Le roi et l’horloger (Arnaldur Indridason)


Arnaldur Indridason. – Le roi et l’horloger. – Paris : Éditions Métailié, 2023. – 316 pages.

 

Roman

 

 

Résumé :

 

Au XVIIIe siècle, l’Islande est une colonie danoise, gérée par les représentants de la Couronne qui souvent usent de leur autorité pour s’approprier des biens, en profitant en particulier des lois qui condamnent les adultères à la peine de mort. Le roi Christian VII, considéré comme fou et écarté du pouvoir, traîne sa mélancolie à travers son palais jusqu’au jour où il rencontre un horloger islandais auquel a été confié un travail délicat. Une amitié insolite va naître entre les deux hommes. À travers la terrible histoire du père de l’horloger, le souverain va découvrir la réalité islandaise et se sentir remis en cause par la cruauté qui s’exerce en son nom.

 

Des ateliers du palais aux intrigues de la cour et aux bas-fonds des bordels de Copenhague, nous accompagnons ces héros dans leur recherche tragique et vitale.

 

 

Commentaires :

 

Le roi et l’horloger est un récit historique, un roman à la fois lumineux et noir qui a pour thème le temps passé et le poids des mensonges. Un scénario qui repose sur des personnages réels ayant vécu dans les sociétés islandaises et danoises du XVIIIe siècle. Une fiction imaginée avec la relation improbable entre un roi déchu, Christian VII, atteint de maladie mentale et un artisan horloger, Jon Sivertsen, au passé douloureux qu’il doit dévoiler bien malgré lui, en disant la vérité ou en s’autocensurant. Avec comme conséquence imprévue : une sorte de similitude ou de symétrie entre les destins des deux hommes.

 

Arnaldur Indridason s’octroie ici une pause dans l’écriture de thrillers et de romans policiers [21 titres publiés en français jusqu’à maintenant : la série du commissaire Erlendur Sveinsson (2005-2019), la série Kónrað (2019-2022) et la Trilogie des ombres (2017-2018)] pour coiffer son chapeau d’historien-romancier en ajoutant un quatrième roman indépendant après Bettý (2011), Le Livre du roi (2013) et Opération « Napoléon » (2015).

 

Comme le représente bien l’illustration de la couverture de première, l’horloge de Strasbourg fabriquée par Isaac Habrecht et conservée au British Museum, le temps est au cœur de cette horrible histoire qui débute avec la courte phrase « Le temps s’était arrêté » et se termine par ce constat implacable : « ... chaque pas que nous faisons en avant engendre un second qui nous ramène au passé ».

 

L’essentiel du drame se dévoile dans la dynamique des échanges entre les deux principaux protagonistes et qui portent sur les relations hommes/femmes et les mœurs sexuelles de l’époque en Islande, alors colonie danoise. Un chapitre noir de l’histoire sociale du peuple islandais où les autorités appliquaient des lois connues sous le nom de « Jugement suprême » réprimant cruellement, jusqu’à la condamnation à mort, les relations sexuelles hors mariage ou incestueuses et l’usurpation de paternité.

 

Même si le sujet est glauque, Arnaldur Indridason sait nous livrer des descriptions sublimes, comme celles relatives au raffinement artistique des outils de mesure du temps de l’époque, s’inspirant de l’horloge astronomique de la cathédrale de Strasbourg :

 

« Un cadran blanc et circulaire protégé par une coupole en verre où étaient inscrits des chiffres qu'il savait romains et une aiguille qui avançait si lentement qu'il la voyait à peine bouger et devait la fixer jusqu'au vertige pour en distinguer le mouvement. Le tout était installé dans une magnifique niche en chêne ornée de deux passereaux sculptés qui semblaient converser en surplomb de la vitre. »

 

« Jon n'avait jamais contemplé semblable trésor. Lui-même n'avait jamais vu d'objets façonnés avec une telle élégance, qu'ils soient gros ou petits, en laiton, en cuivre et en argent [...]. Chaque élément du mécanisme constituait une œuvre d'art aux yeux de Jon, quant aux liens complexes et à la manière dont ils fonctionnaient tous ensemble... »

 

« Au même instant, un cliquetis discret se fit entendre à l'intérieur de l'horloge d'Habrecht qui se mit alors en mouvement, comme actionnée par une main invisible.Toute la merveille prit vie sous leurs yeux: les Âges de l'Homme s'animèrent, l'Enfance céda la place à la Jeunesse, la Lune avança sur son axe dans le ciel, les Rois mages défilèrent avec dignité en se prosternant devant la Vierge Marie, la Mort approcha et sonna l'heure, le coq se dressa, déploya ses ailes et chanta comme s'il en allait au bout de sa vie, les clochettes du carillon se mirent à tinter... »

 

Et ces réflexions entre le roi et l’horloger sur le temps et sa mesure :

 

« Qu'est donc le temps? [...] Est-ce autre chose qu'une accumulation de souvenirs ? [...] Un passé que nous ne retrouverons jamais ? Maudit temps qui nous projette tous dans l'oubli ! [...] ... le temps passe plus ou moins vite. Souvent il avance si lentement qu'on le croirait immobile et, parfois, il est si rapide qu'on a l'impression qu'il nous échappe totalement. Toute chose périt et s'enfuit. [...] Y a-t-il des moments où il ne nous échappe pas ? [...] Il passe, nous en saisissons quelques fragments épars avant qu'il ne sombre dans le passé puis ne disparaisse avec nous sans épargner rien ni personne. Absolument rien. »

 

« Selon le philosophe grec [Aristote], le temps n'avait ni début ni fin, il engendrait des changements et, en l'absence de ces changements ou transformations, il n'existait pas. Saint-Augustin, un des pères de l'Église, affirmait que Dieu avait créé le temps en façonnant le monde et qu'avant la Création le temps n'existait pas.

