Rien… (Jean-Jacques Pelletier)


Jean-Jacques Pelletier. – Rien… – Lévis : Alire, 2023. – 556 pages.

 



Polar

 

 


Résumé :

 

Fort d’une carrière où il en a vu de toutes les couleurs, Henri Dufaux n’en est pas moins stupéfait quand il se voit confier la garde d’une ado. De fait, la jeune mais ô combien brillante Maryann est sous sa protection depuis la mort de son père, empoisonné pour avoir refusé de vendre sa maison à un mystérieux acheteur.

En tentant de découvrir ce qui se cache derrière ce meurtre et de déjouer les menaces qui pèsent toujours sur Maryann, Dufaux et son équipe mettent à jour un groupe anonyme qui cherche à acquérir – par tous les moyens ! – des centaines de kilomètres carrés dans les Laurentides.

Or, quand le SCRS débarque dans son enquête, Dufaux comprend que l’affaire est plus vaste qu’il ne croyait, car Henry Trent, un milliardaire mort récemment, possédait justement une propriété dans la zone tant convoitée… et le SCRS a toujours cru Trent proche de la très énigmatique et secrète Liste XIII !

Face à un complot qui prend des dimensions internationales, Dufaux se sait à court de ressources. Toutefois, il a un as dans sa manche : un certain Gonzague Théberge…

 

 

Commentaires :

 

Dans cette quatrième enquête de Henri Dufaux, un des personnages fétiches de Jean-Jacques Pelletier, ex-professeur de philosophie au cégep Lévis-Lauzon, cet auteur prolifique tant en nombre de romans que de pages publiées nous précipite dans une réalité très d’actualité. La crise climatique et une fiction pour en anticiper l’avenir qui glace dans le dos par l’imaginaire de son créateur.

 

Pelletier a beau nous avertir que les « lieux, les milieux, les institutions, les médias, les réseaux sociaux, les sites Internet et les personnages publics qui constituent le décor de ce roman ont été en bonne partie empruntés à la réalité », que « les événements qui sont racontés, de même que les actions et les paroles prêtées aux personnages sont entièrement imaginaires », que « les intervenants apparaissant dans les médias, les sites Internet et les réseaux sociaux, sont des personnages inventés » et que « leurs propos ne sauraient être attribués à des personnes réelles », plus on progresse dans ce tourne page de 223 courts chapitres, plus on a l’impression de vivre au quotidien ces événements qui se déroulent sur une douzaine de mois en 2022 . D’autant plus qu’il ajoute que « les informations sur l'état de la planète ont été vérifiées et sont, au meilleur de [sa] connaissance, avérées » !

 

Réglons d’abord la question du titre, plutôt intrigant, sur une couverture de première annonçant l’apocalypse. Il trouve son sens dès le septième chapitre avec des rappels par intervalles tout au long des 556 pages d’un récit documenté, très bien structuré, entrecoupé d’extraits de bulletins de nouvelles, d’émissions télé et de commentaires entre amis Facebook et regroupant un très grand nombre de personnages. On trouvera d’ailleurs en annexe du livre une brève description de ceux-ci (24 principaux, 35 secondaires et 6 groupes dits « notables » - je vous laisse découvrir) fort utile en cours de lecture.

 

Le tout dans un environnement très techno où se côtoient les moyens de communication les plus sophistiqués, le « darknet », différentes formes d’intelligences artificielles plus vraies que vraies qui fabriquent des faux et et qui examinent le résultat pour déterminer s'il y a des indices que c'est un faux : « Après chaque passe, l'intelligence qui fabrique le faux corrige les erreurs détectées par l'autre. Les différences finissent par être tellement petites qu'elles sont non significatives ».

 

Dans Rien…, il est question de complots et de  manipulation des comportements face à la crise climatique et de moyens que certains ont décidé de prendre pour assurer la survie de l’humanité… ou la leur, face à « l'effondrement des populations animales, […] le plafonnement de l'énergie disponible, l’épuisement des métaux stratégiques et des sols cultivables, l'acidification des océans, la réduction continue des territoires habitables... la stérilisation progressive des espèces animales et des êtres humains par les perturbateurs endocriniens » sans oublier « les mouvements migratoires et les violences qu'ils vont déchaîner... ». De quoi faire dire à un des personnages qu’il avait « sous-estimé la bêtise collective de notre espèce », qu’il croyait un peu naïvement « que lorsque la situation serait connue, lorsque les effets de ces crises deviendraient évidents, les populations et les gouvernements comprendraient » et qu’il avait « fait preuve d'un optimisme... excessif ».

 

Quelques solutions envisagées :


·        Réduire la taille de la population en éliminant les pauvres à l’aide de vaccins favorisant l’apparition de nouvelles pandémies.

