Le rugissement des tempêtes (Catherine Lafrance)


Catherine Lafrance. – Le rugissement des tempêtes. – Montréal : Druide, 2024. – 384 pages.

 

 

Polar

 

 

 

Résumé :

 

La journaliste Anne-Marie Bérubé se rend à une conférence de presse dans un hôtel de Gatineau, où on doit présenter un nouveau programme de lutte à l’évasion fiscale. Un attentat meurtrier survient et prend tout le monde par surprise. La nouvelle fait le tour de la planète en un temps record. Qui a orchestré l’attaque ? Qu’est-il arrivé à Anne-Marie ? A-t-elle été blessée ? Est-elle morte ? Tandis que la population, sous le choc, presse la police de trouver un suspect, que la classe politique est sur les dents, les mesures de sécurité se resserrent, oppressantes. Michel Duquesne est dépêché par le quotidien où il travaille pour couvrir l’affaire. Son enquête le mènera vers une piste pour le moins inattendue et franchement inquiétante.

 

Commentaires :

 

Quel hasard de terminer la lecture, juste avant l’Halloween, de la troisième enquête du journaliste Michel Duquesne, alors que le récit met en scène des enfants, vêtus d’effrayants costumes de sorcières, de squelettes, de créatures mythiques ou de suceurs de sang, frappent aux portes pour réclamer des bonbons !

 

Dès les premières pages du premier chapitre, l’auteure fait référence aux événements et aux rebondissements des trois années précédentes, relatés dans « L’étonnante mémoire des glaces » (finaliste du prix Saint-Pacôme) et dans « Le dernier souffle est le plus lourd » (finaliste du prix Saint-Pacôme et du Crime Writers of Canada). Voici l’occasion de mettre en scène les principaux personnages de cette fiction inspirée de la réalité sociopolitique actuelle, marquée par la théorie du complot, la désinformation et l’essor de l’extrême droite :

 

·        Michel Duquesne qui entre dans une pièce « pied droit d’abord » et qui dépose toujours ses chaussures « parfaitement placées l’une à côté de l’autre près du lit en se couchant » ;

·        sa conjointe l’avocate Odile Imbeault, procureure, et leurs six garçons et filles ;

·        William Latendresse, directeur des communications au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), et sa conjointe, Blue, ancienne prostituée ;

·        Denis Damphousse, « le très timide et très nerveux chef de pupitre au journal » ;

·        François Cosentino, courriériste parlementaire à Ottawa coincé à Washington ;

·        Anne-Marie Bérubé, correspondante parlementaire à Québec dépêchée à Ottawa ;

·        Linda Fasalli, responsable des systèmes informatiques au journal et « ses éternels bracelets » qui tintent lorsqu’elle se déplace;

·        Yves Lavoie, directeur de l’information au journal ;

·        Meï Chartrand, journaliste collègue de Michel Duquesne qui tente de se faire une place dans l’équipe ;

·        Xavier Leblanc-Denoncourt (XL), jeune journaliste peu talentueux, perméable au complotisme, prêt à donner « la parole à ceux qu’on n’écoute jamais » dans le but d’« avoir son histoire » à la une ;

 

Il est intéressant de lire les explications que nous fournit à la fin de l’ouvrage Catherine Lafrance sur le contexte social de la trame dramatique de ce roman qu’elle écrit juste après la pandémie de COVID et ses conséquences à long terme :

 

« ...le coût de la vie grimpe, des petits commerces ferment, la crise du logement s'amplifie. Des familles entières peinent à se loger. Dans les villes, des campements de sans-abri poussent le long des autoroutes ou sous les viaducs. Tous les jours, des femmes victimes de violence conjugale sont refoulées aux portes des refuges où l'on n'a plus de place pour elles. »

 

« ... notre société se fracture; les bien nantis s'enrichissent, les défavorisés s'appauvrissent et, entre les deux, la classe moyenne s'essouffle. Comme si ce n'était pas suffisant, un nouveau virus a fait son apparition : le cynisme. Le cynisme amène à douter de tous et de tout : scientifiques, journalistes. Et même des faits, carrément. Il provoque les polarités. Il mène au complotisme. Et le complotisme, cette spirale infernale, met à mal nos démocraties. »

 

Ce constat est le point de départ d’une histoire en neuf parties, étalée sur quinze jours d’octobre. L’histoire débute avec  « une déflagration d’une rare intensité [...]  suivie d’un flash, quelque chose de lumineux qui apparut à l’avant de la pièce. [...] Les trépieds que les caméramans avaient installés s’envolèrent vers le plafond comme des oiseaux apeurés. Des flammes s’élevèrent. Des cris retentirent. » Le récit se déroule progressivement, sans grand suspense ni tension, car le lecteur sait dès le début qui (sans que son nom soit révélé) est responsable du dépôt de la bombe. L’action, entrecoupée par une enquête parallèle impliquant Odile Imbeault à la recherche de la vérité dans l’affaire de l’assassinat de ses parents, s’accélère un peu dans les derniers chapitres avec son coup de théâtre.