La Genèse explique que le Tout-Puissant a d'abord fait le ciel et la terre et qu'il a poursuivi son œuvre les six jours suivants avant de se reposer le septième. C'est la première mesure temporelle. Mais que représentait une journée au royaume de Dieu ? Était-elle constituée de vingt-quatre malheureuses heures ? Et chacune de ces heures avait-elle une durée de soixante minutes ? Ou peut-être la plus petite fraction de seconde équivalait-elle à mille ans ? Et par conséquent, une heure à une éternité extraite d'une autre éternité ? Le maître de Jon lui avait dit que le temps n'avait pas de réelle signification avant que l'être humain n'entreprenne de le mesurer, de le diviser en unités et de le cerner par l'usage du calendrier. Ces unités de mesure avaient toujours été des créations humaines, et ce, dès le moment où les Chinois avaient mis au point le cadran solaire, mais serait-on un jour capable de définir la nature exacte, l'essence du phénomène ? »

 

De chapitre en chapitre, avec des retours sur son passé, l’horloger raconte ses histoires d’Islandais, celle de sa famille, des repris de justice, des « infortunés qui avaient enfreint les lois » un demi-siècle plus tôt dans une région pauvre de l’Islande, de pêche au requin, des « conséquences délétères des amours dissolues d’Irlandais », de vieilles affaires judiciaires, de relations hors mariage et de reconnaissance ou non d’un enfant qui n’est pas le sien. Pour informer le roi des injustices dont les siens avaient été victimes et de la mort atroce de son père et de sa mère annoncée dès le premier chapitre. Ce qui a pour effet de perturber l’équilibre de ce dernier et lui causer des tourments, déclencher des colères, le plonger dans la mélancolie, conscient des liens entre l’histoire de l’horloger  et les relations qu’il entretenait lui-même avec son père.

 

« Christian VII avait sans doute assez vite vu son propre reflet dans les actions des protagonistes, les paternités usurpées ou dissimulées et la mise au point du subterfuge. Le roi avait trouvé des fragments de lui-même dans les propos de Jon, ce qui expliquait sans doute pourquoi il tenait tant à l'entendre et posait une foule de questions sur ces aventures.»

 

Comme dans chacun de ses romans, Arnaldur Indridason insère d’éloquents portraits de lieux comme si on était et de certains de ses personnages même secondaires.

 

La beauté du Breidafjördur sous le soleil estival :

 

« L'air était parfaitement immobile, il baissa les yeux vers la mer lisse comme un miroir, toute parsemée d'îles, de presqu'îles et d'écueils. Sur l'autre rive du vaste fjord, la chaîne de montagnes du cap de Snafellsnes, les jolis cônes du volcan de Helgrindur et le glacier de Snafellsjökull surgissaient des flots, rougeoyants dans le soleil du soir. Au loin, on entendait le bêlement des moutons, le chant des oiseaux des tourbières et les cris des mouettes. Des oies volaient au-dessus du fjord, si près de la surface qu'on eût dit qu'elles l'effleuraient du bout de leurs ailes. »

  

Grimur le conservateur des archives du palais :

 

« Sa peau ressemblait aux documents jaunis qu'il conservait, ses cheveux hirsutes aux bords élimés d'un parchemin, et il avait des pellicules sur les épaules. »

 

Les chapitres de la mise à mort de Sigurdur et de Gudrun, le père et la mère de l’horloger, révèlent la cruauté inouïe de l’application des lois télécommandée depuis Copenhague par un monarque qui n’hésitait pas à menacer de représailles ses représentants, les baillis, et dénoncée par les Islandais :  

 

« Qui donc est censé nous juger, là-bas, au Danemark ? Qu'attendons-nous d'un pouvoir qui ne met jamais les pieds ici, ne connaît rien à notre terre, ne nous concerne pas et n'a que faire de nous ? De gens qui vivent dans un tout autre pays. »

 

Dans une entrevue accordée au journal Le Monde en mars 2023, Arnaldur Indridason déclarait que le « devoir de tout écrivain est de parler de sa société sans l’embellir ni l’avilir ». C’est aussi la responsabilité que ce maître du polar islandais a assumée avec cet excellent roman historique sur les injustices et les très difficiles conditions de vie dont ont souffert les habitants de son île au XVIIIe siècle et qui nous fait passer par toutes les émotions. Un voyage dans le temps que j’ai beaucoup aimé, écrit dans un style très imagé comme l’illustre bien cet exemple parmi tant d’autres :

 

 « ... il s’en alla en quelques pas aussi doux que la robe de chambre qu’il portait. »

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  ***

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie : *****

Appréciation générale : *****


Série éliminatoire (Olivier Challet)


Olivier Challet. – Série éliminatoire. – Montréal : Éditions du Boréal, 2023. – 371 pages.

