Christian Gau. – Mensonge en Catalogne. – Saint-Estève : Les Presses littéraires, 2022. – 367 pages.
Polar
Résumé :
Valérie Daguès est capitaine au Service
Régional de Police Judiciaire de Perpignan. En remontant un énorme trafic de
stupéfiants, elle va découvrir un monde où le jeu entre les apparences et la
vérité devient un art. Immergés dans ce poker menteur, la policière et son
groupe vont être contraints d'accepter les règles de l'environnement dans
lequel ils évoluent. Pour cela, il va leur falloir jouer avec le code de
procédure pénale, voire « l'aménager ».
Centre de désaccord éthique, certaines
méthodes policières peuvent paraître inacceptables aux biens pensants car la
fin ne justifie pas toujours les moyens ! Les acteurs de cette fiction vont
tenter de rééquilibrer les forces en présence pour avoir une chance de
triompher, car certains milieux restent habituellement hors d'atteinte.
Cependant, quand toutes les règles ont été bannies, la recherche de la vérité
et le triomphe du bien peuvent-ils justifier certains écarts dans la forme ?
Chacun d'entre nous doit y réfléchir, selon sa propre conscience ! Quitte à
sacrifier les apparences, ce polar vous aidera peut-être à vous faire une idée
du goût amer qu'a parfois la vérité.
Commentaires :
Comme l’explique l’auteur en avant-propos,
cette « enquête-fiction de Valérie
Dagués, capitaine de police au SRPJ (Service régional de police judiciaire)
de Perpignan, [nous entraîne] dans une autre dimension. Ce polar a été
écrit pour faire [des lectrices et des lecteurs] des spectateurs privilégiés, plongés au milieu de la grande criminalité
qui gravite autour du trafic de stupéfiants. »
Après avoir été aquaculteur, Christian Gau a
décidé de s'attaquer à de plus gros poissons. Il a été sous-officier dans la
gendarmerie nationale pendant plus de 18 ans, dont 13 comme Officier de police judiciaire.
En 2009, il a mis fin à sa carrière alors qu'il était gradé enquêteur à la
Brigade de recherches de Narbonne. Son expérience sur le terrain documente une
réalité « le jeu des apparences et
leur potentielle dualité avec la vérité » en nous faisant découvrir des
aspects insoupçonnés du travail d’enquête et les modalités de fonctionnement des
trafiquants de stupéfiants :
« Malgré qu'ils soient diamétralement opposés,
le trafic et l'enquête judiciaire ont un point commun. Ils sont faits de
manipulations pour que l'autre partie connaisse l'échec. Bien qu'il ne s'agisse
pas d'un jeu, seul le meilleur est récompensé. Il n'y a donc pas de médaille
d'argent et personne ne sait, à ce jour, si le match nul est possible. »
Le tout est décrit dans une langue vernaculaire
propre à chaque groupe bien intégrée dans des dialogues naturels des plus
convaincants. Dans une intrigue au déroulement linéaire et fluide dans laquelle
l’action impliquant divers corps policiers se déroule en Catalogne du Nord, en Espagne,
au Maroc, aux îles Caïmans, jusqu’à une finale enlevée et une chute des plus
imprévisible, confirmant le titre du roman. Et Gibraltar, « la porte d'entrée des stupéfiants sur
l'Europe. Des milliers de tonnes, tous produits confondus, y transitent chaque
année... Un nid de frelons peuplés de truands, d'informateurs, de flics
honnêtes ou pas... »
Ce qu’on apprend sur les forces de l’ordre,
entre autres :
·
Le
« soum » en langage de flic :
« Rien de plus
qu'un banal fourgon aménagé, avec vitres teintées. Il est stationné vers un
objectif à surveiller et, depuis l'intérieur, discrètement, les fonctionnaires
de police prennent des photographies. Il est déposé par un agent qui quitte les
lieux, comme on le fait en stationnant son véhicule. Le chauffeur n'entre pas à
l'intérieur, contrairement à ce que l'on voit à la télévision. Les attentes y
durent parfois plus de dix heures. Il y a donc une vie dans le soum. On s'y
ennuie, s'y exalte. On y mange et on y fait ses besoins ! »
·
Les
relevés décadactylaires, la sacoche avec ordinateur portable et imprimante que
traîne l’enquêteur pour recueillir la déposition d’un témoin, sans oublier une cartouche
pour éviter de se retrouver en manque d’encre, les relations avec les juges d’instruction
dans le cadre de commissions rogatoires.
·
La
mélasse juridique lorsque divers éléments sont éparpillés dans trois procédures
distinctes. « Même si ces dernières
[sont] gérées par un même service, la
communication directe des pièces de l'une à l'autre [n’est] pas possible, au vu du code de procédure pénale.
Pour les rassembler, les policiers [doivent]
bétonner le tout, pour avoir une chance
d'organiser la porosité des murs procéduraux. Pas gagné ! »
·
Mentir
pour permettre à ses troupes de se reposer :
« – Je vais faire un roulement pour donner un
jour de congé à chacun des gars. Tout le monde peut en prendre un. Je vois avec
eux et je te fais passer les fiches.
– Tu les fais, mais
je ne les rentre pas, je ne décompte pas les jours. Vous bossez trop. Je prends
les fiches et je ne les compte que si le gars a un accident. Je dirai, ‘’ oui
il est en repos, et avec tout ce bordel j'ai oublié de la donner au secrétariat
‘’. Moi, on me fera pas chier. Explique-leur que le jour c'est au black, mais
qu'ils ferment leurs gueules avec les autres groupes. »
·
Mentir
pour travailler et survivre :
« pour certains très grands criminels, les
moyens légaux ne suffisent pas ! Ou plus ! Tout se passe sur d'autres terrains,
plus mouvants, plus sombres, et où les apparences comptent autant que le
résultat... Non ! En fait : ‘’ SEUL le résultat compte ! ‘’. [...] les apparences, on les ajuste par la suite,
quelques fois en créant une vérité judiciaire qui n'en est pas tout à fait une.
