L’assassin est dans la nature (Anne Fleischman)


Anne Fleischman. – L’assassin est dans la nature. – Montréal : Glénat Québec, 2023. – 277 pages.

 


Polar

 

 


Résumé :

 

Qui a tué Romain Maréchal, l’architecte en vogue de l’île d’Antagonish ? Et comment cette île, autrefois si paisible et familiale, est-elle devenue un repère tape-à-l’œil pour touristes huppés ?

 

Au fil d’une improbable amitié, Jean-Jacques Rousseau, sympathique gynécologue montréalais à la retraite, et Benjamin Still, impassible officier de la police du Rhode Island, mènent l’enquête. D’un bout à l’autre d’une terre léchée par l’océan Atlantique, au cœur de paysages maritimes sublimes, ils découvriront chacun à leur manière les secrets d’Antagonish qui, sous son vernis bourgeois, a heureusement conservé l’authenticité brute de sa réserve ornithologique.

 

 

Commentaires :

 

Plus on lit de polars, plus on devient exigeant sur l’efficacité du scénario imaginé par un,e auteur,e. L’éditeur de « L’assassin est dans la nature », le quatrième roman de Anne Fleischman, annonce « une enquête menée tambour battant », c’est-à-dire sans laisser le moindre temps ou le moindre moment de répit. Il m’a plutôt semblé que cette recherche du coupable de l’assassinat s’étirait dans le temps sur une trentaine de chapitres, entre embourgeoisement d’un environnement autrefois paisible et familial, observations récréotouristiques, environnementales et ornithologiques non sans intérêt d’ailleurs. Mais qui ne contribuent pas vraiment à entraîner le lecteur vers la recherche de la vérité.

 

J’ai trouvé peu crédible les événements entourant la découverte du cadavre sans la présence d’une équipe médicolégale et sans autopsie pour documenter le travail policier assumé par un officier américain aux prises avec des migraines qui l’assaillent et qui carbure aux bonbons à la menthe. Difficile aussi d’imaginer qu’un enquêteur dévoile des pans de son investigation à celui qui a découvert le corps, un gynécologue québécois excentrique friand de chocolats chauds, comme si ce dernier était « un vieux compagnon d’armes ».

 

Bien sûr, l’auteure a parsemé son récit d’un certain nombre de personnages secondaires plus ou moins excentriques qui contribuent davantage à raconter l’histoire de la transformation de l’île d’Antagonish en Golden Island sans vraiment nourrir la résolution du crime. Il faut patienter jusqu’à l’avant-dernier chapitre pour attacher tous les quelques fils ténus disséminés tout au long du récit.

 

Tous les chapitres portent comme titre le ou les premiers mots de chacun de ceux-ci. L’auteure qui est journaliste et rédactrice scientifique utilise un style épuré mettant l’accent sur les dialogues qui insufflent un certain dynamisme au déroulement des événements. En finale, celle-ci a cru bon de décrire le sort de cinq des protagonistes impliqués directement ou indirectement dans le meurtre de l’architecte.

 

L’assassin est dans la nature n’est pas un roman qui vous plongera dans un état d’attente anxieuse lors du déroulement des événements qu’il relate. L’ouvrage est à la fois divertissant et pédagogique : j’y ai découvert une espèce sud-américaine  de cormorans à pattes rouges, les « phalacrocorax gaimardi ».

 

Mes attentes étaient peut-être élevées. À vous de vous faire votre propre opinion et de réfuter mon argumentaire.

 

Merci aux éditions Glénat Québec pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander et récupérer votre exemplaire auprès de votre librairie indépendante sur le site leslibraires.ca.

 

 

Originalité/Choix du sujet : ****

Qualité littéraire : ****

Intrigue :  ***

Psychologie des personnages :  ***

Intérêt/Émotion ressentie :  ***

Appréciation générale : ***


Le scénariste (Yves D. Poirier)


Yves D. Poirier. – Le scénariste. – Montréal : Fides, 2023. – 204 pages.

 


Thriller

 

 


Résumé :

 

De la classique balle dans la tête à la délicate asphyxie au monoxyde de carbone, en passant par l’éreintant étranglement et la dangereuse torche humaine, Hubert Quentin a imaginé mille et une façons de tuer le courtier qui l’a bêtement arnaqué. Mais comment ce scénariste qui a bâti sa fortune en élaborant les crimes les plus perfides a-t-il pu se faire dépouiller par un escroc aussi minable?

 

Alors qu’Hubert s’apprête à risquer le peu de dignité qu’il lui reste pour conquérir le cœur d’une mystérieuse jeune femme, un enquêteur de la SQ et un avocat véreux le suspectent d’être responsable de la disparition de celui qui l’a floué. Commence alors un impitoyable jeu de pistes où l’auteur pourrait bien devenir le personnage de son propre scénario.