 


Polar

 

 


Résumé :

 

Montréal n’a pas encore eu le temps de se remettre des excès du 31 décembre que le premier homicide de l’année est déjà annoncé : un agent du SPVM habillé en civil a été étranglé dans le parc Jarry. Alors que les médias s’affairent à la recherche d’un scoop, la direction de la police met la pression sur ses troupes : il faut des réponses pour rassurer la population et montrer que le meurtre d’un policier ne reste jamais longtemps impuni.

 

Ces réponses, c’est au lieutenant-détective Jack Barral et à ses collègues de la division des crimes majeurs qu’il incombera de les trouver. Très vite, ils se rendront compte que le quotidien banal et fade de la victime dissimule un univers beaucoup plus sombre et ils n’auront d’autre choix que de se lancer, en plein hiver, dans une folle course contre la montre à l’échelle du Québec.

 

 

Commentaires :

 

Une nouvelle étoile scintille au firmament des enquêteurs dans les littératures du crime au Québec en la personne du lieutenant-détective Jack Barral du Service de police de la ville de Montréal (SPVM). Entouré d’une équipe chevronnée aux personnalités toutes aussi crédibles les unes que les autres.

 

Série éliminatoire s’ajoute à la série de polars du nord publiés au Québec au cours des dernières années. Bien que la couverture de première laisse présager que ce roman policier a pour cadre le milieu du sport professionnel, sachez que ce n’est pas le cas. Par contre, le hockey amateur, les ligues de garage, que suggère la photo de Benjamin Zanatta constitue le lien entre la série de meurtres, d’éliminations, à laquelle sont confrontés divers corps policiers de Montréal, de Québec, de Gaspé et de Saguenay.

 

Olivier Challet, ingénieur de formation, originaire de Vendée dans l’ouest de la France y traduit les réalités géographiques, sociales et politiques québécoises assimilées depuis son arrivée en 1994. Son personnage principal mène une enquête méthodique lancée, dès les premières pages, à partir d’un appel de son commandant :

 

« Barral, ici Dubreuil. Désolé de vous déranger un 1er janvier, mais vous allez devoir rappliquer d'urgence. Un collègue du poste 26 vient de se faire tuer. Rappelez-nous au plus vite. »

   

Dans un espace-temps de 13 jours, à Montréal, Laval, Coaticook, Québec, Gaspé, Rivière-au-Renard, Saguenay, dans le parc national des Monts-Valin et en Outaouais, l’auteur nous entraîne progressivement vers la quête de la vérité. Pas à pas, à un rythme qui prend progressivement son élan au gré des assassinats, s’accélérant avec le cumul des éléments découlant des multiples hypothèses soulevées qui s’affinent presque d’heure en heure. Pour atteindre son paroxysme en finale avec le dévoilement des motifs du meurtrier. Comme dans une enquête réelle sur le terrain.

 

Le tout de manière très procédurale, un peu à la manière de Harry Bosch de Michael Connelly, permettant au lecteur de s’imprégner de chaque scène de crime, de s’initier aux techniques méticuleuses d’enquête ponctuées de relations parfois tendues avec les médias et à celles de l’identité judiciaire. Sans oublier diverses sources d’information permettant de retrouver certains individus : bureau d’enregistrement du Registre foncier du Québec, hôtel de ville, bureau d’Accès Montréal, Société d’assurance automobile du Québec (SAAQ), cas non résolus (cold cases). Et ce dans les moindres détails.

 

Le style et la qualité d’écriture d’Olivier Challet nous offrent des descriptions hivernales des plus réalistes :  

 

« Soudain, ils aperçurent Gaspé, au loin. La ville à flanc de colline brillait de ses lumières éparpillées. À ses pieds, la glace avait emprisonné la baie, immobilisant le trafic maritime pour la saison hivernale. Tout était figé. Barral eut un frisson. Jamais il n'avait éprouvé une sensation de froid aussi intense. »

 

« Les sapins aux lourdes branches enneigées ressemblaient à des fantômes sous la lumière des phares. »

 

« Il n'y avait plus personne le long du quai. On entendait les vagues se briser sur la glace, de l'autre côté de la digue, à une dizaine de mètres. Les énormes projecteurs dispensaient une lumière criarde sur le port, générant des ombres fantasques sur les bâtiments de l'usine et les hangars. Le vent soufflait par bourrasques, s'engouffrant dans les moindres corridors et filant sur la surface glacée des quais. Pas question de sortir le moindre bateau l'hiver. »

 

« Les trois enquêteurs firent le tour de l'usine au ralenti, comme si le froid environnant les freinait dans leur progression. »

 

Certains passages m’ont fait sourire

 

« L'appartement est vide, y a rien, poursuivit Gervais.

