Les corps sur la neige (Stéphane Ledien)


Stéphane Ledien. – Les corps sur la neige. – Montréal : Robert Laffont Québec, 2024. – 427 pages.

 

Thriller

 


 

 

Résumé :

 

Montréal, automne 2012. Alors qu’ont lieu les audiences de la Commission Charbonneau, un journaliste français est assassiné. Riley Lewis, une reporter new-yorkaise qui couvrait elle aussi les travaux de cette commission, échappe de peu à la mort.

 

Au même moment, dans la ville de Québec, Martin Thériaux, ancien chasseur alpin et tireur d’élite de l’armée devenu déneigeur de toits, est ciblé par des membres du crime organisé.

 

C’est le prélude à une suite d’événements violents auxquels vont se joindre des élus corrompus, des officiers du SPVM, un ex-agent du FBI, mais aussi une tueuse mexicaine associée à un retraité de la branche du renseignement des Forces armées canadiennes.

 

Sur les toits de la vieille ville de Québec, dure sera la chute des uns, et plus dure encore la disparition des autres.

 

 

Commentaires :

 

Les corps sur la neige : 100 courts chapitres répartis sur 418 pages, un thriller tourne-page qui garde captif le lecteur de la première à la dernière page, assassinats en rafales – pour respecter le thème hivernal –, cadavre dans le Saint-Laurent, évaporations sans laisser de traces, torture, pieds et mains coupés envoyés à des ministres fédéraux… : « les criminels [qui] s’éliminent entre eux ». Une thématique qui rappelle à notre mémoire une page d’histoire histoire peu reluisante du Québec impliquant les milieux de la construction et politiques, tous niveaux confondus (fédéral, provincial et municipal soi-disant irréprochable) et ceux du crime organisé : mafia, groupes de motards, trafiquants de drogue (marijuana, fentanyl, héroïne et cocaïne), pickpocket, abus, extorsions, violences…

 

Une histoire qui s’étale d’octobre à décembre 2012 alors que se déroulent les audiences de la Commission sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction. L’action se déroule à Montréal, entre autres dans le quartier italien et dans l’arrondissement d’Anjou, et sa couronne : (Longval) – voir plus bas –, au nord de l’île, Sainte-Anne-de-Bellevue à l’ouest et Boucherville sur la rive sud) ; à Québec et à Cap-Rouge à l’ouest de la capitale ; en Chaudière-Appalaches, à Saint-Georges-de-Beauce jusqu’à New York et à Montpelier (Vermont) et au Mexique, entre autres à Playa Azul (État du Michoacán).

 

Ce roman est « l’aboutissement de près de quatre années de travail effectuées dans le cadre d’une thèse de doctorat (Ph. D.) de recherche-création en études littéraires, puis de trois autres années de réécriture ».

Un ouvrage très documenté, en s’appuyant sur un ouvrage de Michel Picard, La Commission Charbonneau – Les aveux d’un système corrompu et sur bon nombre d’articles publiés dans le Journal de Montréal, La Presse et le Devoir. Aussi par différents contacts qui l’ont renseigné sur le métier de déneigeur de toits en pente à Québec, sur le travail de policier au sein de l’Unité permanente anticorruption (UPAC), sur des aspects techniques du Bureau du coroner… La précision des détails que recèlent ce roman laisse presque croire que l’auteur s’était infiltré dans les milieux mafieux et politiques de l’époque.

