Noires saisons (Ariane Gélinas, Maureen Martineau, Corinne Jaquet et Michèle Pedinielli)


Ariane Gélinas, Maureen Martineau, Corinne Jaquet et Michèle Pedinielli. – Noires saisons. – Lévis : Éditions Alire, 2024. – 253 pages.

 

 

Nouvelles noires

 

 

Résumé :

 

En 2021, Ariane Gélinas et Maureen Martineau présentaient Criminelles, un recueil au fil duquel nous suivions, au gré du calendrier lunaire, des femmes qui, instigatrices, complices ou témoins, côtoyaient le monde sordide des affaires illicites.

 

Trois ans plus tard, c’est flanquées de deux complices, les autrices Corinne Jaquet et Michèle Pedinielli – respectivement suisse et française –, qu’elles nous offrent un nouvel aperçu du crime au féminin. Et cette fois, les territoires visités sont encore plus vastes, du Grand Nord québécois aux Alpes suisses, en passant par la Corse et l’Isle-aux-Grues.

 

Aux femmes que nous croiserons dans Noires Saisons s’ajoutera un « personnage » commun à tous les récits : le réchauffement climatique et les bouleversements qu’il génère, été comme hiver, automne comme printemps. Si parfois ce cinquième As facilitera les méfaits commis, souvent il se transformera en Joker qui les dévoilera au grand jour, bien des années plus tard, en faisant fondre les icebergs, monter les eaux et éroder les rives.

 

Noires Saisons : douze nouvelles par quatre écrivaines en parfaite maîtrise de leur plume… aussi noire que l’âme de leurs protagonistes !

 

 

Commentaires :

 

J’ai beaucoup de difficulté à évaluer un recueil de nouvelles, particulièrement lorsqu’elles sont écrites par différents auteur.e.s. Certaines m’ont plus interpellée que d’autres.

 

Il est indéniable que chaque récit, limité à 15 à 20 pages et mettant en scène un nombre restreint de personnages, comme c’est le cas dans une nouvelle, ne peut susciter une tension palpitante. Cependant, l’originalité du récit, qui doit aborder un thème commun (dans notre cas, les impacts du changement climatique et des infractions commises par des femmes), peut contribuer à captiver le lecteur, créant ainsi une expérience de lecture presque réaliste.

 

Comme l’expliquent les instigatrices du projet « Noires saisons » (Ariane Gélinas et Maureen Martineau), celui-ci fait suite à leur recueil de nouvelles « Criminelles », publié en 2021, qui « mettait de l’avant des femmes coupables de méfaits divers […] de la Gaspésie à la Baie-James ». En invitant « deux écrivaines européennes à rallier [leur] rangs : Corinne Jaquet, de la Suisse romande, et Michèle Pedinielli, du sud de la France », elles ont « déployé une toponymie du crime en des zones vastes et inédites ». Le fruit de cette collaboration est une série de 12 intrigues criminelles, chacune accompagnée d’une mise en évidence des conséquences des changements climatiques dans différents endroits du Québec et du continent européen.

 

Autre particularité de cette première dans la francophonie :  « Ce projet réunit trois maisons d'édition, Alire (Québec), L'Aube noire (France) et Le Chien Jaune (Suisse), permettant à ce recueil de voyager simultanément outre-mer ».

 

Les nouvelles de « Noires saisons » sont réparties dans le désordre des saisons par groupe de trois textes, ponctués par une notice biographique de l’une des auteures :

 

ÉTÉ

·        « La Vérité sur la Cuvette du Diable » (Corinne Jaquet)

Une secte, des restes humains refont surface à la suite de l’assèchement d’un lac, en Suisse.

·        « À l'épreuve du feu » (Ariane Gélinas)

Des excursionnistes, des catacombes à ciel ouvert et des feux de forêt qui ravagent au nord du Saguenay, au Québec.

·        « L'Eau qui dort » (Michèle Pedinielli)

Un promoteur qui veut bâtir un complexe de golf dans les Alpes-de-Haute-Provence, alors que la canicule a commencé en juin (très d’actualité) et que l’eau se fait rare.

