André Jacques. – Ces femmes aux yeux cernés. – Montréal : Druide, 2018. – 393 pages.
Polar
Résumé :
Au cours d’une descente au repaire de Grigor
Chukaliev, un caïd de la mafia russe, le SPVM saisit deux tableaux d’un maître
de l’art contemporain qui, au moment de l’expertise, se révèlent des faux. Et
l’un d’eux a été vendu par l’antiquaire Alexandre Jobin. Quelques jours plus
tard, un cocktail Molotov éclate dans la vitrine de sa boutique, tandis que le
galeriste qui a vendu la seconde toile est retrouvé assassiné. Pour éviter
d’autres représailles et pour sauver sa peau, Alexandre décide de remplacer le faux
tableau par un vrai. Il part alors à la recherche du peintre des oeuvres
originales, Jordi Carvalho, un artiste catalan qui semble avoir disparu de la
circulation depuis plus de dix ans. De Montréal à Barcelone, puis à Paris,
cette quête ne sera pas de tout repos pour Alexandre. Heureusement, entre les
séquelles du passé et les cauchemars qui le hantent, un ange sombre veille sur
lui…
Commentaires :
Les titres de la série des polars d’André
Jacques m’ont toujours laissé croire que ses fictions avaient pour cadre le
milieu militaire, un contexte qui m’attire moins. C’est en préparant une chronique
sur cet auteur de la région de Sherbrooke portant sur Les littératures du crime au Québec publiée sur le site Culture et justice (France) que je me
suis rendu compte que j’étais dans l’erreur. J’aurais dû pousser ma curiosité
sur les résumés en quatrième de couverture.
Considérant le Prix Saint-Pacôme 2019 qu’avait
remporté Ces femmes aux yeux cernés
comme meilleur roman policier québécois et les commentaires élogieux de Norbert
Spehner qualifiant ce récit de « meilleur
de cette série, avec une écriture soignée, un rythme fluide, une tension
dramatique constante sans violence outrancière, de petites touches d’humour, et
un dénouement jouissif » – ce
qui me plaît dans cette littérature de genre –, j’ai été comblé.
Même sans avoir lu les cinq tomes précédents,
j’ai été accroché à cette histoire haletante dès le prologue, au long des 33
chapitres entre Montréal, Barcelone, Paris, Saint-Irénée. Avec une finale
imprévisible et un épilogue qui boucle l’enquête. J’ai donc fait la découverte
sur le tard de cet enquêteur atypique un peu beaucoup porté sur l’alcool. J’ai
bien aimé les six « Intermezzo »
dans lesquels, entre autres, les cauchemars d’Alexandre Jobin font le lien
entre chaque portion du récit. À la manière d’une pause avant de replonger dans
le récit qui se déroule en 2004, le I-Phone n’ayant pas encore été inventé comme
l’illustre bien cet extrait de dialogue :
« – As-tu un téléphone portable?
– Un cellulaire?
– Oui.
– Un BlackBerry,
comme tout le monde. Là, dans mon sac.
– Mais j'utilise
surtout le téléphone de Constance à l'appartement.
– Et toi ?
- Ouais. Mais je suis
pas encore familier avec les nouvelles technologies.
[…]
– J'ignore même s'il
fonctionne ici, en Europe. Le type qui me l'a vendu m'a expliqué un tas de
choses, mais j'ai rien compris. »
Les personnages secondaires sont bien campés
et la dynamique entre l’antiquaire-galeriste et les enquêteurs du Service de
police de la ville de Montréal (SPVM) place ces derniers dans une dépendance improductive.
