Daniel Lessard. – L’énigme du dépotoir. – Rosemère : Éditions Pierre Tisseyre, 2024.
– 301 pages.
Polar
Résumé :
«
L'énigme du dépotoir » est le 14e
roman de Daniel Lessard et le 5e polar qu’il a écrit. Il a choisi d’associer
une série de meurtres à un sujet d’actualité : l’immigration clandestine au
Canada, en 57 chapitres. Cette intrigue met en scène une journaliste de
Radio-Canada plus perspicace que les autorités policières impliquées dans une
enquête qui s’enlise. Les corps sans traces d’ADN du meurtrier (quelle audace
!) nourrissent le travail du médecin légiste. En toile de fond se déroulent les
éternels conflits de juridiction entre la Sûreté du Québec (SQ) et le service
de police municipal, dans ce cas précis, celui de Gatineau.
« Les
enquêtes parallèles ne sont jamais faciles, le lien de confiance étant parfois
ténu entre les deux corps policiers. La compétition est intense et les compétences
sont jalousement protégées. Certains
agents de la SQ [...] se montrent
très condescendants envers leurs collègues de Gatineau. »
Un stéréotype persistant dans les romans policiers québécois est celui de la saleté des domiciles des suspects ou des criminels.
« La
maison est un véritable capharnaüm. Des vêtements sales et des chaussures usées
traînent sur le plancher. [...] Des
odeurs de friture et de fruits pourris saturent l’air. Une peau de banane
jonche le sol. »
C’est aussi le cas des relations amour/haine entre les journalistes et enquêteurs ou des personnalités publiques clientes de prostituées : « un policier de la MRC-des-Collines-de-l'Outaouais, un avocat connu [,] un politicien municipal [...] un policier, un conseiller municipal et un enseignant spécialisé dans l’éthique ».
En général, le récit est plutôt lent, sans réel suspense, et il y a des redites sur les hypothèses et le passé des immigrants africains. Il accélère un peu dans les dernières séquences suivies d’un très long chapitre qui résume à lui seul les détails du scénario imaginé par l’auteur. Avec une publicité bien sentie pour le magasin Canadian Tire de la région !
Les protagonistes de la SQ forment une équipe à majorité féminine dysfonctionnelle qui interagit de manière inefficace dans un climat conflictuel. J’ai même espéré qu’un ou une haut gradé intervienne pour rétablir l’ordre. Faux espoir, hélas ! Je me suis aussi demandé si la cheffe d’équipe, enceinte, aurait dû dans la vraie vie être en congé de maternité durant ses dernières semaines de grossesse pour protéger sa santé et celle du bébé.
Dans l’ensemble, « L'énigme du dépotoir » est basée sur une compilation d’informations diffusées au cours des derniers mois par les médias québécois et qui sont soit reproduites dans les dialogues, soit citées par le narrateur omniscient. Dans les exemples suivants, on a parfois l’impression d’entendre ou de lire les topos accompagnés de statistiques de nos journalistes les plus en vue.
...l’immigration et ses impacts :
« sans
immigrants, l’économie du Québec va s’effoirer. »
« Les
immigrants ont le dos large, par les temps qui courent, réfugiés ou pas. La
promesse du gouvernement canadien d'en accueillir 500 000 en 2025 a été mal
reçue, non seulement au Québec, mais partout au Canada. Il y a de plus en plus
de gens qui se plaignent qu'en pleine crise du logement on veuille accueillir
encore plus d'immigrants, et qui dénoncent le manque de ressources pour les
intégrer. Comme si les immigrants étaient responsables de l'incurie des
gouvernements, entre autres, dans le logement. Même dans une ville riche comme
Gatineau, des réfugiés dorment dans la rue. »
« Pour
l’instant, c’est le chaos. Il y a près de 38 000 réfugiés reconnus au Québec,
et ça pourrait prendre des années avant qu’ils obtiennent la résidence
permanente.
