Hors-jeu : une enquête de Gaétan Tanguay (Mikaël Archambault)


Mikaël Archambault. – Hors-jeu : une enquête de Gaétan Tanguay. – Boucherville : Éditions de Mortagne, 2023. – 284 pages.

 


Thriller

 

 


Résumé :

 

À Toronto pour couvrir la Coupe du monde de soccer masculin, la journaliste sportive Tarah Dalembert met le doigt sur une nouvelle potentiellement explosive… puis se volatilise sans donner signe de vie.

Son associé Gaétan Tanguay se rend dans la Ville-Reine pour la retrouver. Remontant le fil des indices qu’elle lui a laissés, il comprend qu’un des joueurs de l’équipe canadienne pourrait être lié à sa disparition, mais lequel exactement ? Et pourquoi ?

Ne reculant devant rien pour le découvrir, il se lance dans une course contre la montre où chaque heure est comptée.

 

 

Commentaires :

 

Hors-jeu  est le 3e opus d’une série originale d’enquêtes dans le monde du sport après Dernière manche (2022) et En échappée (2023). À mon humble avis très certainement le meilleur par la structure plus étoffée du scénario, le rythme d’écriture, le suspense grandissant de chapitre en chapitre. Bref, une histoire tricotée serrée, une véritable course contre la montre, les chapitres s’enchaînant selon une chronologie minutieuse dévoilant peu à peu les pistes de l’investigation imbriquées habilement dans le cours du récit. Le tout réparti en deux sections d’une quarantaine de courts chapitres aux titres inspirés par la thématique sportive : Premier mi-temps Attaquer et Deuxième mi-temps Défendre.

 

Gaétan Tanguay prend plus que jamais la place qui lui revient dans l’univers des littératures du crime au Québec avec son profil psychologique hors du commun, son habillement, ses travers et ses routines de vie comme l’illustrent bien, entre autres, ces deux extraits :

 

« ... il possédait en dix exemplaires la même chemise bleu ciel assortie au même pantalon de coton beige... [...] pourquoi opter pour d'autres modèles si ceux-ci remportaient haut la main la palme du meilleur rapport qualité-prix... »

 

« Patrice sortit cent dollars de son portefeuille. Toujours de mauvaise humeur, Gaétan les prit et commença à compter la monnaie dans son sac banane. Il remit dix-sept dollars et soixante-quinze sous à Patrice, qui les accepta sans comprendre.

– Ma chemise m'a coûté quatre-vingt-deux et vingt-cinq ! précisa-t-il comme une évidence. Il sentit qu'on le regardait comme un extraterrestre. »

 

Il en est ainsi de Tarah Dalembert, sa copine – pardon, son associée – qui, elle aussi a ses manies comme celle-ci :

 

« Tarah avait laissé son ordinateur portable sur le bureau [...] ... l'état de l'appareil le frappa aussitôt : il était aussi propre que s'il sortait de son emballage d'origine. Tarah ne nettoyait jamais, jamais son ordinateur. En temps normal, on aurait juré que son clavier avait traversé une tempête de sable ou une explosion dans un poulailler. Un jour, elle avait renversé de la sangria sur les touches et les avait à peine essuyées. »

 

 

Mikaël Archambault, scénariste à la télévision et scripteur pour de nombreux artistes, excelle dans domaine de l’humour. Son écriture cinématographique y trouve ses fondements :

 

« Le robinet des toilettes fuyait ; presque en simultané, une sueur glacée tombait goutte à goutte du front de... »

 

« L’adage On n’est jamais mieux servi que par soi-même se vérifie rarement ; peut en témoigner quiconque a procédé à un grattage de dos ou à une vasectomie de ses propres mains. »

 

« La moquette pâtirait bientôt des va-et-viens de [...] dans sa chambre du Triple Crown. »

 

« Ses pieds collaient au sol, aspirés par des résidus de bière »

 

« Le papier peint se déclinait dans un camaïeu de jaune témoin de décennies de nicotine. Les années soixante-dix s’étaient enfermées dans cette pièce pour s’y laisser mourir. »

 