– Même pas une bibliothèque ? En général, tout le monde en a une, avec au moins quatre planches et quelques livres, non ? »

 

« Le lendemain, un peu avant neuf heures, Barral entra dans la salle réservée pour les vidéoconférences. Il mit en marche les divers appareils, grâce au mode d'emploi rédigé spécialement pour les profanes comme lui. Puis il s'assit et attendit que la communication s'établisse. »

 

« [...] Aucune voiture ne passe dans cette ruelle. Et après minuit, en plein hiver, il n'y a plus grand monde dehors. On est à Québec, pas à Montréal !

Barral ne fit aucune réflexion sur le sujet, il n'avait pas envie de se lancer dans une polémique de ce genre. »

 

« Il faisait chaud dans la pièce, malgré la grandeur des lieux. La facture d'électricité devait être salée. »

 

« Peu après dix heures, il se prépara du café. Il mit cinq bonnes minutes à comprendre le fonctionnement de la cafetière, renversant au passage de l'eau sur le meuble. »

 

J’aime bien quand l’action d’un polar montréalais se déplace à Québec, dans ma ville d’origine. Ici dans le quartier Montcalm, entre autres sur l’avenue Cartier (non pas la « rue » Cartier), au Café Kriegroff que je connais bien. Olivier Challet y décrit parfaitement en quelques mots l’ambiance qui y règne :

 

« Les cinq policiers s'installèrent dans une pièce à l'écart. Le café était agréable, bien qu'exigu. Un brouhaha incessant provenait de la salle principale et des cuisines, ce qui était parfait pour couvrir la discussion qu'ils s'apprêtaient à avoir. »

 

Comme c’est souvent le cas, Série éliminatoire qui repose sur un scénario solide est ponctué d’insertions de segments complémentaires au récit principal accumulant peu à peu des bribes d’informations sur le criminel recherché.

 

De nombreuses références au hockey permettent à la fois d’ajouter des éléments d’information sur les victimes et sur l’assassin (« très tôt au hockey, un peu contre son gré », admirateurs des Canadiens, assistances à différents matchs au Centre Bell, le hockey comme source d’énergie, photo des joueurs d’une ligue de garage...). À noter le chapitre 19 décrivant le déroulement d’un match Montréal-Ottawa au Centre Bell, prétexte à une rencontre stratégique entre Jack Barral et le caïd de Dorval, les billets offerts par ce dernier. Et le chapitre 25 sur les caractéristiques et  le fonctionnement des ligues de garage organisées et pas organisées.

 

Le héros d’Olivier Challet est un peu à l’image d’autres policiers imaginés par un grand nombre d’auteur.es de polars avec son rythme de vie et les problèmes familiaux découlant de son emploi du temps : la santé fragile de sa mère, ses promesses non tenues avec son ex-femme et sa fille. Et hanté par son passé :

 

« Tout ça ramenait inconsciemment Barral à sa propre histoire, à la disparition soudaine de son père il y avait plus de trente ans, ce qui le rendit maussade. Son père les avait-il abandonnés de la même façon, lui et sa mère, avec le même détachement et la même légèreté ? »

 

« L'espace d'un instant, Barral revit son père sortant de l'incinérateur des Carrières, ses habits imprégnés des mêmes odeurs âcres et toxiques qu'il rapportait à la maison. Il dut se secouer pour ne pas y penser et revenir à la réalité. »

 

« Barral avait des frissons. Jamais la nature ne lui avait paru aussi oppressante et inquiétante. Sans raison, il se mit à penser à son père. Son père ruisselant de sueur, travaillant comme un forcené à l'intérieur du grand incinérateur, qui avait disparu sans laisser de traces. Et lui, trente-quatre ans plus tard, transis de froid et de peur, disparaissant dans l'obscurité à la recherche d'un tueur implacable. »

 

Série éliminatoire est un tourne-page qui m’a accroché dès le départ. Il met en scène des personnages prometteurs annonçant peut-être une suite dans laquelle on en apprendra davantage sur l’univers de Jack Barral. Ce qui ne serait pas surprenant étant donné que Olivier Challet publie depuis plus de 10 ans une suite de romans policiers destinés aux jeunes mettant en vedette un dénommé Max, « un garçon âgé de dix ans, lunettes rondes et cheveux frisés, curieux, perspicace et sensible, qui sous ses airs peu téméraires parvient toutefois à démêler les intrigues les plus surprenantes ».

 

Une récidive avec Jack Barral et son équipe dans la littérature pour adulte est donc espérée.

 

En conclusion, j’ai aussi noté quelques descriptions savoureuses :   

 

« Ils s'éclipsèrent en silence, sur la pointe des pieds. Seules les traces grisâtres sur le sol attestaient leur passage, contrastant avec le faste clinquant de la maison. »

 

« Pour commencer, l'humeur massacrante de Dubreuil à la suite de l'article de Gagné se propagea dans l'édifice à la vitesse de l'éclair, comme un sale rhume qui contamine une classe en une seule matinée. »

 

« Un homme ayant dépassé la soixantaine lisait son journal, assis derrière son bureau. Cheveux grisonnants, petites lunettes foncées, veste grise, il avait l'air d'un vieil apothicaire. »

 

Merci aux éditions du Boréal pour le service de presse.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie : *****

Appréciation générale : *****


Chien 51 (Laurent Gaudé)


Laurent Gaudé. – Chien 51. – Montréal/Arles : Leméac/Actes Sud, 2022. – 292 pages.



