Steve Laflamme. – Les Agneaux de l’Aube. – Montréal : Libre expression, 2023. – 414
pages.
Polar
Résumé :
Lorsque des morts violentes s'accumulent dans
les régions de Québec et de Charlevoix, Guillaume Volta fait appel à Frédérique
Santinelli, professeure de littérature, pour l'aider à décrypter un texte légué
par une des victimes des « Meurtres de l'Aube ». Étrangement, les assassinats
semblent inspirés d'œuvres d'auteurs ayant fait partie de l'Ordre hermétique de
l'Aube dorée, une organisation occultiste dirigée par le controversé Aleister
Crowley, perçu par l'Église comme le diable en personne. L'enquête mènera
l'équipe jusqu'à découvrir que les Meurtres de l'Aube ont couvé dans
l'ignorance, la colère et la frustration dues à des enseignements dignes d'un
autre temps.
Pour ajouter au trouble suscité par
l'enquête, Santinelli doit apprivoiser ses propres démons. Victime d'événements
graves dans sa jeunesse, elle a consenti à l'époque à recevoir un traitement
expérimental qui a raflé les souvenirs de ses dix-huit premières années. Or,
l'enquête à laquelle elle contribue a pour effet d'éveiller sa curiosité quant
à ce qui se cache dans l'obscurité de son passé…
Commentaires :
Après la trilogie mettant en scène l’enquêteur
Xavier Martel qui nous a fait découvrir un auteur talentueux et une incursion
dans des contes interdits pour un public averti (Peau d’âne, Barbe bleue
et Cam, policière sans limites),
Steve Laflamme nous revient avec un nouvel environnement et de nouveaux
personnages principaux : Guillaume Volta, policier à la Sûreté du Québec,
et Frédérique Santinelli, professeure de littérature à l’Université Laval – quoique
cette dernière avait déjà fait partie de la distribution dans Sans la peau publié en 2021. Santinelli,
qui excelle dans le déchiffrement des messages codés, un peu à la manière du professeur
Tomás Noronha, personnage de fiction créé par J. R. dos Santos, enrichit cette
intrigue à partir du bagage littéraire de son créateur, Steve Laflamme, lui-même
professeur au Cégep de Sainte-Foy.
D’abord un mot sur la magnifique couverture de première. Impossible de ne pas repérer l’ouvrage en librairie. Elle souligne avec à-propos le ton du récit noir qu’elle annonce. Elle est décodée dès les premiers chapitres.
Comme il est agréable de lire une fiction qui
se déroule dans sa ville et dans les régions avoisinantes. Parfois même dans
son quartier ! Et sur un sujet préoccupant : l’impact du populisme et des
mouvements de déni des faits et de la science sur le quotidien et la santé
mentale de personnes fragilisées et psychologiquement instables. Car Les Agneaux de l’Aube nous plonge dans l’écosystème des sectes et
de leurs gourous pour qui la vérité niche dans la négation de la réalité et le
complotisme des élites à l’échelle planétaire.
Dès les premiers chapitres, j’ai été happé
par cette histoire complexe et très violente – les friands des mises en scène
et des techniques létales extrêmes seront comblés, ce qui n’est pas mon cas –
écrite avec le style efficace de Steve Laflamme. Une panoplie de personnages aux
personnalités bien découpées que l’on adopte rapidement, qu’ils ou qu’elles
soient du côté sombre ou clair du récit dans lequel une certaine culture est
récupérée à des fins criminelles.
Le rythme est soutenu jusqu’à la toute fin
qui, sans détour, annonce une suite.
J’ai entre autres noté la référence au
postmodernisme dans le film Cours,
Lola, cours que la professeure Santinelli fait visionner à ses
étudiants. Elle qui « se demandait
ce qu’elle ferait différemment si, comme Lola, la protagoniste, elle disposait
de la possibilité de recommencer à zéro certains épisodes de sa vie ».
De quoi me donner le goût de revoir ce petit chef-d’œuvre de Tom Tykwer, un des
films allemands les plus importants des années 1990.
Géniale cette imbrication parallèle du destin
des agneaux et des loups avec le trou noir, l’ignorance d’une partie du passé,
de la mémoire antérieure aux 18 ans de l’universitaire qui en vient à se
résigner que « parfois, ne pas
savoir reste le meilleur choix ».