 

 

Commentaires :

 

Imaginez un auteur de thrillers qui, après des études en lettres et en cinéma et avoir mené une carrière en publicité et dans l’univers du design, a flirté avec la scénarisation et qui se consacre maintenant à l’écriture romanesque. Résultat : Le scénariste est un thriller psychologique divertissant, plein d’humour, truffé de réflexions sur la création littéraire avec un rebondissement final efficace. J’ai grandement apprécié les qualités du récit concis réparti en 22 chapitres écrits à la première personne, le personnage principal scénariste de métier se racontant et résumant ainsi le synopsis du scénario qu’il écrit :

 

« Un scénariste veuf et en panne d'inspiration s'éprend d'une jeune étrangère qu'il croit secrètement être une émissaire de sa femme. Cette relation lui inspire un scénario dans lequel il devient le protagoniste. Mais comme dans toute bonne histoire, le héros doit aussi faire face à l'adversité. Devant lui, un jeune amant qui revient dans le décor n'a pas l'intention de se laisser ravir sa maîtresse. Cet adversaire lui donne du fil à retordre plus qu'il ne l'aurait cru. Le scénariste réussira-t-il à terminer son scénario avec un happy end comme il l'entendait ? »   

 

Sauf que le héros de son scénario rendra l'âme au troisième acte du récit. N’ayant jamais pensé à cette éventualité, devra-t-il réviser la fin de son histoire ?

 

Quelques exemples de l’écriture imagée de Yves D. Poirier (ne pas confondre avec Yves Poirier, journaliste pour TVA Nouvelles) :

 

« Je suis tombé dans le panneau comme un poisson qu’on met dans un vivier. »

 

« J’avais oublié l’odeur de sucre doux et parfois de vanille des livres. »

 

« Les feuilles mouillées sont encore plus pénibles à ramasser, elles collent au sol comme de vieux péchés. »

 

Et sur l’humour de l’auteur qui est parfois grinçant :

 

« Tant qu’à mourir la gorge nouée et la langue froide, aussi bien trépasser dans ma cave à vin au milieu de quelques millésimes qui ont certes mieux vieilli que moi. »

 

« J’ai privilégié l’arme à feu plutôt que la corde ou l’injection de propofol. Pour un meilleur effet cinématographique, je suppose. »

 

« … habituellement, les avocats ont la parole facile. Toujours en train de plaider leur cause, l'argument de rétorsion au bout des lèvres. Des acteurs difficiles à déstabiliser. Ils ont l'esprit vif, mais surtout, de contradiction. »

 

J’ai aussi bien aimé le portrait qu’il dresse du métier de scénariste :

 

« Il faut dire que, contrairement aux romanciers, les scénaristes sont généralement des personnes anonymes. On lit rarement leurs noms dans les génériques. Ce qui intéresse les cinéphiles, ce sont les acteurs et le réalisateur. Et parfois, aussi, celui qui a composé la trame musicale. À part certains connaisseurs, les seuls à reconnaître vraiment le talent et l'importance de ma profession sont les producteurs et les réalisateurs. Il y a toutefois des avantages à passer incognito. Quand vous êtes scénariste, personne ne vous aborde dans la rue pour vous quémander un autographe ou vous féliciter parce que vous savez composer des répliques ou créer des intrigues. Vous pouvez abuser du scotch dans un bar ou élever le ton dans un endroit public sans qu'on en parle sur les réseaux sociaux. Vous n'êtes personne d'autre que celui à qui votre mère a donné la vie. »

 

Ce roman est structuré comme un scénario de film. Plusieurs scènes sont associées à celles qu’on peut visionner dans des productions cinématographiques connues et qui ont probablement été choisies en fonction de l’admiration que porte l’auteur à l’égard de leurs réalisateurs :

 

Scent of a Woman (Brest), Auberge espagnole (Klapisch), Derty Harry (Siegel), Chinatown (Polanski), The Big Lebowski et Fargo (Coen), Hannibal (Scott), Le dîner de cons (Veber), Scène de la vie conjugale et Face à face (Bergman), Da Vinci Code (Howard), Sleeping With the Ennemy (Ruben), The Silent of Lambs (Demme), On the Golden Pond (Rydell), Cast Away et Forrest Gump (Zemeckis), Fatal Attraction (Lyne), Misery (Reyner), One Flew Over the Cuckoo’s Nest (Forman), Pulp Fiction (Tarantino), The Sixth Sense (Shyamalan), La vita è bella (Benigni), The Witch (Eggers), Blair Witch Project (Myrick et Sánchez) et The Godfather (Coppola).