Polar dystopique

 

 



Résumé :

 

C’est dans une salle sombre, au troisième étage d’une boîte de nuit fréquentée du quartier RedQ, que Zem Sparak passe la plupart de ses nuits. Là, grâce aux visions que lui procure la technologie Okios, aussi addictive que l’opium, il peut enfin retrouver l’Athènes de sa jeunesse. Mais il y a bien longtemps que son pays n’existe plus. Désormais expatrié, Zem n’est plus qu’un vulgaire “chien”, un policier déclassé fouillant la zone 3 de Magnapole sous les pluies acides et la chaleur écrasante.

Un matin, dans ce quartier abandonné à sa misère, un corps retrouvé ouvert le long du sternum va rompre le renoncement dans lequel Zem s’est depuis longtemps retranché. Placé sous la tutelle d’une ambitieuse inspectrice de la zone 2, il se lance dans une longue investigation. Quelque part, il le sait, une vérité subsiste. Mais partout, chez GoldTex, puissant consortium qui assujettit les pays en faillite, règnent le cynisme et la violence. Pourtant, bien avant que tout ne meure, Zem a connu en Grèce l’urgence de la révolte et l’espérance d’un avenir sans compromis. Il a aimé. Et trahi.

 

 

Commentaires :

 

Je ne suis pas un amateur de littérature de science-fiction. J’ai donc abordé Chien 51 avec un peu d’appréhension. J’avoue avoir eu de la difficulté à m’y laisser emporter jusqu’à la mi-parcours. De mon point de vue, ce polar dystopique n’est pas particulièrement plein de suspense. L’enquête se déroule à un rythme ralenti. Le tout ponctué d’analepses, entre autres grâce au recours à l’Okios, une drogue particulière qui ramène le personnage principal, Zem Sparak, des années en arrière. Une technique d’écriture qui trouve sa raison d’être en finale. Les seuls rebondissements majeurs ne surviennent d’ailleurs que dans les derniers chapitres.

 

Ce roman noir est troublant en ce qu’il propose un futur peut être plus proche qu’on peut imaginer et qui s’appuie sur une réalité contemporaine inquiétante, un monde dominé par la puissance de l’argent : pays au bord du gouffre financier, crise climatique, écarts démesurés entre pauvreté et richesse, magouilles politiques, violences policières extrêmes, soulèvements de masse, crises migratoires, contrôles d’identité et de déplacement, système totalitaire, hégémonie d’entreprises qui contrôlent l’organisation politique et les loisirs et les conditions de vie des classes sociales réparties en trois zones : celles des biens nantis ayant accès à une certaine longévité, de la classe moyenne et des laissé-pour-compte...

 

D’une certaine manière, Chien 51 m’a rappelé le régime dictatorial chinois décrit dans La femme au Dragon rouge de J.R. dos Santos. Pas très rassurant à une époque où des Poutine, Trump, Xi Jinping, Kim Jong Un et autres despotes aspirent à dominer notre monde en attaquant les valeurs démocratiques.

 

Pour atteindre son objectif, Laurent Gaudé a inventé un vocabulaire (par exemple les « cilariés », citoyens salariés), créé une ville fictive, Magnapole, recouverte en partie par un dôme climatique protégeant les secteurs privilégiés des bourrasques subites, des orages de pluies jaunes et des déluges de glace, inventé le concept de la privatisation des nations, imaginé des technologies à peine plus évoluées que celles actuellement à notre disposition (par exemple, les montres intelligentes, l’hyperconnectivité, le traçage des communications)... et même une loterie permettant au gagnant de s’extraire de sa condition de miséreux moyennant un asservissement au système.

 

Chien 51 est un roman d’ambiance et de désespoir admirablement bien écrit. Quelques exemples :

 

 « Le but de l'entreprise [GoldTex] était-il d'offrir un paradis à un petit nombre en asservissant l'immense majorité des autres salariés ! »

 

« Du bétail. Voilà ce qu’ils sont. Avancer. S’arrêter. Avancer. S’arrêter. Montrer sa bonne mine, ne pas faire d’histoires, avancer, travailler. Fermer sa gueule, montrer ses papiers, avancer. Écouter les ordres, se la fermer et continuer… la file de voitures lui apparaît soudain comme l’image vertigineuse de la vie qui lui reste à vivre. Il ne peut plus rien faire d’autre que ça. Rentrer en zone 3 et continuer.… »

 

« Le ciel du matin est traversé de longs nuages jaunes qui s'étirent comme des fils de laine sale. »

 

Portée au grand écran, cette œuvre de fiction sur les dérives potentielles de notre monde s’apparenterait certainement au Soleil vert (1973) de Richard Fleischer et au Blade Runner (1982) de Ridley Scott.

