Adolphus - Les enquêtes de Joseph Laflamme 06 (Hervé Gagnon)

Hervé Gagnon. – Adolphus - Les enquêtes de Joseph Laflamme 06. – Montréal : Hugo, 2024. – 394 pages. 



Thriller

 

 

 

 

 

Résumé :

 

Montréal, octobre 1893. Joseph, Mary, Emma et McCreary visitent le parc Sohmer, où un cirque itinérant s’est installé avec son musée de curiosités. On peut y voir entre autres la hache utilisée par le Montréalais Adolphus Dewey pour assassiner son épouse en 1833. Le soir même, un couple est trouvé mort près du chapiteau; manifestement, l’assassin s’est inspiré du meurtre sordide survenu soixante ans plus tôt. Désormais privé de son complice, l’inspecteur Arcand, et malgré les policiers qui lui font la vie dure, Joseph mène l’enquête. Celle-ci l’amène à interroger les forains, et il découvre un univers étrange, aux nombreux secrets…

 

 

Commentaires :

 

Avec « Adolphus », Hervé Gagnon et Joseph Laflamme récidivent pour une sixième enquête à Montréal, fin du XIXe siècle. D’entrée de jeu, ils nous invitent « dans la maison de fond de cour, sur l’avenue De Lorimier » où on retrouve le quatuor de connivence que le destin a constitué depuis 1891 :

  

·        Joseph Laflamme, journaliste toujours aussi arrogant, gouailleur, crâneur ... comme le qualifie son auteur, qui ne peut plus compter sur l’inspecteur Marcel Arcan du Département de police de Montréal qui est parti en France avec sa famille ;

·        Emma Laflamme, sa sœur déterminée, soupe au lait, devenue modiste ;

·        George McCreary, dandy narquois et ironique, ex-limier perspicace de Scotland Yard, anglican et indépendant de fortune, qui peine parfois à se déplacer avec sa jambe de bois en s’appuyant sur sa canne afin de ménager le moignon qui lui tient lieu de jambe gauche, fiancé d’Emma ;

·        Mary O’Gara, Irlandaise, ex-prostituée, associée d’Emma, fiancée de Joseph.

 

Au petit groupe fort sympathique s’ajoutent quelques personnages des romans précédents : le Dr Baptiste Hébert, médecin légiste, l’exécrable inspecteur Edgard Lafontaine et les constables complices Patrick Nolan et Prudent Jolicœur.

 

Dans une enquête, comme l’affirme lui-même l’auteur à mi-chemin du récitm qu’il ne s’agit « pas de l’histoire du siècle [sans] aucune mesure avec [...] les plus importantes [de Joseph Laflamme]. Capturer l’Éventreur, retrouver un trésor confédéré, démasquer un réseau d’agresseurs d’enfants ou découvrir que la province de Québec était passée à un cheveu de devenir un État américain était plus prestigieux que quelques meurtres banals... » Et qui n’implique pas, cette fois-ci les francs-maçons !

 

En concoctant la même recette qui a fait ses preuves : l’introduction d’un fait historique à partir duquel le scénario dramatique trouve sa raison d’être fictive : ici l’assassinat sauvage le 24 mars 1833 d’Euphrasine Martineau par son mari, Adolphus Dewey, un des drames judiciaires les plus effroyables qu’a connu à l’époque la ville de Montréal qui se conclut le 30 août suivant par la pendaison publique du meurtrier à laquelle assistaient 10 000 personnes massées sur le Champ-de-Mars.

 

Puis nous téléporter 60 ans plus tard au « Parc Sohmer Park », fondé par le musicien Ernest Lavigne et le comptable Louis-Joseph Lajoie, « le lieu de rassemblement le plus couru de Montréal. Comme on s’y amusait, les curés le dénonçaient vertement en chaire, tonnant contre la bière qu’on y vendait à vil prix et qu’on y buvait trop, criant au scandale contre les divertissements jugés immoraux qu’on y présentait. Circonstance aggravante, les couples pouvaient s’y courtiser librement, ce qui était nécessairement une occasion de péché. »

 

 

En compagnie de Joseph, d’Emma, de Mary et de McCreary, on découvre les kiosques, les terrasses, les animaux exotiques, le « Labyrinthe de cristal » et « le chapiteau du Cirque nommé ‘’ Sarazini ‘’ [...] dont la modestie et une certaine décrépitude laissaient augurer un spectacle de qualité moyenne » avec son maître de piste « coiffé d’un haut-de-forme et vêtu d’une queue-de-pie », sa cavalière et ses chevaux, son clown aux blagues impertinentes et son homme fort. Comme si on y était.