 

PRINTEMPS

·        « Le Châtiment de l'eau » (Maureen Martineau)

Des averses torrentielles, de graves inondations et une découverte effroyable dans un abri à Notre-Dame-du-Lac. [la nouvelle la plus sombre]

·        « Lignes de flottaison » (Ariane Gélinas)

Un trafic de stupéfiants qui dégénère dans la région de Blanc-Sablon, au Québec, alors que des icebergs se détachent du Groenland en raison du réchauffement climatique. [celle dans laquelle l’action est la plus intense]

·        « Ce qui est à naître » (Michèle Pedinielli)

Une autre affaire de drogue. De plus, des évènements bizarres se produisent dans un cimetière corse, alors qu’un orage accompagné de grêlons éclate, obligeant deux jeunes à se réfugier dans un caveau.

 

HIVER

·        « Jamais deux sans trois » (Corinne Jaquet)

Des avalanches causées par la fonte rapide des glaciers alpins, ainsi qu’un touriste insupportable qui décède dans les eaux sulfureuses et riches en magnésium.

·        « Rien n'est jamais fini » (Maureen Martineau)

Des fêtes de la Mi-Carême à l’Isle-aux-Grues, un mari infidèle, des berges rongées par les marées d’automne et l’effondrement d’une route avec un décès suspect.

·        « Cette femme-là » (Michèle Pedinielli)

Une femme aux convictions religieuses profondes et à l’identité et au passé cachés révèle avoir pratiqué des euthanasies. Une narratrice qui s’oppose à cette pratique.

 

AUTOMNE

·        « Si la photo est bonne » (Corinne Jaquet)

Un orage se déchaîne sur le lac Léman, plusieurs bateaux font naufrage dans la rade de Genève et des sauveteurs découvrent un corps dans un canot : est-ce un accident ou un meurtre ? [ma préférée]

·        « Et rouillent les sentinelles » (Ariane Gélinas)

Des fouilles archéologiques dans la région de Schefferville, la pollution de l’environnement (qualité de l’eau, santé des poissons) par l’exploitation minière, une journaliste ensevelie sous un éboulement de terrain. 

·        « La Tunique de Nessus » (Maureen Martineau)

Dans la chaleur accablante de la Haute-Mauricie, une vétérinaire découvre une maladie contagieuse qui frappe divers animaux. Un photographe au processus créatif douteux et une employée de pourvoirie animée par ses rêves les plus fous. [j’ai bien aimé la finale imprévisible]

 

Chaque nouvelle est assez bien ficelée. Les styles distincts de chaque auteure se complètent harmonieusement. 

 

* * * * *

 

Ariane Gélinas est originaire de Grandes-Piles. Directrice littéraire de la revue Le Sabord, elle est aussi directrice artistique, coéditrice et codirectrice littéraire du magazine Brins d’éternité. Chargée de cours à l’UQTR, elle y détient également un doctorat portant sur « Les Mémoires du diable » de Frédéric Soulié. En plus d’avoir publié une soixante-dizaine de nouvelles dans plusieurs périodiques, elle est l’auteure de six ouvrages dont « L’Enfant sans visage » (XYZ), la trilogie « Les Villages assoupis » (prix Arts Excellence, Jacques-Brossard et Aurora/Boréal) publiée au Marchand de feuilles et le recueil « LeSabbat des éphémères (Les Six brumes) ». Ses romans « Les Cendres de Sedna » (prix Arts Excellence et Aurora/Boréal) et « Quelques battements d'ailes avant la nuit » sont parus respectivement en 2016 et en 2019 chez Alire. Elle demeure à Trois-Rivières depuis plusieurs années.


Maureen Martineau vit à Tingwick au Centre-du-Québec. Elle a été comédienne, metteure en scène et auteure dramatique au Théâtre Parminou durant une trentaine d’années. Son métier l’a menée en Amérique centrale, en Inde et en Afrique, où elle a collaboré avec l’ONG One Drop. En 2012, elle publiait un premier polar, « Le Jeu de l’ogre », qui remportait le prix d’excellence du CALQ. Son deuxième livre, « L’Enfant promis » (La courte échelle, 2013), a reçu le prix Arthur-Ellis du meilleur roman policier francophone au Canada. Après « L’Activiste » (VLB Éditeur, 2016), est paru « La Ville allumette » (2018). Ce quatrième volet des enquêtes de la sergente-détective Judith Allison se déroule en Outaouais. Privilégiant les fictions qui accordent une part au réel et s’ancrent dans la ruralité, l’auteure a publié chez Héliotrope le roman noir « Une église pour les oiseaux » (2015), « Zec La Croche » (2020) et, tout dernièrement, « Une nuit d’été à Littlebrook » (2025).