« Même le caissier du Tim Hortons s’inquiétait de la mine sinistre de Gaétan. »

 

« Au petit matin, les prunelles de Gaétan étaient devenues deux poissons morts au fond d’un puits. »

 

« Il aurait donné son inestimable slip de bain autographié par le nageur Michael Phelps simplement pour retrouver Tarah saine et sauve près de lui. »

 

« Gaétan quitta le stade en étant à même de comprendre le sentiment éprouvé par une chaussette après un tour de machine à laver. »

 

« La richesse avait préservé sur son visage ce que le tournant de la quarantaine cherchait à lui ravir. »

 

« ... il n’éprouvait pas le moindre appétit. Il avait un ballon de soccer dans l’estomac. »

 

Et on pourrait en citer une pléthore.

 

Dès les premières pages, nous sommes entraînés, tout comme Gaétan Tanguay, dans les préparatifs de la Coupe du monde de soccer masculin. Un sport que ce dernier a en aversion :

 

« Je déteste le soccer, un sport débile dans lequel on doit utiliser des filets grands comme un autobus pour s'assurer qu'il se marque au moins un but par pleine lune. »

 

« Gaétan pouvait nommer par cœur les dix dernières championnes olympiques d'aviron, mais n'aurait pas su identifier le moindre athlète avec des souliers à crampons dans les pieds. Le soccer était l'unique discipline avec laquelle il n'entretenait aucune affinité. C'était une aberration à ses yeux, comme l'électro-polka pour le mélomane ou Winnipeg pour l'amateur d'architecture. Depuis presque toujours, les faits saillants le laissaient de marbre, les maillots surchargés de commandites lui faisaient horreur et les partisans fanatiques lui donnaient l'impression de bêtes échappées du zoo. »

 

Son créateur nous apprend l’origine de cette répugnance dans ses expériences « athlétiques » de jeune garçon que je vous laisse découvrir.

 

L’hypnothérapie et l’autohypnose jouent un rôle central dans ce roman avec l’intervention de la psychologue de l’équipe sportive canadienne et des tenants et aboutissants d’un cours d’hypnose 101 par un artiste de scène de cette technique d’inconscience provoquée, un certain docteur Gorgonzola (du nom du célèbre fromage lombard et piémontais. Ce qui se traduit, entre autres, par quelques scènes loufoques comme celle d’une représentation de l’hypnotiseur et de son partenaire magicien Alfonzo au Golden Club ou avec un partisan dans les entrailles du stade. Gaétan et Tarah constateront qu’ils sont réceptifs à l’autosuggestion réversible, sachant que l’hypnose c’est « un peu comme lorsqu’on place des fichiers dans la corbeille d’un ordinateur, sans les supprimer complètement. C’est encore possible de la récupérer. »

 

Avec l’expérience traumatisante de cette enquête, le vernis de la personnalité de Gaétan Tanguay laisse paraître quelques craquelures. Ainsi, notre prodige aux cheveux ras et le visage bien rasé dans la vie de tous les jours devra se contraindre, bien malgré lui, à afficher un duvet de plus en plus rugueux « comme un tapis de minigolf », jusqu’à se résigner face à une Tarah abasourdie en déclarant « J’ai décidé de la laisser pousser... Je trouvais que ça faisait ‘’ héros viril ’’... »

 

Il aura aussi l’occasion de se quereller avec son père à propos de telles ou telles statistiques sportives « qui pouvaient enflammer la maisonnée », lui qui « avait transmis à son fils unique ses cheveux roux, sa passion maladive pour les colonnes de chiffres de la section des sports et un prénom archaïque inspiré du célèbre patineur de vitesse Gaétan Boucher. » Cependant, il ne changera pas d’opinion sur les émojis « une régression à l'ère paléolithique, quand nos ancêtres analphabètes écrivaient uniquement par pétroglyphes ».

