Maria – Les enquêtes de Joseph Laflamme 03 (Hervé Gagnon)


Hervé Gagnon. – Maria. Les enquêtes de Joseph Laflamme. 03 – Montréal : Hugo Québec, 2024. – 428 pages.



Thriller

 

 


Résumé :

 

Montréal, janvier 1836. Un livre bouleverse la ville: il relate de sordides histoires de fornication entre les Hospitalières de l'Hôtel-Dieu et les Sulpiciens, évoquant profanation, assassinats et débauche. La bonne société est en émoi, et l'évêque doit défendre la réputation de son diocèse.

 

Montréal, septembre 1892. Un charnier d'enfants est découvert, rue Le Royer. Puis, le corps mutilé d'un banquier est retrouvé à Griffintown et deux fillettes portant de terribles traces d'abus sexuels sont repêchées dans le fleuve, près de la rue de la Commune.

 

Les trois affaires ne semblent pas liées, jusqu'à ce qu'un vieux prêtre remette à Joseph Laflamme un exemplaire du livre de 1836, en lui laissant entendre que l'histoire se répète. Pour réussir à dénouer l'intrigue, Laflamme, l'inspecteur Arcand et le reste du groupe devront pénétrer dans un univers de corruption aux ramifications insoupçonnées et déterrer un scandale enfoui depuis un demi-siècle.

 

 

Commentaires :

 

J’avais hâte de retrouver la petite équipe entourant le journaliste Joseph Laflamme « plus ou moins alcoolique » du journal Le Canadien : Emma Laflamme, sa sœur modiste, George McCreary « retraité de Scotland Yard équipé d’une jambe de bois », l’Irlandaise Mary O’Gara, ex-prostituée et Marcel Arcand, inspecteur du service de police de la ville de Montréal. Auquel groupe s’est ajouté le jeune constable Alfred Tremblay. Les protagonistes imaginés par Hervé Gagnon qui côtoient des personnages ayant réellement existé, tels que Jean-Jacques Lartigue et Édouard-Charles Fabre, évêques de Montréal, James McShane, maire de la ville et le docteur Jacques Lapaix.

 

Et de me retrouver dans la cuisine des Laflamme, dans leur maison de fond de cour sur la rue De Lorimier « là où tant de mystères avaient été discutés, analysés et disséqués depuis un an » (en référence aux deux premières enquêtes du journaliste sur l’Éventreur et le Ku Klux Klan) et où on boit à profusion du thé et du gin.

 

Tout en me replongeant dans l’ambiance de la ville de Montréal à l’automne 1893 :

 

« Dans la rue Sainte-Catherine, l'activité battait son plein et la grande artère était noire de monde. En cette fin d'après-midi, l'air de septembre commençait déjà à se rafraîchir. Les dames à joli chapeau avaient troqué l'ombrelle contre un châle ou un manteau léger pour courir les boutiques, bras dessus, bras dessous. Les hommes en costume trois-pièces ou en redingote, chapeau mou ou gibus sur la tête, marchaient d'un pas pressé, mallette à la main et cigare aux lèvres. Des ouvriers des deux sexes et de tous les âges sortaient des usines environnantes ou s'y dirigeaient, se mêlant indistinctement aux bourgeois. »

 

L’auteur nous convie cette fois dans une fiction glauque dans laquelle il est question de débauche, de charnier d’enfants, de perversion, de viols, de caprices sexuels de prêtres, d’assassinats, voire de pornographie. Des sujets encore d’actualité ! Au point où un avertissement qui s’affiche parfois avant la présentation d’une série télé aurait pu annoncer, en page liminaire, que « des descriptions et des mises en situation dans ce roman pourraient ne pas convenir à certains lecteurs ». Un sujet qui trouve de nombreuses références encore de nos jours.

 


Au cœur de cette sombre histoire : le livre Awful Disclosures of Maria Monk publié en 1836, un récit autobiographique vendu à 26 000 exemplaires qui a suscité l'indignation dans la communauté protestante anglo-américaine. Un ouvrage qui « ferait passer un manuel de l’Inquisition espagnole pour un conte de fées ». Une « supercherie s’inscrivant dans un vaste mouvement de réaction contre les catholiques provoqué par l’immigration massive d’Irlandais aux États-Unis ».

 

Il va sans dire que le récit imaginé par Hervé Gagnon fait l’objet de quelques articles que Joseph Laflamme rédige à l’aide de sa machine à écrire Remington modèle No 2, articles que les Montréalais liront « avec un plaisir à la fois glouton et coupable ». Le déroulement de l’action permet également à l’auteur de rappeler l’enfance du journaliste à l’orphelinat et les agressions récurrentes que des soutanes criminelles lui avaient fait subir, « cauchemars dont il se réveillait en sueur et le cœur serré ».