Corinne Jaquet écrit depuis plus de trente ans des ouvrages sur l'histoire criminelle de Genève, sa ville natale. Elle est aussi l'auteure d'une douzaine de romans policiers, de nouvelles policières et d'ouvrages pour la jeunesse, dont plusieurs sont issus d'ateliers d'écriture avec des classes de collégiens. Retrouvant la plume de chroniqueuse judiciaire qu'elle tenait pour le journal La Suisse dans les années 1980 et 1990, elle a créé en 2022 une collection consacrée aux faits divers suisses, dont deux volumes sont déjà parus aux éditions du Chien Jaune.

Née en avril 1968, Michèle Pedinielli fait sa première manifestation à un mois et termine son premier roman quarante-huit ans plus tard. Entre-temps, la routine: fuir Nice à dix-huit ans, devenir journaliste à Paris, revenir vingt-deux ans plus tard au bercail, choisir de ne plus avoir de patron, pointer au chômage, voir sa nouvelle récompensée au festival Toulouse Polars du Sud en 2015. Et décider d'écrire un roman pour ne pas mourir sans avoir essayé. « Boccanera » sort en février 2018 aux éditions de L'Aube, suivi d' « Après les chiens » (2019), « La Patience de l'immortelle » (2021) et « Sans collier » (2023). Quatre volets qui suivent la détective Ghjulia Boccanera, dite Diou, détective privée quinquagénaire enquêtant dans Nice et sa région ainsi qu'en Corse. 

 

Je tiens à remercier les éditions Alire pour l’envoi du service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire du livre via la plateforme leslibraires.ca et le récupérer dans une librairie indépendante.


Le pacte d’Hämmerli (Richard Ste-Marie)


Richard Ste-Marie. – Le pacte d’Hämmerli. – Lévis : Éditions Alire, 2025. – 285 pages.

 

 

Polar

 

 

 

Résumé :

 

Mon nom est Charles McNicoll ; mes clients m’appellent cependant Monsieur Hämmerli. Tueur à gages, je me suis recyclé dans le meurtre par compassion – l’euthanasie, quoi. Mais l’histoire que je veux vous raconter n’a qu’un lien indirect avec la mienne…

 

De fait, elle a commencé un soir de juillet quand, visiblement maussade, le sergent-détective Francis Pagliaro est entré au Bar de la faillite où le tenancier Roger, son comptable Gros Luce et moi prenions un verre. Comme d’habitude, direz-vous. Plus par politesse que réel intérêt, nous nous sommes enquis des raisons de sa mauvaise humeur. Quelques minutes plus tard, nous échangions des regards inquiets en apprenant que l’enquête sur la mort de l’ex-policier Maurice « Mo » Charbonneau, survenue dix-sept ans plus tôt, était rouverte, et que Pagliaro avait reçu le mandat de déterminer si Marcel Banville et Simon Lemoyne, les enquêteurs de l’époque, avaient bâclé leur travail et fait emprisonner un innocent.

 

Or, Roger, Gros Luce et moi connaissions bien les combines de ce trio de gredins – même qu’en décédant, Mo avait privé Roger d’une partie de son chiffre d’affaires ! Bref, comprenez notre inquiétude : comment diable allions-nous nous y prendre pour « orienter » Pagliaro dans la bonne direction tout en nous assurant qu’il ne fouine pas trop dans nos combines ?

