Sylvie Baron. – L’étrange locataire de madame Eliot. – Clermont-Ferrand : Éditions
de Borée, 2024. – 268 pages.
Cosy crime
Résumé :
Seule désormais avec sa fille, Madame Eliot
se refuse à envisager de quitter « les Chênes », cette belle demeure où
l’accompagnent tant de souvenirs de son bonheur perdu. Elle devra se résoudre,
bien à contrecœur, à la seule solution qui s’offre à elle : louer la Tour,
bâtisse attenante à la maison et pouvant disposer d’un accès particulier.
Peut-elle imaginer qu’à compter de cette simple décision, elle se verra plongée
dans un autre monde, rempli d’angoisse, avec cet étrange locataire qu’elle va
choisir et ces trop nombreux accidents mortels qui vont désormais entourer son
quotidien?
Commentaires :
Une autre découverte : une auteure de polar
du Cantal qui a déjà à son actif plus d’une dizaine de romans publiés depuis
2014.
Dans l’esprit du cosy crime, « L’étrange colocataire
de madame Eliot » nous plonge dans un petit hameau voisin de
Versailles, où se déroule une histoire captivante, soigneusement construite,
avec un suspense savamment dosé et plusieurs retournements de situation qui maintiennent
notre curiosité jusqu’à la fin, dans une conclusion explosive et visuellement
saisissante.
Quel endroit plus propice à la diffusion de
commérages et de potins qu’un creuset où tout le monde se connaît presque
intimement ? C’est ce qui se passe dans une petite communauté divisée en deux
clans par un projet d'autoroute. Après l’arrivée d’un nouvel étranger, une
série de décès mystérieux, dont l’incohérence est progressivement mise en
évidence par l’un des personnages principaux, se succèdent sur une courte
période. Alors que tous sont « prêts
à croire à la thèse confortable des accidents à répétition » pour «
... ne pas faire de vagues ni de remous,
être toujours circonspect, écarter tout ce qui pourrait nuire à la quiétude
villageoise ».
Avec talent, Sylvie Baron crée des
personnages bien dessinés et convaincants, certains d’entre eux étant même
attachants :
Maud Eliot, bibliothécaire, qui se
métamorphose en détective amateur, révélant petit à petit le pot aux roses.
« Tout s’entremêlait dans sa tête, les
suppositions les plus farfelues comme les scénarios les plus sordides. »
«
... elle adorait les livres, tous les
livres, et c’était une chance inespérée que de pouvoir s’adonner sans remords à
cette passion tout en pouvant en faire profiter les autres. Elle s’intéressait
aussi à l’histoire locale et remuer les archives poussiéreuses pour trouver un
récit qu’on pourrait publier au bulletin municipal sous la rubrique ‘’ En ce
temps-là... ‘’ était un pur plaisir. »
Sa fille, Catherine, passionnée par le monde
mythique des Chevaliers de la Table ronde et des récits arthuriens.
Bernard Lancieux, l’historien locataire animé
par ses recherches sur le Grand Condé, aux attitudes plus ou moins ambiguës,
qui fait « preuve d’intelligence, de
générosité et d’humour » :
« Jusqu'à une époque récente, je n’existais
que par, et pour le Grand Condé. » Je me levais en pensant à la victoire de
Rocroi, je déjeunais avec la stratégie de Fribourg et les fastes de Nördlingen
et je me couchais avec la Fronde en rêvant encore à la bataille de Hollande.
Mais depuis que je suis ici, j'ai tendance à oublier le siècle du Roi-Soleil
pour me plonger davantage dans le nôtre et même si ce soir, par exception,
j'aurais préféré être à l'époque des carrosses, j'avoue que la plupart du temps
j'y trouve un immense plaisir. »
Tous trois résident au domaine « Les chênes », nommé ainsi « parce qu’il y en a trois près du ruisseau…
». Cela m’a fait sourire en me rappelant les polars de Louise Penny, dont
l’action se déroule dans le village fictif de « Three Pines », où on retrouve aussi trois arbres autour
desquels des meurtres se multiplient.
Parmi les suspects potentiels, on compte :
Paul Ferry, le « maire dynamique et dévoué à sa commune [qui], « de peur de voir s’envoler une quelconque
subvention, [accepte] sans broncher
un tracé autoroutier incongru qui défigurerait le paysage. Cependant, devant le
mécontentement de ses électeurs, il [accompagne] les réactions en soutenant les protestataires mais de façon
suffisamment lointaine pour ne pas être mis en cause. »
Alain Tellier, notaire et membre du conseil
municipal, qui a un œil sur Maud Eliot.
Le docteur Bréchot, qui tient à conclure à
des « accidents domestiques
mortels » plutôt qu’à des meurtres, maîtrise l’art « de ne pas établir de diagnostic » et « de laisser
planer le doute ».
Fred, le tenancier de bar, « un incorrigible gamin qui ne [veut] rien prendre au sérieux).
Le père Cugi, le bouillant curé de la paroisse,
et ses sermons « insipides,
redondants et assez malsains » à la Bossuet.
La boulangère toujours « au courant des derniers ragots du village ».