Elle naît, dans l'antre des procédures, vit de façon éphémère au travers du
prisme médiatique, et se noie dans la force de la vox populi. »
Et sur les trafiquants :
·
Le
fonctionnement d’un go-fast, une
technique utilisée par les trafiquants pour importer des produits stupéfiants
ou de contrebande :
« Chacun à sa place. Une ouvreuse, comme son
nom l'indique passe devant pour voir si tout est clair, y compris les aires de
repos. Dans un go-fast classique, dès
qu'une partie est annoncée ‘’ claire ‘’ entre l'ouvreuse et les porteuses, ces dernières accélèrent à fond pour rattraper
le véhicule de tête, et ainsi de suite. Tout est basé sur cette très grande
vitesse qui dissuade les forces de l’ordre d'intervenir, à cause des risques
que cela ferait courir aux autres automobilistes. [...] Les porteuses sont chargées du produit. Les
suiveuses effectuent la protection du convoi ou remplacent l'ouvreuse de temps
à autre. Dotées d'amortisseurs renforcés, elles peuvent, au pied levé, remplacer
une porteuse tombée en panne. Les gars y sont fortement armés pour prendre à
revers les éventuels assaillants. Celle qui ferme la route est parfois appelée
‘’ le lièvre ‘’. Il s'agit d'un véhicule
destiné à prendre grossièrement la fuite, en cas de présence policière, afin
d'attirer les forces de l'ordre à l'opposé du convoi, si elles venaient à s'y
intéresser. Le chauffeur se débarrasse de sa radio cryptée et éteint son
téléphone, voire le jette. Après un contrôle qui ne donnera rien, puisque la
voiture est en règle, le véhicule repart. Le convoi a eu le temps de prendre le
large. Le chauffeur est en fait payé pour attirer la police et être en garde à
vue si besoin. Enfin, tous les chauffeurs ont de l’argent et connaissent le
téléphone du leader par cœur, au cas où ils se trouvent isolés. Ils ne doivent
joindre que des téléphones dédiés à l'opération. Pas question d'appeler la
petite copine... C'est une faute très grave ! D'ailleurs leurs téléphones personnels
restent à leur domicile. »
·
La
gestion des certificats d’immatriculation (cartes grises) :
« Je les vole dans des camions de location,
les gars les laissent dans les boîtes à gants. Comme ça tu roules avec
l'original. Il suffit après de voler un autre véhicule identique et faire une
doublette parfaite. Dedans je mets le dossier que j'ai volé, y a le logo de la
boîte de location et en cas de contrôle, ça peut passer. »
·
Comment
s’assurer de la fidélité des membres du groupe :
Ne
« jamais niquer ou rabaisser les
autres... Ça fabrique des ennemis ! J'en connais qui font les mauvaises paroles
à leurs hommes, et ils sont surpris quand ils se font retourner ! »
·
L’utilisation
d’un courriel de sécurité :
« J'ai une adresse e-mail secrète. Avant de
partir sur les trucs de merde, je fais un mail avec le nom, l'heure, le lieu et
le téléphone du gars que je vais rencontrer. Mon frère Majid connaît cette
adresse. Il sait que si je disparais, il lui faut l'ouvrir. Pour ça, il doit
appeler Lakhdar. Majid a le mail et mon cousin le code. À eux deux, ils peuvent
l'ouvrir et savoir qui m'a flingué... Je te laisse imaginer la suite ! »
·
Les
valises marocaines :
« Ces sacs de jute brun ou grisâtre qui
ressemblent à ceux utilisés par La Poste... Mais en forme rectangulaire.
Chargés de trente kilos de résine de cannabis chacun, ils permettent un
comptage précis et rapide lors du partage des cargaisons. Ils portent souvent
des marques codées qui servent à savoir à qui ils sont destinés. À l'intérieur,
les plaquettes de cent ou deux cents grammes de cannabis y sont conditionnées
dans une sorte de papier sulfurisé, voire des journaux. Le tout est assemblé en
cubes scotchés de poids variables, selon les réseaux. »
Ce ne sont que quelques exemples. La fiction que nous livre Christian Gau est
des plus réalistes. Elle met en scène une brochette de personnages tant dans le
clan des policiers que des truands bien campés dans leurs rôles respectifs. Le
niveau d’organisation de chacun et les moyens qu’ils déploient démontrent à
quel point de telles enquêtes sont complexes en raison des contraintes légales
et des relations entre les divers corps policiers qui visent
à enrayer, sinon ralentir les activités internationales des cartels de la
drogue.
Mensonge en Catalogne est un polar à la
fois divertissant et instructif. Valérie Daguès est de retour dans une suite, L’homme qui semait la mort, aussi publié
aux éditions Les presses littéraires. Aspirée dans un tourbillon criminel, la
policière découvre avec stupeur que même dans son métier les places du chasseur
et de la proie sont interchangeables, annonce l’accroche de la quatrième de
couverture.
Christian Gau, un auteur passionné par les
relations humaines dans le milieu policier très fermé et les arcanes de la
délinquance à découvrir.
Noté au passage quelques coquilles
typographiques.
Vous pouvez commander et
récupérer votre exemplaire de Mensonge en
Catalogne auprès de votre librairie indépendante sur le site les libraires.ca.
Originalité/Choix du sujet : *****
Qualité littéraire : ****
Intrigue : ****
Psychologie des
personnages : ****
Intérêt/Émotion
ressentie : ***
Appréciation générale
: ****
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