 

Et, à la fin de la représentation, une invitation à visiter le « Cabinet de curiosités », un mélange hétéroclite de monstres, son magicien de pacotille, son avaleur de sabres, son musée des horreurs abominables, sa prétendue  diseuse de bonne aventure. Et, dans une vitrine en verre et en bois, « une hache en apparence banale au fer piqué de rouille accompagnée d’une vignette écrite à la main sur un carton jauni : Ceci est la hache que Dewey a tué sa femme avec ».

 

Une visite qui se termine sur un cri strident : « Au secours ! Au meurtre ! Appelez la police ! Vite !  Une chute de chapitre efficace qui nous entraîne dans un tourne-page assorti d’une série de sordides assassinats et d’une finale annoncée par quelques indices bien en évidence qui laissera Joseph Laflamme marqué « pour le reste de sa vie et pour l’éternité ensuite, qu’il aille au paradis ou en enfer ».

 

Le tout campé dans un décor de l’époque victorienne très critique de l’hypocrisie religieuse et morale de la hiérarchie cléricale catholique montréalaise, du jeune séminariste inverti jusqu’au secrétaire de l’archevêque, et de la piètre qualité des « forces » de l’ordre – dirigeants et exécutants – du Département de police de Montréal :

 

« la plupart d’entre eux ne valaient pas beaucoup mieux que les criminels qu’ils arrêtaient parfois »

 

« ... la seule différence entre des policiers et des criminels, c’est que les premiers ont la loi de leur côté et qu’ils se protègent entre eux. La plupart sont des voyous qui, s’ils n’avaient pas leur uniforme, se retrouveraient dans l’autre groupe. »

 

« ... il suffit de recruter une brute à gros bras, de lui mettre un uniforme, et on obtient un agent de police qui se considère au-dessus de la loi. »

 

Tous en prennent donc pour leur rhume.

 

Parlant de rhinite, Hervé Gagnon a eu l’audace de faire attraper à son héros un « rhume de cerveau carabiné », « un rhume d’homme » accompagné d’une « quinte de toux creuse » qui donne l’impression « que ses côtes venaient d’en prendre un coup » avec « le nez plein et des frissons », « pris d’un éternuement explosif qui lui laissa les mains couvertes d’une morve épaisse qui s’étirait en filets entre ses doigts », avec du « sirop de rhubarbe [...] afin de faire baisser la fièvre ». Tellement réaliste que j’en ai été contaminé en cours de lecture !

 

Comme toujours, l’auteur nous fait apprécier la prose de Laflamme en reproduisant les articles qu’il rédige pour La Patrie en rivalité ouverte avec son « collègue » Lusignan de La Minerve. Il nous offre également de belles scènes d’échanges sur les coupables potentiels entre le journaliste et son comparse britannique unijambiste. Une mention spéciale à la mise en situation au cours de laquelle ce dernier use de sa canne « au lourd pommeau en laiton » pour écraser brutalement le menton d’un policier qui s’apprêtait à l’attaquer.

 

Les descriptions de lieux et de personnages sont brèves et fort imagées. Les hommes de l’époque arborent généralement une moustache, Hervé Gagnon nous en présente un échantillonnage : en guidon de bicyclette, en brosse à dents, en tablier de sapeur, en balais, fine, épaisse, défrisée...