 

Hors-jeu réunit les ingrédients d’une recette efficace : l’implication du crime organisé dans les résultats sportifs, les superstitions de certains joueurs (chaîne porte-bonheur, caleçons chanceux brodés au nom d’un joueur « portés à chacun de ses matches depuis l’âge de dix-sept ans »), l’ambiance dans le stade, la ville désertée par les partisans, la scène du Tailgate party, le message codé de Tarah, les malfrats, les courses-poursuites... Auxquels il faut ajouter l’implication des sergents-détectives Ouellette-avec ou sans-t-e avec qui on avait fait connaissance dans les enquêtes précédentes sur le tennisman Samuel Cadieux et le hockeyeur Taillefer.  

 

J’ai particulièrement apprécié les descriptions suivantes de certains personnages secondaires qui illustrent bien les talents d’écriture de Mikaël Archambault :

 

Un rustre parvenu :

 

avec « sa chemise de cachemire ouverte sur un ventre d'alcoolique, sa montre de dix kilos accrochée à son poignet velu, son verre de whisky englouti comme une vulgaire Coors Light [...] sans manières qui jouait les gros bonnets, pensant camoufler ses origines modestes sous des bijoux clinquants et des habits hors de prix. La preuve vivante qu'opulence ne rimait pas avec bon goût. »

 

Les paparazzis que méprise Gaétan Tanguay :

  

« les frères bâtards du journaliste, qui préféraient le potin à la nouvelle et la popularité à l'expertise. De vulgaires charognards se nourrissant de la fange. [...] Vêtus de façon à affronter les heures d'attente et les intempéries, ils auraient pu troquer leur appareil photo dernier cri pour une casquette, et les passants y auraient probablement jeté de la monnaie. Ils appartenaient aux origines les plus diverses, unis par une même avidité ; avec la drogue, la célébrité est l'un des rares produits à échapper aux frontières. »

 

Un molosse :

 

« À peine sorti de l'adolescence, son visage était buriné par le poids de ses mauvais choix de vie. Son acné juvénile côtoyait des cicatrices de vétéran. Comme quoi, la nuit faisait vieillir plus vite que le jour. De toute évidence, il cherchait dans la salle de gym les attributs dont la nature l'avait privé. Sa musculature stéroïdée lui donnait l'air d'une version réduite des Appalaches; d'ailleurs, il avait à peu près la mobilité d'une plaque tectonique. Difficile de se mouvoir avec des troncs d'arbre en guise de bras. »

 

Attendez-vous à des scènes captivantes, telle celle où l’enquêteur journaliste sprinte « à travers la cuisine, renversant marmites et chaudrons dans une symphonie digne d'un spectacle d'école primaire. Une casserole de sauce béchamel transforma le sol en patinoire fromagée. Il courait comme Bambi sur le lac gelé. Des mains tentèrent de le retenir, mais il parvint à échapper à leurs gants mouillés d'eau de vaisselle. »

 

Et à une finale digne des films hollywoodiens du style James Bond ou Mission impossible dans laquelle Tarah Dalembert et Gaétan Tanguay, blessé de surcroît à l’épaule interprètent leurs propres cascades à plus d’une centaine de mètres dans les airs.

 

J’allais oublier ces deux allusions plaisantes fondées sur l’équivoque de mots qui m’ont fait sourire : le salon de coiffure  « Che fais ce que cheveux » et la « boucherie Sanzot », un clin d’œil à la boucherie du village de Moulinsart mentionnée dans cinq aventures de Tintin.

 

Hors-jeu est un tourne-page que j’ai beaucoup aimé. Une lecture divertissante, une écriture intelligente qui n’accorde aucune place à la violence gratuite et aux excès d’hémoglobine qui occupent de plus en plus de place dans la littérature de genre.

 

Mikaël Archambault annonce déjà une prochaine aventure du binôme Tanguay-Dalembert dans le monde du baseball. Un carton reproduisant une intrigue avec indices accompagnait l’exemplaire reçu des éditions de Mortagne que je remercie pour le service de presse. Avec la panoplie de sports, incluant les Olympiques, Mikaël Archambault a accès à un terrain de jeu au contenu quasi inépuisable. Un défi pour sa créativité littéraire qu’il saura sans nul doute relever. Vivement une suite.

 

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Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie : *****

Appréciation générale : *****

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