Isabelle Lafortune. – Chaîne de glace. – Montréal : XYZ, 2023. – 446 pages.
Polar
Résumé :
Sept ans ont passé depuis les événements
ayant ébranlé Schefferville, mais Émile Morin n’a jamais tourné la page. Son obsession
pour la Métald’Or et autres pilleurs du Nord en mal d’éthique l’a mené à
prendre la tête d’une unité spéciale dédiée à ces dossiers, et à creuser,
creuser encore. Faute de résultats probants, ou peut-être justement parce qu’il
est sur le point d’en livrer, voilà qu’il sent son soutien politique vaciller.
Sa santé mentale également.
L’enquêteur Morin a besoin d’une victoire.
Pour prouver à sa hiérarchie qu’il avait raison de sonner l’alerte au sujet des
minières ; pour convaincre Giovanni qu’il a fait le bon choix en endossant
l’uniforme… Mais aussi pour rebâtir le lien de confiance l’unissant à sa fille,
de plus en plus distante.
C’est du côté de Havre-Saint-Pierre, sur le
site de la centrale hydroélectrique La Romaine-1 où un cadavre a été découvert,
qu’il sera mis devant le premier maillon d’une chaîne de conséquences le
menant, peut-être, vers la vérité.
Commentaires :
Quatre ans après la parution de Terminal
Grand Nord, Isabelle Lafortune nous entraîne à nouveau dans une nouvelle
enquête menée à Havre-Saint-Pierre et à Schefferville par ses deux
protagonistes : le policier Émile Morin, de la Sûreté du Québec, devenu responsable
d’une unité spécialisée dans les crimes liés au développement industriel du
Nord-du-Québec et de son fidèle écrivain Giovanni Celani – plus que jamais
l’alter ego de l’auteure – qui, dans l’intervalle, a suivi une formation à
l’École de police du Québec. Avec l’omniprésence du philosophe néerlandais Baruch
Spinoza dont les citations accompagnent un grand nombre de chapitres.
Chaîne de glace s’inscrit dans un
ensemble de sujets d’actualité associés au Grand Nord québécois, mais aussi
d’un point de vue sociétal : espionnage industriel, fuites de secrets de
production chez Hydro-Québec, relations diplomatiques avec la Chine, course
vers la production de batteries plus durables pour les voitures électriques, vente
à rabais des ressources minérales, lutte contre le réchauffement climatique,
vols de toiles de grands maîtres, chaînes de blocs (blockchains) d’où probablement le titre du roman, espionnage
industriel, cryptomonnaies, indépendance énergétique, terrorisme international,
manifestations environnementalistes… à quelques mois d’une pandémie annoncée en
filigrane par l’éclosion de plusieurs activités grippales sur le continent
asiatique.
On est en présence d’un thriller policier au scénario qui m’a paru fort complexe, l’action
étant concentrée sur à peine sept jours. Beaucoup d’action sur une période si
courte et une efficacité des services de lutte contre le crime qui m’a semblé
sortir de l’ordinaire. Et ce dans un rythme d’écriture, parfois alourdi par
certains dialogues ou certaines scènes qui, à mon humble avis, auraient pu être
raccourcis, voire éliminés, et dont la dynamique ne s’accélère que dans les tout
derniers chapitres.
Sans dévoiler trop de détails, tout au long
de ma lecture, j’ai de plus été sceptique sur le réalisme des segments qui se
déroulent « quelque part au nord du
54e parallèle ». Et ce jusqu’à la chute finale plutôt
étonnante où toutes les fausses pistes trouvent leurs explications.
Ce roman repose sur une recherche très
fouillée sur un milieu isolé où l’omerta est omniprésente lorsqu’on tente de
soulever le voile sur des pratiques industrielles et des relations de travail
parfois toxiques des compagnies minières en quête de territoires à exploiter.
Isabelle Lafortune connaît bien la région. Elle
qui y a déjà vécu et enseigné dans une école secondaire. Comme elle l’a raconté
en entrevue dans un journal montréalais, dans un périple de 16 heures en train,
de Sept-Îles à Schefferville, « elle
a pu entendre des conversations très intéressantes... et inattendues puisque
des passagers, employés par des compagnies minières, se sont mis à jaser de
choses et d’autres pour passer le temps. » Et elle ajoute :
« … si je ne l’avais pas fait, il y
a des éléments de mon histoire qui ne seraient pas dans mon livre. »
Vous apprécierez certaines références
régionales : l’incontournable restaurant Chez Julie à Havre-Saint-Pierre; les
références au poète nord-côtier Roland Jomphe dont cette strophe : « Sur des visages d'étrangers/Venant de près
ou de loin/Une impression de passagers/Sur le chemin ou le destin »…
Et la qualité d’écriture de l’écrivaine comme dans ce magnifique extrait :
« Quelques fils noirs parcouraient encore son
abondante chevelure, mais il avait la conviction qu'ils ne tarderaient pas à se
vider de leur mélanine dans les prochains jours. »
Chaîne de glace permet à son auteure
de partager ses réflexions personnelles, traduites dans celles de son
personnage écrivain Giovanni Celani, narrateur omniscient du récit :
« L'humain est la seule espèce qui se permet
de s'aveugler sur sa place dans l'univers, mais lorsqu'elle en aura assez de
ses parasites, la Terre nous servira un shampoing vigoureux dont on ne se
relèvera pas. »
« Dans cinquante ans, ces terres vierges
seront dévalisées de leur substance pour satisfaire les besoins de plus en plus
grands des uns et des autres. Les nostalgiques des traditions, forcément
réfractaires aux changements, me font hurler: ils ne cessent de chialer et
restent figés dans le passé, alors que les promoteurs et le développement
irrespectueux de l'environnement me donnent des envies d'assassinat. Je
n'adhère à aucune doctrine, celle des anciens me lasse parce qu'elle demeure
campée sur ses positions, celle des jeunes m'énerve parce qu'elle manque
cruellement de perspective et souvent de maturité. Tandis que les pôles
s'affrontent, des intérêts sans noms ni visages qui ne fonctionnent que selon
un modèle de rentabilité en profitent. Où me situer maintenant, puisqu'aucun
des camps représentés dans les médias ou pire, sur les réseaux sociaux, ne me
convient ? »
Au moment de la publication de cet avis de
lecture, ce deuxième roman d’Isabelle Lafortune était finaliste aux Grands Prix
du livre de la Montérégie – Prix Arlette-Cousture 2023. L'auteure était également finaliste du « Awards of Excellence » Best French Crime Book du Crime Writers of Canada
Merci aux éditions XYZ pour le service de
presse.
Originalité/Choix du sujet : *****
Qualité littéraire : *****
Intrigue : ***
Psychologie des
personnages : *****
Intérêt/Émotion
ressentie : ***
Appréciation générale
: ****
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire