Suzanne Aubry. – Le portrait. – Montréal : Libre Expression, 2023. – 286 pages.
Thriller psychologique
Résumé :
Clémence Deschamps, vingt-deux ans,
institutrice dans une école de rang, rêve d'échapper à son existence monotone.
Un jour, une annonce dans La Presse attire son attention: « Veuf cherche
gouvernante pour son fils de onze ans à la santé fragile. »
Clémence effectue le voyage jusqu'à une
demeure fastueuse d'Outremont, où elle fait la connaissance du Dr Levasseur et
de son fils Tristan, un garçon d'aspect frêle pour lequel elle se prend
aussitôt d'affection. Elle est saisie par le portrait d'une belle femme au
sourire mélancolique et apprend qu'il s'agit de la défunte épouse de son
nouveau patron.
Dans les nuits qui suivent, Clémence est
témoin d'événements étranges. Très vite, la jeune gouvernante pressent qu'un
mystère entoure la mort de Jeanne Levasseur. Un indice la mène à découvrir que
la sœur jumelle de Jeanne aurait été internée à l'asile Saint-Jean-de-Dieu.
Mais, telles des poupées gigognes, une vérité en cache une autre, encore plus
terrifiante…
Commentaires :
J’ai été agréablement pris au piège par le premier
thriller psychologique de Suzanne Aubry. En première partie, le scénario imaginé par l’auteure
de ce roman sur fond historique s’amorce dans les années 1930. On y fait entre
autres la connaissance de la gouvernante Clémence Deschamps, originaire de Saint-Hermas,
progressivement confrontée à quelques phénomènes s’apparentant à la littérature
fantastique. Genre littéraire, soit dit en passant, dont je ne suis pas friand.
En deuxième et troisième partie, l’auteure
nous ramène vingt ans en arrière dans le passé des principaux protagonistes pour
camper les origines du sombre destin qui se trame dans cette famille outremontaise.
Une centaine de pages qui mettent sur pause la montée dramatique amorcée
précédemment. L’occasion de découvrir le profil psychologique de la brochette de
personnages bien campés dans leurs rôles : les Valcourt, une famille bourgeoise
dont les parents, Eugène et Ludivine, tiennent à la préservation de leur statut
social, les jumelles inséparables Isabelle et Jeanne, M. Achille (Toussaint), le
chauffeur-jardinier et homme à tout faire d’origine haïtienne et la cuisinière
Mme Augusta entièrement dévoués envers leurs patrons – figures toutes fort
sympathiques –, l’odieux Charles Levasseur que je vous laisse découvrir,
Tristan, son fils somnambule et quelques personnages secondaires en soutien.
Cette portion du roman dévoile la thématique du récit : la domination machiste,
le désir de vengeance et l’impitoyable cruauté dont certains êtres déviants peuvent
se nourrir. Avec comme décor cette étrange maison de la rue Querbes dont l’architecture
contribue à entretenir le climat angoissant qui caractérise cette sordide histoire.
Les quatre dernières parties nous convient à une
finale qui ne permet pas d’anticiper impossible à anticiper les événements tels
que vécus par M. Achille, Mme Augusta, Jeanne Valcourt et Charles Levasseur. Quant
au bref épilogue, il laisse présager que bien que « les fantômes n’existent
pas »...
Ce roman au rythme relativement lent se
caractérise par une écriture impeccable et une structure dramatique efficace. J’y
ai appris qu’Outremont tire son nom de sa situation « outre le mont Royal ». J’ai aussi découvert le verbe « morigéner »
peu utilisé dans les romans québécois.
J’ai noté au passage quelques extraits
évocateurs :
« Un cri inhumain, ressemblant à celui d’un
animal traqué, surgit de ses lèvres pâles. »
« Clémence observa l’immense édifice, avec les
centaines de fenêtres qui luisaient comme les yeux d’un chat. »
« Une odeur pénétrante de détergent se mêlait
à celle de la détresse humaine. »
« Jeanne avait gardé un souvenir ébloui d'un
voyage en train à destination de New York qu'elle avait fait avec ses parents
et Isabelle quelques années auparavant. Aussi, en voyant la gare Viger
apparaître à distance à travers des filaments de brume, avec sa myriade de
pignons et de tourelles, elle se rappela le compartiment tapissé de boiseries,
dont les bancs se transformaient en couchettes, les grandes fenêtres garnies de
rideaux de velours grenat, le paysage qui défilait à toute vitesse derrière les
vitres, la voiture-restaurant, où se succédaient de petites tables nappées de
blanc, avec chacune une lampe munie d'un abat-jour vert et d'une rose rouge
placée dans un vase effilé. »
Quant au titre du roman, il s’explique ainsi :
« Pour leur sixième anniversaire de mariage,
Charles lui avait offert de faire peindre son portrait par un jeune artiste,
Vincent Gauthier - tout juste diplômé de la prestigieuse École des Beaux-Arts
-, qu'un collègue lui avait suggéré. ‘’ Toutes les bonnes familles commandent
ce genre de portraits, c'est très à la mode ‘’, lui avait-il affirmé. »
Suzanne Aubry nous livre une description de l’Asile
Saint-Jean-de-Dieu complémentaire à celle de Jean Charbonneau dans son roman Tout
homme rêve d’être un gangster à la même époque. Le retour soudain à la « réalité »
d’Isabelle Valcourt m’a paru plutôt précipité. Mais bon, on est au cœur d’une
fiction !
Il est aussi intéressant de noter que
certains personnages de l’auteure qui fut présidente de l’Union des écrivaines
et des écrivains québécois (UNEQ) de 2017 à 2023 s’évadent par la lecture :
Clémence Deschamps avec Filles de Chouans
(Delly) et Le Père Goriot (Honoré de Balzac)
; Jeanne Valcourt avec Les
Pardaillan (Michel Zécaco) ; Tristan Levasseur avec Sans famille (Hector Malot) et Le Tour du monde en quatre-vingt jours
(Jules Verne).
Une belle découverte que ce quinzième roman
de Suzanne Aubry qui, en 1994, avait fait une incursion dans le genre thriller
en tant que coscénariste du film Meurtre
en musique (d'après le roman Meurtre
en 45 tours de Boileau-Narcejac) réalisé par Gabriel Pelletier et mettant
en vedette, entre autres, Joe Bocan, Serge Dupire, Yves Jacques, Claude Léveillé
et Marcel Sabourin :
« Le couple formé par Ève, une célèbre
chanteuse et Alex, auteur compositeur, se désagrège. Ève est amoureuse de Jean
son pianiste. Alex, ivre d'alcool et de jalousie, surprend les amants. Au cours
de la rixe qui s'ensuit, Jean tue Alex. Ève et son amant maquillent le crime en
accident. Peu après, ils reçoivent une cassette avec la voix du mort... »
Merci aux éditions Libre Expression pour le
service de presse.
Originalité/Choix du sujet : *****
Qualité littéraire : *****
Intrigue : ****
Psychologie des
personnages : *****
Intérêt/Émotion
ressentie : ****
Appréciation générale
: ****
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