 

Et également à des séries télé : Breaking Bad (Gilligan), Colombo (Levinson), Ma sorcière bien-aimée (Saks), The Queen’s Gambit (Frank et Scott,) et Dexter (Manos).

 

S’ajoutent aussi des références à d’autres metteurs en images : Hitchcock, Fellini, Buñuel, Resnais, Godard, Truffaut, Altman et Labrecque.

 

Certains chapitres traduisent l’imaginaire fertile de l’auteur : celui où son protagoniste imagine différentes solutions pour se débarrasser de celui qui l’a floué (pp. 10-11) ; celui avec la médium (pp. 139-40) où il conclut qu’il n’y a pas que « les canaux de communication avec l’au-delà [qui] tombent aussi en panne » ; celui de la fouille dans le manoir imaginée par « le scénariste » (pp. 157-158) ; et celui de l’interrogatoire (pp. 166-167) au cours de laquelle l’arroseur est bien arrosé.

 

Et que dire des révélations en chute finale à la manière de Dexter « … chaque fois qu’il réglait le cas d’une de ses victimes dans la série télé du même nom. » Car, dans « la vie comme au cinéma, il peut y avoir des rebondissements inattendus. »

 

« Le scénariste » est aussi un roman sur la création littéraire qui souvent déforme la réalité, car écrire « un scénario est une chose, mais le vivre en est une autre. »

 

Sur l’inspiration :

 

« … dans le cas du scénario que je suis en train d'écrire, c'est de ma vie qu'il est question. »

 

« Pour écrire, ça prend beaucoup plus que de l'imagination. Il faut se tenir informé. Avoir des contacts dans tous les milieux... »

 

… la création des personnages :

 

« Tous mes personnages existent déjà. Je les construis en puisant simplement ici et là. J'usurpe les traits de ceux qui m'entourent. Un genre de voleur. » « … je leur volais leurs répliques et les dépouillais de leurs attributs afin de créer des personnages qui allaient donner de l'authenticité à mes scénarios. »

 

« Pour m'assurer qu'un personnage est bien campé, je valide toujours sa psychologie, ses motivations, ses craintes, ses carences... »

 

Le Character Driven : « les traits des personnages sont si bien définis au départ que ceux-ci décident eux-mêmes du dénouement de l'histoire. Cela permet de faire oublier au spectateur qu'un auteur se cache derrière. »

 

…. le scénario :

 

« Dans mes scénarios, j'ai toujours essayé de laisser les personnages me dicter l'évolution de l'histoire. Il m'arrive donc de me prendre à mon propre jeu. »

 

« Quand on écrit un scénario, on doit dès le départ savoir comment il se termine. Je commence toujours de cette façon, parce que la fin influence chaque scène qui précède. »

 

« … je m'imagine des scènes et me raconte des histoires qui souvent n'ont rien à voir avec la réalité. »

 

… et l’écriture en général :

  

« Écrire doit être une fête, jamais un combat. »

 

« J’ai commencé à vieillir le jour où j’ai cessé d’écrire. »

 

Une mention spéciale pour la couverture de première mettant en évidence une slug, « essentiellement une balle pour fusil de chasse. »

 

Laissez-vous emporter dans l’univers romanesque de Yves D. Poirier, un auteur que j’ai eu grand plaisir à découvrir.

 

Merci aux éditions Fides pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander et récupérer votre exemplaire auprès de votre librairie indépendante sur le site leslibraires.ca.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  *****

Appréciation générale : *****


Ma maison, et ce qu’il y a dedans (Martine Latulippe)


Martine Latulippe. – Ma maison, et ce qu’il y a dedans. – Montréal : Druide, 2023. – 225 pages.

 


Nouvelles

 

 


Résumé :

 

Certains événements, au premier abord banals, détiennent le pouvoir de tout faire basculer. Ce sont de ces instants de vie qui sont ici mis en scène : occasions manquées, solitude douce-amère, accidents, élans monstrueux… Après eux, plus rien ne sera comme avant.

 

 

Commentaires :

 

Ma maison, et ce qu’il y a dedans est un recueil de 18 courtes nouvelles aux titres intrigants et au contenu surprenant :

 

La vieille

Sur le mur

Le libraire et l'enfant

Tranche de vie.

Les premiers flocons

Le poids du passé

Qui es-tu?

J'ai douze ans.

