Victoria Charlton et Alexandre Soublière. – La nuit de ta disparition. Les enquêtes de Mackenzie T02 – Montréal : Éditions de l’Homme, 2024. – 294 pages.
Polar
Résumé :
La podcasteuse de true crime Mackenzie Martin se rend dans la petite ville de
Sainte-Marie-de-Beauce afin de trouver des réponses entourant la mort de sa
mère. Après une fête organisée dans les bois, elle est plongée, malgré elle, au
cœur d'une enquête: la disparition de Florence Fortin, copine de la vedette
montante de hockey professionnel, Éloi Pinard. Des rumeurs étranges se
propagent: des témoins auraient vu des ovnis ce soir-là, d'autres soupçonnent
les motards criminalisés ou un triangle amoureux. Des théories se multiplient
en ligne. L'enquête dérape, le mystère s'épaissit. Aidée de sa fidèle
collaboratrice, Assia, et de l'agent James Vigneault, son amour de jeunesse,
Mackenzie saura-t-elle distinguer le vrai de l'incroyable et retrouver
Florence?
Commentaires :
Plus on lit des romans policiers, plus on
devient exigeant envers la forme et le fond d’une nouveauté qui s’ajoute à notre
pile à lire. Et quand on se plonge dans le deuxième tome des enquêtes de
Mackenzie (sans avoir lu le premier), dont l’auteure est couronnée par les
médias « reine du true crime »
(documentaire criminel, dans la langue officielle du Québec), les attentes sont
élevées.
« La
nuit de ta disparition » est une fiction écrite par Victoria Charlton,
une influenceuse populaire sur les réseaux sociaux. Elle compte 686k abonnés
sur YouTube et 150k sur Instagram. Son héroïne, Mackenzie Martin, est atteinte
de trouble bipolaire, vit à Montréal, possède un chien nommé Black Dahlia et diffuse
ses passions pour les affaires non élucidées, les disparitions et des phénomènes
paranormaux. À la recherche de réponses concernant le décès de sa mère, l’enquêtrice
part pour la région de la Beauce, où elle rencontre certains membres de sa
famille et d’anciens amis. Elle s’embarque alors dans des suppositions à la
fois graves et farfelues au sujet de cette disparition mystérieuse.
Une brochette de personnages hauts en couleur
entoure la podcasteuse
(baladodiffuseuse, selon Antidote) :
·
Gaspard
Martin, son père qui vit à Paris, sosie de George Clooney ;
·
Timothée
(TIM), son cousin crack de l’informatique, fils de Grace, la sœur de Michelle,
la mère de Mackenzie ;
·
Maude,
la « blonde » de Timothée, serveuse au bar JMJ dont les locaux sont
décorés « de crucifix et d’affiches de
groupes hard rock pseudo-sataniques », propriété de Jean-Marc Girard
affilié aux motards criminalisés ;
·
Éloi
Pinard, vedette du hockey et sa copine, Florence Fortin (Flo), la disparue ;
·
Stéphane
Pinard, médecin, et Mélanie, les parents d’Éloi Pinard ;
·
Zack
Veilleux, vendeur de drogue, dont le père entrepreneur en construction en mène
large en Beauce ;
·
James
Vigneault, agent de la SQ, ex-amoureux de Mackenzie ;
·
Assia,
fidèle collaboratrice de Mackenzie et sa conjointe Pénélope ;
·
Gino
Rhéaume, youtubeur survivaliste ;
·
Un
mystérieux Kill4h_hunt4h.
Ce récit, aux enjeux dramatiques ténus, est réparti
en 24 chapitres, entrecoupés d’archives d’enquête : des messages vocaux,
des enregistrements d’une note vocale sur iPhone, des notes de recherche, une
transcription de conversations électroniques, une conversation sur YouTube, une
copie de courriel, une vidéo en direct pour les réseaux sociaux. Autant de
labyrinthes d’informations intéressants, mais qui, selon moi, ralentissent
l’action tout en donnant l’impression au lecteur que ces passages constituent
des pistes de solutions à l’énigme. La conclusion ne m’a pas satisfait.
