Nos meilleurs amis sont les morts (Jean Lemieux)


Jean Lemieux. – Nos meilleurs amis sont les morts. – Montréal : Québec Amérique, 2023. – 334 pages.

 


Polar

 

 


Résumé :

 

Montréal, 1er mai 2012. Maître Jean-Claude Ladouceur, notaire, est retrouvé égorgé dans le sous-sol de sa maison d’Ahuntsic. À côté du cadavre, un carré de tissu rouge. Le sergent-détective André Surprenant est sceptique. Le meurtre ne lui paraît pas lié à la crise du printemps érable. Les leurres, il a déjà donné.

 

Pour LP Brazeau, son partenaire, le mobile est simple: l’argent, toujours l’argent. Entre une veuve troublante, un promoteur immobilier amateur de dictons, un patron louche et un banquier qui joue au mécène, Surprenant est entraîné dans une affaire complexe, qui déborde à la fois de Montréal et des années 2010.

 

Les meurtres se succèdent. La sécurité de Surprenant et de ses proches, la paix même du couple inoxydable qu’il forme avec Geneviève, sont menacées. Brazeau a tort: il ne s’agit pas simplement d’argent. Quelqu’un cherche à se venger. Surprenant fouille la ville avec une nouvelle coéquipière allumée. De ces jours trépidants, il sortira changé.

 

 

Commentaires :

 

André Surprenant, policier du SPVM de grande culture, amateur de musique tous genres confondus (comme son créateur), un peu trop porté sur le scotch selon sa conjointe Genevière, elle-même policière, est de retour dans une septième enquête. Une énigme tricotée serrée dans les entrailles de la magouille financière et immobilière – alors que débutent les audiences de la Commission d'enquête sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction –  et celles du crime organisé montréalais. Un exercice audacieux avec, entre autres, des liens ténus avec la FTQ (Fédération des travailleurs du Québec, le syndicat) et l’OSM (Orchestre symphonique de Montréal) sans les avertissements traditionnels en page liminaire !

 

Un casse-tête aux pièces multiples qui s’emboîtent jusqu’à la reconstitution de l’image du crime expliquée en détail en finale. Après une montée de lait du personnage fétiche de Jean Lemieux en cours d’interrogatoire en binôme avec une nouvelle venue, Alice Verreau, qu’on risque peut-être  de retrouver auprès de Surprenant dans une suite espérée.

 

Nos meilleurs amis sont les morts, dont l’intitulé trouve son sens à 80 % du récit, est un tourne-page avec pour cadre les manifestations étudiantes de 2012. Frustrant de devoir reporter au lendemain pour continuer de profiter du style et de la richesse de l’écriture de Jean Lemieux qui s’étale sur 38 chapitres aux titres intrigants. Quelques exemples :

 

« Un tilleul solitaire gardait l’avant d’un terrain orné d’une rangée de spirées. »

« Dans ce monde-là, plus un gars a l’air de rien, plus il est louche. »

« En ce samedi matin, le building au coin de Drummond et René-Lévesque ressemblait à un décor de théâtre entre deux représentations. »

« Engoncé dans son uniforme comme un chorizo dans un emballage sous vide. »

« L’intuition, c’est la logique appliquée à l’invisible. »

« Les vies, comme les fleuves ou les rivières, s'écoulent selon des cours changeants, entre des rives qui peuvent s'élargir, se rétrécir, sur des lits qui peuvent s'affaisser, se relever, accélérer la vitesse du courant, provoquer des remous, des rapides, des cataractes aux conséquences dramatiques. »

 

Pour celles et ceux qui en seraient à leur première lecture d’une enquête d’André Surprenant, l’auteur a intégré quelques notes biographiques personnelles et professionnelles du personnage à l’emploi depuis quelques années du Service de police de la ville de Montréal (SPVM) après avoir commencé sa carrière à la Sûreté du Québec dans la région de Québec et aux Îles-de-la-Madeleine où Jean Lemieux y a pratiqué la médecine. Carrière que vous pouvez d’ailleurs suivre dans la série de romans publiés depuis 2003 : On finit toujours par payer (2003; 2009; 2012; 2016; 2021), Le Mort du chemin des Arsène (2009; 2016), L'Homme du jeudi (2012; 2016), Le Mauvais Côté des choses (2015; 2021), Les Clefs du silence (2017) et Les Demoiselles de Havre-Aubert (2020). Plaisirs garantis.

 

Au-delà de l’intrigue, vous découvrirez peut-être comme moi l’origine de l’expression « blanchiment de l’argent », méthode attribuée à Al Capone, à Chicago, dans les années 1930 :

 

« Le gangster avait utilisé, dix sous par dix sous, des laveries automatiques pour réintroduire les profits de la contrebande d'alcool dans le système bancaire, d'où les termes de money laundering ou de blanchiment d'argent introduits des décennies plus tard. »

 

Vous apprécierez vous aussi certaines réflexions de l’enquêteur, pour qui  « devant tout problème, il fallait chercher la solution la plus simple, la plus logique, la plus ronde » :

 

« Surprenant ne dit rien, absorbé par le sentiment de frustration qui l'envahissait chaque fois qu'il visitait le quartier des affaires. Québec avait beau se draper dans son statut de capitale nationale, le vrai pouvoir était ici, dans cette enclave de l'ouest de Montréal reliée à Toronto par le cordon ombilical de la Transcanadienne. »

 

« Les Rouges, les Bleus. Pendant quelques instants, Surprenant médita sur la place qu'avait occupée l'opposition des deux couleurs primaires dans son existence. Anglais-Français, Canada-Québec, Libéraux-Péquistes, Canadiens-Nordiques, enfer-ciel, il avait depuis toujours évolué dans un espace violet … »

 

En conclusion, je me sens dans l’obligation de faire part de ma frustration à la fois exacerbée et amusante qu’entretient Jean Lemieux en reportant d’un roman à l’autre des « révélations explosives » comme il les qualifie en lien avec le Front de libération du Québec (FLQ) et la Crise d’octobre de 1970 : le père de Surprenant proche du FLQ, « une clef USB contenant des informations confidentielles obtenues lors d'une enquête sur un double meurtre » contenant des données « provenant d'un ex-ministre du gouvernement fédéral […] qui se répand en accusations et en regrets ».

 

Clef USB que Surprenant  cache, sur ordre de son auteur, sur le Mont-Royal. Après l’avoir scellée dans un sachet de plastique, enterrée « à l'aide d'une truelle emmenée à cet effet », « à l'endroit où avait été découvert trois ans plus tôt le corps de Pierre Lefebvre » dans Les Clefs du silence, au pied d’un « chêne adulte », à proximité d’un imposant « bosquet de sureaux ». Justifiant ce geste en se disant que « sur une planète menacée par le réchauffement climatique, dans une humanité écartelée par les inégalités sociales, le soubresaut des descendants des colons de la Nouvelle-France n'avait plus guère d'importance. »

 

Ma formation et mes intérêts pour l’histoire du Québec sont interpellés.

 

Avouez qu’il y a de quoi déclencher une enquête ! J

 

Nos meilleurs amis sont les morts est un excellent polar qui intègre toutes les règles d’écriture du genre tant du point de vue des personnages, des décors et des ambiances que des crimes, des mises en scène et du suspense qui nous accroche dès les premiers paragraphes et qui nous garde en haleine jusqu’à la chute finale. À mon avis, le meilleur de la série.


Merci aux éditions Québec Amérique pour le service de presse.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  *****

Appréciation générale : *****