Un aéroport, quelque part

Le prix du désir

Trouver le monstre

Quelques secondes

Complicité

Si près parfois

Ça suffit

Je pense à toi

Le réconfort de ton camion

Ma maison, et ce qu'il y a dedans

 

En cours de lecture, j’ai eu quelquefois l’impression que certains textes ne m’étaient pas inconnus. J’en ai eu la confirmation à la page 213 où l’éditeur ou l’auteure mentionne que certaines « des nouvelles de ce recueil [7/18] ont déjà été publiées dans d’autres revues oui collectifs, dans des versions différentes ». Je me rappelais les thématiques de « La vieille » (Crimes au musée), de « Le libraire et l’enfant » (Crimes à la librairie) et de « Ça suffit » (Mystères à l’école). Dans ces trois textes, la chute finale est particulièrement efficace.

 

Dans « Sur le mur », Martine Latulippe nous amène à prendre conscience qu’il « y a tellement plus que ce qu’on voit » sur une toile. Dans « Le libraire et l’enfant », qu’on « peut tout apprendre dans les livres », même… En quelques pages, l’auteure réussit à nous émouvoir avec le personnage que personne n’attend et qui n’attend personne dans « Un aéroport, quelque part » et celui pour qui « Jamais une orange n’aura eu un tel goût » dans « Quelques secondes ». Et troublante celle de la ministre qui doit payer « Le prix du désir ». Et que dire de la « Complicité » de deux voisins de chambre dans un motel miteux !... À vous de découvrir les thématiques de ces courtes histoires plus ou moins noires.

 

Martine Latulippe nous entraîne dans son imaginaire peut-être inspiré en partie, on le sent, d’expériences personnelles qu’elle maquille et intègre aux récits livrés dans une langue simple, accessible autant pour un public adolescent ou adulte et un style souvent imagé. En voici deux exemples fort éloquents :

 

« Quand elle a ouvert la porte, un rayon de soleil s'est faufilé dans la boutique en même temps qu'elle; il est allé rebondir sur la caisse enregistreuse et il a fini sa course en aveuglant l'oncle un infime moment. Quand il a recouvré la vue, il l'a aperçue pour la première fois. Elle était jeune, éclatante, souriante, légère, pimpante ; elle était tout ce que l'oncle n'avait jamais été, n'avait jamais connu. »

 

« Un vol en provenance de Tunis se posera bientôt. Un goût sucré d'orange sanguine se pose sur mes lèvres. Des odeurs épicées me montent au nez. Les bruits du souk semblent se mêler à ceux des voyageurs tout autour. Pour peu, mes doigts frôleraient des étoffes satinées, mes papilles percevraient la saveur du thé. »

 

J’ai souri avec cette référence à un sujet redevenu d’actualité en octobre 2023 dans la région de Québec :

 

« La manifestation aurait dû être LE sujet du jour. On en parlait depuis des semaines. Le ton montait, les esprits s'échauffaient. Tout le monde se promettait d'y assister. Certains pour manifester contre le troisième lien, qui ne changerait rien à rien au problème de congestion automobile et qui coûterait trop cher. D'autres pour réclamer qu'on construise ce tunnel au plus vite, espérant ainsi cesser d'être pris dans le trafic chaque matin, insultant copieusement les pelleteux de nuages trop pauvres pour acheter une voiture qui ne comprenaient décidément pas leur réalité. Les premiers trouvaient les seconds stupides, et vice versa. »

 

Ma maison, et ce qu’il y a dedans vous procurera une lecture agréable, une incursion de quelques heures dans le « quotidien de gens ordinaires, loin de la figure du héros » qui vous plongera « au cœur de leurs intimités » en vous en révélant « des pans insoupçonnés… et insoupçonnables » comme en fait la promotion son éditeur avec justesse.

 

Merci aux éditions Druide pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander et récupérer votre exemplaire auprès de votre librairie indépendante sur le site leslibraires.ca.

 

 

Originalité/Choix du sujet : ****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  ****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  ****

Appréciation générale : ****


Havana Connection (Michel Viau et Djibril Morissette-Phan)


Michel Viau et Djibril Morissette-Phan. – Havana Connection. – Montréal : Glénat Québec, 2023. – 248 pages.

 

Roman graphique


 



Résumé :

 

Cuba 1956. Le général Fulgencio Batista, dictateur violent et corrompu, a peu à peu livré La Havane aux parrains de la mafia américaine jusqu’à faire du redouté Meyer Lansky, son officieux ministre des Jeux. Hôtels, cabarets et casinos accueillent chaque jour des milliers de touristes qui viennent y dépenser des fortunes dans le jeu, le sexe et la drogue. C’est à ce moment que Lucien Rivard, trafiquant de drogue lié à la French Connection, débarque dans la capitale cubaine. Sous couvert de gérer un night-club, il est chargé d’établir de nouvelles voies d'accès pour écouler l’héroïne marseillaise vers les grandes villes d’Amérique. Mais dans les rues de La Havane, la révolte gronde. Les étudiants manifestent et les attentats se multiplient. En représailles, la capitale devient le théâtre d’une répression sanglante, tandis que le jeune avocat Fidel Castro, devenu leader des forces révolutionnaires, annonce qu’il libérera bientôt le peuple cubain de son dictateur. Malgré ce contexte politique hautement explosif, Lansky et ses associés n’ont qu’un seul but, poursuivre leurs activités… Mais Lucien Rivard est également marchand d’armes, et les Barbudos de Castro, réfugiés dans la montagne, en ont désespérément besoin...

