Cochons rôtis (Vic Verdier)


Vic Verdier. – Cochons rôtis. – Lévis : Alire, 2024. – 297 pages.

 

 

Polar

 

 


Résumé :

 

Vic Verdier et Mélanie Miron, amoureux depuis peu, sont policiers au SPVM. Ils viennent de passer tous deux l'examen écrit du concours de sergent-détective, avec des résultats mitigés. Mais tout n'est pas perdu puisque l'entrevue, étape cruciale, reste à venir, et c'est là que tout va se jouer !

 

Lors d'une fin de semaine de camping entre collègues, Vic et Mélanie sont candidement approchés par Guy Patenaude, un enquêteur des homicides. Ce dernier se dit impressionné par leurs résultats préliminaires au concours et leur offre son aide pour préparer l'entrevue finale. Mais Vic, qui a toujours préféré faire les choses à sa manière, décline poliment l'invitation.

 

Quelque temps plus tard, Vic rumine son échec en attendant Mélanie - fraîchement promue, elle ! -, quand une terrible nouvelle s'abat sur lui: Mélanie est morte, brûlée vive dans sa voiture de patrouille. Des images du brasier hantent déjà les réseaux sociaux... puis l'esprit de Vic, qui devra consulter un psychologue.

 

Or quand Franc Langlais, l’ancien copain de Mélanie, lui apprend qu’elle avait accepté « l'aide » de Patenaude, les pensées de Vic prennent une étrange tournure : se peut-il qu'en acceptant cette offre, Mélanie ait imprudemment joué avec le feu ?

 

Commentaires :

 

Il se dégage une odeur de roussi dans ce tourne-page qu’est la nouvelle version remaniée de ce roman paru en 2015 chez XYZ Éditeur. Un roman « incisif, direct, parfois comique, mais surtout très efficace » comme le qualifie un des personnages de « Cochons rôtis ».

 

Avec son intrigue solide, tissée serrée, cette histoire de vengeance à plusieurs niveaux s’appuie sur une description des plus réaliste du travail quotidien des équipes de patrouilleurs en binôme associées aux postes de quartier du Service de police de la ville de Montréal (SPVM). Au point de se demander si le récit est fictionnel.

 

L’auteur met en scène une galerie de personnages principaux et secondaires tous crédibles et les fait évoluer dans des lieux bien connus de la métropole québécoise. De brefs détails biographiques sur les membres du « Groupe 2 du poste de quartier 16 » du SPVM sont livrés au lecteur en pages liminaires.

 

J’ai été accroché à cette histoire « porcine » dès les premières pages, intrigué par ce narrateur psychologue qui « passe le plus clair de [ses] journées à écouter les problèmes des autres » qu’il considère « même parfois jouissif, un plaisir coupable ». En refermant le livre, force est de constater qu’il n’avait pas tort. Et, en passant, impossible de deviner la conclusion de cette enquête. Je me retiens de vous la dévoiler même si cela me brûle les lèvres J.

 

J’ai grandement apprécié les quelques notes en bas de page qu’a insérées le romancier pour nous faire découvrir des expressions consacrées du travail policier :

 

·        la désignation des voitures de police en patrouille ;

·        l’organisation du travail sur un cycle de 35 jours ;

·        l’abréviation SD, sergent détective ;

·        les quatre centres opérationnels (C.O.) sur l’île de Montréal ;

·        les « fall in », les réunions de toute l’équipe de policiers avant le début du quart de travail ;

·        l’abréviation R-D-P qui fait référence au Centre de détention Rivière-des-Prairies;

·        l’abréviation D.H., la « dernière heure, c’est-à-dire que le policier est libéré plus tôt, sans avoir mangé » ;

·        « Un gars de date : un gars qui a beaucoup d’ancienneté » ;

·        « Faire la roulette : changer de partenaire de patrouille à chaque quart de travail » ;

·        les abréviations « M » et « A » : congé pour maladie ou annuel ;

·        « Être dans le ‘’ blanc ‘’, par opposition à être dans le ‘’ rouge ‘’ qui fait référence aux policiers qui ne sont pas conscients des dangers de leur environnement » ;

