Blizzard (Marie Vingtras)


Marie Vingtras. – Blizzard. – Lieu : Éditions de l’Olivier, 2021. – 190 pages.

 

 

Roman noir


 

 


Résumé :

 

Le blizzard fait rage en Alaska.

 

Au cœur de la tempête, un jeune garçon disparaît. Il n’aura fallu que quelques secondes, le temps de refaire ses lacets, pour que Bess lâche la main de l’enfant et le perde de vue. Elle se lance à sa recherche, suivie de près par les rares habitants de ce bout du monde.

 

Une course effrénée contre la mort s’engage alors, où la destinée de chacun, face aux éléments, se dévoile.

 

Commentaires :

 

Dans ce court roman noir à sensation forte, le premier pour cette auteure, Marie Vingtras donne la parole, sous forme de monologues, à quatre personnages principaux (trois hommes et une femme) qui révèlent progressivement leurs secrets, leurs états d’âme, leurs actes non avoués et les liens qui les unissent face aux éléments déchaînés.

 

Le lecteur fait progressivement la rencontre avec Benedict, un homme malheureux dans ce coin de l’Alaska qui élève un jeune garçon, Thomas, avec une femme, Bess. Celle-ci, responsable du drame qui alimente le récit est le personnage central qui, par sa culpabilité, contraint les autres à agir et à révéler ce qu’ils sont. Il y a aussi Cole, un autochtone sauvage et renfrogné, protagoniste trouble, complice de Clifford, son ami misogyne, raciste et mal éduqué. Enfin, Freeman, le nouvel arrivé, ex-policier noir et vétéran du Vietnam, père endeuillé, qui se confronte sans cesse à l’hostilité de la nature.

 

Dès les premières pages, la tempête fait rage. Le blizzard souffle sur « … cette terre de désolation qui suinte le malheur » :

 

« Le vent souffle tellement fort autour de la maison que je ne sais pas comment elle tient encore debout. J’ai l’impression que les murs sont pris dans un étau entre la poussée des rafales et la neige qui s’accumule. »

 

« L’air est incolore, comme si toutes les couleurs existantes avaient disparu, comme si le monde entier s’était dilué dans un verre d’eau. »

 

« Vivre ici c’est déjà dur quand il ne neige pas, mais en pleine tempête, c’est comme être dans le ventre du diable… »

 

En quelques heures, la blancheur des éléments déchaînés enveloppe la noirceur dramatique de ces hommes et femmes au passé douloureux, hantés par la honte et leur désir de fuir ce milieu hostile. Le calme atmosphérique revenu, la face cachée de chacun se dévoile par des retours en arrière révélateurs. Les terribles secrets profondément enfouis peuvent enfin refaire surface.

 

Ce huis clos à ciel ouvert se caractérise par des chapitres brefs, une écriture fluide et incisive, une narration sobre, un récit efficace et trépidant, une atmosphère angoissante et une tension en crescendo tenant en haleine le lecteur jusqu’au dénouement de l’intrigue dans les dernières pages.

 

J’ai noté au passage ces quelques magnifiques images de style :

 

« … j’ai crié autant que j’ai pu, mais le seul souffle du vent m’a répondu. »

 

« J’entends la maison qui craque et qui gémit comme un petit vieux. »

 

« Il était couvert de neige, ça lui faisait comme des épaulettes de général de pacotille… »

 

Et ces réflexions sur la guerre et ses conséquences :

 

« … quelle que soit la technologie utilisée, l'homme trouvera toujours un moyen inédit de blesser, de trancher, d'amputer ses frères à n'en plus finir, c'est dans sa nature. La guerre reste la guerre. Elle terrifie et galvanise en même temps. Elle banalise le fait que vous puissiez tuer d'autres êtres humains, juste parce qu'on vous a dit que vous aviez une bonne raison de le faire, que vous étiez le tenant du bien contre le mal. Il y a toujours une bonne raison pour justifier que nos enfants se fassent sauter sur des mines, pour qu'ils reviennent écharpés, silencieux comme des ombres, incapables de mettre des mots sur ce qu'ils ont vu. »

 

« La guerre nous avait pris notre fils et elle ne nous avait restitué que le négatif de la photo, juste une ombre blanche sur un fond désespérément sombre. »


 

Avocate à Paris, Marie Vingtras, nom de plume emprunté à Arthur Vingtras, « pseudonyme de la journaliste Séverine qui l'avait elle-même utilisé en hommage à Jules Vallès et au héros de sa trilogie "Jacques Vingtras" », est originaire de Rennes..