 

 

Commentaires :

 

Havana Connection porte le même titre qu’un film d’Edgar Diaz sorti en salle en 1994 racontant qu’avec « la sanction officieuse du président américain, l’homme d’affaires millionnaire Jason Mendelson, le général belliciste Derek Brown et divers sénateurs lancent une offensive anticastriste pour protéger leurs intérêts à Cuba. »

 

Toutefois, le Havana Connection du scénariste sherbrookois Michel Viau en complicité avec l’artiste visuel Djibril Morissette-Phan de Rimouski nous plonge dans un tout autre univers en réalisant « une des bandes dessinées les plus ambitieuses jamais produites au Québec » comme le souligne leur éditeur.

 

Parlons d’abord de la forme : un très beau livre, un très bel objet avec sa reliure cartonnée, charnière et tranchefile, sa magnifique couverture, son signet ficelle doré et ses pages de garde reproduisant la carte de l’île de Cuba.

 

Lors du lancement de l’ouvrage à la librairie La Liberté de Québec le 11 octobre 2023, celui qui s’est investi de façon intensive pendant un an dans la production graphique mentionnait qu’initialement, Havana Connection devait être uniquement en noir et blanc. Et considérant l’ampleur du projet (228 planches), et avec l’appui de l’éditeur, quatre couleurs ont été privilégiées : le rouge et l’orange prédominant dans l’ensemble du récit et associés au chaud climat havanais, le vert pour les scènes à la campagne et dans les forêts et le gris soulignant des événements violents ou dramatiques. Le tout assorti d’une trame de demi-teintes, avec comme résultat certaines images quasi en trois dimensions.

 

Quant au scénario, il repose sur le séjour à Cuba du narcotrafiquant Lucien Rivard de 1956 à 1959. Michel Viau a relevé le défi, pendant cinq mois, d’intégrer le quotidien de ce caïd québécois aux grands moments de la révolution cubaine en mettant en scène des personnages réels (Fidel Castro, Ernesto « Che » Guevara, Fulgencio Batista, les mafieux Meyer Lansky, Gerry Turenne, Santo Trafficante). Quelques personnages inventés représentent différentes classes sociales cubaines à l'aube de la révolution. Dans les dernières pages, on apprend de tous ces XXX, « ce qu’ils sont devenus… » après l’expulsion de Rivard le 20 juin 1959.

 

Une place importante est accordée aux mouvements étudiants dans l’élan révolutionnaire qui mènera à la chute de la dictature de Batista : « Sans eux, la révolution aurait fini en queue de poisson. C’est un aspect moins connu, mais essentiel, de la révolution cubaine – quelque chose que j’ai moi-même découvert, et que je trouvais intéressant de montrer », affirme Michel Viau.

 

Avec comme résultat un ouvrage à la fois didactique et divertissant. J’y ai appris, entre autres, pourquoi on appelle les habanos « Monte Cristo ». L’auteur fournit les explications de la bouche même de Castro « Au siècle dernier, on lisait des livres aux Torcedors pendant qu’ils roulaient les feuilles de tabac à la main. Ils ont tellement aimé Le comte de Monte-Cristo qu’ils ont écrit à Alexandre Dumas en personne pour lui demander la permission de donner ce nom à leur meilleur cigare. »

 

La structure de ce roman graphique inspiré du réel reprend celle d’une fiction classique. Dès le prologue, la table est mise : la « revolucion » se trame. Le récit est ensuite découpé en cinq chapitres aux titres extraits d’une des planches relatant de l’arrivée de Rivard à La Havane jusqu’à l’exil de Batista et la prise du pouvoir de Castro :

 

I « Aimez-vous le rémora. Monsieur Rivard ? » 

II « À Cuba, il y a des planteurs et des cueilleurs. Chacun reste où il est né »

III « C’est une autre sorte d’orage »

IIII « Ça y est, c’est la merde ! »

IIIII « Il arrive ! Il arrive »

 

Quant à l’épilogue, il nous fait assister à l’expulsion de Rivard et de Turenne.

 

En complément, l’éditeur a complété l’expérience de lecture par des notes explicatives et biographiques des deux auteurs et une bibliographie (une soixantaine de monographies et d’articles, de références web, de bandes dessinées, de balados et de documents audiovisuels) pour qui souhaiterait en connaître davantage sur Rivard et sur la révolution cubaine.