L’auteur met en scène encore une fois des francs-maçons, cette fois-ci associés à la loge Royal Albert dont une grande partie des membres sont des hommes d’affaires comme la décrit un de ceux-ci :

« Une grande partie de nos membres sont des hommes d'affaires. Comme les affaires requièrent des comptables et des avocats, nécessairement, ceux-ci les suivent jusqu'ici puis, à leur tour, ils entraînent d'autres hommes d'affaires et des fonctionnaires. Au fil des décennies, la loge a acquis une identité propre, au point où ceux qui demandent leur admission correspondent à un certain profil. Sinon ils vont s'ennuyer et nous quitter. »

 

Comme toujours, Hervé Gagnon excelle dans la description de ses personnages, à preuve :

 

« Il était très âgé et semblait porter sa chair plissée comme un manteau trop grand. On aurait dit que sa peau avait coulé sur sa charpente telle de la cire chaude avant de se refroidir. Il était frêle et son dos extrêmement voûté donnait l’impression qu’il était plus petit qu’il ne l’était réellement. Ses rares cheveux blancs étaient ébouriffés. Son visage parsemé de taches de vieillesse était couvert d’une barbe blanche de trois jours qui lui donnait l’air encore plus vieux. Il portait des lunettes rondes cerclées de fer qui avaient connu de meilleurs jours et se tenaient bancales sur le nez. Le vieil homme braquait […] un regard enfiévré, voilé par un film laiteux. »

 

Et de lieux tels que le square Saint-Louis :

 

« Ils atteignirent la maison, semblable à toutes les splendides demeures qui bordaient le parc sur trois côtés. Collées les unes aux autres, avec leurs façades de trois étages en pierre grise, leurs toitures mansardées et leurs escaliers qui venaient s'aligner uniformément sur le trottoir, elles donnaient l'impression d'une muraille encadrant la cour intérieure d'une forteresse. Tout, dans cet endroit, dégageait une expression de richesse tranquille et assurée. »

 

À quelques reprises, le lecteur est en mesure de suivre les déplacements en voiture à cheval des personnages dans le dédale des rues de Montréal :

 

« Le véhicule […] rebroussa chemin sur Saint-Catherine vers l’est puis tourna à droite sur Bleury. Il croisa Dorchester, La Gauchetière et Craig. Bleury devint Saint-Pierre avant qu’il ne traverse Notre-Dame. Il tourna à droite sur William, à gauche sur King puis à nouveau à droite sur Wellington. »

 

On apprend, entre autres, qu’à Griffintown, quartier du sud-ouest de Montréal, un marché au foin pour l'alimentation des milliers de chevaux à Montréal occupait Haymarket Square. Que la « nouvelle cathédrale Marie-Reine-du-Monde, dont la construction traînait depuis 1875 […] allait finalement être consacrée d’ici un an ou deux ».

 

Il est aussi question du « tout nouveau tramway électrique, appelé le Rocket […] dont tout Montréal parlait avec enthousiasme » :

 

« L’étrange véhicule s’arrêta en grinçant sur ses rails. Le conducteur annonça l’intersection et des passagers excités en descendirent et d’autres y montèrent avec la fébrilité un peu apeurée que cause la nouveauté. Puis il repartit sous le regard ébahi des piétons. »

 

Certains détails de la vie quotidienne des Montréalais sont soulignés au passage :

 

« … il se rendit à la voiture et décrocha une des deux lampes à l’huile que les policiers, comme les cochers, allumaient la nuit afin de signaler leur présence. »

 

« La femme se dirigea vers la porte de la cuisine qui donnait sur le modeste carré clôturé qui tenait lieu de cour. Au milieu trônait un tas d’immondices [aux effluves écoeurants] qui devait bien atteindre quatre pieds de haut. »

 

J’ai découvert une expression qui m’était inconnue : « faiseur d’anges » pour qualifier les médecins qui pratiquaient des avortements illégaux.

 

Le rythme de l’action dans ce thriller historique est entretenu par de nombreuses chutes en fin de chapitre qui incitent à poursuivre la lecture. Le tout assorti de plusieurs scènes angoissantes, comme celles qui se déroulent à la raffinerie de la Canada Sugar Refining Co. Et au « couvent de l’ordre de la Sainte-Face ». Sans compter une finale qui nous réserve des surprises.

 

En terminant, je ne peux garder sous silence le clin d’œil qu’adresse Hervé Gagnon à un de ses collègues montréalais, auteur de plusieurs dizaines de romans jeunesse et pour un public adulte en introduisant un personnage dénommé Laurent Chabin, secrétaire de la loge franc-maçonnienne des Cœurs-Unis. Quand un connaît ce romancier prolifique, la description qu’en fait Hervé Gagnon ne laisse aucun doute :


« ténébreux Français » d’« origine berrichonne » et sa « grosse moustache en fer à cheval […] grognon que pour la forme ». 

« Grand et maigre hormis une petite bedaine, les cheveux poivre et sel portés courts, abondamment moustachus, cynique à souhait et un brin iconoclaste, mange-curé convaincu, il n’était rien d’autre qu’un nounours qui aimait plaire. »

 

Vivement la lecture des trois prochaines enquêtes rééditées chez Hugo Québec (Benjamin, Joseph et Adolphus) auxquelles, selon les confidences de l’auteur et du distributeur s’ajoutera à l’automne un 7e tome dont je connais déjà le titre…

 

 

Merci aux éditions Hugo Québec pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue : *****

Psychologie des personnages : *****

Intérêt/Émotion ressentie : *****

Appréciation générale : *****


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