·        « Pointer le péteux : sortir son arme de service » ;

·        « Copycat : tueur en série qui imite le modus operandi d’un autre » ;

·        l’abréviation MAS : moralité, alcool et stupéfiant ;

·        10-10 : « code utilisé sur les ondes radio pour indiquer ‘’ annulé ‘’ » ;

·        02 : « code pour indiquer une période de repas » ;

·        « Sam Brown : nom de la ceinture de travail sur laquelle les policiers accrochent leur équipement » ;

·        « Chemise bleue : en référence à l’uniforme porté par la police municipale, par opposition à la chemise verte de la Sûreté du Québec » ;

·        « MAPP : Module d’action par projet – un groupe de policiers dégagés de la patrouille pour se concentrer sur le renseignement criminel dans leur secteur » ;

·        « Être en coop : porter main-forte à un collègue sur un appel ».

 

De l’aveu même de Vic Verdier, ce dernier a appris toutes ces informations et bien d’autres sur le milieu policier, les procédures et le fonctionnement du SPVM ayant été longtemps marié à une policière :

 

« On en discutait souvent à la maison. J'ai appris les codes et pris conscience des défis que pose la profession. C’est un peu un passage obligé si on s'intéresse à ce que l'autre fait au travail. Les histoires, les attitudes, les anecdotes des groupes de travail de mon ex-femme ont donc naturellement trouvé leur place dans le roman. »

 

De plus, l’auteur remercie les policiers de Montréal qu’il a eu le plaisir de côtoyer « et qui ont agi comme autant de sources et de conseillers lors de l’écriture », content de les « avoir eus en coop sur cet appel ».

 

Par contre, j’ai été irrité en cours de lecture, par l’abus de mots, d’expressions, de portions de dialogues… empruntés à la langue anglaise dans un roman francophone écrit par un francophone : 


« Mon objectif était de rendre les situations crédibles. Comme les groupes de policiers sont d'origines diverses, l'anglais fait partie des échanges courants. J'en ai été témoin et Cochons s'en trouve le reflet ! »


On a alors une belle illustration que le français est en danger dans les forces de l’ordre. Il faudra m’expliquer pourquoi il n’en est pas ainsi dans la très grande majorité des polars dont les récits se déroulent dans la même ville, à la même période !

 

Malgré cette remarque de forme, « Cochon rôtis » est un excellent roman qui se lit d’une traite. Le lecteur est rapidement happé par le rythme de l’écriture. Les chutes de fins de chapitres et l’accumulation progressive des indices et des hypothèses rendent l’expérience addictive.

 

L’éditeur annonce la parution d’un deuxième tome des enquêtes de Vic Verdier récemment promu sergent-détective, trois ans après les événements racontés dans « Cochons rôtis ». Je brûle de me plonger à nouveau dans l’imaginaire d’un auteur que je viens de découvrir sur le tard.  


Vic Verdier… est le pseudonyme de Simon-Pierre Pouliot, même patronyme qu’un des personnages flamboyants du roman. Diplômé en histoire de l'Université Laval et en communications de l'Université McGill, il a travaillé « à écrire plein de choses pour plein de monde, aussi bien au Cirque du Soleil qu'à la Commission de la construction du Québec ». Vic Verdier – un nom emprunté à son grand-père qui a lui-même publié des œuvres musicales dans les années 1960 – est un projet d'écriture qui s’inscrit dans difféents genres tout en se moquant des étiquettes : le thriller, la science-fiction, l'horreur et le polar.

 

Merci aux éditions Alire pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : ****

Intrigue : *****

Psychologie des personnages : *****

Intérêt/Émotion ressentie : *****

Appréciation générale : *****


Le dernier rayon sur la gauche (Pierre Roberge)


Pierre Roberge. – Le dernier rayon sur la gauche. – Lanoraie : Éditions de l’Apothéose, 2024. – 195 pages.

 


Polar


 

 

Résumé :

 

Grotesque, loufoque, absurde, tel est l'univers dans lequel évolue le héros de cette histoire. Ayant récemment obtenu un poste au sein d'une bibliothèque publique montréalaise, Freddy est déterminé à mettre en place des services qui correspondent aux besoins de ses usagers tout en faisant obstacle aux projets délirants que souhaite y mener son directeur, Olivier-Sébastien Beaugrand-Lavigne (OSBL pour les intimes).