 

Havana Connection se déroule sous nos yeux comme un film avec arrêt sur images, de planche en planche, de case en case, disposées dans une mise en page dynamique. Il faut prendre le temps pour apprécier l’harmonie entre la narration, les dialogues (il s’en faut de peu d’entendre les bruits de la rue, les détonations, les dialogues…) et les détails des dessins dont certains sont quasi photographiques.

 

Le résultat est d’un réalisme saisissant, reposant sur une documentation qui permet de confondre réalité et fiction. Les vues extérieures de certaines scènes (par exemple celle en marge de l’hôtel Havana Riviera) ont été inspirées par la consultation de photos sur le Web d’une Havane restée figée dans le temps alors que les intérieurs sont le fruit de l’imaginaire du dessinateur alimenté par les ressentis du scénariste.

 

Havana Connection s’inscrit dans la lignée de La Bombe, un roman graphique documentaire de 450 pages aussi publié par Glénat en 2020  avec Didier Alcante et LF Bollée au scénario et le Québécois Denis Rodier aux illustrations. L’œuvre de Michel Viau et de Djibril Morissette-Phan donne un coup la barre qualitatif sur ce que l’on peut envisager pour l’avenir dans la production de BD québécoises avec comme thématique « des sujets historiques et épiques ».

 

Que ce soit pour mieux connaître une partie méconnue de la vie de trafiquant et de marchand d’armes de Lucien Rivard ou sur les événements qui ont alimenté la révolution cubaine ou tout simplement pour découvrir une bande dessinée hors du commun publiée au Québec, Havana Connection est un incontournable offert à un prix équivalant à celui d’un roman traditionnel.

 

Merci à Hachette et à Glénat Québec pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander et récupérer votre exemplaire auprès de votre librairie indépendante sur le site leslibraires.ca.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  *****

Appréciation générale : *****


Les charognards visent toujours les yeux en premier (Antoine Symoens)


Antoine Symoens. – Les charognards visent toujours les yeux en premier. – Montréal : Fides, 2023. – 282 pages.

 


Western

 



Résumé :

 

La jeune Suzie Westerfield, l’innocence pure, n’avait jamais prévu de basculer dans un tel monde de violence. Accompagnée de son irascible grand-mère, elle prend les armes afin de venger sa famille, assassinée par Benjamin Theodore Kelly. Homme charmant au visage d’angelot, il a massacré tous les habitants d’une petite ville d’Arizona. Dans son sillon, les charognards se régalent des corps décapités et les chasseurs de primes, alléchés par les 12 000 dollars que vaut la tête de Kelly, s’égarent dans les vallées infestées de bandits. Mais la compétition est rude lorsque le célèbre marshal fédéral Douglas Alison Larcher, un vieil acariâtre obstiné, se met à son tour à la recherche du tueur.

 

Sous l’ombre des vautours, le soleil tape fort, les armes tirent aveuglément et les cadavres n’ont plus leur mot à dire. Pour survivre, Suzie devra choisir ses propres alliances dans un univers qui ignore aussi bien la loi que la morale.

 

 

Commentaires :

 

Vous êtes friands de romans westerns et de cinéma du même genre, plus particulièrement des « westerns spaghettis » ? De la violence des scénarios de Sergio Leone ou du goût prononcé de Quentin Tarantino pour l'humour noir, l'absurde et le parodique ? Les charognards visent toujours les yeux en premier (« c’est la partie la plus tendre, la plus facile à éviscérer ») vous comblera très certainement.

 

Son auteur, Antoine Symoens, qui poursuit des études en scénarisation cinématographique, nous dévoile son talent de raconteur et de metteur en scène avec un récit déjanté très bien structuré reposant sur une intensité dramatique croissante et une palette de personnages tous plus ou moins désaxés, dégénérés et meurtriers patentés. Un « petit monde de violence et de gâchettes faciles », campé dans un décor aux couleurs flamboyantes de l’Arizona des années 1870 où s’insèrent naturellement les clichés de l’époque :

 

Le saloon de Slacktown dirigé par une femme, Chloé O’Five…

 

« Seul le bar sortait du lot avec son comptoir parfaitement lustré, son repose-pied en laiton, ses crachoirs neufs à peine remplis de chiques et son étagère débordante de bouteilles. Au-dessus du grand miroir, une tête de cerf surveillait le lieu, encadrée par deux fusils finement décorés. »

 

… et l’armurerie du village :

 

« … la salle de vente fourmillait d'articles : des fusils à levier, à lunettes, pour la chasse aux bisons, pumas et bandits, des carabines neuves, d'autres usées, des revolvers six-coups, douze-coups, poivrière, une tonne de cartouches, des étuis, des poignards, des hachettes et tout ce qui peut trancher une gorge ou un steak. »