 

À noter l’œuvre de l’artiste chinois Xiaohui Hu originaire de Beijin en couverture de première qui représente l’atmosphère glauque de Chien 51, le nombre 51 étant la pièce maîtresse de ce casse-tête futuriste.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  ***

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie : ****

Appréciation générale : ****


Ils étaient deux (Éric Chassé)


Éric Chassé. – Ils étaient deux. – Laval : Guy Saint-Jean, 2018. – 395 pages.

 



Thriller

 

 


Résumé :

 

Les deux ados voulaient simplement se venger de leur professeur. Comment auraient-ils pu imaginer que la farce tournerait en une telle tragédie ?

 

Alors que le « petit feu symbolique » qu’ils avaient planifié se transforme en un brasier se propageant à une vitesse fulgurante, les deux voyous s’affolent. L’un se sauve, l’autre demeure interdit, figé devant l’horreur.

 

Un seul accusé pour un crime commis à deux, c’est déjà injuste. Mais que l’un des coupables passe dix ans de sa vie derrière les barreaux tandis que l’autre se complaît dans une existence trop douce, sans jamais subir les conséquences de son geste, c’est tout simplement inadmissible !

 

Dix ans plus tard, l’heure des comptes a sonné. Il était temps.

 

 

Commentaires :

 

Mon avis de lecture sur Un mensonge de trop, le 3e roman d’Éric Chassé publié en 2020, m’avait donné le goût d’attaquer ses deux opus précédents. Avec celui-ci, Ils étaient deux, je n’ai pas regretté mon choix.

 

Comme dans Toute la rancune du monde, Éric Chassé campe cette histoire noire dans la région soreloise qu’il connaît bien en déclarant s’être « permis quelques libertés topographiques mineures quant à la ville de Sorel-Tracy » « pour une question de rythme ».

 

Les temps forts se succèdent dans ce récit au scénario machiavélique, fascinant et bien ficelé, bien que certains chapitres auraient pu être abrégés. Ce qui n’empêche pas de nombreux rebondissements parfois même inattendus, y compris la chute finale qu’on n’ose imaginer. L’auteur stimule notre intérêt en glissant ici et là, en finale de sections ou de chapitres, des phrases assassines piquant notre curiosité à poursuivre la lecture. Des insertions du genre :

 

« ... aucun des deux agents n’aurait pu soupçonner dans quel engrenage ils allaient bientôt mettre le pied. »

 

« Le répit de David tirait à sa fin. »

 

« ... il n’était pas encore en mesure de savoir qu’on allait lui gâcher ce plaisir. »

 

« ... mais [le visage] de ce policier allait très bientôt être à la une de tous les journaux de la province. »

 

Éric Chassé prend plaisir à nous surprendre dans le déroulement de l’action où chaque pièce du puzzle trouve sa place. Il met en scène des personnages masculins antipathiques par leur passé trouble, leur personnalité et l’attitude qu’ils adoptent dans leurs interrelations avec leur entourage. Avec un style fluide et une langue adaptée, particulièrement dans les dialogues, au contexte social du récit réparti sur 17 chapitres, on ne peut que considérer comme plus vrais que vrais les protagonistes de ce drame.   

 

De la même manière que dans Toute la rancune du monde, l’épilogue suscite assurément un sursaut de tension nous faisant craindre le pire à venir. Une formule dont Éric Chassé semble vouloir faire sa marque de commerce.

 

Une lecture d’été agréable.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : ****

Intrigue : ****

Psychologie des personnages : ****

Intérêt/Émotion ressentie : ****

Appréciation générale : ****

La femme au Dragon rouge (J.R. dos Santos)


J.R. dos Santos. – La femme au Dragon rouge. – Bordeaux : Éditions Hervé Chopin, 2023. – 623 pages.

 



Thriller

 

 


Résumé :


Devant la terrasse d’un café du temple d’Or d’Amritsar, une fusillade éclate; une jeune femme voilée est enlevée avec une touriste qui tentait de lui venir en aide… Tomás Noronha part précipitamment en Inde, c’est sa femme qui a disparu avec celle qui se fait appeler Dragon rouge.


Aidé de Charlie Chang, agent de la CIA, le célèbre cryptologue va tenter de retrouver leur trace en déchiffrant les messages que Maria Flor lui a laissés. Il se trouve alors confronté à une réalité dont il ignorait l’existence. La stratégie secrète de la Chine et sa très mystérieuse nouvelle route de la soie.

 

 

Commentaires :

 

Avec La femme au Dragon rouge, thriller érudit inspiré de faits réels, J.R. dos Santos récidive avec une 10e « aventure » de son historien expert en cryptologie et omniscient. Cette fois-ci avec comme objectif de décrypter les visées du Parti communiste chinois, particulièrement depuis 1949, « des stratégies fondatrices du Royaume des combattants aux nouvelles routes de la soie ». Un roman qui repose sur une recherche documentaire toujours impressionnante et sur des témoignages recueillis auprès de ressortissants qui ont fui le régime. Un roman qui « n'est pas un roman sur la Chine et les Chinois, mais un roman sur le Parti communiste chinois et sa vision de la dictature du socialisme nationaliste - c'est-à-dire le fascisme - qui produit tant de souffrances à l'intérieur de ses frontières, et qui est déjà en train de tenter de s'exporter vers le reste du monde. »

 

La recette dos Santos est mise à profit un récit en deux volets, raconté en alternance de chapitre en chapitre.