 

Bien que très satisfait de son emploi de jour, le soir venu, le bibliothécaire endosse un tout autre rôle, celui de détective privé. D'abord relégué aux dossiers de peu d'intérêt (causes d'infidélité, animaux perdus ou volés), Freddy croit voir une chance unique de jouer dans la cour des grands lorsqu'il découvre, un matin, le cadavre du concierge de la bibliothèque, une corde nouée autour du cou. Ce sera l'occasion pour lui de mettre à l'épreuve ses talents (limités) de détective et pour nous, d'assister à des scènes qui, sous le couvert du rire et du burlesque, critiquent tout de même certains travers de notre société.

 

 

Commentaires :

 

Le dernier rayon sur la gauche est un roman de lecture agréable. Vingt-sept courts chapitres dont certains permettent d’introduire un à un les différents personnages et événements qui nous plongent dans le quotidien du personnel d’une bibliothèque municipale. Une histoire rocambolesque qui met en vedette un bibliothécaire philosophe s’improvisant « détective amateur » aux méthodes et aux déguisements plutôt cocasses. Son poste principal [le jour] lui semblant « beaucoup  plus sûr pour le bien de son intégrité physique que celui d’enquêteur [le soir ou les fins de semaine]. »

 

Il faut dire que l’enquête sur la mort du concierge occupe somme toute une place secondaire dans le récit. La vérité éclate en toute fin, l’auteur ayant semé dans au moins deux chapitres des indices qui se confirment avec l’aveu de la personne coupable.

 

Certaines mises en situation sont rigolotes.

 

D’abord les prouesses imaginatives du directeur Beaugrand-Lavigne pour se démarquer des autres bibliothèques en offrant de nouveaux services de prêts : instruments de jardinage, outils de menuiserie, moules à gâteaux, mélangeurs à pâte, spatules, souliers de bowling, aspirateurs :

 

« Parce que personne n’a jamais pensé que nous pourrions avoir l’audace d’offrir un tel service. »

 

Sans oublier l’instauration d’un « système semi-automatisé qui permettrait d’assurer la livraison des documents directement [aux] usagers par la voie des airs à l’aide de drones » après avoir « aménagé un petit héliport sur le toit de l’édifice ».  Un passage marrant nous renseigne sur le fonctionnement de ce système de livraison à domicile des livres empruntés.

 

Freddy Washington se voit également confier le mandat de « … retirer des collections tout document pouvant avoir un caractère offensant, de façon à ce que la bibliothèque devienne, de facto, une sorte de ‘’ bulle de bienveillance ‘’… » Le système de pointage qu’il met au point pour identifier les ouvrages à ranger dans un lieu clos est inspiré de l’émission culte des années 60, Les arpents verts. Dans un épisode, le « gentleman farmer » met au point une formule mathématique correspondant à l’importance de la consommation électrique de différents appareils afin d’éviter de faire sauter les fusibles lors de leur utilisation simultanée.

 

Le modus operandi imaginé pour l’identification des livres censurés repose sur quatre filtres : l’appropriation de genre (G), l’appropriation culturelle (C), l’appropriation spéciste (S) « livres sur des animaux écrits par des humains » et l’importance accordée à tout contenu clivant ou polémique (P). Chacun d’entre eux est évalué « avec une cote de 0 à 9 […], zéro signifiant un impact nul et 9, un impact extrême. En additionnant les notes obtenues par un ouvrage dans chaque volet, le total ne peut excéder 7, faute de quoi, le document est déplacé dans la section sous contrôle strict, au sous-sol. »

 

Quelques scènes sont plutôt désopilantes :

 

·        Le spectacle de « l’artiste conceptuelle moldave d’expression gagaouze » et « sa performance mêlant théâtre, danse, chants de gorge, contes traditionnels et autres expressions visant à illustrer les principales thématiques chères à l’artiste : la solitude, la mort, la tragédie de l’existence et l’incommunicabilité fondamentale définissant les rapports entre les êtres humains. » Et qui « utilise la pomme de terre pour créer des installations éphémères questionnant le rapport de domination que l’humain entretient envers les tubercules sans défense. »

·        La séance de consultation du psychologue Horowitz qui dort les yeux ouverts et qui est sourd comme un pot.