 

 

Commentaires :

 

En 2022, j’ai écrit une critique assez sévère du roman précédent de Richard Ste-Marie, « Monsieur Hämmerli », en lui accordant seulement trois étoiles. À l’époque, je ne savais rien des origines du surnom de ce tueur à gages, Charles McNicoll, dont je croyais qu’il était un personnage inventé de toutes pièces par l’auteur de Québec. En préparant l’animation d’un entretien avec l’écrivain de polars pour la première rencontre mensuelle de « Quelques nuances d’auteurs de polars » à la librairie La Liberté de Québec le 7 février 2025, j’ai appris que ce personnage avait fait l’objet de trois nouvelles dans la revue Alibis :

 

2010 : « Monsieur Hämmerli », Alibis # 35

2012 : « Petite suite Hämmerli », Alibis #44

2014 : « Docteur Hämmerli », Alibis #50

 

De plus, j’avais terminé ma chronique en espérant « Vivement une prochaine enquête palpitante de Francis Pagliaro ! ».

 

Après la lecture du « pacte d’Hämmerli » – « On prononce Hemmerli, il y a un tréma sur le A », mes souhaits ont été exaucés. Richard Ste-Marie s’est encore inspiré d’un événement réel pour créer une histoire qui propose un pacte entre le lecteur, l’auteur et le narrateur (Hämmerli) d’une part, et entre ce dernier et l’enquêteur Francis Pagliaro, d’autre part. Ce personnage occupe une place centrale dans cette histoire, qui respecte le dicton selon lequel « Si l’imagination est la folle du logis, l’écriture est la canaille qui lui tient compagnie. »

 

J’ai beaucoup apprécié la forme narrative qui s’adresse régulièrement au lecteur tout au long du roman :

 

« Vous êtes dans la réalité, nous on est dans la fiction. L’un n’empêche pas l’autre, et nous ne réglerons pas la question de savoir laquelle dépasse l’autre... »

 

« Au prix où vous avez payé ce livre, vous avez droit à des explications... »

 

« ... j’aimerais [...] compter sur votre entière adhésion à mon récit... »

 

« Je compte sur vous pour ne pas ébruiter la chose. »

 

« ... c'est moi le narrateur, restez calmes! Oui, je devrais mieux contrôler la vitesse de croisière de mon récit. Un petit coup de barre s'impose, je suis d'accord avec vous. Un petit coup de pouce fera tout aussi bien l'affaire, c'est aussi efficace et moins douloureux. Croyez-moi. »

 

Les composantes de l’enquête sont mises en place progressivement dans les 21 premiers chapitres, le rythme s’accélérant jusqu’à une finale presque prévisible. Comme le livre qui coûte 29,35 $, soit « aussi peu que 0,00047077 $ du mot », l’auteur, en ayant compté 62 345, invite le lecteur qui pourrait être déçu à écrire lui-même « cette époustouflante finale et la soumettre à [son] éditeur, des fois où, assailli d’un repentir subit, cet acteur important du monde du livre [...] serait pris d’une urgente envie de réédition résipiscente ».

 

Ce qui nous donne une idée de l’humour « littéraire » du romancier, qui profite de cette occasion pour partager ses réflexions sur des sujets qui lui sont chers. Voici quelques exemples :

 

« ... la liberté, c’est de rester même quand on peut partir. »

 

 « L’éternité vaut pour les morts, passés ou à venir ! Les vivants sont condamnés à l'immédiateté, c’est là notre drame. »

 

Question de syntaxe :

 

« Pour embrasser Lisa, pas pour embrasser la porte, vous aurez compris. Remarquez, si j'avais écrit... et rejoint Lisa pour l'embrasser dans l'embrasure, vous m'auriez taxé de pornographie. »

 

À propos de l’expression Cold Case :

 

« Je me demande toujours pourquoi les auteurs et les journalistes persistent à employer l'expression cold case quand on peut avec élégance et respect de l'idiome de Roger utiliser ‘’ enquête dormante ‘’ ou ‘’ en dormance ‘’, ‘’ dossier figé ‘’, ‘’ dossier froid ‘’,  ‘’ dossier refroidi ‘’, ‘’ dossier sur la glace ‘’, ou encore, plus simplement, ‘’ affaire non élucidée ‘’. Qu'en dites-vous? »

 

Sur le nom attribué à l’autoroute 40 :

 

« Vingt-six municipalités au Québec ont donné le nom de Félix Leclerc à autant de rues. Un chemin, une montée, une place, un boisé, six parcs, un site patrimonial, une maison, une bibliothèque, trois écoles primaires, trois écoles secondaires, un cégep, un centre d'interprétation (de Félix!), un prix prestigieux portent son nom.