Évidemment, j’avais hâte d’attaquer les cinq
chapitres (12 à 16) où l’action se déplace à Barcelone. André Jacques y a
séjourné (comme à Paris d’ailleurs) et cela transparaît dans les lieux choisis
et les descriptions des différents quartiers où se déplace Alexandre Jobin :
le Barri gotic, le Raval, la Plaça de Catalunya, l’Eixample, la Sagrada
Familia, les Ramblas, la via Laetana, les carrer
(« rue » en catalan, nom masculin, soit dit en passant)…
J’ai pouffé à la lecture de certains dialogues,
tel que :
« –
Puis-je quelque chose pour vous, monsieur…
– Jobin. Alexandre
Jobin. Je suis moi-même... galeriste à Montréal.
– Ah! Canadien.
– Québécois.
L'autre sourit avant
de déclarer:
– Nous pouvons
comprendre ces subtilités, ici, en Catalogne. »
Et au lapsus du lieutenant Latendresse du
SPVM confondant « l’escouade des...
Molosses » avec celle des « Mossos
d'Esquadra », la police de la Generalitat de Catalunya.
J’ai également noté au passage cette
référence à une période noire de l’histoire espagnole impliquant le père du
peintre catalan Jordi Carvalho (personnage fictif) que recherche l’antiquaire :
« un intellectuel de gauche [qui] avait combattu du côté des républicains
durant la guerra civil. Il s'était réfugié en France en 1936. Carvalho est né
là-bas quelques années après la fin de la guerre. […] Le père lui racontait des histoires sanglantes, des récits de massacres
commis par les franquistes. Par les républicains aussi. Tout le monde tuait
tout le monde. Les anarchistes massacraient les prêtres et violaient les
religieuses; les franquistes fusillaient et torturaient tous ceux et celles qui
étaient liés aux opposants. »
En logeant un de ses personnages à l’hôtel
Suizo « dont les fenêtres donnent
sur la plaça del Angel et sur la via Laietana », André Jacques m’a
rappelé un de mes premiers séjours à Barcelone au début des années 1990, dans
ce petit hôtel à deux pas de la cathédrale.
Certaines descriptions de lieux, comme
celle-ci à Paris dans une boutique de matériel d’artiste, nous font nous sentir
aux côtés des personnages :
« En y pénétrant, on avait l'impression de reculer
d'un siècle. Le mobilier, les comptoirs, les étagères jusqu'au plafond, les
présentoirs, les armoires vitrées, tout était en bois sombre et verni, usé par
les ans. Du chêne sans doute. L'ensemble faisait ressortir de façon lumineuse
l'arc-en-ciel des pots de couleur, des tubes, des crayons et des pastels. On se
serait cru dans un magasin de bonbons. »
L’auteur profite alors de l’occasion pour se payer
la tête du commis parisien snobinard :
« –
Monsieur.
–
J’aurais besoin d'un renseignement.
–
Nous ne sommes pas le bureau d'information touristique.
Alexandre
dut se retenir pour demeurer poli.
–
Je cherche des informations sur un peintre.
–
Alors, allez au musée, monsieur. Le Louvre est juste en face, de l'autre côté
de la Seine.
–
Ce peintre est l'un de vos clients.
–
La plupart de nos clients sont peintres. »
Je me permets un autre extrait rigolo, une
remarquable lapalissade de la part d’Alexandre Jobin qui, soit dit en passant,
est lui-même un lecteur de polars :
« La chaise roulante, ça accélère le service
et le passage des douanes. Tu peux pas t'imaginer comment le personnel est aux
petits soins avec un handicapé. Surtout un handicapé qui voyage en première
classe. »
En résumé, Ces femmes aux yeux cernés est un excellent roman. Il repose sur un
scénario étoffé, une galerie de personnages bien campés, une qualité d’écriture
et une précision dans la séquence des événements qui s’enchaînent naturellement.
Ce thriller vous plaira, j’en suis certain. Et peut-être que comme moi, vous
souhaiterez remonter aux sources des aventures antérieures d’Alexandre Jobin.
Originalité/Choix du sujet : *****
Qualité littéraire : *****
Intrigue : *****
Psychologie des
personnages : *****
Intérêt/Émotion
ressentie : *****
Appréciation générale
: *****
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