 



Blizzard a été remarqué et retenu dans la sélection de plusieurs prix européens :

 

Prix Talents Cultura 2021

Prix des libraires francophones 2022

Coup de Cœur des Lycéens Fondation Prince Pierre de Monaco 2022

Prix du métro Goncourt 2022

Prix Summer 2022

Prix Culture et bibliothèques pour tous 2022

Prix Premières paroles 2022

Prix « Esprits libres » 2022

Prix du « Livre au cœur » du Piémont cévenol 2022

Prix des lycéens et apprentis d'Auvergne Rhône Alpes 2023

Prix des lycéens et apprentis d'Île-de-France, département d’Essonne 2023

 

Le 2 septembre 2021, l’émission La Grande Librairie recevait cette auteure qui n’a jamais mis les pieds en Alaska et qui a été influencée par une quinzaine d’années de lecture de romans nord-américains : https://youtu.be/np_3dlY4CDk?si=nmHx6uUZPWTzrUgE

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  *****

Appréciation générale : *****



Memoria – Une enquête de Rekke & Vargas (David Lagergrantz)


David Lagergrantz. – Memoria – Une enquête de Rekke & Vargas. – Paris : Harper Collins France, 2023. – 442 pages. 


Polar

 

 

 

Résumé :

 

Claire Lidman est morte depuis quatorze ans. Pourtant, Samuel, son mari, refuse de l'accepter. Alors, quand il croit reconnaître sur une photo de vacances une femme qui ressemble étrangement à Claire, il demande à Hans Rekke et Micaela Vargas de mener l'enquête. Ils sont sceptiques, cependant Rekke décèle sur la photo des indices qui le poussent à penser qu'il s'agirait bien de Claire...

 

Au même moment - et peut-être par pur hasard -, Julia, la fille de Rekke, entame une relation amoureuse avec un mystérieux inconnu. Et Micaela subit les menaces de son criminel de frère, Lucas, sans pour autant se laisser intimider. Lorsqu'elle découvre qui est le petit ami de Julia, son monde s'effondre. Rekke, lui, apprend que son ennemi de jeunesse, Gabor Morovia, était lié à Claire Lidman. Il s'apprête, une fois encore, à l'affronter.

 

 

Commentaires :

 

J’ai dû persévérer dans ma lecture de Memoria jusqu’au deux tiers du deuxième tome de la série Rekke & Vargas avant de vraiment me laisser entraîner dans cette enquête. Un scénario dans lequel s’entremêlent pendant plusieurs chapitres la crise financière des années 1990 en Europe, les liaisons dangereuses entre l’oligarchie russe, les anciens du KGB et de hauts fonctionnaires suédois peu scrupuleux, le racisme, le trafic de drogue et les problèmes liés à l’immigration.

 

Un récit parfois nébuleux qui foisonne de détails, d’intrigues entremêlées, d’allers-retours entre de nombreux personnages qui semblent avoir peu de liens entre eux. Même Vladimir Vladimirovich (Poutine) fait partie des criminels impliqués dans cette histoire géopolitique des années post-URSS. Jusqu’à ce que l’action finisse par prendre enfin son élan, que se développe un certain suspense débouchant sur un dénouement sans grande surprise.

 

Le binôme Hans Rekke et Micaela Vargas forme toutefois un couple improbable d’enquêteurs plutôt intéressant, en décalage de milieu social, un peu selon le modèle Mikael Blomkvist et Lisbeth Salander dans la série Millenium. Pas surprenant que David Lagercrantz s’en soit inspiré pour mettre en scène une jeune policière ambitieuse d’origine chilienne et un brillant psychologue et pianiste suédois tourmenté « qui comprend tout, mais a du mal à l'expliquer ».

 

En finale, un troisième tome est annoncé de la bouche même d’un personnage féminin qui fait son apparition soudaine :

 

« — J'ai entendu parler de vous, professeur Rekke. Et aussi de vous, Micaela, ajouta-t-elle sur un ton d'excuse. Vous savez résoudre les problèmes, dit-on, et je me trouve embarquée dans une histoire des plus étranges, avec en effet... mon ex-mari. Je viens d'apprendre quelque chose d'insensé. Pardonnez-moi d'avance : cela va ressembler à un vrai roman policier.

 

Rekke jeta un coup d'oeil à Micaela et sourit aimablement à la dame.

 

— Je trouve que c'est un bon début, dit-il tandis que sa jambe gauche se mettait à tressauter. »

 

J’y ai tout de même appris qu’en « 1975, une réforme avait été mise en œuvre dans l’école suédoise, dans le but de rendre l’écriture plus facile à lire et dépouillée des ornements inutiles. Les g, par exemple, ne devaient pas être liés à la lettre suivante, pour éviter les boucles. »

 

 

Né à Stockholm, David Lagercrantz est journaliste et écrivain. Il est l’auteur de la biographie de Zlatan Ibrahimović, footballeur suédois d'origine bosnienne, et du thriller Indécence manifeste (Actes Sud, 2016), l’histoire du mathématicien Alan Turing qui a déchiffré le code secret des nazis lors de la Seconde Guerre mondiale qui inventa la première « calculatrice électronique » et anticipa l’intelligence artificielle.

 

Lagercrantz a acquis sa renommée mondiale en imaginant les tomes 4, 5 et 6 de la série à succès Millénium de Stieg Larsson avant de publier Obscuritas (Harper Collins, 2023), le premier volet de la série policière mettant en scène Rekke et Vargas.

 

Merci aux éditions Harper Collins France pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : ****

Qualité littéraire : ***

Intrigue :  ***

Psychologie des personnages :  ****

Intérêt/Émotion ressentie :  ***

Appréciation générale : ***


Coke en stock / Colocs en stock (Hergé | Yves Laberge)

Hergé. – Coke en stock. – Bruxelles : Casterman, 1958/1986. – 62 pages.

Hergé. – Colocs en stock. – Bruxelles : Casterman, 2009. – 62 pages.

Bande dessinée

 

 


Note de l’éditeur :

 

« On parle français en Amérique depuis bien longtemps, principalement au Québec. Et si les Québécois s'expriment en français, leur langue a évolué différemment du français d'Europe en certains points. Outre l'accent, qui varie selon les régions, il existe de nombreux québécismes dans le français parlé en Amérique – expressions particulières, tournures de phrases ou mots moins usités en Europe. Plusieurs exemples voulant transcrire la langue orale populaire ont été inclus dans cette version québécoise intitulée Colocs en stock.

 

Doublement Québécois puisqu'il est né dans la ville de Québec, Yves Laberge propose […] une adaptation transposée dans le contexte culturel du Québec. Cette version québécoise de Coke en stock est un hommage au père de la bande dessinée et une célébration de la langue française telle qu'on peut l'entendre de nos jours au Québec. »

 

 

Commentaires :

 

J’ai repéré par hasard un exemplaire de la seule des aventures de Tintin qui a été publiée « en québécois ». L’ensemble de l’œuvre graphique de Hergé est disponible dans une cinquantaine de langues et dans une trentaine de dialectes, dont le ch'ti, le breton et le créole de la Guadeloupe.

 

J’ai eu la curiosité de comparer la version originale avec celle adaptée par Yves Laberge tirée à 20 000 exemplaires, tout en faisant un retour en arrière sur une de mes lectures d’enfance.

 

Sauf à une ou deux exceptions près, seuls les phylactères ont été adaptés en langue orale québécoise.



La sortie de cette BD en 2009 n’avait pas fait consensus. Certains inconditionnels de Tintin, ce reporter qui n’a d’ailleurs jamais écrit un seul article de journal tout au long de ses aventures, la qualifièrent de « farce monumentale :

 

« Honte à Casterman et honte à vous, M. Yves Laberge […] mais on ne touche pas à Tintin ! Surtout pour le défigurer autant et le rendre absolument ridicule et grotesque. D'abord, le titre: ‘’ Colocs en stock ‘’, qu'est-ce que ça veut dire ? M. Laberge aura-t-il d'autres lumineuses idées pour adapter les titres de la série? Préparons-nous à lire L'Oreille décrissée, La Bébelle d'Ottocar, Les Piasses en couleur de Red Raquam, On est allé s'promener sur la Lune, Les Jowells de la chanteuse. » (Marc Fournier - Tintinophile d'Alma - Le Devoir (Montréal), 20 octobre 2009)

 

D’autres groupies du personnage imaginé par Hergé y sont allés de commentaires plus nuancés qui correspondent davantage à mon ressenti de lecture. C’est le cas de Hugues Morin qui, le 3 novembre 2009, publiait un billet sur son site blogue L’esprit vagabond . Et de Stéphane Picher, alors libraire chez Pantoute dans le Vieux-Québec, sur son blogue Le silence des rossignols.

 

Dans une entrevue publiée dans le journal La Presse de Montréal (Colocs en stock, un Tintin pure laine, 21 octobre 2009), Yves Laberge, sociologue de formation et alors directeur de collection aux Presses de l'Université Laval à qui l’éditeur a laissé carte blanche s’expliquait :

 

« Tintin a été traduit en des langues parlées par seulement 100 000 personnes. Nous sommes 7 millions au Québec. J'ai cherché une langue où on se reconnaîtrait, où on aurait le plaisir de voir nos mots, nos expressions, dans une oeuvre universelle. »

 

J’ai eu personnellement beaucoup de plaisir à découvrir, en comparant les doubles pages des deux versions, les échanges en joual entre Tintin,  le capitaine Haddock et tous les autres acteurs de cette aventure rocambolesque, y compris la Catasfiore, les Arabes « qui ne décolèrent pas dans une langue qui apparaît soudain exotique », sans oublier Milou. 



Bien sûr, on y retrouve toutes les expressions québécoises, ou presque : « S’cusez-moi, c’est d’valeur, ben coudonc, c’est tiguidou, j’va l’sacrer dewor, c’est-tu assez fort, s’énarver le poil des jambes, écrapoutis… ». Avec quelques « ratés » comme « boyau d’arrosoir » plutôt que « boyau d’arrosage ».

 

Mais Yves Laberge qui a travaillé plus d’un an sur ce projet a outrepassé la simple adaptation du langage sans blasphème ou juron dérivé du vocabulaire religieux. Il a inséré dans plusieurs planches des fragments de notre culture que peut-être seuls les Québécois sont en mesure de décoder. En voici quelques exemples avec, entre crochets, le texte de la version originale de Hergé :

 

·        « 42 milles ! De choses tranquilles » [« Cinquante kilomètres !... Une paille !... »]

·        « Astheure, iousqu’i sont toutes les Raftmen ? » [« Où sont ces types en vadrouille, pardon, en patrouille ? »]

·        « Ce serait ben l’boutte si i avait déménagé au 1er juillet ! » [« Le comble serait qu’il ait déménagé »]

·        « Vous pourriez pas parler français comme nous autres, espèce de Duchesse du Carnaval ? » [« Pourriez pas parler français comme tout le monde, espèce de bayadère de carnaval ? »]

·        « Cé t’une voiture d’eau ? Ou ben une goélette ? » [« C’est un boutre, ça… Non, pardon, un sambook. »]

·        « Bandits !... Pirates !... Gangs de rue ! » [« Bandits !... Pirates !... Gangsters ! »]

·        « Espèce de Pirate Maboul ! » [« …espèce de mitrailleur à bavette ! »]

·        « De joyeux naufragés ! » [« De véritables naufragés »]

·        « Madame Castafiore du Saguenay » [« Madame Castafiole »]

·        « Cé don’ ben beau ! C’é t’à qui donc ? Au Bonhomme Carnaval ? » [« C’est à qui ¸ca ?... Oh ! mais, dites donc, c’est le carnaval à bord »]

·        « Prendr’ un p’tit coup… C’é t’agréable » [« Allons une seule petite gorgée… Mais oui, pourquoi pas ? »]

·        « Swing la bacaisse dans l’fond d’la… boîte à bois ! » [« Sauvés ! Youpiie ! Sauvés ! Hourra ! »]

·        « Viande à chien ! » [« Ah ! non, non !... »]

 

Par contre, il faudra qu’on m’explique « … la passe du bonhomme Giroux. »

 

Enfin, j’ai appris que « babord, c’est gauche ; tribord, c’est droite, comme dans l’mot ‘’ batterie ‘’ »

 

En conclusion, Coke en stock est une BD à lire pour s’autodérider et se démarquer en tant que société distincte non seulement en Amérique du Nord, mais aussi dans l'ensemble de la Francophonie internationale.

 

Au Québec, vous pouvez commander et récupérer votre exemplaire auprès de votre librairie indépendante sur le site leslibraires.ca.


L’irrésistible appel de la vengeance – L’art d’écrire un polar (Rosa Mogliasso)


Rosa Mogliasso. – L’irrésistible appel de la vengeance. – Le Bousca : Finitude, 2023. – 256 pages.

 

 

Roman

 

 

 

Résumé :

 

Amanda n’est pas au mieux de sa forme : auteure de polar has been, malheureuse en amour et un peu trop portée sur le gin, elle s’aperçoit avec dépit qu’il est difficile de se remettre en selle à cinquante ans. En attendant des jours meilleurs, elle anime un atelier d’écriture.

 

Sous sa direction, un petit groupe de prétendants à la gloire littéraire s’exerce à l’art du crime parfait. Parmi eux, Rutger, le beau tennisman, Vanessa, la MILF tirée à quatre épingles, Giovanni, le romantique octogénaire, et Ludovica, l’insupportable agent littéraire d’Amanda. Chapitre après chapitre, professeur et élèves se plongent dans les mécanismes subtils d’une intrigue romanesque, mais aussi dans ceux, plus insidieux, des passions qui les lient les uns aux autres.

 

L’ironie irrévérencieuse de Rosa Mogliasso fait mouche. Et tandis qu’elle nous montre les règles de construction du plus infaillible des polars, elle s’amuse à les saboter. Jusqu’à l’imprévisible coup de théâtre final. Mais attention, un roman peut parfois en cacher un autre…

 

 

Commentaires :

 

Même si l’attirante couverture de première laisse supposer que L’irrésistible appel de la vengeance est un récit d’horreur, détrompez-vous. Vous découvrirez comme moi un roman très drôle et pédagogique sur l’art d’écrire un polar. L’auteure, Rosa Mogliasso, entremêle conseils pour démystifier les techniques et les rouages d’écriture d’un bon roman policier, références britanniques et américaines une œuvre littéraire en développement dans laquelle les relations entre les personnages réels et fictifs s’entrecroisent. Un roman dans un roman.

 

En pages liminaires, l’auteure présente les 12 protagonistes d’un atelier d’écriture qui se tient une fois par semaine dans une librairie de la Piazza Vittorio Veneto à Turin. Des rencontres qu’anime d’une main de maître Amanda, son personnage principal, une auteure déchue, accroc au gin-tonic qui a décidé de donner des cours d’écriture pour gagner en prestance, en crédibilité :

 

« Elle avait publié une dizaine de livres, fait quasiment le tour de toutes les intrigues policières imaginables sans pour autant atteindre le nirvana des best-sellers et des chèques à cinq zéros. Voilà pourquoi Amanda se réveillait chaque matin en ruminant des scénarios de vengeance qui devenaient plus violents à mesure que la journée déclinait. »

 

Rosa Mogliasso décrit également les huit acteurs impliqués dans les 21 chapitres du polar collectif au suspense entretenu qui se construit de séance en séance, un peu à la manière d’un « cadavre exquis ». Chacune et chacun des aspirants écrivains du club d’écriture, aux vies plus ou moins chaotiques, collaborent au développement de l’intrigue jusqu’au coup de théâtre final, « ce que les Anglo-saxons nomment communément le plot twist. »

 

Avec comme résultat deux histoires intimement liées, qui se répondent et se nourrissent, une galerie de personnages hauts en couleur et des dialogues mordants où la réalité rattrape la fiction et vice versa.

 

J’ai beaucoup apprécié le scénario imaginé, les nombreux conseils qui m’ont rappelé mes cours de création littéraire et d’autres lectures sur le polar comme genre littéraire : répartir deux ou trois cadavres « avec bon sens tout au long de l’histoire » ; trahison et vengeance, le moteur d’un roman policier ; « ne jamais confondre la voix du narrateur avec celle de l’auteur (règle fondamentale) » ; les motivations du crime : « l’envie, l’avidité, la jalousie, la luxure » ; assassins et victimes doivent se connaître ; les adverbes ne sont pas nos amis ; ne pas raconter, mais montrer.

 

J’ai appris que le cliffhanger était une façon de terminer un épisode avec un événement dont l’issue est incertaine.

 

Au fur et à mesure de l'écriture du polar que les élèves d’Amanda et le lecteur découvrent de chapitre en chapitre, Rosa Mogliasso formule ses recommandations :

 

À propos d’un bon roman policier :

 

« … le crime ne doit pas être commis par des professionnels du milieu. Un bon roman policier doit nous rappeler que si quelque chose tournait mal dans nos vies, chacun de nous pourrait se transformer en assassin. Ce qui nous intéresse, ce sont les motivations viscérales, profondes. »

 

« Deux ou trois cadavres, bien dosés, à répartir tout au long de votre récit: le premier est, en général, la victime principale. Les suivants, normalement, sont assassinés parce qu'ils sont sur le point de démasquer le coupable. Celui-ci, bien que n'ayant aucun ressentiment particulier à leur égard, se voit contraint de les éliminer pour ne pas être découvert. »

 

… des personnages :

 

« Les personnages sont des ‘’ émissaires de vie ‘’, ils ont des potentialités surprenantes. Un personnage pour lequel on avait envisagé seulement quelques répliques peut se révéler si intéressant qu'on le développe sur plusieurs chapitres. Nous devons nous laisser surprendre par nos personnages, ils sont comme des fruits qui mûrissent sur un arbre. Au début, il y a de nombreux embryons de pommes, à la couleur indéfinie. Certains d'entre eux prennent forme jusqu'à devenir d'un beau vert brillant, tandis que d'autres n'ont pas de potentialité de vie, abdiquent, se dessèchent. Les personnages sont comme des pommes: ils naissent, mûrissent et seulement à ce moment-là, vous pourrez les cueillir. D'autres tombent par terre, inexploités. »

 

« Rappelez-vous que les personnages d'un livre, et d'autant plus dans un polar, disent ce qu'ils veulent et agissent en fonction de ce qu'ils sont. »

 

… de l’écrivain, un Dieu :

 

« Mais attention, l'écrivain n'est pas le Dieu miséricordieux du Nouveau Testament qui écoute les prières et pardonne les péchés. L'écrivain est le Dieu de l'Ancien Testament: sanguinaire, brutal, sans pitié. Celui qui envoie des sauterelles provoque des famines, des pluies de feu, des punitions cruelles. Nous devons être implacables avec nos mots, effacer ceux qui sont inutiles et, surtout, supprimer ceux qui mentent, nous devons faire confiance à notre infaillible divinité. Souvenez-vous de ceci, mesdames et messieurs, ayez toujours à l'esprit les plaies de Job quand vous écrirez. »

 

« … celui qui écrit ne peut s'extraire de sa propre sensibilité ni de ses blessures. La sensibilité, pour un écrivain, est l'équivalent de son propre corps pour un peintre : c'est ce que nous avons en permanence sous la main, c'est le sujet le plus évident. Vincent Van Gogh a fait son autoportrait quarante-trois fois en dix ans. »

 

« Au même titre que certaines méthodes de jeu théâtral, vous devez chercher les analogies psychologiques entre votre monde intérieur et celui de votre personnage afin de les faire renaître dans la fiction. »

 

… des dialogues :

 

« Un dialogue écrit, pour qu'il fonctionne, doit avoir une cadence exagérée, pyrotechnique, voire explosive, sinon c'est barbant. »

… pour ne citer que ces quelques exemples.

 

Comme je le fais régulièrement dans mes avis de lecture, j’ai relevé quelques passages qui donnent le ton à la qualité littéraire de ce roman :

 

« … le logement était si petit que lorsqu'Amanda oubliait de poser un couvercle sur une casserole de sauce tomate, elle risquait de devoir repeindre les murs de la chambre à coucher. »

 

Les agents immobiliers : « … catégorie de personnes qui n'a aucun scrupule, qui sait lire dans l'âme humaine et est capable de saisir l'opportunité quand elle se présente. »

 

« … l'amour au temps d'internet est rapide et superficiel, autant dans les mécanismes que dans la prose: messages brefs, directs, clairs, transparents, pas de phrases complexes et surtout pas de ponctuation. Au mieux, un retour à la ligne. Imagine du Marcel Proust à l'envers et tu auras une idée assez précise de ce qui se passe à notre époque. »

 

« … quand il rentrait dans l'appartement qu'il partageait avec deux étudiants fauchés comme lui et que l'accueillait l'odeur d'un poulet provenant de la rôtisserie, c'était à Vanessa qu'il pensait: chaude et pleine. »

 

« D’après Hemingway, il faut écrire en étant soûl et corriger une fois sobre. »

 

Le roman ayant été traduit en France, impossible d’échapper à quelques « du coup ». Je sais, ma remarque est redondante.

 

J’ai aussi noté la référence à un ouvrage publié en 1988 par l’écrivain d’origine cubaine, Italo Calvino, « Leçons américaines. Six propositions pour le prochain millénaire ». De Lucrèce à Henry James, celui-ci suggère que les chefs-d’œuvre littéraires peuvent tous être lus à travers le prisme de cinq valeurs : légèreté, rapidité, exactitude, visibilité, multiplicité. 

 

Rosa Mogliasso, par l’intermédiaire d’Amanda, renvoie ses personnages et le lecteur à la lecture attentive de ce livre qu’elle qualifie de fondamental en évoquant une qualité incontournable de toute œuvre romanesque :

 

« L'écriture est rythme, ne l'oubliez jamais. La réalité que nous décrivons va au ralenti : elle est paresseuse, opaque, inerte. Avec l'écriture, nous devons faire en sorte que la réalité s'envole et quitte la terre. Nous devons donner au monde la légèreté et le rythme […] : nous devons donner à la réalité un cœur qui bat. »


Un mot sur Rosa Mogliasso. Née à Turin et diplômée en histoire du cinéma, elle s’est consacrée au théâtre. Elle a fait partie d’une compagnie de théâtre d’ombres pendant de nombreuses années et est actuellement curatrice et responsable de la programmation du Théâtre Baretti de Turin.

 

C’est par le biais du théâtre qu’elle est arrivée à l’écriture. Elle a d’abord écrit pour la scène et pour la radio, puis des nouvelles parues dans des revues, avant de publier son premier roman en 2009. « L’assassin a oublié quelque chose » est le premier de quatre tomes d’une série policière dont le héros est la commissaire Barbara Gillo.

 

Même si vous n’aspirez pas à devenir un,e écrivain,e riche et célèbre, je vous recommande chaudement la lecture de roman que vous pourrez savourer en quelques heures.

 

Merci aux éditions Finitude pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander et récupérer votre exemplaire auprès de votre librairie indépendante sur le site leslibraires.ca.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  *****

Appréciation générale : *****