Mais ! Une autoroute ?  [...] De grâce, ne roulez pas sur Félix ! »

 

Sans oublier la référence à « l’accent de Val-Bélair » !

 

Au passage, Richard Ste-Marie glisse dans les dialogues entre Hämmerli et Pagliaro des constats sur notre système de justice et sur l’environnement de travail des policiers :

 

« Je suis policier, je doute de tout. »

 

« —  ... les gens sont convaincus qu'il faut ab-so-lu-ment qu'on trouve un coupable. Si c'est pas la police qui le fait, ce sera quelqu'un d'autre.

[...]

Quand les flics croient avoir identifié un coupable, selon le vieux principe du : ne-cherchons-plus-ca-ne-peut-pas-être-un-autre-que-lui, ils le mettent en état d'arrestation. La Couronne prend la relève. Sa Majesté porte des accusations: "Vous voyez bien, mesdames et messieurs les jurés, qu'avec les preuves que vous avez devant vous, bla bla bla..."

— Le jury a quand même son mot à dire, non? C'est lui qui décide.

— Le jury ? Il est trop content d'acquiescer, genre : c'est bien ce qu'on pensait !

— Et la victime dans tout ça ?

— Au Canada, la victime n'est qu'un témoin comme les autres.

— Je vois. Et le juge?

— Le juge? Il endosse le verdict, le juge ! Que veux-tu qu'il fasse d'autre, le juge ? Il condamne l'accusé et rentre à la maison à temps pour souper.

Tout ce théâtre pour en arriver à ce que la victime soit vengée, que ses proches soient consolés, qu'un coupable soit enfin puni et que la population soit rassurée: on s'est débarrassé d'un méchant. Bref, tout ça pour te dire qu'à la fin, pour satisfaire la populace, quelqu'un sera offert en sacrifice : la messe aura été dite. »

 

« y a beaucoup de choses qui se savent dans les corps de police. Des choses qu'on passe sous silence. Des peccadilles, parfois. Des manquements au code d'éthique, genre: des propos inopportuns en public, boire de l'alcool pendant les heures de travail, des choses comme ça.

Puis, des comportements délinquants avec des prévenus. Des prévenues avec un " e ", surtout. Des patrouilleurs qui ferment les yeux sur certains actes en échange de faveurs sexuelles, vous savez de quoi je parle, non ? »

 

« Le pacte d’Hämmerli » nous révèle un peu plus sur le passé de Charles McNicoll. Devenu fondateur de la Fondation Donatella-Bartolini, il a pour but de soutenir des jeunes artistes d’opéra. Lui qui ne peut plus chanter à cause d’un accident de voiture :

 

« En plus d'une commotion cérébrale, j'ai avalé des flocons de pare-brise quand l'accident est arrivé. Trois semaines sans aller à l'école, ce qui n'est pas si mal à douze ans quand on n'aime pas l'école. Quand j'y suis retourné, j'ai subi les railleries de mes petits camarades. Pendant des années. J'avais mué avant eux. Sauf que ma voix n'avait pas vraiment mué, pour dire. Elle a été égratignée à vie, moi qui voulais être chanteur. Le vrai chant. L'opéra. »

 

McNicol et Pagliaro – et Richard Ste-Marie – sont amateurs de musique classique, le premier et le troisième ont même travaillé dans leur jeunesse  « comme placier au Grand Théâtre de Québec afin de pouvoir écouter des concerts gratuitement. »

 

Il n'est pas étonnant que dans une réplique avec un suspect, Pagliaro déclare : « Vos passés et le mien s’accordent comme les instruments d’un même orchestre. On pourrait essayer de jouer la même partition, vous ne pensez pas ? »

 

Il est également intéressant de voir l’échange entre les deux protagonistes au sujet de leur goût musical.

 

« — ... tu trouves pas que des notions de classique, de baroque ou de musique ancienne, ça doit influencer nos choix d'écoute d'autres genres musicaux plus actuels ?

— J'en ai aucune idée pour les auditeurs de la radio. Mais j'ai appris que Dave Brubeck a étudié avec Darius Milhaud et Arnold Schönberg, ça a dû inspirer ses compositions. Tu crois pas?