»
... la présence de nombreux immigrants illégaux :
« Pourquoi
tant d'illégaux entrent-ils au Canada? Comment se fait-il que plusieurs d'entre
eux puissent vivre presque normalement sans jamais être inquiétés? Pourquoi le
gouvernement ouvre-t-il nos portes à tant d'immigrants ? [...] Les gens sont de plus en plus nombreux au
Canada à tenir le gouvernement Trudeau responsable de la détérioration des
relations entre les Canadiens de souche et les nouveaux venus. Mais je ne vous
ai pas fait venir pour parler de politique. »
« Les
sans-papiers [...] sont très nombreux
au Canada. On parle de centaines de milliers de personnes, le gouvernement a
perdu le contrôle. Et la bonne nouvelle, si on peut parler ainsi, c'est que le
gouvernement hésite à déporter ceux qui sont bien installés et contribuent à
faire rouler l'économie. »
... le racisme et le laxisme des fonctionnaires :
« À quelques reprises, il a craint d'être renvoyé dans son pays. Il a appris à composer avec les fonctionnaires, dont certains ne cachaient pas leur dédain envers les immigrants. Un employé de l'État, pourtant francophone, avait même refusé de lui parler en français, étalant un racisme éhonté qu'il ne cherchait même pas à dissimuler. »
« Les services d'immigration du Canada et du Québec sont débordés, peu efficaces, un véritable fouillis ! Dans mon cas, jouissant du statut de réfugié et ayant suivi les voies officielles, ça m'a pris huit ans avant d'être accepté. Les fonctionnaires soutenaient que je n'avais pas de véritables raisons de fuir mon pays. »
« ... à la vitesse que ces gens-là travaillent... »
« ... les agents des services frontaliers ont tellement de chats à fouetter qu’ils vont probablement égarer ton dossier. »
« ... Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, c'est un gros bordel. Même Kafka ne s'y retrouverait pas, avec les nombreux conflits de juridiction entre Québec et Ottawa et les interminables atermoiements des fonctionnaires. [...] Avec un bon avocat, ça prendra des années avant qu'une décision soit rendue. Ce n'est pas demain la veille. »
Sans oublier la protection de l’environnement :
« Tout ça, c'est des lubies de fonctionnaire [...]. Avec leur maudite obsession pour l'environnement, on a les mains attachées. Défendu de déranger les p'tits oiseaux, les tortues pis toutes les autres bibittes inutiles. Il faut une enquête et un permis chaque fois qu'on plante un clou. »
... les dangers de rouler sur l’autoroute Guy-Lafleur :
« ... l'autoroute Guy-Lafleur est achalandée. Des camions, encore des camions. Sans compter les éternels travaux de construction. Approuvée après des années de blablas politiques, l'autoroute qui relie l'Outaouais aux Laurentides a finalement été construite, mais avec des voies contiguës sur près de 100 kilomètres. Les dépassements sont dangereux, les accidents, nombreux ; le prix payé par les contribuables pour avoir élu des politiciens à courte vue. »
... les fusions municipales et l’augmentation de la criminalité :
« Depuis qu'elle a avalé ses voisines, Hull et Aylmer, Gatineau se donne des allures de grande ville. Plus de 200 000 habitants, dont pas moins de 15 pour cent sont des immigrants, issus en grande partie des minorités visibles. Sans oublier les anglos qui comptent pour 12 pour cent de la population. Comme les nationalistes aiment à le répéter : un Gatinois sur quatre n'est pas ‘’ pure laine ‘’ ! »
« À Ottawa et Gatineau, les gangs de rue et les barons de la drogue font la pluie et le beau temps. En réalité, la situation s'étend à toute la région de la capitale nationale. La violence n'a jamais été aussi élevée de l'autre côté de la rivière. Tous les jours, une fusillade éclate à Ottawa. »
... l’aversion envers les politiciens :
« La place de la banque est tranquille par ce beau dimanche calme, caractéristique d'Ottawa. Quelques touristes se baladent dans les rues avoisinantes, d'autres se dirigent vers les édifices du Parlement tout près. Un couple s'attend naïvement à apercevoir le premier ministre ou le chef de l'Opposition officielle. ‘’ Si on les voit, on va changer de trottoir ! affirme la jeune femme à son partenaire. Je ne peux pas les blairer, ni l'un ni l'autre ! ‘’ »
Et n’ayez crainte, les gérants d’estrade sur X s’en donnent évidemment à cœur joie.