·        L’accueil réservé au conseiller municipal, la bête noire du directeur de la bibliothèque, alors qu’un petit groupe de citoyens munis de pancartes sont « venus prendre place devant la bibliothèque pour manifester leur opposition aux nouvelles politiques d’accès à la documentation » instaurées par le directeur.

 

À quelques reprises l’auteur se met dans la peau du narrateur pour nous recommander la lecture de quelques ouvrages choisis. Il glisse au passage quelques réflexions « philosophiques », comme dans cet exemple :

 

« J’ai toujours considéré que l’excès de rangement et de propreté est un indice plus inquiétant de santé mentale qu’un désordre relatif résultant de l’action. »

 

Il nous fait découvrir un principe dont j’ignorais l’existence, celui des Navajos « qui veut que lorsque l’interlocuteur a fini de parler, il faille attendre un long moment afin de s’assurer qu’il n’ait pas autre chose à ajouter. Et lorsqu’on est convaincu que tout est dit, il faut attendre encore. »

 

Le style est fluide et l’écriture est de qualité grâce à l’œil de lynx de la fille de l’auteur qui a « débusqué les moindres coquilles, erreurs orthographiques et grammaticales ». Un bon moment de lecture avant d’aborder des thématiques plus noires.

 


Pierre Roberge [aucun lien familial sinon un des ancêtres Roberge arrivés en Amérique au milieu du XVIIIe siècle] a consacré l'ensemble de sa carrière aux bibliothèques, tant publiques (ville de Montréal) qu'universitaires (Université du Québec à Montréal). Il a publié en 2021 À la fin tu es lasse de ce monde ancien - Le roman d'Éva Circé-Côté, un roman historique dédié à la première bibliothécaire de Montréal.

 

 

Merci aux Éditions de l’Apothéose pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : ****

Qualité littéraire : ****

Intrigue : ****

Psychologie des personnages : ****

Intérêt/Émotion ressentie : ****

Appréciation générale : ****

Ma vie en T-shirts (Haruki Murakami)


Haruki Murakami. – Ma vie en T-shirts. – Paris : Belfont, 2023. – 190 pages.

 


Curiosité

 


 

Résumé :

 

Seul le maître Haruki Murakami pouvait choisir de raconter sa vie à travers sa collection de T-shirts. Joliment illustrée de photos surprenantes, une autobiographie unique, à la fois nostalgique, piquante et cocasse, qui ouvre une brèche sur la personnalité un brin excentrique d'un auteur notoirement secret.

 

 

Commentaires :

 

On m’a fait découvrir par hasard ce petit livre dans lequel Murakami a sélectionné 108 T-shirts parmi sa collection pour livrer à ses admirateurs un certain nombre de confidences. Il s’agit d’une compilation de textes parus entre août 2018 et janvier 2020 dans le magazine japonais Popeye qui se consacre à la mode masculine. Ce dernier était lui-même un lecteur de ce magazine créé dans les années 1970. Il en achetait régulièrement des exemplaires qu’il mettait à la disposition des clients du club de jazz qu’il dirigeait à l’époque. Dans cet ouvrage, le prolifique auteur nippon associe un certain nombre d’anecdotes à l’acquisition de chacun des 108 T-shirts qu’il a sélectionnés dans son imposante collection :

 

« Je ne possède pas de T-shirts particulièrement rares, ni précieux d'un point de vue artistique. Je me suis donc contenté d'en choisir un certain nombre, ceux auxquels je tenais le plus. Je les ai photographiés et j'ai rédigé sur chacun d'eux un court article. Je ne suis pas sûr que ce livre sera d'une quelconque utilité à qui que ce soit (et encore moins qu'il contribuera à résoudre les innombrables problèmes du monde actuel). Peut-être aura-t-il le mérite de faire savoir aux générations futures qu'un écrivain de la fin du XXe siècle et du début du XXIe portait ce modeste vêtement dans sa vie quotidienne et qu'il s'y sentait à l'aise. Mais on peut aussi supposer que cet ouvrage ne servira à rien du tout. De toute façon, peu importe. Je conserve toutefois l'espoir que ma petite collection, à sa manière, saura divertir les lecteurs. »

 

Les éditions Belfond ont produit un ouvrage sur papier glacé dans lequel sont réparties sous une vingtaine de thèmes les illustrations couleurs de sa garde-robe de vêtements américains emblématiques.