 

Il est question d’une « société secrète appelée ‘’ le Comité ‘’, dans les rangs duquel on retrouverait des politiciens fédéraux et provinciaux, des policiers, des procureurs, des hauts-fonctionnaires ». Parmi les membres les plus âgés, « certains ont autrefois appartenu à l’Ordre de Jacques-Cartier, regroupement de patriotes dans les années 1960 mis sur pied afin de faire avancer les intérêts des Canadiens français catholiques. D’autres appartiennent à l’Ordre de la Rose-Croix. »

 

Dans une note au lecteur, le narrateur omniscient déclare avoir fui « le Canada afin de [se] réfugier sous une fausse identité en France, [son] pays natal », comme Stéphane Ledien. Il dit craindre « que les autorités du Québec [le] soupçonne de complicité » et « plus encore que les responsables à Montréal, à New York ou même plus au Sud, ne remontent jusqu’à [lui] ». Il avoue avoir « encore la trouille ». Douze ans après que « ces événements se sont produits » et qui ont causé des « remous au sein du pouvoir et des milieux d’affaires, les dénonciations, les assassinats qui ont suivi ».

 

Aussi, cet « auteur anonyme » qui ajoute avoir « émigré au Québec pour des raisons professionnelles au milieu des années 2000 » affirme qu’il avait « du bagout, le sens des affaires et une bonne connaissance de l’immobilier et du bâtiment », ayant « évolué dans le secteur de la construction d’immeubles résidentiels de luxe partout dans la province de Québec ». S’étant « associé à des gens qui voyaient grand », il déclare avoir « gagné gros » avec comme résultante, « la belle vie ». « Jusqu’à ce que des rumeurs circulent à propos d’une commission d’enquête. » Parce qu’il lui était impossible de raconter cette histoire sans « en dévoiler les aspects les plus secrets, les plus authentiques, sans trahir [son] identité et celle des autres intervenants », il a « choisi le biais du roman ».

 

Avouez que ces pages liminaires incitent le lecteur à attaquer sans plus attendre cette fiction policière plus vraie que fictionnelle qui démarre sur les chapeaux de roues avec un premier assassinat fracassant.

 

Aussi, l’auteur a inventé des dénominations qu’au Québec il est facile d’associer à des personnes, à des lieux et à des organisations ayant fait la manchette à l’époque tel que : « Vito Zaffarino », entrepreneur en construction, « Angie Sirois », liaison amoureuse d’un député conservateur de Beauce, « Massimo Di Costanzo », « Jean-Pierre Brunelle » député du parti libéral du Québec dans la circonscription de Louis-Hébert, la ville de « Longval » et son maire « Gilles Lamarre », l’entreprise d’ingénierie « RMB-Lavallée » en quête de contrats avec la Libye…  

 

Le tout habité par la présence de certaines personnalités politiques réelles, tel l’ex-maire Tremblay de Montréal et d’organisations politiques : le Parti conservateur du Canada (PCC), le Parti libéral du Québec (PLQ), l’Unité permanente anticorruption (UPAC), la Société immobilière du Canada (SIC), bras immobilier du gouvernement « fusionnée avec Parc Downsview Park inc et la Société du Vieux-Port de Montréal inc » […] sous l’égide de la ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux »…

 

On y trouve aussi des références historiques : la Commission d’enquête sur le crime organisé (CECO) instituée en 1972, une « énorme opération de démantèlement des principaux réseaux de drogue, du jeu, de la prostitution et du ‘’ cartel de la viande avariée ‘’ » ainsi que les razzias policières portées par la loi antigang du gouvernement fédéral mise en place pour lutter contre les activités criminelles des gangs, notamment les Hells Angels, l’escouade Carcajou et les opérations Printemps 2001 et SharQc de 2009.

 

Je tiens à souligner quelques scènes remarquablement décrites. Par exemple celle d’un combat à la Jack Reacher (page 116), celle du déneigement d’un toit en pente dans le Vieux-Québec (page 126), la séquence de l’agression sur le toit de l’Hôtel-Dieu de Québec racontée sur trois chapitres pendant qu’un observateur déguste, dans sa voiture, une poutine de Chez Ashton et finalement celle de la fusillade qui nous tient en haleine sur huit pages. Ne voulant rien divulgâcher, je vous laisse les découvrir.