— C'est indéniable. Pense aussi à Frank Zappa qui était autodidacte, mais qui écoutait du Varèse et du Stravinsky.

— Keith Jarrett et Chick Corea ont joué un concerto pour deux pianos de Mozart. »

 

Et ce passage sur une station de radio indépendante de Québec avec laquelle Richard Ste-Marie collabore depuis plusieurs années :

 

« Je syntonise CKRL à la radio de ma Mustang.

Gilles Chaumel est en ondes à son émission Midi Jazz.

Il parle de Ben Webster et enchaîne avec Tenderly, joué par le saxophoniste. Sublime avec son vibrato à l'ancienne accompagné par Oscar Peterson au piano.

J'aime cet animateur, qui a aussi une très grande culture musicale classique. »

 

Sans oublier des références à la musique classique diffusée sur les ondes de Radio Classique et de CBC Radio Two et à deux œuvres musicales de Schubert : « La jeune fille et la mort » et « Le Pâtre sur le rocher » cher à monsieur Hämmerli.

 

Francis Pagliaro, dont les parents sont originaires du village italien de Mondragone, dans la province de Caserte, en Campanie, est présenté de manière très originale. Ses « principales qualités sont l’intelligence et la sensibilité, ce qui amène les criminels à lui faire des aveux, voire des confidences », une citation du «  Détectionnaire » de Norbert Spehner.

 

« C'est après avoir soupesé tous les éléments factuels en présence et la valeur de chaque témoignage entendu qu'il est en mesure d'établir sa stratégie. Pour ce faire, il doit se réserver des moments de tranquillité, sans aucune conversation. Et sans musique. La musique a le dangereux pouvoir de le transporter ailleurs, ce qui n'est pas le but de l'opération. »

 

Évidemment, l’action se déroule en partie dans l’arrière-boutique du Bar de la Faillite, rue Saint-Paul, avec ses fauteuils en cuir, « propice aux confidences » où tout « ce qui se dit [...] dans le ... ‘’ back-store ‘’... reste dans le ‘’ back-store ‘’ ». Le récit met en scène le personnage de Lucien Jolicœur, alias Gros Luce, qui est comptable, ainsi que celui de Roger, tenancier du bar, dont le patronyme, Fruchier, évoque un certain Français, rencontré par Richard Ste-Marie. Ce dernier avait fait une apparition remarquée 23 fois dans le roman policier intitulé « De ton fils, charmant et clarinettiste » selon les propres termes de l’auteur.

 

Une douzaine de personnages secondaires viennent s’ajouter à la distribution principale : Maurice Mo Charbonneau, Simon Lemoyne, Marcel Banville, Raymond Lachance, Ghislain Demers, Huguette Poitras, Lucy Vermette, Stéphanie Savard, Dorothée Rondeau, Yvon « Big » Morasse, Marc Ferland, Gilbert Drolet, Lisa, elle aussi sans nom de famille (redixit RSM).

 

L’action est ancrée dans la géographie de la capitale nationale :


·        Limoilou : rue Jacques-Cartier, en face du parc Cartier-Brébeuf ; avenue d’Assise ; résidence de Hämmerli sur la 18e rue ; avenue Maufils ; Café resto Les Colocs sur la 3e avenue.

·        Centre ville : ancienne Centrale de police du parc Victoria ; rue Saint-Vallier ; paroisse Saint-Malo ; les chaises-poèmes de Michel Goulet devant la gare du Palais ; Caisse populaire de Notre-Dame-du-Chemin « qui évoque par son architecture maladroite le musée Guggenheim de New York, du réputé Franck Lloyd Wright ».


·        Banlieue : Sainte-Foy : rue de la promenade ; Salon de coiffure Darbourg, place de la Cité ; Cap-Rouge : rue Louise-Fiset ; Beauport : rue seigneuriale ; restaurant Le Cochon Dingue, boulevard Lebourgneuf ; hôtel le long de l’autoroute de la Capitale.

 

Une vingtaine de notes en bas de page permettent à l’auteur de renvoyer le lecteur à des œuvres antérieures ou d’apporter une perspective supplémentaire sur certains passages. Parmi celles-ci, la 16e note, qui s’étend sur deux pages, est consacrée aux « romans policiers procéduraux » et à leur raison d'être.