 


 

L’exercice nous apprend entre autres que Murakami aime les hamburgers, la Guinness, le whisky, qu’il est amateur de jazz et de baseball et qu’il adore fréquenter les magasins de 33 tours, de livres… et de T-shirts.

 

En annexe, une entrevue avec le journaliste Kunichi Nomura complète cet exercice « autobiographique » original avec des incursions sur les goûts musicaux de l’auteur.

 

Né à Kyoto en 1949 et élevé à Köbe, Haruki Murakami a étudié le théâtre et le cinéma avant d'enseigner dans diverses universités aux États-Unis. En 1995, à la suite du tremblement de terre de Köbe et de l'attentat du métro de Tokyo, il décide de rentrer au Japon. Plusieurs fois pressenti pour le prix Nobel de littérature, Haruki Murakami a reçu le Yomiuri Literary Prize, le prix Kafka, le prix de Jérusalem pour la liberté de l'individu dans la société en 2009, le prix Hans-Christian-Andersen en 2016 et le prix Cino-Del-Duca en 2022.

 

Traduit en France, Ma vie en T-shirts comporte un certain nombre d’expressions anglaises.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.

 

Appréciation générale : ***


La Cage – T.2 : L’empoisonneuse (Hervé Gagnon)


Hervé Gagnon. – La Cage – T.2 : L’empoisonneuse. – Paris : Hugo Jeunesse, 2024. – 300 pages.

 

Polar jeunesse

 

  

 

 

Résumé :

 

Montréal, 1852

Le constable Seamus O'Finnigan ressort diminué physiquement de la tentative d'empoisonnement par Eugénie Lachance. Malgré cela, il se lance sur la piste de l'empoisonneuse tout en essayant de protéger un petit garçon de sa propre mère. S'ensuivra un chassé-croisé dans les rues de Montréal qui culminera lors du grand incendie de la ville. Au milieu des flammes, O'Finnigan devra affronter le Mal en personne.

 

 

Commentaires :

 

Au XIXe siècle, bon nombre de meurtres en séries sont caractérisés par l’utilisation de différents poisons tels que l’arsenic, le chloroforme, la morphine, l’aconitine, la strychnine et la mort aux rats, celui utilisé par l’empoisonneuse imaginée par Hervé Gagnon. Dans ce deuxième et dernier tome ayant pour thème le Mal qui semblait émaner de la cage de la Corriveau, ce dernier met en scène comme personnage principal le constable Seamus O'Finnigan qu’on croyait mort à la fin du premier opus. En intégrant dans la trame dramatique les deux incendies qui ont ravagé le cœur de Montréal en juin et en juillet 1852.

 

Et ce de façon tout à fait crédible avec des descriptions qui nous font ressentir l’ampleur du brasier…

 

... de l’incendie de juin 1852 …

 

« Avec toutes ces maisons en bois, le feu se propageait vite à Montréal. »

 

« Arrivé à la rue Saint-Joseph, il trouva des pompiers affairés à protéger le toit de l’Hôtel-Dieu avec deux pompes. Ils étaient assistés des élèves du Collège de Saint-Sulpice qui faisaient la chaîne avec des chaudières d’eau. »

 

Les bâtisses en feu ou réduites en piles de bois fumantes sur la rue Saint-Paul : « la place de la Douane, l'église de la paroisse, la bâtisse du Commercial Hotel, le magasin de fer de Wilson & Couillard, la boutique de marchandises sèches de Comming & Galbraith, les commerces d'Ogilvy, de Wood & Co., de Tyre, Colgohoun & Co., de Smith & Co., de Frottingham & Workman, de Seymour & Whitney, la boutique de cuir de Busseau... Tout était en ruine. C'était l'Apocalypse. »