Après avoir tourné la dernière page, je me
suis demandé si l’auteure avait imaginé ce scénario particulièrement pour partager
avec son lectorat les résultats de ses recherches, qui servent de base à ses
activités sur les réseaux sociaux. Au risque de nous perdre dans un dédale de
détails. En voici quelques exemples :
« ... en moyenne les gens oublient 50% des
informations après vingt minutes, et 70% après une journée [...] Non seulement ça, mais ils ont tendance à
remplir les trous dans leur mémoire avec des éléments fabriqués pour compléter
leurs petites histoires dans leur tête. C’est pour ça que plusieurs personnes
peuvent décrire un même événement de façon complètement différente. »
La
légende du Chupacabra, « un mythe qui vient de l’Amérique latine
[...] une bête, à l’apparence assez
effrayante [...] à l’origine de la
mutilation de divers animaux dans plusieurs pays différents. »
Le
remplacement de l’expression OVNI, « Objet
Volant Non Identifié », équivalent d'UFO, « Unidentified Flying Object » par UAP, « Unidentified Anomalous Phenomenon ».
« Le fait de parler de ‘’ phénomènes
anormaux non identifiés ‘’ [permettant] une
classification plus large qui engloberait aussi, par exemple, des objets qui
vont dans l'eau, soit qui entrent et sortent de l'océan, ou même qui semblent
carrément changer de dimension. »
Et que dire de l’étalage des paradoxes
(Enrico Fermi sur l’existence de « civilisations
extraterrestres avancées ») et des théories de :
·
Jacques
Vallée (« plusieurs dimensions
cohabitent dans un même espace-temps ») ;
·
François
C. Bourbeau (« les humains et
les aliens cohabitent tous sur la
même planète, mais des dimensions différentes ») ;
·
David
Grusch, ancien employé de la U.S. Air Force qui « prétend que le gouvernement américain
posséderait des vaisseaux, des corps et des preuves d’autres vies » et
« affirme même avoir consulté des
documents classés révélant que le gouvernement de Benito Mussolini aurait
récupéré un engin spatial ‘’ non humain ‘’ en 1933 et que le Vatican et les
Five Eyes auraient aidé les États-Unis à l’acquérir durant la Seconde Guerre
mondiale »;
·
Diana
Walsh : « il y aurait un lien
très fort entre les différentes religions et les ovnis. »
Et celle-ci : « les pyramides d’Égypte ont été construites
avec l’aide de l’intelligence d’êtres supérieurs » en 27 ans !
Sans oublier les nombreux exemples de
disparitions inexpliquées : Lauren Spierer (2011), Brianna Maitland (2004
au Vermont), Kristin Smart (1996 en Californie), Emma Walker (2016), Natalle
Holloway (2005 à Aruba, dans les Antilles), Lauren Agee (2015 en Beauce).
D’autres digressions, en revanche,
entretiennent un rapport plus étroit avec l’enquête, comme le concept de
meurtre sans corps.
« La procédure judiciaire reposait alors surtout
sur des preuves circonstancielles, qui pouvaient inclure des analyses
médico-légales, des communications et des témoignages révélant des
comportements suspects. Pour porter des accusations, il fallait absolument
compiler une quantité substantielle de preuves établissant un lien crédible
entre le suspect et l'homicide présumé. »
Ou encore, la description du processus
judiciaire qui suit une arrestation :
« [le
prévenu] avait tout d'abord été emmené
dans un poste de police pour être interrogé. Il avait le droit de garder le silence
et de consulter un avocat.
Après
l'interrogatoire, selon les éléments de preuve recueillis, le procureur allait
déposer officiellement des accusations.
Une fois accusé, [le présumé coupable] devrait se présenter devant un juge pour
une audience préliminaire, se tenant dans les 24 heures suivant l'arrestation.
Le juge l'informerait alors des charges retenues contre lui. Le magistrat
déciderait également si le suspect serait détenu ou libéré sous caution. Si la
détention devait être maintenue, [il]
serait transféré dans un centre où il resterait jusqu'à son procès. La décision
de garder un suspect en détention dépendait de plusieurs facteurs, comme la
gravité des charges, le risque de fuite, les antécédents criminels du suspect
et la sécurité de la communauté. »
Alexandre Soublière, le coauteur de Victoria Charlton,
un Beauceron d’origine, saisit l’occasion d’ajouter une touche de nostalgie au
scénario en s’inspirant d’un cadre familier pour lui, tant sur le plan social, historique
que géographique.