 

On notera au passage trois références à des réalités historiques assorties d’annotations ??? :

 

·        « Das Kapital » de Karl Marx : « L’homme a l’écriture aussi lourde que les haltères de Louis Cyr, mais il dit des vérités sur lesquelles ceux qui nous dirigent ne se pencheront jamais, au risque de perdre leurs privilèges. »

 

·        Sherlock Holmes « Un détective créé par le Dr Doyle voilà quelques années. Ses aventures sont passionnantes. Je [George McCreary] possède plusieurs livres. Je vous [Joseph Laflamme] les prêterai si vous voulez. » Et l’autre de répondre qu’il est « bien trop occupé pour lire. »

 

·        Le quartier montréalais des prostituées, des « dames de nuit », des « coureuses de rues » : « Dans le Red Light, les divisions entre les classes sociales s’estompaient. Bon bourgeois et ouvrier pauvres, jeunes et vieux s’y côtoyaient, partageant le besoin universel que tous les hommes cherchaient à assouvir. Quand il était question d’entrejambe, ils étaient tous égaux. À l’époque où il arpentait ces rues, Joseph avait lui-même croisé de temps à autre un curé dont le déguisement laïque n’arrivait pas à masquer les manières ecclésiastiques. »

 

Hervé Gagnon, grand amateur de whisky écossais, a transmis à Joseph Laflamme sa prédilection pour cette eau-de-vie de grain « dont les propriétés calorifiques étaient bien connues ». Une boisson alcoolisée qui permet de se « réconforter », se « réchauffer les entrailles », se remonter le moral « après avoir fait tourner le liquide ambré dans la lumière de la lampe à l’huile ». Toutes les occasions sont bonnes pour s’en envoyer une rasade dans la cuisine de l’avenue De Lorimier, à la taverne...

 

Chez Willie Sarazin, le forain propriétaire du Cirque Sarazini, c’est « Bourbon du Kentucky » et son « alcool de maïs et de seigle, plus fort et râpeux que le whisky irlandais [...] mais dont la qualité était évidente à son arrière-goût de vanille et de chocolat » qui fait plutôt office de remontant.

 

Et pour apaiser les symptômes du rhume, l’incontournable « ponce de gin » !

 

* * * * *

 

Comme je le propose régulièrement, je tiens à partager ces quelques  extraits qui font apprécier le style et la qualité d’écriture de cet auteur :

 

« Le visage de l’homme s’assombrit comme si un nuage était passé devant le soleil. »

 

« ... le cocher qui semblait aussi vieux que les rues qu’il arpentait... »

 

« Lafontaine laissa échapper un long soupir qui ressemblait à un grondement de fournaise surchauffée. »

 

« Laflamme, le grand Dickens lui-même vous aurait mis dans un roman s’il vous avait connu (dixit McCreary)

 

« Contrairement à l’argent, la misère a une odeur... »

 

« L’air las, elle marchait avec ce pas ardu qu’ont les arthritiques. »

 

« ... avec cette attitude à la fois hautaine et avenante dont seuls les Britanniques semblent avoir le secret. »

 

« Les vrais Canadiens français doivent se tenir, sinon y vont se faire avaler par les Anglais pis leurs lèche-culs. »

 

« Les gens civilisés jouent au cricket ! Le baseball n’en est qu’une pâle imitation. »

 

« Les premières touches qu’il enfonça résonnèrent dans son crâne comme le bourdon d’une église. Sa cervelle semblait y être trop à l’étroit. »

 

« La pluie avait cessé. Soulagé de marcher dans l’air sec et revigorant, Joseph en conçut une vague idée du sentiment qu’avait dû éprouver Noé en descendant de son arche après quarante jours et quarante nuits de déluge. »

 

« ... les images du cauchemar lui collaient à la peau comme des fils d’araignée que l’on ne parvient pas à saisir pour les arracher. »

 

J’ai trouvé annonciateur du roman jeunesse « La Cage » et de ses pouvoirs maléfiques que Hervé Gagnon publiera quatre ans après la première édition d’ « Adolphus » ce commentaire du propriétaire du Cabinet des curiosités à propos de l’influence néfaste de la hache d’Adolphus Dewey :

 

« Je l’ai achetée pour une misère d’un collègue de Québec, il y a une douzaine d’années. Il l’avait montrée un peu partout et il voulait s’en débarrasser [...] il en avait peur. Y paraît qu’elle est maudite. Qu’elle apporte le malheur à celui qui la touche. »

 

L’auteur-historien prêtera à la cage de la Corriveau un parcours malfaisant comparable ! Comme quoi, une idée exprimée en quelques mots peut être source d’inspiration pour nourrir l’imaginaire d’un créateur !