 


« Toutes les maisons situées dans le quadrilatère formé par les rues Saint-Paul [sic : plutôt Saint-Pierre ?], Saint-François, Saint-Sacrement et Saint-Paul sont détruites […]. La Minerve parle de 200 000 dollars de dommages. »


… et du grand incendie de juillet de la même année qui détruisit 1200 maisons dans les faubourgs Québec et Saint-Laurent, soit 20% de la ville ! Cette catastrophe est au cœur d’une finale spectaculaire qui nous tient en haleine jusqu’à la dernière phrase du dernier chapitre.

 

Comme dans le premier tome, Hervé Gagnon introduit plusieurs détails qui nous renseignent, entre autres, sur la vie dans les faubourgs et les quartiers Saint-Louis, Saint-Jacques et Sainte-Marie de la métropole…  

 

Le marché Bonsecours « qui servait à la fois de marché public et d’hôtel de ville… »

 

« Il repéra monsieur Boutin, le propriétaire, juché au sommet d’une échelle, en train de retirer d’une fenêtre l’étoupe qui avait coupé l’air glacial de l’hiver. »

 

« Un fiacre attendait dans la nuit, éclairé par une lampe à l’huile suspendue à l’avant. »

 

« Seamus s’empressa de sortir le bidon [de lait] de fer-blanc et le bloc de glace fondante, et de déposer le tout dans une chaudière. Puis il les couvrit d’un peu de paille. »

 

« Il longea les murs en rageant contre les lampadaires à gaz installés quelques années plus tôt pour rendre les artères plus sécuritaires… »

 



… et sur le type d’armes utilisées au Département de police de la ville :

 


« Colt Navy 1851, calibre 36, six coups, chargement par l'avant du barillet, canon rayé pour plus de précision, précisa-t-il avec fierté. Un petit bijou d'armurerie moderne conçu par monsieur Samuel Colt, fabriqué dans son usine de Hartford, Connecticut, et préféré par tous les connaisseurs. »

 

Comme le roman s’adresse surtout à des jeunes, l’auteur a certainement pensé à sa clientèle cible en imaginant un code secret permettant à O’Finnigan, hanté par des cauchemars récurrents, de s’assurer que la personne qui frappe à la porte ne le met pas en danger :

 

Première partie du code par le visiteur : Toc-toc, toc, toc-toc

Réponse convenue par O’Finnigan :  Toc, toc, toc-toc

Troisième partie du code par le visiteur : Toc-toc, toc

 

J’ai noté un autre exemple qui illustre à quel point un roman historique de qualité repose sur des recherches pour mettre en évidence un détail ajoutant de la crédibilité à un récit fictif. Hervé Gagnon mentionne au passage que le docteur Zotique Marchand qui confirme l’empoisonnement d’un des personnages est prêt à parier son « diplôme de la faculté de médecine d’Édimbourg ». L’école de médecine la plus importante de Grande-Bretagne comme le mentionne Dean Jobb dans son essai sur un célèbre médecin empoisonneur en série : Thomas Neill Cream.

 

La Cage – T.2 : L’empoisonneuse est un tourne page qui possède les mêmes caractéristiques que le premier tome. On y retrouve quelques invraisemblances, mais bon, il s’agit avant tout d’une œuvre de fiction à la fois divertissante et pédagogique.

 

L’intrigue qui tourne autour d’un nombre restreint de personnages est tissée serrée. L’auteur, par son choix d’une écriture adulte, a décidé de ne pas niveler par le bas, de respecter l’intelligence des jeunes et de leur permettre d’approfondir leur connaissance de la langue. Celui-ci s’est même permis une scène plutôt violente aux pages 228-229 lorsque O’Finnigan imagine comment il souhaiterait assassiner Eugénie Lachance. Quant à l’épilogue, il contribue à entretenir le mystère entourant la célèbre cage de la Corriveau.

 

 

Merci aux éditions Hugo Jeunesse pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue : *****

Psychologie des personnages : *****

Intérêt/Émotion ressentie : *****

Appréciation générale : *****





Jack (Hervé Gagnon)


Hervé Gagnon. – Jack. Les enquêtes de Joseph Laflamme. – Montréal : Hugo, 2024. – 507 pages.

 


Thriller

 

 


Résumé :

 

Montréal, août 1891.

 

Par un matin de canicule, on découvre le corps horriblement mutilé d'une prostituée dans une rue du Red Light. Ce meurtre est le premier d'une série comme jamais Montréal n'en a connu et qui ressemble à s'y méprendre aux assassinats commis par Jack l'Éventreur à Londres en 1888. Joseph Laflamme, journaliste du quotidien Le Canadien en mal de travail, fouille l'affaire malgré l'opposition des autorités et des mystérieux francs-maçons.

 

Un fou imite-t-il le célèbre tueur ou Jack l'Éventreur lui-même a-t-il traversé l'Atlantique pour mieux sévir à Montréal ?

 

 

Commentaires :

 

Jusqu’à aujourd’hui, j’avais associé Hervé Gagnon à des séries de romans historiques qui se déroulaient à une époque qui m’intéressait moins : Damné, avec comme toile de fond la croisade contre les Cathares au début du XIIIe siècle, Malefica, sur les heures sombres de l’Inquisition et le sort des femmes guérisseuses, Sanctuaire, sur le trésor des Templiers et les origines de la franc-maçonnerie, pour ne nommer que ceux-là.

 

Il aura fallu que le service de presse des éditions Hugo me transmette, à l’occasion du lancement des six romans policiers de la série des enquêtes de Joseph Laflamme publiés en format poche, pour que je découvre un auteur qui maîtrise tous les codes de l’écriture de polars historiques. Un sous-genre du roman policier qui occupe une place de plus en plus importante dans les littératures du crime.

 

Le scénario de Jack, la première enquête de Joseph Laflamme, repose sur un ensemble de faits historiques campés dans des lieux et une époque bien définis, intégrant des sociétés secrètes connues ainsi que des personnages ayant existé réellement ou purement fictifs à un point tel qu’il s’en dégage une crédibilité à toute épreuve. Quand, en cours de lecture, la consultation, entre autres, d’Internet corrobore des composantes du récit, force est de constater que l’auteur, historien de formation, appuie son récit sur une recherche documentaire impressionnante. Dès les premières pages, le lecteur est téléporté à Montréal, à l’été 1891, en pleine canicule.

 

Génial ce rapprochement avec Jack l’Éventreur, le surnom donné à un tueur en série dont l’identité est toujours inconnue ayant sévi dans le district londonien de Whitechapel en 1888. Au moins cinq prostituées assassinées et mutilées, des crimes non résolus ayant donné lieu depuis l'époque du déroulement de cette affaire jusqu'à aujourd'hui à un grand nombre d’hypothèses et, par son statut de mythe, a inspiré bon nombre d'œuvres en tous genres. 

Hervé Gagnon s’insère dans ce mouvement avec brio en y associant les actions de deux sociétés secrètes : la Grande Loge maçonnique du Québec et l’Ordre d’Orange dont faisait partie l’ex-premier ministre du Dominion du Canada, Sir John Alexander Macdonald. Et en exploitant un lien hypothétique entre le Prince Albert Victor de Clarence, le petit-fils de la reine Victoria, et l’enchaînement des meurtres violents de 1888 à Londres et de 1891 à Montréal.

 

Jack permet au lecteur d’apprendre sur les origines de la franc-maçonnerie en Angleterre et son introduction à Montréal, les échelons que gravissent ses membres (intendant, tuileur, couvreur, diacre second surveillant, maître de loge…), son fonctionnement, les cérémonies des travaux et de leur clôture, ses symboles : « l’équerre, le compas, le niveau, le fil à plomb, le maillet ou le ciseau ».