« En 1775, c’est par cette rivière [la
Chaudière] que Benedict
Arnold avait remonté des
colonies américaines pour tenter d’envahir Québec. Arnold y aurait perdu de l’or durant son
voyage. D’après la légende, c’est le diable lui-même qui, depuis, était devenu
le gardien de ce trésor. »
La
relocalisation du centre-ville de Sainte-Marie dont l’authenticité disparaît
peu à peu à la suite des derniers grands débordements de la rivière Chaudière
où il ne reste plus que la « pizzéria
Giovannina, réputée pour sa spéciale garnie avec oignons, bacon et tomates
fraîches », le salon funéraire, quelques bars et, « pour empêcher les inondations d’interrompre la production des Ah !
Caramel et des ½ Lune », le mur érigé autour
de « l’usine Vachon qui continuait de produire ses fameux Jos Louis et sa
panoplie de petits gâteaux emballés individuellement. »
« ...
les petits desserts [...] achetés aux Pères Nature étaient bien succulents, mais pas autant que les
brioches aux raisins de Joe Poulin et de la boulangerie qui existait à l’époque
près de l’ancien hôtel de ville. »
Le
domaine du radar (ou le domaine de Saint-Sylvestre),
connu autrefois sous le nom de « mont Radar », a été le théâtre de rumeurs
d’extraterrestres et de phénomènes paranormaux après le démantèlement des
installations de l’Aviation royale canadienne.
Un
rappel de quelques tragédies vécues à Sainte-Marie dont le meurtre du chef de
police en 1995 et la fusillade en 1983 au salon funéraire en 1983.
Sans oublier un clin d’œil à l’accent
beauceron : « J’suis tombé en
panne y’a une tchoupeul en allant chercher des asperges... »
Je ne saurais passer outre la référence au
roman « Sérotonine » de Michel
Houellebecq dans lequel un « personnage
se laisse inspirer par un
documentaire sur les gens qui choisissent de disparaître pour recommencer leur
vie à neuf sous un autre nom. » Et celle-ci alors que Mackenzie se
demande si « elle n'était pas en
train de devenir comme James
Ellroy, l'auteur de The
Black Dahlia et de L.A. Confidential, qui a souvent avoué avoir eu une phase
perverse dans sa jeunesse: il entrait dans des maisons par effraction par désir
d'intrigue et d'adrénaline. »
Ce texte se lit aisément, mais il abonde en
anglicismes, ce que l’on pourrait attribuer au fait que le protagoniste, âgé d’environ
30 ans, représente la nouvelle génération. On y trouve également des expressions
telles que « du coup », qui font leur apparition dans la littérature
québécoise. La scène de rixe dans la clinique médicale, dans les derniers
chapitres, est bien réussie.
J’ai noté au passage ces quelques extraits savoureux :
« Dans son t-shirt un peu serré, ses biceps se
vantaient d’avoir passé l’hiver au gym. »
« Son parapluie continuait de virevolter au
vent comme un furet enragé au bout d’une laisse. »
« Les oiseaux continuaient de chanter des
mélodies irrégulières dans les arbres tout autour pendant que les nuages se
mouvaient autour du clocher comme des fantômes errants. »
« Cette nouvelle avait eu le même effet
[...] que si elle avait reçu une brique
en plein visage, lancée du haut d’un immeuble de vingt-six étages. »
« La maison était vide et morte comme un
zombie qui avait perdu son âme. »
« Ses lunettes et ses cheveux frisés, menacés
par un début de calvitie dans le haut du front, lui donnaient un air
sympathique : un tiers clown, un tiers Albert Einstein, un tiers Martin Picard. »
« La culture, ce n’est pas seulement les
musées et les théâtres. C’est la nature, la terre, la résilience des gens qui
forment des mythes et une façon de vivre ensemble. »
La conclusion laisse entrevoir une suite obligatoire.
* * * * *
Alexandre Soublière, Beauceron d’origine, est écrivain, scénariste, parolier et directeur de création dans le domaine de la publicité. Ses enseignants ont remarqué son talent d’écriture et surtout sa créativité. Après avoir obtenu son diplôme d’études collégiales en littérature et son baccalauréat en communication, profil vidéo, à l’université Concordia, il part à New York pour participer à des ateliers de scénarisation. À l'âge de 26 ans, il a publié son premier roman, « Charlotte before Christ », qui a reçu un excellent accueil critique.
Merci aux Éditions de l’Homme pour le service
de presse.
Au Québec, vous pouvez commander votre
exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer dans
votre librairie indépendante.
Originalité/Choix du sujet : ***
Qualité littéraire : ****
Intrigue : ***
Psychologie des
personnages : ****
Intérêt/Émotion
ressentie : ***
Appréciation générale
: ***