L’affaire Henry Cross (René Vézina)


René Vézina. – L’affaire Henry Cross. – Montréal : Druide, 2023. – 336 pages.

 


Polar journalistique

 

 


Résumé :

 

Un meurtre sordide est commis dans un cimetière de l’est du Québec en mai 2019. Une lettre anonyme lie ce crime aux conspirations irlandaises du XIXe siècle. Il n’en faut pas plus à Rivière Valois, journaliste à la recherche d’une histoire sensationnelle, pour se rendre à Saint-Jean-Port-Joli et enquêter. Il constatera toutefois que ce mystère en cache un autre: un émissaire irlandais serait venu au Québec en 1840, investi d’une mission ultra-secrète qui irait jusqu’à mettre en cause les Patriotes. Il a disparu sans laisser de traces. Que s’est-il passé? Rivière tentera de le savoir et de découvrir qui est cet énigmatique Henry Cross à l’origine de toute l’affaire.

 

 

Commentaires :

 

Très belle idée que cette formule dans un genre littéraire très populaire comme l’exprime en finale René Vézina :

 

« L'affaire Henry Cross se veut le premier tome d'une série dédiée à des histoires mystérieuses, disséminées à travers le Québec, à partir de fondements réels et historiques. De là, le nom « Les mystères du Québec», avec, comme objectif secondaire, de mieux faire connaître des lieux qui ont marqué et marquent encore notre identité. »

 

Des romans, « et non de précis d'histoire » dans lesquelles le journaliste de métier se permet quelques libertés dans les trames qu’il a l’intention de présenter.

 

Tous les moyens sont bons pour intéresser les citoyennes et les citoyens à notre histoire nationale. Avec ce premier tome, René Vézina marque un premier point en abordant une époque, les années 1837-1840, surtout en partie connue pour les soulèvements des Patriotes. Dans un récit qui alterne en 56 chapitres entre les événements historiques et l’enquête journalistique qui se déroule près de 180 années plus tard. Une investigation qui se déroule à pas de tortue offrant au lecteur la possibilité d’absorber les faits « historiques » [n’ayant pas une connaissance approfondie de la période, difficile pour moi de départager les éléments de fiction historique de la réalité] qui la sous-tendent. Certaines chutes à la fin de quelques chapitres incitent toutefois le lecteur à continuer d’accompagner les protagonistes dans leurs missions respectives.

 

L'affaire Henry Cross nous fait voyager entre les villages de la Côte-du-Sud, Grosse-Île, la ville de Québec, Montréal, le village de Sainte-Martine, l’État de New York d’hier et d’aujourd’hui selon les étapes du récit. Avec de très belles descriptions des lieux où évolue une brochette de personnages bien campés. En voici un exemple [la promenade Champlain sur la rive nord du fleuve Saint-Laurent] parmi tant d’autres, ici en interrelation entre hier et aujourd’hui :

 

 « Il finit par prendre la direction du boulevard Champlain, en suivant le fleuve, après avoir traversé le pont. Arriver à Québec par cette magnifique route qui longe le fleuve le charmait. Il n'était pas seul à apprécier cet environnement exceptionnel.

 

Superbement aménagés, les sentiers pédestres et cyclables qui la bordaient étaient très fréquentés par les gens de la ville. Même trop au goût de ceux et celles qui auraient oublié le trafic infernal du centre-ville. Est-ce qu'une congestion de vélo est préférable à un bouchon de véhicules?

 

Dire que c'est ici, il y a déjà deux cents ans, que débarquaient les immigrants sur la grève encombrée dans un environnement inhospitalier, parfois malodorant. Qu'importe! L'amertume faisait place à l'espoir, l'oppression, à la liberté. Mais le souvenir des mauvais traitements subis en Irlande ne disparaissait pas facilement. C'est pourquoi certains avaient pris les armes aux côtés des Patriotes canadiens-français. La défaite aux mains des autorités britanniques ne les avait pas tous démobilisés. La résistance était passée dans la clandestinité en attendant la lutte finale. »

 

Une référence à un sujet de l’heure dans les déplacements routiers entre les deux rives m’a fait sourire :

 

« Le retour vers Québec ne serait pas trop long, pourvu que la traversée du Saint-Laurent par le pont Pierre-Laporte se passe bien. Ils allaient arriver au début de l'heure de pointe de fin de journée et le trafic serait déjà costaud. »

 

J’ai été étonné par le prénom attribué au personnage principal : Rivière Valois. Un prénom plus que rare au Québec. Sur le web, celui-ci se retrouve surtout dans des pays comme Haïti, la Thaïlande, les États-Unis et la Nouvelle-Zélande !

 

J’ai trouvé amusant le rôle de quasi-médium de la vieille tante du journaliste qui oriente celui-ci vers des pistes de solution. De même que le message codé associé à une photo ancienne. Par contre, l’identification du meurtrier m’a laissé pantois dans une finale abrupte où un coup de pelle au bon endroit du premier coup permet de découvrir l’objet au cœur du mystère « Find Henry Cross ». Objet dont le contenu ne semble pas intéresser outre mesure les enquêteurs, plus efficaces soit dit en passant, que les policiers de la Sûreté du Québec en poste à Montmagny.  

 

L'affaire Henry Cross ravive notre mémoire des moments pénibles vécus par les immigrants irlandais ayant fui leur pays à la recherche d’une terre d’accueil dont un grand nombre sont décédés en quarantaine sur la Grosse Île où ils étaient confinés dès leur arrivée. Des photos des lieux complètent l’ouvrage.

 

De lecture agréable, ce roman « policier » sans implication policière significative, est truffé de références culturelles tant québécoises qu’irlandaises. Il nous fait revivre le quotidien des années 1840 comme si on y était. Nous faisant rêver en référence à « une conspiration visant à resserrer les relations entre les Irlandais francophiles et les partisans des Patriotes, qui demeuraient actifs, même après l'échec de la révolte » et en allant « jusqu'à évoquer une alliance plus large avec des Américains d'origine irlandaise qui voulaient déloger les Britanniques du Canada. »

 

Ceci dit, « ce premier épisode bouclé », il reste maintenant à voir comment René Vézina sera en mesure de relever le défi d’ajouter des titres à cette série maintenant que son journaliste enquêteur a regagné la confiance de son rédacteur en chef et conquis le cœur de Kate. Et nous surprendre en portant à notre connaissance de nouveaux mystères du Québec, tout en nous divertissant et nous donnant le goût de visiter le Québec.

 

Merci aux éditions Druide pour le service de presse.


P.S. : Une romancier peut évidemment prendre des libertés avec l’Histoire, mais doit rester vraisemblable. Un ami historien, originaire de la Côte-du-Sud m’a souligné quelques anachronismes : « le Rob Roy a sombré en 1827 et il venait d’Écosse ; les victimes ont été inhumées dans le cimetière protestant de Trois-Saumons, sauf une, selon ses sources ; étonnant qu’un curé dise une messe à midi ; Salaberry n’était pas marquis ; des jaquettes d’hôpital en 1840 ? ; le typhus, c’est en 1847 ; en 1840, Chartier n’était plus curé de Sainte-Martine : en fait, il était en France ».

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  ****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  ****

Appréciation générale : ****