 


En 2018, après six tomes, tout laissait croire que la série des enquêtes de Joseph Laflamme était complète. Mais il n’en était rien. La réédition chez Hugo six ans plus tard de l’ensemble de l’œuvre et ses couvertures de première révélatrices des thèmes traités s’inscrivait dans une stratégie commerciale pour le lancement d’un septième titre « Susan » dont l’action se déroule en 1895.

 

 

 

Comptez sur moi pour partager mes ressentis de lecture dans un prochain avis de lecture !

 

* * * * *

 

Né à La Baie, Hervé Gagnon détient un doctorat en histoire, une maîtrise en muséologie et une maîtrise en histoire. Après avoir enseigné l’histoire et la muséologie dans diverses universités québécoises et travaillé comme muséologue pendant vingt-cinq ans, il se consacre désormais à l’écriture. Hormis le fait d’inventer des thrillers et des polars compliqués (ce qui sera toujours un plaisir, jamais un travail), il aime le whisky, le blues et la guitare. Si vous le cherchez, vous le trouverez dans un petit recoin sombre de l’histoire, en train de débroussailler un petit détail que tout le monde ignore.

 

Merci aux Éditions Hugo pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie : *****

Appréciation générale : *****


La guerre et le crime (Pascal Chabaud)


Pascal Chabaud. – La guerre et le crime. – Chamalières : Christine Bonneton, 2024. – 251 pages.

 

Polar historique

 

 

 

 

 

Résumé :

 

Saint-Germain-des Fossés, Allier, février 1942. Le corps du journaliste britannique John McNee est retrouvé dans un wagon de marchandises à destination de l'Allemagne. Au même moment, deux journalistes de La Montagne qui font passer des informations à la BBC, interdite en France, sont séquestrés. Tous trois couvraient le procès de Riom, qui juge les « responsables de la défaite » de juin 1940. Procès sous haute tension, où le régime de Vichy joue sa survie, face à une Allemagne qui pousse au retour de Pierre Laval pour une « collaboration » plus efficace.

 

Le commissaire Joseph Dumont, aidé de Nestor Bondu, responsable de la police scientifique de Clermont, plonge à nouveau dans les aspects les plus sombres de l'âme humaine, tandis que sa sœur Irène traverse la zone sud jusqu'au camp de Gurs, où elle apprend la vérité sur le père de son fils, républicain espagnol, et découvre les atrocités commises pendant la guerre d'Espagne.

 

 

Commentaires :

 

En préface, Françoise Fernandez, professeur honoraire, agrégée d’histoire, décrit en quelque paragraphe la trame dramatique de la troisième enquête du commissaire Joseph Dumont, « une sorte de Bernie Gunther, le détective privé campé sous le Troisième Reich imaginé par Philippe Kerr », et le contexte historique : le procès avorté à Riom (1942) des « dirigeants du Front populaire accusés par le régime de Vichy d’être responsables de la défaite de 1940 », la Retirada espagnole vers les camps au sud de la France – dont celui de Gurs – l’appel à la résistance des partisans de la république espagnole, les répressions fascistes et la chute de Barcelone.

Encore une fois, Pascal Chabaud nous livre un récit captivant mettant en scène une galerie de nombreux personnages réels et imaginés qui nous plongent dans la noirceur d’une période trouble de l’histoire de France. Un scénario découpé en 24 chapitres aux repères chronologiques annoncés par des manchettes tirées de deux quotidiens de Clermont-Ferrand entre le 16 février et le 20 avril 1942 permettant de contextualiser l’action : La Montagne et L’Avenir du Plateau central. Exemple pour le chapitre 8 :

 

 « Le Maréchal Pétain visite

une exposition de jouets. »

La Montagne, 27 février 1942

 