 

D’abord celui qui nous fait découvrir l’histoire une jeune Ouïghour (60 % du roman), Madina qui, en quittant son village pour sauver sa famille, subira les humiliations et les violences engendrées par les actions du Parti communiste chinois pour fomenter le génocide des communautés « non chinoises » (Ouïgours, Kazakhs, Huis, Kirghizes...) de la région du Xinjiang. Une opportunité pour l’auteur lui permettant de mettre en évidence les répressions du système   :  

 

·        ne jamais contredire le Parti : « Tout ce que le Parti dit est vrai, même ce qui peut sembler contradictoire » ; « Le véritable communiste est celui qui est prêt à croire que le noir est blanc et que le blanc est noir si le Parti l'exige » ;

·        discrimination dans les offres d’emploi et au travail ;

·        surveillance de qui fait quoi, qui lit quoi : tout le monde surveille tout et tout le monde se surveille ;

·        omniprésence des caméras dans les rues, les édifices, au travail et même dans les résidences et différents moyens de surveillance pour étouffer toute révolte ;

·        stérilisations forcées ;

·        programme « Devenir une famille » avec pour but d’établir une unité ethnique et d’apprendre à vivre à la chinoise : vivre avec un Han (un Chinois) une semaine par mois avec prises de photos diffusées sur Internet pour montrer l’ampleur et l’étendue de l’emprise du Parti sur sur les Ouïghours et les humilier. Programme obligatoire ? « Non, mais refuser c’est remettre en cause le Parti » ;

·        postes de contrôle d'identité et de permission de circuler « check points » à tous les 200 mètres ;

·        ruban adhésif apposé sur la bouche des enfants qui, à l’école, osent parler leur langue maternelle au lieu du chinois même s’ils sont trop jeunes pour en connaître la langue.

·        statut de précriminel et de contre-révolutionnaire comme, par exemple, avoir eu 3 enfants, ne pas avoir mis un « J’aime » sur un message d’éloge du Parti... invité à « prendre le thé au poste de police » ;

·        camps de rééducation : lavage de cerveau, tortures, conditions de vie inhumaines ;

·        usines de production de biens où les travailleurs non rémunérés sont traités comme des esclaves.

 

En parallèle, Tomá Noronha fait équipe avec un jeune professionnel de la CIA dénommé Chang, ex-espion aux États-Unis pour le compte de son pays d’origine ayant viré capotm se remémorant les affres subites par ses grands-parents à l’époque du Grand bond en avant de Mao Zedong qui a éliminé 30 millions de personnes refusant d’adhérer à l’idéologie du régime.

 

Les chapitres du volet fictionnel du roman permettent de dévoiler progressivement le jeu politique du Parti. Une stratégie inspirée par la période des Royaumes combattants, il y a deux mille cinq cents ans, qui dura cinq siècles, avec à son apogée l'unification des sept États sous la dynastie Qin. À l’origine du nom de la Chine, la terre des Chin :

 

·        endormir sa méfiance de l’adversaire ;

·        manipuler ses conseillers et l’encercler sans qu'il s'en rende compte ;

·        voler ses connaissances et ses technologies qui lui donnent un avantage ;

·        garder à l'esprit qu'une puissance militaire plus grande n'est pas un élément essentiel dans une guerre longue, si les autres facteurs ne sont pas favorables ;

·        ne jamais se laisser tromper ni encercler par l’adversaire ;

·        être patients et attendre le shi, le bon moment pour arracher la victoire « cacher son jeu et attendre son heure ».

 

Les exemples cités dans les conversations entre Tomá et Chang sont nombreux. Dans le contexte canadien, avec le scandale de l’ingérence chinoise dans le processus électoral, l’affaire Huawei et celle des postes de police chinois, l’emprisonnement des deux Michael... ce roman donne des frissons dans le dos :

 

·        la nouvelle route de la soie : le financement des pays pauvres jusqu’à l’étranglement subtil de leur économie ;

·        la mainmise sur des ports pour contrôler et s’assurer les allées et venues ;

·        censure chinoise sur des produits culturels de l’Occident, la stratégie « utiliser un bateau emprunté pour aller sur l'océan » : « utiliser les outils culturels d'autres pays pour faire passer, de manière subliminale, le message du Parti. Les gens commencent à se construire une image fantasmée et bienveillante de la Chine, et surtout de son régime, sans avoir conscience que les films qu'ils regardent sont préalablement soumis à la censure du Parti communiste chinois. Ça ne vaut pas seulement pour les films, mais aussi pour la littérature, le journalisme... pour tous les aspects de la production culturelle. Et c'est insidieux. »

·        les principes wai yuan nei fang (rond à l’extérieur, carré à l’intérieur : l’apparence extérieure flexible, la réalité intérieure inflexible ; wai ru nei fa (extérieurement bienveillant, intérieurement impitoyable) ;