C’est une vérité de La Palice que le polar,
comme genre littéraire, contribue souvent à mettre en évidence ou à dénoncer
certaines situations sociales ou politiques. Plusieurs auteur.es l’utilisent à
bon escient pour partager leur vision du monde. Steve Laflamme n’y échappe pas
comme le démontre cet extrait critique du contexte socio-économique du système
d’éducation québécois aux pages 292-293 :
« Quand j'étais jeune, ma mère martelait que s’instruire,
c'est s'enrichir. Puis les frais de scolarité ont explosé et on s'est endettés
pour apprendre. L'instruction est devenue un bien de consommation comme un
autre. On s'est mis à accepter n'importe qui dans les cégeps et les
universités, parce que plus il y a d'étudiants, plus il y a d'argent. Pour quel
résultat ? Une quantité de candidats dépassant largement le nombre d'emplois,
donc la précarité et l'instabilité pour la plupart de mes camarades de la
génération X. Il a fallu repenser l'adage: s'instruire, c'était s'endetter,
alors plusieurs se sont demandé à quoi bon. Ils se sont tournés vers des
métiers traditionnels, manuels. Et tu sais quoi? Ils y ont trouvé leur compte.
Ils ont acheté une maison dix ans avant mes copains qui se sont entêtés à se
barder d'une maîtrise et d'un doctorat. Et, pendant ce temps, ceux à qui les
diplômes donnaient accès aux plus hauts échelons se sont assurés de décevoir
tout le monde, de les tromper et de les saigner. Politiciens, avocats,
législateurs, médecins impuissants devant la maladie... Ils nous auront appris
le cynisme. »
Ce roman qui fait appel à l’intelligence des
lectrices et des lecteurs est parsemé de zeste d’humour parfois noir. Il repose
sur une admirable recherche de la part de l’auteur qui a cumulé une
documentation riche sur laquelle il a su construire le scénario de cette
histoire qui fait froid dans le dos. L’œuvre romanesque s’appuie également sur
un imaginaire débordant où les énigmes et les rebondissements s’imbriquent dans
des scènes cauchemardesques et parfois surréalistes.
Bien sûr, on est ici en pleine fiction. Et l’auteur
est légitimé de s’accorder le développement réussi de certaines scènes d’action.
Loin de moi de l’en blâmer ! Mais je ne peux m’empêcher de relever quelques
exemples qui mon fait sourire :
·
D’abord
ce combat digne des prouesses physiques à la Jack Reacher opposant Frédérique Santinelli et son agresseur !
·
Cette
réunion improbable dans les bureaux de la ministre de la Justice en compagnie
des policiers de la Sûreté du Québec, d’un prisonnier présumé meurtrier et son
avocat !
·
Ou,
en cours de vol transatlantique, cette transformation physique d’un des
personnages qui pirate le système informatique de l’aéroport Charles-de-Gaulle
et en profite pour se créer un passeport à l'image de sa nouvelle identité !
·
Cette
chute de combattants du haut de la passerelle surplombant la rivière Chaudière qui,
j’exagère à peine, s’en tirent avec quelques égratignures !
Ce qui n’enlève rien à la qualité de l’œuvre qui
s’étale sur 83 chapitres aux titres très évocateurs.
Admirateur de Stephen King, un de ses mentors
qu’il aurait souhaité inviter à Québec il y a de ça quelques années, Steve
Laflamme vous entraînera à la lisière du fantastique avec ce 7e
roman. Vous initiant peut-être même à l’écriture épicène dans quelques
chapitres, en finale.
Récemment, Norbert Spehner, celui qu’on
appelle affectueusement le Pape du polar, a élevé cet écrivain à succès de la
capitale nationale au niveau de ténor dans le registre des auteurs de littératures
du crime au Québec. Titre bien mérité !
Avant de terminer, je vous propose deux
autres citations à méditer :
«
Le savoir est objectif […] et la société dans laquelle vous et moi
vivons est parasitée par l'intrusion de l'opinion dans le factuel. Le monde
autour de vous érige de plus en plus l'opinion au rang des faits, sans
distinction entre les deux, et les plus naïfs - les moins savants - gobent ces
idées, si elles en sont. C'est la revanche des cancres. » (p. 121)
«
Dans la fange de l'ignorance ne peuvent
proliférer que les émotions. Et quand on agit sous le coup de l'émotion plutôt
qu'éclairé par la raison, on fait des conneries. Noyez-vous dans la
connaissance : tout est là, au bout de vos doigts. Plongez, sans modération.
Faites-en bon usage. Tout est à votre disposition […]. L'essentiel, c'est d'en trouver l'accès. » (p. 122)
Les Agneaux de l’Aube, une création
littéraire à consommer d’un couvert à l’autre sans modération ! Vivement la
suite !
Merci aux éditions Libre Expression pour le
service de presse.
Originalité/Choix du sujet : *****
Qualité littéraire : *****
Intrigue : *****
Psychologie des
personnages : *****
Intérêt/Émotion
ressentie : *****
Appréciation générale
: *****