J’ai noté au passage cette description d’un des personnages :
« Aux tatouages qu'il a autour du cou, à sa boucle d'oreille du côté gauche et à une cicatrice couturée au menton. Il a des yeux d'un bleu violet étrange et parle avec un léger zézaiement. Il mesure six pieds, pèse plus de 200 livres et porte toujours des jeans et des bottes de cowboy. »
L’auteur a jugé pertinent d’insérer les règles qui permettent aux enquêteurs de déterminer si une affaire relève d’un tueur en série ou d’une série de meurtres rituels. Il cite notamment les « exploits de l’Américain Jeffrey Dahmer et du Montréalais Richard Blass :
« Le
FBI a fait de nombreuses études sur les tueurs en série. [...] L'expression ‘’ meurtre en série’’, selon le
FBI, c'est plus de deux meurtres par un même individu à intervalles distincts.
Donc, à
partir de trois meurtres, on peut parler de tueur en série ?
[...] Selon les études du FBI, le tueur en série choisit ses victimes au hasard et cherche à ne pas laisser de traces. Mais il y a aussi ce qu'on appelle ‘’ des meurtres rituels ‘’ visant habituellement un groupe, par exemple les immigrants, les homosexuels, les femmes (comme dans le cas de la tuerie de l'École Polytechnique de Montréal par Marc Lépine). Le tueur en série, toujours selon les documents du FBI, n'est pas toujours un psychopathe, mais dans le cas qui nous intéresse, je crois qu'on a affaire à un psychopathe sadique. Les mutilations en attestent. »
J’ai soupçonné le coupable dès le premier meurtre, et mes soupçons se sont avérés justifiés. En outre, les mentions de L'Église internationale de Bonne Nouvelle, un mouvement religieux d'inspiration chrétienne évangélique kényan qualifié de secte, ajoutent la réalité à la fiction imaginée par Daniel Lessard, comme on l’apprend en postface.
En ce qui concerne le résultat de l’enquête, qui, soit dit en passant, se fonde sur un élément de preuve matérielle que tout le monde a négligé, je dois admettre que je n’y ai pas cru, étant donné la taille des deux adversaires. Les commentaires de la journaliste Marie-Lune Beaupré concernant cette histoire locale semblaient s’éloigner du style habituellement adopté pour les émissions en direct d’information sur RDI.
En ce qui concerne la présentation du texte, il aurait été bénéfique de le fractionner dans plusieurs chapitres en utilisant des astérisques comme séparateurs, en fonction du déplacement de l’action.
* * * * *
Daniel
Lessard est né à Saint-Benjamin, en Beauce. Après avoir terminé ses études
classiques, il commence sa carrière à la radio en 1969 avant de rejoindre
Radio-Canada Ottawa en 1972. En 1979, il est nommé correspondant parlementaire
à Ottawa. Il est nommé chef de bureau à la Colline parlementaire en 1998, puis
animateur de relève au Téléjournal-Le Point. En 2005, il reprend les rênes de
l'émission « Les Coulisses du pouvoir ».
Retraité de Radio-Canada depuis 2011, après y avoir œuvré pendant 39 ans, Daniel Lessard met aujourd’hui son expérience de journaliste au service de l’écriture. Il publie des romans historiques et policiers. Spécialiste du roman beauceron, il est l'auteur de la populaire saga en quatre volumes : « Maggie », « La revenante », « Le destin de Maggie » et « Le testament de Maggie). Il a aussi publié quatre autres romans historiques (« Le puits », « La Marie-Louise », « La dalle des morts », « Le p'tit docteur de Saint-François-de-Beauce ») et un recueil de nouvelles (« Zigoune et autres histoires du pays de Beauce »), tous situés dans sa région natale. Il a aussi publié cinq romans policiers (« Péril sur le fleuve », « La louve aux abois », « Enlèvement », « Crime parfait » et « L’énigme du dépotoir »). Daniel Lessard est Membre de l'Ordre du Canada.
Je tiens à remercier les éditions Pierre Tisseyre pour l’envoi du service de presse.
Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire du livre via la plateforme leslibraires.ca et le récupérer dans une librairie indépendante.
Originalité/Choix du sujet : ***
Qualité littéraire : ****
Intrigue : **
Psychologie des personnages : ***
Intérêt/Émotion ressentie : **
Appréciation
générale : ***