·        Exterminer les pires pollueurs, « ceux dont les destructions environnementales n’ont rien à envier aux ravages sociaux qu’ils ont provoqués, […] les un pour cent du un pour cent les plus riches de l'humanité. Parce que [c’est] la seule façon de sauver la planète : éliminer la microminorité qui s'enrichit sur le dos du reste du monde et qui s'oppose aux mesures qu'il faudrait prendre pour sauver l'écosystème Terre. »

·        Soutenir financièrement les écolos pour alimenter la grogne des masses populaires et surtout des jeunes et justifier leurs actions ? « Transformer en une occasion d'enrichissement […] les multiples désastres que l'humanité va continuer de provoquer dans les prochaines décennies... catastrophes climatiques, pénuries d'eau et de nourriture, guerres... le niveau de vie de l'Occident qui s'aligne sur celui de l'Afrique plutôt que le contraire. Le retour à une sorte de Moyen Âge, en somme, mais en plus sombre ».

·        Financer des groupes musicaux multiplicateurs de propagande dans leurs succès musicaux : « Plus ils occupent de place dans les infos, plus ils imposent le thème de l'urgence écologique dans l'actualité, plus ça suscite l'agressivité contre les riches... » En alimentant le climat général d'insécurité des riches, ça renforce leur inquiétude et l’attrait de bénéficier de la protection qu’un groupe secret souhaite leur offrir tout en s’enrichissant.

 

Des questions troublantes bien campées dans un contexte politique américain et international : la réélection potentielle de Trump en 2024, « ses actions antérieures et son emprise sur le Parti républicain, associées à la division du Parti démocrate, vont conduire, tôt ou tard, à l'équivalent d'une guerre civile », la destruction par Clinton et Obama de « la législation fiscale au profit de Goldman Sachs et de l'ensemble du monde financier »,

l'essor de la Chine et les routes de la soie dont le « choc démographique risque de plomber la croissance du pays, ce qui va s'aggraver avec la décision probable de Xi Jinping d'envahir Taiwan vers 2027, comme le craignent les Américains »... Avec une référence à la deuxième tranche du rapport du GIEC récemment publiée qui constate que les « choses s'accélèrent : la mer monte plus vite que prévu, la disparition des espèces animales s'aggrave et le réchauffement de l'atmosphère s'intensifie, notamment à cause de la présence de nano-particules. »

 

Mais n’ayez crainte. Malgré le sérieux du contexte romanesque, le tout est remarquablement ficelé dans un scénario haletant, facile à suivre, avec un Henri Dufaux constamment tourmenté par ce qu’il appelle son « critique intérieur » qui lui fait la morale. Une enquête qui se déroule au Québec et en Europe dont on n’ose imaginer la finale, écrite dans un style fluide et qui permet à son auteur de partager ses réflexions sur la réalité sociale à laquelle nous sommes confrontés au quotidien lors de la diffusion des bulletins d’information et des échanges sur les réseaux sociaux. Trois exemples :

 

« On ne peut pas tuer tous les imbéciles. Il y en a trop... De toute façon, ce ne sont pas eux, les responsables. Enfin, pas les premiers responsables. Ceux qui les utilisent, par contre, ceux qui leur lavent le cerveau. »

« Le problème avec la chaleur, […] c'est qu'on en ajoute davantage à certains endroits, moins à d'autres. Et comme la chaleur, c'est de l'énergie… […] Le système cherche à se rééquilibrer. Autrement dit, à répartir l'énergie également. Et plus l'énergie ajoutée est grande au même endroit, plus les processus de rééquilibrage sont violents... Ça fait fondre des glaciers, ça modifie les courants sous-marins, ça bouleverse la température de l'atmosphère au-dessus des continents... La pluie arrête de tomber à certains endroits, des ouragans et des tornades en ravagent d'autres, des pluies torrentielles s'abattent un peu partout... En fait, on ne devrait pas parler de réchauffement, mais de bouleversements climatiques. D'instabilité. »

« Trois chiffres résument la performance de l'espèce humaine: en quelques années, on a réduit la masse biologique des insectes des deux tiers; en quelques décennies, on a réduit la masse des animaux sauvages des deux tiers; en quelques millénaires, on a réduit la masse des arbres des deux tiers... Enfin, peut-être pas des deux tiers, mais plus de la moitié. La prochaine cible sur la liste, c'est l'humanité. Combien d'années est-ce que ça va prendre pour réduire sa taille des deux tiers ? Même sans épidémies ?... Les famines, le manque de médicaments, les guerres pour les ressources qui se raréfient devraient y parvenir assez vite. »

Rien…, un roman à lire pour réfléchir à notre sort en tant qu’humains tout en se divertissant en tant que lectrice ou lecteur. De la littérature intelligente. Qui donne le goût de remonter dans les enquêtes antérieures de Henri Dufaux et de naviguer dans l’imaginaire de Jean-Jacques Pelletier. Je me suis laissé convaincre que le personnage de Maryann puisse être, disons, aussi « exceptionnel ». 

 

Merci aux éditions Alire pour le service de presse.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  *****

Appréciation générale : *****