Rose à l’île (Michel Rabagliati)


Michel Rabagliati. – Rose à l’île. – Montréal : La Pastèque, 2023. – 256 pages.

 


Roman illustré

 

 


Résumé :

 

À l’été 2017, Rose et son père louent un chalet à l’île Verte, dans le Bas-Saint-Laurent. Pour Paul, ce sont de premières vacances père-fille. Après un passage à vide sur le plan personnel, une fatigue professionnelle et le décès de ses parents, il sent le besoin de faire le point. Dans ce havre de paix, propice aux réflexions, Paul amorcera un nouveau chapitre de sa vie.

 

 

Commentaires :

 

Après « Paul à la campagne » (1999), « Paul a un travail d'été » (2002), « Paul en appartement » (2004), « Paul dans le métro » (2005), « Paul à la pêche » (2006), « Paul à Québec » (2009), « Paul au parc » (2011), « Paul dans le Nord » (2015), « Paul à Montréal » (2016) et « Paul à la maison » (2019), Michel Rabagliati nous revient avec une tranche de vie de son alter ego livrée dans un format de roman illustré. Tout en douceur tant dans le texte empreint d’émotion, de poésie, de tendresse, d’autodérision et de pointes d’humour que dans les illustrations pour lesquelles il a privilégié les tons de gris tirés de ses crayons à l’encre de ses anciennes productions.

 

Paul fait le point avec les deuils qu’il a vécus, sa vie de couple, jette un regard tendre sur sa fille devenue adulte alors qu’il vient de franchir la cinquantaine, s’interroge sur son avenir professionnel et sa quête de bonheur. Une rencontre impromptue avec une « boulangère et membre de l’Ordre des psychologues » l’amènera à se rappeler que depuis qu’il est arrivé sur l’île, il a ressenti « deux ou trois fois de courts instants de... comme des ‘’ éclaircies ’’. » Il ne sait « pas si on peut appeler ça du bonheur, mais ça ressemble à des obturateurs de caméra [qui lui rappellent] qu’il y a quelqu’un de plus gai, de plus libre et de plus insouciant à l’intérieur » de lui. L’insulaire qui a spontanément compris la véhémence des sentiments de Paul saura le convaincre :

 

« ... peu importe les raisons de ta tristesse et le poids de tes peines, le temps adoucira les choses, tu peux être certain de ça. C’est exactement comme l’eau qui bat et retourne ces galets sur la grève, elle les polit, les arrondit et les rend plus doux... »

 

Michel Rabagliati n’aurait pu choisir meilleur cadre pour y faire évoluer ses deux personnages que cette île réparatrice qui flotte dans l’estuaire moyen du Saint-Laurent, « une île de lumière et de beautés exceptionnelles, de couleur et de douces sensations, pour y perdre le temps de le perdre » comme en fait la promotion le site web de la municipalité. Il a découpé le séjour d’une semaine de vacances père-fille en cinq « chapitres » annoncés par autant d’ « Insula animalibus » (animaux de l’île) illustrés par des dessins signés H.N., peintre animalier dont une municipalité et un brise-glace/traversier lui doivent le nom.

 

À pied ou à bicyclette, nous en visitons les recoins du « Bout d’en haut » au « Bout d’en bas » en compagnie des deux protagonistes le long des sentiers fleuris ou sur les berges désertes, escaladant les promontoires rocheux avec quelques arrêts pour la lecture d’un bon roman ou pour visiter le Musée du squelette et le plus ancien phare du Saint-Laurent. Et de belles soirées sous un ciel étoilé.

 

Le ciel infini, les berges désertes, le fleuve calme ; les dessins du roman brossent un portrait magnifique de la région. Ce qui étonne, ce sont les nombreuses pages sans texte, où le dessin raconte tout. On s’y accroche les yeux, peu pressé de poursuivre, immergé dans le paysage.

 

Une visite chez des amis de Paul qui se sont convertis en insulaires nous fait découvrir les conditions de vie à des kilomètres des grands centres et « le bijou historique de l’île » consigné « Les mémoires d’un fleuve ». Une occasion pour l’auteur de rappeler certains repères chronologiques : de l’occupation du territoire par les Autochtones depuis des millénaires jusqu’à sa Conquête par les Anglais en 1763. Une lecture qui amène Paul à se demander « Comment ce pays se serait-il développé sans l’arrivée des Européens ? » et à déplorer que « de toutes les conquêtes, la devise de l’envahisseur demeure la même » : « SHOPPE TILL THEE DROPPE ».

 

Un soir, en cuisinant des « spaghettis avec la sauce de grand-père » dont il en avait gardé « un pot pour une occasion spéciale » annonce-t-il à Rose, Paul se remémore une de ses dernières visite auprès de son père sous traitement de dialyse (illustré en un simple schéma). Et de ses legs, après le décès de ce dernier quelques semaines plus tard : entre autres un « manuscrit de 1200 pages, en 39 chapitres » intitulé « Walter Mon ami imaginaire » dont « l’écriture s’amorce dans la nuit du 16 janvier 2005 et se termine le 13 septembre 2016 »  et un « petit carnet de cuirette marron [...] rempli de dessins [que son père] avait faits entre 10 et 12 ans » et que Paul n’avait jamais vu. L’occasion de partager avec nous de  touchants remerciements envers « le genre de père, de grand-père et de personne » qu’il a été :

 

« On dit que l’on récolte ce que l’on sème. Tu as été un sacré jardinier, papa. »

 

Les images qui suivent parlent d’elles-mêmes, comme tout au long de cet opus qui se termine sur un drame se transformant en évasion  libératrice, à quelques heures du retour à la vie citadine. Arrivés quelques jours plus tôt par le Peter Fraser, le 26 juillet 2017, à 10h30, père et fille ressourcés ayant partagé en silence ou en paroles des moments de tendresse quittent l’île Verte par le même moyen de locomotion avec cette réflexion de Rose :

 

« J’aimerais vivre dans un endroit comme ici dans ma vie. À la campagne, dans la nature. Je sais que ça me rendrait heureuse. Je suis sûre ».

 

Dans un article du magazine L’actualité intitulé « Le roman du mois : Rose à l’île, de Michel Rabagliati », le journaliste qualifie le plus récent opus du bédéiste québécois d’ « heureux mélange d’autodérision et d’introspection sur des thèmes récurrents (la vieillesse, la solitude, le succès). Les dialogues sont peut-être moins présents, mais ils laissent une belle place aux réflexions de Paul. » Une thématique qui devrait toucher vous aussi une de vos cordes sensibles.


Michel Rabaglioti est aussi un petit cachottier. Dans sa série Paul, il a glissé subtilement des clins d’œil : par exemple dans « Paul à la pêche », une des bouteilles de vin est étiquetée « Saint-Laurent Frappé » (mentionné dans le groupe Facebook « Fans de Michel Rabagliati »). Rose à l’île n’y échappe pas : l’auteur y a dissimulé une seule illustration en couleurs, très certainement celle du souvenir d’un de ses instants de bonheur vécu avec sa fille lors d'un passage à l’île Verte. À vous de la découvrir.

 

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Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie : *****

Appréciation générale : *****