L’espion qui venait du livre (Luc Chomarat)


Luc Chomarat. – L’espion qui venait du livre. – Paris : La Manufacture de livres, 2022. – 158 pages.

 


Faux roman d’espionnage

 

 


Résumé :

 

Bob Dumont, agent secret, combat sans cesse le maléfique Igor. D’aventure en aventure, notre héros surentraîné au charme dévastateur lutte pour l’empêcher de devenir le maître du monde. Mais au détour d’une rue de Singapour, alors qu’il quitte les bras d’une hôtesse de l’air, Dumont tombe sur un adversaire d’une autre trempe. Delafeuille, éditeur parisien, n’a pas l’intention d’ingurgiter une fois de plus les clichés invraisemblables, racistes et sexistes de ce roman. Le monde du livre a changé, les lecteurs ont d’autres exigences. Pour donner un nouveau souffle à cette histoire, l’éditeur a décidé de rentrer dans le récit, de récupérer Bob Dumont et de l’emmener chez John Davis, l’auteur, histoire d’avoir entre hommes une petite conversation…

 

 

Commentaires :

 

Très intéressant ce pastiche caricatural d’une fiction d’espionnage en écriture et en réécriture, à la sauce des romans des années 1950, une réflexion sur la création littéraire, l’édition et la littérature en tant qu’objet de culture et de marketing. Ainsi que sur l’interaction entre les personnages, l’auteur et, sans contredit l’éditeur en quête de succès de librairie. Incluant un essai déridant sur le style « nouveau roman » des années 1960. Une «  joute verbale qui concerne les antagonismes possibles, réels ou fantasmés, entre la création [que l’auteur représente] et les impératifs de l'économie de marché [ceux de l’éditeur] ».

 

L’espion qui venait du livre, qualifié par Le Point, de « malintentionné, irréventieux et furieusement juste ! », soulève plusieurs questions pour qui s’intéresse à l’écriture romanesque, dont, entre autres, celles-ci  :

 

·        Qu’est-ce qui distingue « un bon roman d'un roman lambda » ?

·        Un personnage a-t-il droit de regard sur le déroulement de l’action ? : « On s’en fout de ce qu’il en pense. C’est un personnage de fiction. »

·        Quelle méthode d’écriture utilise l’auteur ?  Avec ou sans « une idée de la trame générale » ? Au « fil de la plume » ? Sans plan parce qu’il « trouve tout au fur et à mesure », n’ayant, pour la suite des choses, pas la moindre idée puisqu’il « essaie de faire durer » chaque scène parce qu’il ne sait « pas comment enchaîner » ?

·        Un roman doit-il « arriver à temps pour les prix de la rentrée. » ?

 

Ou ce commentaire sur les « vrais » auteurs :

 

« …dès lors que l'authenticité du scribe est un argument de vente, je comprends qu'aucun éditeur ne soit assez fou pour s'en priver. Si ce sont de vrais écrivains […]. Il n'y a rien de plus authentique chez eux. Les gens qui écrivent sincèrement ne sont pas publiés. Plus maintenant. »

 

Et l’importance d’une « série » pour un éditeur :

 

« Je suis l'éditeur de la série, et sans [le héros], la série ne peut pas continuer. » Même si « de toute façon, avec ou sans lui, la série va s'arrêter », le comptable de l’éditeur sachant « parfaitement combien font deux et deux » : « Oui, eh bien, je ne suis pas comptable, figurez-vous. Je suis Delafeuille, de la maison Delafeuille, et je suis là pour veiller à ce que [le héros] trouve ses lecteurs, même s'ils ne sont que trois. Et les lecteurs […] attendent qu'il terrasse ses ennemis et consomme très rapidement un certain nombre de jeunes dames blondes. »

 

L’opuscule se termine sur une postface qui aurait pu être écrite par un illustre critique littéraire dans laquelle sont confrontés les rôles réels de l’auteur, du personnage et de l’éditeur :

 

Si l’auteur « est réellement l’auteur », c’est tout de même « lui, et lui seul, qui a créé » l’éditeur : « Voilà donc un auteur qui s'invente un éditeur, afin d'en faire le protagoniste de son roman » et qui « se prétend tout aussi fictif » que l’éditeur alors « que ni l'un ni l'autre n'ont, à l'intérieur de cette fiction, l'intuition, s'ils vont jusqu'au bout de leur logique, qu'ils se sont mutuellement créés. » Chaque antagoniste ayant sa propre perception de l’autre.

 

Pour l’éditeur, l’auteur est « coupé du monde, paresseux, alcoolique, inconscient de toute réalité économique ».

 

Quant à « l'auteur qu'il a créé, et qui l'a créé, [il] ne peut envisager d'éditeur que prêt à toutes les compromissions, et totalement imperméable au bon sens ou à la liberté de créer. » « L'un et l'autre sont des fantasmes, projections de projections en une galerie des glaces sans matrice, labyrinthe sans commencement ni fin ».

 

Le héros se sentant inutile et manipulé par ses créateurs !

 

Intéressant, n’est-ce pas ? J’avais aussi imaginé sous un autre angle les conflits potentiels entre auteur, éditeur et personnage dans « J’ai tué mon Auteur », une fantaisie romanesque publiée en 2020. J’y ai trouvé certains atomes crochus J.

 

L’espion qui venait du livre, qui suscite la réflexion des lectrices et des lecteurs sur l’écosystème éditorial, m’a permis de découvrir un auteur : Luc Chomarat, né en Algérie en 1959, remarqué dès son premier roman, La Folle du roi (1982) avant de choisir d’exercer ses talents de rédacteur dans la publicité. Poursuivi pour fraude fiscale, il se réfugie dans un monastère tibétain.

 

En 2014, il revient au roman avec L’Espion qui venait du livre (réédité en 2022 par La Manufacture de livres). En 2016, il reçoit le Grand prix de littérature policière pour Un trou dans la toile. Traducteur de l’écrivain américain de roman noir Jim Thompson, il a aussi publié Le polar de l’été (2017) et Le dernier thriller norvégien (2019). Trois romans qui feront l’objet de futurs avis de lecture.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  *****

Appréciation générale : *****