 

Le thème du dysfonctionnement du système Phénix pour la gestion des salaires des fonctionnaires fédéraux, avec ses nombreux échecs et les répercussions sur la vie d’un des personnages (pages 225-226), occupe une place importante dans le récit.

 

Quant à la fin, qui annonce clairement une suite, elle m’a semblé  « arrangée avec la fille des vues ». Je suis resté bouche bée. Le personnage qui, au milieu de la nuit, s’enfuit dans la forêt sous la pluie torrentielle, émerge, « au bout de ses forces, le corps brisé », devant « une maison perdue au milieu des bois […] comme un phare dans l’immensité de la mer. Une bouée. De quoi se raccrocher à la vie. » Il eut mieux valu pour son intégrité physique sauter dans le véhicule à sa portée pour se sortir du pétrin !

 

Ceci dit, Catherine Lafrance excelle dans la description détaillée des lieux et des personnages, ce que montrent bien ces extraits :

 

« Elle enleva son manteau, le suspendit sur le dossier de son siège, s'assit, puis posa son ordinateur sur ses genoux. Ensuite, elle éteignit son cellulaire et le glissa dans son sac, qu'elle poussa du pied, remarquant pour la première fois la couleur du tapis: fraise écrasée. Elle avala une lampée de café. Croqua dans son biscuit. Voilà, elle était prête. »

 

 « Elle passa devant une table ovale, remarqua le vase posé dessus dans lequel on avait disposé des roses aux teintes magenta. Des gouttes d'eau perlaient aux feuilles et la délicate odeur qui s'en dégageait lui parvint par bouffées, sortes de soupirs parfumés. »

 

 « Les ministres se glissèrent derrière la table en une procession solennelle sous le regard borgne des cameramans, qui, un œil dans le viseur, captaient chacun de leurs gestes, suivaient chacun de leurs pas. »

 

Grâce à l’expérience de l’auteure, nous sommes en mesure de mieux comprendre les exigences du métier et le travail des artisans de l’information écrite :

 

« ... pour pratiquer ce métier, on devait être équilibriste; on devait foncer, sans être agressif, se presser pour battre la concurrence, mais prendre son temps pour vérifier les faits. Bousculer, mais respectueusement. Dénoncer sans avoir l'air de régler ses comptes. Et si, par miracle, on réussissait à survivre dans ce champ miné, il fallait affronter les patrons, qui, très franchement, n'y allaient pas avec le dos de la cuillère dans leurs critiques et leurs commentaires. »

 

« Dès leur arrivée, leur travail consisterait à départager le vrai du faux, les informations crédibles des rumeurs, qui, à n'en pas douter, afflueraient. Ensuite, ils devraient prendre connaissance de tous les détails sanglants, qui s'imprimeraient dans leur tête à jamais. Ils apprendraient comment la bombe avait déchiqueté les chairs, broyé les corps. Ils verraient de près la douleur des familles, les parents, les frères, les sœurs, les époux, les collègues, les amis éplorés. Ils ne le savaient pas encore, mais ces images leur colleraient à la peau. Le jour, quand ils évolueraient parmi les autres journalistes, ça irait, mais la nuit, seuls dans leur chambre, ils se rejoueraient le film d'horreur en boucle. Et comme si ce n'était pas assez, ce film, il leur faudrait le raconter, séquence par séquence, plan par plan. Ils éplucheraient les faits, les résumeraient. Pour cela, ils auraient à comprendre la chronologie du drame, jusqu'à l'apprendre par cœur. Puis ils devraient mettre des visages sur les noms des victimes, en brosser le portrait, avec une objectivité et une distance qu’ils auraient de plus en plus de peine à maintenir, au fil des jours. »

 

Et du cycle de l’information :

 

« Une nouvelle de cette ampleur, c'était un véritable tremblement de terre. Elle ferait la manchette probablement un bon bout de temps. Cependant, dans six mois, l'événement serait relégué plus loin, dans le cahier des actualités. Dans un an, on en soulignerait le premier anniversaire, les yeux remplis de larmes. Dans deux, on en serait sans doute aux procès, si on mettait la main sur les auteurs de l'attentat. Dans cinq, on allumerait des bougies, on parlerait de résilience, de pardon. Dans dix, on s'étonnerait : ‘’ Déjà ? Me semble que c'était hier ! Ainsi va le cycle de l'information. »

 

En plus de mettre en évidence les rivalités entre collègues journalistes, « Le rugissement des tempêtes » revisite certains clichés incontournables dans les romans policiers où sont impliqués divers corps policiers. On y retrouve la présence de taupes, ainsi que les relations houleuses entre ces corps policiers, ici la Gendarmerie royale du Canada (GRC), la Sûreté du Québec (SQ) et le Service de police de la ville de Montréal (SPVM).

 

« Dans les faits, les gars de la GRC vont venir chercher du data en nous promettant un échange d'informations, mais fais-toi pas d'illusion : l'ascenseur va monter, ça, c'est sûr, mais après, on aura beau l'appeler, il va jamais redescendre. Ça va être une collaboration à sens unique, veux-tu gager ? »

 

« ... les gars de la GRC, à qui on avait donné les pleins pouvoirs, garderaient toutes les infos pour eux. Et à la fin, ils récolteraient les honneurs, si tout se passait bien. Qu'est-ce qui arriverait, alors ? Ils obtiendraient encore plus de pouvoirs. Aux dépens des autres corps policiers. »

 

Comme c’est souvent le cas dans ce genre littéraire, j’ai appris expressions du métier :

 

·        « Truie » : « appareil dans lequel les journalistes de la radio et de la télé [branchaient] leur micro pour capter les sons [...] parce qu’il offrait ses ports électroniques comme autant de mamelles. »

·        « Porteux de valise » : personnel politique travaillant auprès des ministres.

·        « Chambre d’écho » : « terme prisé par l’élite politique et journalistique pour décrire les publications sur le Net dans lesquelles, selon eux, les informations sont amplifiées et déformées. »

·        « 810 » : « Engagement écrit de ne pas troubler l’ordre public signé devant un ou une juge. »

 

J’ai également noté une phrase dans le texte qui a vraisemblablement servi d’inspiration pour la création de l’illustration de la première page.

 

« Seule dans le petit parc, Odile Imbeault suivit machinalement la trajectoire d’une feuille rouge qui se détachait d’un arbre pour venir se poser au sol. »

 

J'ai aussi remarqué quelques « du coup », probablement pour séduire un lectorat français, et je me souviens de ces quelques passages :

 

 « ... des rayons insistants arrivaient à se faufiler là où le tissu bâillait, pour venir peindre sur les murs un lacis de lignes fines. »

 

« Les mots, tandis qu’elle lisait, défilaient, fluides, dans ses lunettes. »

 

« Le temps passe au ralenti quand on n’a rien à faire. On finit immanquablement par s’ennuyer. Tellement que l’esprit en profite pour s’égarer et suivre ses propres voies, tortueuses, sinueuses. »

 

« Dans les films, les héros profitent d'un instant d'inattention de leur kidnappeur pour s'enfuir. Dans la vraie vie, ça ne se passe pas comme ça. En réalité, on est saisi de terreur. Tétanisé. On obéit. On ferme sa gueule. On ne pense qu'à une chose: survivre. Survivre à tout prix. On devient obnubilé par cette idée. Et on ne tente rien qui pourrait mettre sa vie en péril. »

 

 « Les procureurs, avec leurs éternels problèmes d’argent, leur pénurie de main-d’œuvre constante et consternante, les inévitables retards que tout cela engendrait, faisaient piètre figure. »

 

Enfin, sauf erreur, j’ai noté une incohérence dans la suite des événements aux pages 35 et 36 :

 

Yves Lavoie « monta à bord [de sa voiture], referma doucement la portière, et démarra » [...] En route, il repensa aux derniers événements ». À la page suivante : « Il monta dans sa voiture, démarra... » !!!

 

* * * * *


Catherine Lafrance est originaire de Montréal. Journaliste à la radio et à la télévision, elle a passé plus de vingt ans dans des salles de rédaction. Elle a travaillé notamment à Radio-Canada. Elle est aussi scénariste pour des séries télévisées. Après sa carrière journalistique, elle est devenue écrivaine. Elle a publié cinq romans et quelques nouvelles. Aujourd’hui, elle est heureuse de pouvoir se consacrer entièrement à ses projets d’écriture.

 

 

Merci aux Éditions Druide pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer dans votre librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  ****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  ****

Appréciation générale : ****

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