 

Antoine Symoens nous invite dans la vallée de la Navita où se déroule l’essentiel de l’action avec son portail d’accueil fort éloquent : « Royaume de la Navita. Nombre de vivants : 0. Nombre de morts : incertain. Entrez, n'ayez crainte, nos cimetières ont toujours de la place. »

 

La géographie des lieux :

 

« La rivière séparait la zone en deux secteurs, avec en son centre un vaste terrain que l'on nommait le Colisée. D'un côté, il y avait le repaire des Malvendas, son clan, et de l'autre, la Citadelle des Busards, l'ennemi, qui demeurait introuvable dans les montagnes. De plus, la Navita prenait un malin plaisir à se diviser en une multitude d'effluents déchaînés qui lacéraient les falaises, s'enfonçaient dans les souterrains et formaient des deltas impraticables au cœur des canyons. »

 

Le Colisée :

 

« Mort assurée, 250 m. Banque sans sous : prendre à droite Jésus ne connaît pas la vallée, demandez pas votre chemin. »

 

Le repaire des Malvendas :

 

« Les feux de camp et les fumées jaillissaient le long des éboulis, des hommes mangeaient et se soûlaient bruyamment, certains tiraient sur leurs ombres sans parvenir à être plus rapides, et d'autres patientaient en ligne devant une tente usée qui remuait frénétiquement. »

 

La Citadelle des Busards :

 

« La Citadelle s'apparentait à un donjon troglodyte, une tour presque aussi grande que la montagne dans laquelle elle s'encastrait. Sa façade ressortait de la falaise avec des pierres grossièrement taillées et d'innombrables poutres apparentes. De chaque côté, des fenêtres et des balcons jaillissaient comme les branches d'un arbre géant. »

 

Que serait un western sans diligence ? Rouge, aux roues jaunes, 18 places, tirée par six chevaux, « pas de vitre, seulement d’épais rideaux de cuir qui protégeaient les passagers de la poussière », conduite par un cocher voyagiste véreux porteur de rêve pour touristes friands de sensations fortes : « Aventuriers du Far West, venez découvrir les sauvages gorges de la Navita ! Repaires de bandits, trésors et mine d'or, revivez l'Ouest comme jamais auparavant. » Ce slogan publicitaire, peint sur la portière de la voiture, résume à lui seul le propos du récit : la recherche de « Benjamin Theodore Kelly, dit le Corbac, pour nombreux meurtres. 12 000 dollars. Individu extrêmement dangereux ».

 

Voici quelques-uns des personnages que vous découvrirez :

 

Douglas Allison Larcher, US marshal bourru dont la réputation de tireur n’est plus à refaire qui débarque à Slacktown pour éliminer celui qui répand la terreur dans la région. Secondé par Konrad Klapp, l’adjoint du shérif Torens de Slacktown, qui s’invite à la chasse à l’homme.

 

Olga Westerfield, « une gueule épouvantable en toutes circonstances. Qu'elle soit heureuse ou non, qu'elle ressente une émotion particulière, une douleur, une inquiétude, elle affichait toujours son fameux rictus inversé. » Et sa petite-fille Suzie qui, sous des airs d’ange, est prête à aller jusqu’au bout pour assouvir son désir de vengeance. Toutes deux voleuses d’armes de collection.


Benjamin Theodore Kelly, dit le Corbac, celui qui a massacré tous les résidents d’une petite ville d’Arizona et que tous ont une bonne raison de rechercher :  « … vingt-deux ans, le regard angélique, les pommettes roses et pleines de taches de rousseur, les cheveux châtains aux reflets cuivrés, généralement décoiffés, […] À l'heure de la messe, Benjamin avait barricadé l'église avant de l'incendier. […] Il s'était ensuite emparé des corps calcinés et les avait décapités un par un avec son poignard, sans se presser, pour finalement disposer les têtes comme deux grandes ailes autour des cendres du bâtiment. »

 

Réal Matavier Premier, le moine de service, occasionnellement gardien de la Citadelle. « Sous sa soutane, le curé portait un long collier avec un crucifix en bois, mais également un petit revolver suspendu au côté de la croix. »

 

Jimmy Troy, jeune chasseur de primes au chapeau melon, « un long manteau de cocher […] lui descendait jusqu’aux chevilles et recouvrait sa veste noire ».

 

Gaagii Herbes-Rouges, le Navajo, qui constate que : « ce sont des sauvages qui ont fait ça ».