Du côté des victimes, madame Cédile, madame
Frémi, monsieur Mordret, garagiste
« fouineur et opportuniste »,
« âpre au gain », le jeune Mathieu Tournaire, petite peste et...
« Cinq petites boules jaunes, encore
chaudes mais sans vie, [...], cinq
petits poussins arrachés à leur mère et abandonnés là par un sale voleur de
poules ! »
Et, évidemment, la personne déséquilibrée et
psychopathe qui sévit dont les états d’âme et les motivations (avec
quelques redites) sont progressivement exposés au fil des chapitres – comme
l’illustrent bien ces quelques extraits :
« Une cruauté horrible se lisait sur son
visage qui n'avait plus rien d'humain, la migraine atroce qui enveloppait son
esprit démoniaque le faisait sombrer dans la folie. [...] – pour ne pas
donner un indice sur le sexe de la personne coupable – n'arrivait plus à contrôler les tremblements nerveux de ses membres et
ses ongles qui labouraient sa propre chair faisaient saigner ses mains sans
même qu’ [...] s'en rendre compte. »
« Cette idée de rédemption par le sacrifice,
qui faisait appel à des rites anciens, l'excitait au plus haut point. [...] se mit à trembler convulsivement, ses mains
moites se tordaient de jubilation, une joie mauvaise brillait dans ses yeux.
Tout son être malsain se tendait vers la consécration de cette idée qui, dans
son esprit dérangé, devenait un but ultime et nécessaire. »
Dans
« ce siècle décadent fait de luxure,
de corruption, de sexualité effrénée, d’asservissements et de mollesse »,
[...] « haïssait cette société dite
de consommation pour laquelle [...] n’avait
que du mépris. Il était urgent de la purger de ses bassesses et seule la mort
pourrait la purifier » et « démontrer
qu’ [...] était vraiment un être
supérieur »
« Ses doigts se nouèrent et se dénouèrent en
un mouvement saccadé, [...] balança
sa tête d'avant en arrière, le regard fixe, les yeux exorbités et un rictus
mauvais sur les lèvres. Son esprit malade lui refusait tout repos et la
migraine affreuse qui [...]
tenaillait tous ces derniers jours martelait sauvagement ses tempes et
pulvérisait ses pensées les plus noires en un tourbillon incessant de visions
cauchemardesques. »
Pour tracer l’évolution du plan de la
personne meurtrière, « sa vengeance
envers la société », Sylvie Baron a ponctué le récit de chapitres rédigés
en italique décrivant, entre autres, son modus
operandi : faire en sorte que ces événements soient interprétés comme des
accidents en variant « les moyens
pour égarer tous soupçons » ; exécuter des meurtres « d’une perfection indéniable »,
sachant qu’ […] détenait « le
pouvoir effrayant de commettre des meurtres parfaits ».
La romancière en profite pour semer quelques
indices tels qu’une « griffure sur
sa main droite » faite par une des victimes, que « son père était garagiste... » ou [...]
doit soigner une morsure au mollet et à la main par Skepsy, le chien de Maud
Eliot.
Toutefois, si vous êtes plutôt perspicace,
vous pourriez, comme moi, deviner assez rapidement l’identité de la personne
coupable, et ce, sans que votre lecture du roman soit gâchée. Une écriture
efficace et un suspense bien entretenu nous tiennent en haleine. La finale est
époustouflante comme dans les meilleurs romans d’horreur, hémoglobine en moins.
Quelques extraits notés au passage :
« Ses livres étaient faux, comme ceux qui
remplissent les rayonnages des bibliothèques d’exposition dans les magasins
d’ameublement. Avec seulement une couverture cartonnée pour le titre et
l’auteur, l’intérieur étant désespérément creux. »
« ...
il fut récompensé de sa proposition par
le regard limpide de deux yeux gris sans nuage. »
« Elle n’eut pas besoin d’exprimer des
remerciements, ses yeux parlaient pour elle, ils reflétaient la passion du
jardinier, du créateur et de l’amoureux de la nature, celui qui a le goût de
l’effort, de la poésie et de l’éphémère. »
« Elle essayait de réfléchir calmement, mais
les mille bruits furtifs du soir renforçaient son angoisse et sa crainte. »
« Tu dois lire trop de romans policiers
[...] ou tu n’en lis pas assez, car tu
saurais alors que ce qui compte c’est le mobile. »
« Les phares trouaient brusquement l’obscurité
de ces petites routes désertes de la campagne et la voiture filait, bondissante
et silencieuse comme une bête sauvage, tandis que la nuit se refermait aussitôt
derrière elle pour mieux garder dans ses entrailles ses profonds mystères. »
Et tout finit bien pour madame Eliot et son locataire,
comme dans un film romantique.
* * * * *
Merci aux Éditions de Borée pour le service
de presse.
Au Québec, vous pouvez commander votre
exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer dans
votre librairie indépendante.
Originalité/Choix du sujet : ****
Qualité littéraire : *****
Intrigue : ****
Psychologie des
personnages : ****
Intérêt/Émotion
ressentie : ****
Appréciation générale : ****
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