 

Stéphane Ledien livre son récit en glissant de chapitre en chapitre des descriptions imagées, voire cinématographiques. J’ai retenu ces quelques exemples :

 

La chute d’un corps qui « s’aplatit, si un tel phénomène reste possible, sur l’un des véhicules de police. Le métal, le plastique et le polypropylène plient, s’affaissent, se ratatinent, les vitres se brisent en mille morceaux. Un broyeur de casse automobile n’aurait pas fait mieux. »

 

« … la route prend fin, coupée d’une avenue qui, en direction nord-ouest, borde la voie rapide telle une rivière tranquille destinée à se jeter dans un fleuve d’asphalte. »

 

 « Toits blancs sur fond bleu. Les lucarnes à pignon et les brisis des maisons du Vieux-Québec écrêtent l’horizon. »

 

« Barbu, énorme, le mec qui vient de parler est une montagne à lui tout seul – sans blague, il n’y manque plus que les remontées mécaniques ! »

 

« … ce qu’un joueur de pétanque fait avec un cochonnet, Simard l’exécute avec une boule de bowling. »

 

Et certains commentaires socio-politico-économiques qui se prêtent bien dans la littérature de genre :

 

« La Ville, avide de densification résidentielle, possède une importante parcelle du boisé, tandis qu’un fonds de placement s’est porté acquéreur de l’ensemble. Un ministère veille mollement : il y a là une flore et des milieux humides protégés. Immobilier, fric, mensonges politiques : c’est la nouvelle Trinité. »

 

« Ce qui est bon pour les affaires est bon pour les revenus du gouvernement. »

 

 « … guerre des clans à la sauce bolognaise. »

 

« La peur du scandale équivaut chez un homme politique à ce qu’éprouve un chat à l’idée de prendre une douche dans un spa. »

 

Les corps sur la neige étant également diffusé en France, Stéphane Ledien a glissé dans son texte des expressions d’outre-Atlantique qui diffèrent de celles utilisées au Québec :

 

·        un Glock 17 équipé d’un « modérateur de son » pour « silencieux »;

·        « CM1 » qui aurait mérité une note en bas de page ;

·        « commissariat » pour « poste de police » ;

·        « verbalisé » pour « remise de contravention » ;

·        « boudins d’hiver » pour « pneus » d’hiver ;

·        « chemise d’hôpital « pour « jaquette » d’hôpital.

 

Par contre, j’ai découvert le dahu : « En France, animal imaginaire vivant dans les zones montagneuses et à l’affût duquel on poste une personne crédule. La légende du dahu est née dans le milieu montagnard pour se moquer des touristes peu au fait de la faune sauvage. »

 

J’ai trouvé sévère cette description d’un pub mythique du Vieux-Québec, qualifié de « piège à touristes, certes, mais au folklore irlandais garanti ».

 

Petit détail : on dit « résident de la Baie James » et non « de Baie James ».

 

À noter la magnifique couverture de première « un ange dont les battements d’ailes laissent un sillage dans le blanc » qui trouve toute sa signification… vous verrez.

 

Vous l’avez compris : vous devez vous procurer Les corps sur la neige auprès de votre librairie indépendante ou l’emprunter à votre bibliothèque municipale. Comme moi, vous regretterez peut-être de ne pouvoir lui attribuer plus de cinq étoiles.

 

 

Auteur de fiction et docteur en études littéraires, Stéphane Ledien est rédacteur professionnel, et professeur de littérature au Cégep de Sainte-Foy à Québec. Il a fait du polar et des fictions de genre l’une de ses spécialités. En tant qu’auteur de fiction, il a publié des nouvelles dans des anthologies aux Éditions Tête première et aux Éditions Druide, et il a signé quatre livres dont le roman noir Sur ses gardes (2015) remarqué lors de la 7e édition du festival Québec en toutes lettres consacrée au genre policier.

 

 

Merci aux éditions Robert Laffont Québec pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue : *****

Psychologie des personnages : *****

Intérêt/Émotion ressentie : *****

Appréciation générale : *****


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