stratégique vital et de communication entre les univers de Wall Street, de la plupart des grandes entreprises privées spécialisées dans la technologie, de nombreuses organisations internationales et gouvernementales, et même de plusieurs départements des services de renseignement militaire et civil. »

 

En annexe, dans une note au lecteur, Lionel Noël explique sa démarche, « une recherche de plusieurs années dans les sphères de la politique internationale et des services de renseignement, des univers qui se dévoilent par pan, quand on travaille dans le domaine de l'événementiel, des médias, de la diplomatie et de l'appareil sécuritaire privé et public des ministères. »

 

Et il ajoute :

 

« Je pars d'une réalité historique, autour de laquelle mes intrigues se construisent sur un fondement documentaire précis en suivant un fil conducteur où tout paraît plausible. [...] Mes histoires sont plus spectaculaires que la réalité, car je privilégie d'abord l'idée de l'action, la conspiration ensuite, sur laquelle je peux broder à l'infini. Dans le but de divertir, je m'écarte immanquablement de la véracité des faits. »

 

Il nous présente aussi sa vision de l’espionnage, le contexte historique de l’an 2000, les lieux, les personnages réels et les autres qu’il a imaginés et la théorie du complot.

 

Mission accomplie agent Noël ! Et bravo pour la magnifique couverture d’Émilie Léger qui saura attirer l’œil en librairie !

 

Merci aux éditions Alire pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander et récupérer votre exemplaire auprès de votre librairie indépendante sur le site leslibraires.ca.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie : *****

Appréciation générale : *****