 

Henry Phillip de Malvenda, marquis de la Navita, « ses deux grosses mains aux doigts serties de bagues » prêt à trahir son clan et ses propres alliés (« Y a toujours moyen de faire des affaires, n'est-ce pas ? Depuis le temps qu'on se connaît, on s'est quand même bien enrichis les uns les autres. »), et sa sœur sanguinaire, Mathilda Malvenda.

 

Bernardo, dit le doc du « Département des sciences cadavériques et des théories putréfactives », un personnage secondaire singulier, qui accueille ses visiteurs impromptus en déclarant : « Vous tombez bien, j'ai préparé une infusion à la myrtille avec une pointe de bergamote,… » :

 

« Le doc avait été un vrai docteur au sein de la Citadelle, et il n'existait pas meilleur que lui pour les amputations. Mais avec l'âge, une douce folie l'avait progressivement gagné et il s'était retiré en ermite au milieu de la rivière, là où il ne risquait plus de couper ce qui ne devait pas l'être. »

 

« La pièce centrale [de sa maisonnette] regorgeait de matériel, d'outils, de haches, de bocaux aux contenants étranges, de plantes mortes, de bouteilles et, surtout, de morceaux humains. Sur les étagères, plusieurs os, en partie décharnés, séchaient et empestaient la salle d'une odeur nauséabonde. […] Il y avait également des jarres avec des yeux, une cage thoracique qui pendait au plafond comme un lustre et une collection de crânes alignés sur un présentoir en osier. »

 

Et un certain Skull Kelton, collectionneur de têtes coupées de ses victimes…

 

Les cadavres décapités, les têtes sans corps et les squelettes sont aussi omniprésents de chapitre en chapitre, entre caricatures et morbidité propre au style, cœurs sensibles s’abstenir :

 

« Sous les premières étoiles, ils atteignirent une grande clairière rocailleuse dans un creux de la montagne. Ils découvrirent alors des pieux en bois plantés dans les pierres et qui bloquaient leur route. Tout autour, […] des cadavres empalés, des squelettes, des crânes décharnés et des ossements en tout genre qui ornaient ces barricades de fortune et annonçaient le triste sort de ceux qui n'étaient pas conviés ici. »

 

« Une puanteur nauséabonde se dégageait des visages de moins en moins frais. Des lambeaux de chair manquaient sur les joues, la plupart des yeux avaient disparu et tous possédaient maintenant une collection de vermines, larves, mouches et autres parasites gluants qui grouillaient dans leurs gorges. »

 

Tout un festin pour les charognards :

 

« Un dernier corbeau […] refusait d'abdiquer. Sous ses serres, un visage entaillé par les coups de bec gisait parmi la dizaine de crânes séparés des corps en retrait. »

 

L’écriture imagée et cinématographique d’Antoine Symoens se traduit aussi par de belles descriptions tels ces quelques exemples glanés au gré du récit :

 

« Le reste de la journée se déroula avec la même langueur suffocante sous un ciel qui n'arborait que des vautours en guise de nuages. »

 

« Une bourrasque passa au milieu des bandits et emporta avec elle un voile de poussière. Une vache meugla dans la prairie. »

 

 « Les derniers cowboys avinés titubaient dans les rues et insultaient les étoiles. »

 

La scène d’affrontement entre les Malvendas et les Busards dans le Colisée (pp. 254-255) et celle du duel entre le marshal et Jimmy  (pp. 273-274) reposent sur une mise en scène efficace au dénouement inattendu.

 

Et que dire de la finale qui m’a rappelé les célèbres banquets autour du feu clôturant chacune des aventures d’Astérix et Obélix :

 

« … très doucement, les cordes d'un violon vibrèrent, un accordéon se plia, un tambourin résonna et les touches du piano extirpé du saloon jouèrent une mélodie pour réchauffer les cœurs. Au milieu de tous, une première danse se forma. »

 

En terminant, je laisse la parole à l’auteur qui, sur les réseaux sociaux, expliquait récemment sa démarche :

 

« …avec ce roman j’ai essayé de rendre un hommage décomplexé à plusieurs auteurs et références culturelles qui me tiennent à cœur, Sergio Leone et Quentin Tarantino […] en gardant cette autodérision sanglante qui pouvait émaner de certains films et œuvres de genre. […] j’ai aussi essayé, humblement, de dépoussiérer un peu le western classique tel qu’on le connaissait et d’offrir davantage d’espace à des personnages qu’on avait peu l’habitude de voir et d’entendre. »

 

Les charognards visent toujours les yeux en premier, un roman que j’ai bien aimé. Antoine Symoens, un auteur de chez nous à l’imaginaire délirant à découvrir.

 

Merci aux éditions Fides pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander et récupérer votre exemplaire auprès de votre librairie indépendante sur le site leslibraires.ca.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  *****

Appréciation générale : *****