·        intervention des « amis de la Chine » lors de grands événements, par exemple dans les universités, ou lors d’interventions de personnes susceptibles « de heurter les sentiments du peuple chinois »

·        l’image publique même du Lingxiu, le timonier du parti, le Chef « plus de deux mille délégués présents au congrès [...] debout, en train de l'applaudir en rythme, tandis qu'une musique triomphale [rend] le moment grandiose. [...] élégant, vêtu d'un costume sombre et d'une cravate magenta, une étiquette rouge avec son nom accrochée au revers de sa veste, arborant un sourire contagieux et un air bon enfant, tandis qu'il [arpente] la scène devant de gigantesques rideaux rouges. Winnie l'ourson. Une personne aussi sympathique pourrait-elle faire du mal à une mouche ? » ;

·        et son discours sur :

o   « le socialisme aux caractéristiques chinoises » qui ne commettait pas les erreurs ayant conduit à la chute de l'Union soviétique ; 

o   « la démocratie aux caractéristiques chinoises » signifiant qu'il n'y a pas de démocratie ;

o   « la vie privée aux caractéristiques chinoises », qu'il n'y a pas de vie privée ;

o   « les droits de l'homme aux caractéristiques chinoises » qu'il n'y a pas de respect des droits de l'homme ;

o   « l'État de droit aux caractéristiques chinoises » qu'il n'y a pas de loi à laquelle une personne peut faire appel pour se protéger des décisions arbitraires du Parti ;

o   « Internet aux caractéristiques chinoises », qu'il faut une forte censure imposée à Internet ;

o   « la mondialisation aux caractéristiques chinoises », qu'il est impératif de voler la propriété intellectuelle étrangère et de protéger le marché chinois des produits étrangers, tout en exigeant le respect de la propriété intellectuelle chinoise ainsi que le libre accès des produits chinois aux marchés étrangers.

·        « Une hypocrisie sans limites, un univers de rhétorique mensongère, un ensemble de phrases qui signifiaient le contraire de ce qu'elles disaient. Le monde du Parti était un monde de mensonges, de duplicité et de dissimulation. Les mots n'existaient pas pour exprimer la vérité, mais pour la cacher. »

 

L’objectif didactique de dos Santos est évident et l’emporte sur l’action romanesque comme c’est généralement le cas dans cette saga consacrée à différents sujets d’intérêt. La thématique du scénario de La femme au Dragon rouge est définitivement d’actualité, entre autres avec les liens qui « unissent » la Russie et la Chine dans la guerre en Ukraine. Elle amène le lecteur à réfléchir sur son rapport à acheter et à utiliser des produits chinois : par exemple des téléphones et des ordinateurs dont certaines composantes sont susceptibles d’en tracer l’utilisation ou des vêtements bon marché « fabriqués par une main-d'œuvre forcée à travailler et qui n'a pas été rémunérée. En d'autres termes, nous achetons un produit fait par des esclaves et, ce faisant, nous finançons l'esclavage. »

 

Je ne souligne ici que la pointe de l’iceberg de ce que vous découvrirez dans ce roman troublant. Bien sûr, Tomá Noronha est un super héros : il connaît évidemment « assez bien l’histoire de l’ascension du Parti communiste chinois », entre autres, et est « très à l’aise avec la géographie, comme tout historien ». Les fonctions des unités américaines NAVCOMM, TSCCOMM, CMS, SURTASS n’ont pour lui aucun secret. Il n’hésite pas à sauter en parachute, à revêtir un exosquelette et à tirer sur l’ennemi. Sans oublier, son talent inné pour résoudre un message codé.

 

Malgré plusieurs redites qui auraient pu être éliminées et quelques « du coup » de la traductrice, ce roman contient de belles descriptions, telle celle du Grand Bazar d’Ürümqi et des scènes sur l’absurdité bureaucratique comme celle avec l’ambassade du Portugal à New Delhi. Il est complété par une carte qui permet de situer l’action, une note finale dans laquelle l’auteur présente ses sources d’inspiration et une vaste bibliographie spécialisée.

 

À noter dans l’épilogue l’étonnante déclaration de Maria Flor à Tomá qui influencera peut-être le futur de la série : « Quand il s'agit de sentiments, tu n'es rien d'autre qu'un lâche. Tu fuis le passé, tu me fuis, tu te fuis toi-même. Tu as subi un traumatisme et tu refuses de l'affronter, parce que tu as peur d'y faire face. D'où ces courses effrénées, ces aventures constantes, cette fuite incessante. Je pense [...] que le moment est venu, pour nous, de faire une pause. »

 

Il faut lire La femme au Dragon rouge pour apprendre, tout en se divertissant, à mieux connaître cette République populaire de l’amnésie qu’est la Chine moderne qui s’apprêterait à soumettre l’Europe en 2049, cent ans après le Grand bond en avant de Mao Zedong.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : ****

Intrigue :  **

Psychologie des personnages :  ****

Intérêt/Émotion ressentie : *****

Appréciation générale : ****