 

« Au degré de compagnon, lorsque le vénérable maître demande rituellement au second surveillant ce qu'est une équerre, celui-ci lui répond «un angle de quatre-vingt-dix degrés ou le quart du cercle». Pour les maçons, elle représente la rectitude et les bonnes mœurs qu'ils doivent tous adopter, mais aussi la matière, incarnée dans une pierre cubique, dont les constructeurs vérifiaient la perfection avec l'équerre. »

 

Et de la présence de nombreux francs-maçons dans des secteurs clés de la société :

 

« … les journaux, qu’ils soient conservateurs ou libéraux, en anglais ou en français, regorgent de francs-maçons… »

 

« …la police montréalaise pullule de francs-maçons, comme toutes les grandes polices urbaines… »

 

L’auteur met aussi en évidence l’omerta qui est au cœur de cette société secrète en citant le serment que doit prononcer tout nouvel adhérent le jour de son initiation sous peine de se voir infliger un châtiment comparable à celui que le tueur en série a fait subir à ses victimes.

 

Hervé Gagnon excelle dans la description de ses personnages et des lieux réels dans lesquels il les fait évoluer :

 

« Il avait les épaules larges et un cou de taureau. La tignasse, la moustache et les favoris roux, le visage pâle couvert de taches de rousseur, les mains aussi grandes que des pelles, c’était le prototype parfait du policier irlandais de Montréal. »

 

« … ce n’est rien, cher monsieur, répondit l’homme hébété avec un fort accent anglais, de ce ton mielleux propre aux Britanniques de la haute société. »

 

Les personnages, peu nombreux, sont très attachants. En quelques paragraphes, l’auteur résume l’histoire familiale de Joseph Laflamme et de sa sœur Emma qui évoluent dans un milieu où la pauvreté est omniprésente dans ce quartier de Montréal, aux antipodes des secteurs financiers et bourgeois de la Métropole.

 

On y découvre aussi une ville qui commence à se doter d’un réseau électrique :

 

« … Martha s‘engagea d’un pas lourd dans la rue Saint-Dominique, qui n’était pas assez importante pour jouir de l’éclairage électrique qui se répandait petit à petit à Montréal depuis cinq ou six ans. »

 

« Elle tendit vainement l’oreille, guettant le bruit des sabots des chevaux qui tiraient encore les tramways là où l’électricité ne les avait pas remplacés. »



Et qui possède son musée des curiosités macabres avec, sur trois niveaux, ses mises en scène sinistres et son Théâtorium de 200 places que Hervé Gagnon s’emploie à décrire dans une des scènes qui nous tient en haleine, le Musée Éden (Eden Museum and Wonderland), sur la rue Saint-Laurent.

 


Jack est un tourne-page écrit dans une langue accessible à tout lecteur. Un récit fluide, bien structuré et rythmé, réparti sur une cinquantaine de courts chapitres qui s’enchaînent grâce à de nombreuses chutes qui tiennent le lecteur accroché à la trame dramatique. On y retrouve des descriptions dynamiques de quelques poursuites à pied dans le Red Light, le quartier des prostituées de Montréal.

 

La culture des deux groupes linguistiques qui se côtoient à Montréal n’échappe pas à la lucidité de l’auteur lorsqu’il mentionne que la presse anglophone (Montreal Gazette, Montreal Daily Star…) a parlé des crimes monstrueux de Jack l’Éventreur alors que les journaux de langue française (Le Canadien, La Presse…) « plus pudiques […] l’ont pratiquement ignoré. »

 

J’ai noté au passage cette phrase sur l’écriture :

 

« Lorsqu’il écrivait, il ressemblait à un compositeur qui entend la musique dans sa tête et peine à la transcrire sur le papier. »

 

Et appris une expression employée au XIXe siècle qui m’était inconnue : « rougir comme une bachelette », comme une jeune femme célibataire et courtisée qui se distingue par sa grâce.

 

Jack est un roman pour public adulte averti, très addictif, qui s’inscrit dans la foulée de L’affaire du Dr Cream de Dean Jobb qui traite d’un sujet presque similaire sous forme d’essai. Même thématique, même époque.

 

J’ai beaucoup aimé le roman de Hervé Gagnon. Je vous défie de découvrir qui est le véritable Jack avant d’avoir atteint les derniers chapitres. Et j’ai bien hâte de lire la suite des enquêtes de Joseph Laflamme.

 

 

Merci aux éditions Hugo pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue : *****

Psychologie des personnages : *****

Intérêt/Émotion ressentie : *****

Appréciation générale : *****