Avec quelques références aux deux romans publiés antérieurement – Mort d’un sénateur » et « Tuer Pétain », l’auteur nous rappelle les antécédents des personnages fictifs qui entourent son protagoniste : sa sœur Irène, son père Blaise Dumont sympathisant d’extrême droite, Nestor Bondu et sa boîte à outils de police scientifique – « appareil photo, sachets pour prélèvements, double décimètre, poudres et pinceaux » –, un certain Jacques Cartier à « l’accent de la Belle Province » apparu la première fois dans « Tuer Pétain »  

 

« La guerre et le crime » est aussi un roman didactique. Il nous fait découvrir les possibilités d’un nouveau produit pour l’époque, l’Hémolux – équivalant du Luminol – pour « reconstituer les différents éléments d’une scène de crime ». On y apprend aussi qu’on appelait pianistes « les opératrices (opérateurs) radio qui envoyaient leurs messages en morse ».

 

J’y ai découvert

·        le Bespoke britannique, « un accord implicite, mais très fort entre le tailleur et son client qui doit amener à la satisfaction totale des deux parties » ;

·        « les peintures de protection des phares pour la défense passive » limitant « l’éclairage au strict nécessaire » ;  

·        les expressions

o   « piquer un phare » : rougir subitement par émotion, par pudeur ou par embarras ;

o   « taper le carton » : jouer aux cartes ;

o   « doryphore », insecte très dangereux pour les plants de pommes de terre : nom aussi donné aux soldats allemands ;

o   « chasse-roue » (dont il en existait au moins un sur la rue Saint-Louis, dans le Vieux-Québec !) ;

o   « ventes » : « parcelles forestières exploitées selon une rotation centennale » ;

·     
le pseudonyme de Jean Moulin dont le message émouvant aux résistants est cité : « Rex » ;

·        l’« autocar à gazogène » ;

·        la « tarte à la purée, ou gougère bourbonnaise [...] spécialité salée, composée de pommes de terre écrasées et de fromage blanc » ;

·        « Gauleiter » : fonctionnaire du parti nazi, responsable d'un Gau, une circonscription territoriale.

 

De nombreuses notes en bas de page apportent des précisions sur certains événements, les noms modernes des lieux mentionnés, des pièces musicales ou le rôle joué par un grand nombre d’acteurs réels. Ces compléments d’information, parfois des références documentaires, sont particulièrement utiles pour quiconque n’est pas féru d’histoire de France à cette époque.

 

Le style, le vocabulaire et l’écriture fluide de celui qui a consacré sa vie professionnelle à l’enseignement de l’histoire et de la géographie contribuent à rendre ce roman accessible pour un large public. Les descriptions imagées et concises des lieux campent l’action en quelques phrases. À titre d’exemple, le décor vivant de la Cour suprême :

 

« ... une immense table en forme de fer à cheval recevait la Cour et renforçait l'impression d'enfermement que devaient ressentir les cinq accusés. Leurs tables étaient situées en face, côte à côte et deux par deux. Les témoins seraient installés dans un fauteuil, au centre de la salle, face au Président, tournant le dos aux accusés qui eux-mêmes tournaient le dos au public. »

 


 « ... les accusés tournent le dos au public, et les témoins, qui seront assis dans ce fauteuil ridicule au dossier immense ne pourront pas non plus les voir ! C’est une conception originale de la Justice... »

 

Il en est ainsi pour les descriptions des personnages, des ambiances – l’arrivée des accusés au tribunal, la cérémonie funèbre en présence du Maréchal Pétain à l’église Saint-Louis en l’honneur des 500 civils tués dans un bombardement de la RAF sur les usines Renault de Billancourt, l’aller-retour en train d’Irène entre Clermont et le camp de Gurs, le récit de la mort de Pilar en sont quelques exemples –.