 

Pour terminer, je souhaite partager une description imagée du visage d’un des personnages du roman, qui met en évidence la qualité du style littéraire de son auteur.

 

« Le visage de Stéphanie Savard affiche une succession d'états d'âme qui ferait sourire l'enquêteur dans d'autres circonstances. On dirait un mime amateur explorant toute une gamme d'émotions contradictoires, passant de la surprise à la colère, de la curiosité à l'ennui, de la haine à la grande déprime, le tout ponctué de mouvements brusques des bras, comme des éventails, et des mains qu'elle appuie de chaque côté de son visage, bouche ouverte, yeux grand ouverts, à la fin de chaque question ou de chaque phrase du policier, comprimant ses joues pour exprimer son étonnement. »

 

Cette allusion à la présence de vigiles à une certaine époque dans des caisses populaires m’a amusé :

 

«C'était au temps où Desjardins engageait de tels redoutables cerbères aux cheveux gris dans certaines succursales, équipés de revolvers italiens de marque Rossi, le plus bas de gamme qu'on pouvait espérer trouver sur le marché des armes usagées... »  


En épilogue, Charles, Francis, Lucien et Roger célèbrent la résolution de l’affaire en dégustant un Scotch Laphroaig 34 Year Old Ian Hunter. Ce whisky préféré d’Ives d’Arch dans mon roman « Zébrures écarlates », un nectar qui évoque « les douces collines d'Écosse et ses ruisseaux limpides, la lumière mélancolique des Highlands [...], l'air salin de l'île d'Islay mêlé aux effluves de sa tourbe brûlée, le grondement des tonneaux de chêne roulant sur la pierre des dalles de la distillerie. » Une bouteille qui coûte au bas mot 2100 $, mais dont on aurait le goût de partager un verre avec eux et leur auteur en l’honneur de ce polar à la fois rafraîchissant et original que j’ai beaucoup aimé.

 

Bien sûr, « Le Pacte d’Hämmerli » est un polar avec une victime, une enquête, des témoins, des suspects, un mobile, une personne coupable, le tout bonifié de certaines fantaisies que se permet Richard Ste-Marie. Il en résulte un roman dans lequel l’auteur peut aussi parler d’écriture et dont la lecture captivante se déguste avec plaisir, plaisir partagé avec son créateur.

 

* * * * *


Richard Ste-Marie, dont le site web illustre bien la virtuosité de cet homme-orchestre, est originaire de Québec. Après une carrière de trente ans à l'École des arts visuels de l'Université Laval, il a pris sa retraite de l'enseignement en 2000. Ses œuvres ont été exposées dans plus de soixante-dix expositions personnelles et collectives au Canada et à l'étranger. De 2002 à 2010, il a été animateur à CKRL où il a interviewé plus de huit cents créateurs. Musicien, il a été membre de la Fanfafonie, une des troupes fondatrices du Cirque du Soleil en 1984.

 

Sept de ses huit romans ont été mis en nomination pour des prix. Son roman « L'Inaveu », finaliste 2012 du prix Saint-Pacôme du roman policier, a remporté le prix Coup de cœur, décerné par le club de lecture de la bibliothèque Mathilde-Massé de Saint-Pacôme, honneur que l'auteur a de nouveau remporté en 2016 pour « Le Blues des sacrifiés ». En 2023, son roman « Monsieur Hämmerli » remportait le Canada Crime Writers Award of Excellence du meilleur livre en français.

 

 

Je tiens à remercier les éditions Alire pour l’envoi du service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire du livre via la plateforme leslibraires.ca et le récupérer dans une librairie indépendante.

 

 

Évaluation :

Pour comprendre les critères pris en compte, il est possible de se référer au menu du site [https://bit.ly/4gFMJHV], qui met l’accent sur les aspects clés du genre littéraire.

 

Intrigue et suspense :

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Originalité :

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Personnages :

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Ambiance et contexte :

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Rythme narratif :

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Cohérence de l'intrigue :

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Style d’écriture :

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Impact émotionnel :

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Développement de la thématique :

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Finale :

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Évaluation globale :

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