Au point où il m’est arrivé de visualiser un geste, de ressentir un malaise et une émotion ainsi que de l’empathie à l’égard de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants pénalisés par un régime politique manipulé depuis Berlin. Dans une France « libre » ou « les lois n’étaient plus votées par la représentation nationale, mais exprimées par un chef de l’État qui s’était attribué les pouvoirs législatif, exécutif et même judiciaire ! »

 

« Dans quel monde vivons-nous ? Dans lequel on ne peut offrir que deux repas par jour à ses enfants ? Où le moindre légume coûte une semaine de salaire ? » Alors que « les produits essentiels étaient introuvables, les œufs et le lait étant distribués avec parcimonie. »

 

Pascal Chabaud sait également entretenir le suspense quand, pour dévoiler des informations sensibles, il fracture les dialogues évocateurs en les intercalant dans une séquence d’actions elle aussi découpée en fragments. Avec comme conséquence l’envie de poursuivre la lecture pour connaître les tenants et aboutissements de l’histoire.

 

J’ai évidemment aimé les liens qu’a tissés l’auteur avec

·        le rappel des conséquences de la Guerre d’Espagne et des massacres des populations basques – dont le bombardement de Guernica – et catalanes opposées au régime franquiste ;




·        l’appel à la résistance – « ¡ No Pasarán ! » « Ils ne passeront pas » – des républicains espagnols par Dolorès Ibarruri, députée des Asturies ;


·        la « Desbanda : un des épisodes les plus tragiques de la guerre d’Espagne : plus de 5 000 personnes qui fuyaient Malaga, sauvagement tuées par les franquistes sur la route Almería ;

·        l’évocation d’un « futur débarquement à partir de l’Angleterre... » ;

·        la maison Conchon-Quinette, entreprise française de confection de vêtements, qui embauche la sœur de Joseph Dumont ;

·        la loi « sur le statut des Juifs » : « Est regardé comme Juif: celui ou celle, appartenant ou non à une confession quelconque, qui est issu d'au moins trois grands-parents de race juive, ou de deux seulement si son conjoint est lui-même issu de deux grands-parents de race juive. Est regardé comme étant de race juive le grand-parent ayant appartenu à la religion juive. [...] Les Juifs ne pourront, sans condition ni réserve, exercer l'une des professions suivantes : [...] directeurs, administrateurs, gérants d'entreprises ayant pour objet la fabrication, l'impression, la distribution, la présentation de films cinématographiques. » ;

·        le film « Remorques » (1941) de Jean Grémillon avec Jean Gabin, Madeleine Renaud, Fernand Ledoux et Michèle Morgan.

 

J’ai rigolé sur l’idée de départ loufoque d’une strophe de l’opérette La Belle de Cadix (1945) – parolier Maurice Vandair, musique de Francis Lopez – inspirée de la tirade de Nestor Bondu à propos des compétences mécaniques des Andalous : « ... les bielles de Cadix ont l’essieu de velours ! »

 

Et ce clin d’œil de ce dernier, ou de l’auteur, c’est selon :

 

« La guerre expliquée aux enfants par Joseph Dumont ! Tu aurais pu être prof ! »

 

Sans oublier quelques références culinaires : 

·        « Les conserves de la famille » aux éditions du Secours national,

·        « Manger... quand même »,

·        « Ma cuisine des jours sans » proposant, entre autres, « des pommes de terre en brioche... sans pomme de terre ! » et

·        « Cuisine et restrictions » du Dr Bernard Pomiane, auteur d’une « vingtaine d’ouvrages sur l’hygiène alimentaire que l’on n’appelait pas encore la ‘’ diététique ‘’ ».

 

Noté au passage :

 

« Une idée qui m’a traversé la tête, mais pas trop vite pour que je l’arrête. »

 

Une courte biographie invite les lecteurs à en apprendre davantage sur l’histoire de Vichy, le procès de Riom, Pétain, la Guerre d’Espagne et le camp de Gurs.

 

Quant aux derniers chapitres, ils annoncent une quatrième enquête du commissaire Dumont qui sera très certainement aussi passionnante dans ce devoir de mémoire que s’est donné Pascal Chabaud.

 

 

* * * * *

 

Pascal Chabaud a enseigné l'histoire et la géographie pendant 40 ans avant de se lancer tardivement dans l'écriture de polars historiques. Installé en Auvergne, il a choisi de situer ses intrigues pendant la Seconde Guerre mondiale, en plaçant ses personnages au plus près du pouvoir, à Vichy.

 



Merci aux Éditions Christine Bonneton pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire numérique sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie : *****

Appréciation générale : *****