Susan. Les enquêtes de Joseph Laflamme 07 (Hervé Gagnon)


Hervé Gagnon. – Susan - Les enquêtes de Joseph Laflamme 07. – Montréal : Hugo Québec, 2024. – 411 pages.

 

Thriller

 


 

Résumé :

 

Montréal, mai 1895 – Avec le printemps, un prédicateur aussi exalté que suspect s'installe à Saint-Henri-des-Tanneries. À coups de sermons enflammés, il a tôt fait d'exciter les bons catholiques contre les francs-maçons, auxquels il attribue tous les maux qui affectent la nation canadienne-française. Tout converge pour créer une situation explosive : une histoire de revenante qui, dit-on, erre dans le quartier Griffintown; la parution d'un livre sulfureux signé par Jules-Paul Tardivel, ultramontain de choc influencé par les délires antimaçonniques du fabulateur français Léo Taxil; et la construction d'un nouvel édifice par la Grande Loge du Québec, sur le boulevard Dorchester.

 

Les manifestations ont tôt fait de dérailler et se transforment en émeutes. Parallèlement, on assassine des francs-maçons. Joseph Laflamme, George McCreary, Emma Laflamme et Mary O'Gara enquêtent - avec l'aide d'un revenant.

 

 

Commentaires :

 

Quel plaisir de retrouver dans ce septième volet des enquêtes de Joseph Laflamme le quatuor (Emma, Mary, George et Joseph) imaginé dix ans plus tôt par Hervé Gagnon, locataire de la maison au fond de la cour de l’avenue De Lorimier, entre Mignone et Sainte-Catherine. Et de saluer le retour de France après deux ans d’absence de Marcel Arcand qui récupère son poste d’inspecteur au Département de police de Montréal. Département dont une partie de l’efficacité dépend des deux couples en instance de mariage (peut-être dans un 8e tome).

 

Joseph Laflamme y est tout aussi gouailleur, ne cessant de « picosser » son futur beau-frère britannique et Marcel Arcand qui le lui rendent bien ainsi que « mademoiselle Saint-Germain », réceptionniste au journal La Patrie. Et aussi anticlérical possédant un certain « don pour profaner verbalement les choses saintes » en lançant pour se défouler : « Sacrement de maudit tabarnac de bout de calisse de crisse de saint-chrême de baptême de ciboire de viarge ».

 

Avec « Susan », Hervé Gagnon nous entraîne dans un « Printemps meurtrier », celui de 1895 qui cumule son lot de cadavres, au cœur d’une controverse complotiste sur le dos des francs-maçons montréalais, un sujet de prédilection de l’auteur historien. Un récit où l’auteur insère encore une fois des messages codés.

 


Comme dans les romans précédents, une brochette d’acteurs fictifs bien campés côtoie des personnages réels tels que John Powell Noyes, avocat franc-maçon, journaliste, historien et bâtonnier général du Québec, Honoré Beaugrand, ex-maire de Montréal, franc-maçon et propriétaire du journal La Patrie et Jules-Paul Tardivel, journaliste et romancier ultramontain, un des premiers Canadiens français à préconiser l'indépendance et l'instauration d'une république canadienne-française.

 

Nous sommes à l’époque où l’édifice de la Grande Loge du Québec est en construction sur le boulevard Dorchester :

 

«  Un tube de plomb scellé contenant des lettres manuscrites et de menus objets [y sera inséré dans la pierre angulaire] à l’intention des frères du futur. »

 

On y découvre aussi quelques caractéristiques architecturales d’une des loges :

 

« Le plancher en damier, le plafond bleu ciel orné de sept étoiles dorées, les fauteuils massifs disposés aux quatre points cardinaux, les deux colonnes qui encadraient l’entrée. »

 

La nouvelle église de Saint-Henri-des-Tanneries est maintenant accessible aux paroissiens. Elle sera au cœur des événements. Au château Ramezay, un musée est en cours d’aménagement. Son ouverture au public est imminente alors qu’en octobre 1894, le château Frontenac de Québec avait été inauguré. Avec une mention à propos de « La Malbaie, là où, [...] les gens riches se détendent. »

 

« Susan » est une fiction qui, jusqu’à un certain point, décrit une réalité contemporaine qui a pris son essor avec la Covid : le complotisme sanitaire et politique que dénonce Joseph Laflamme :

 

« … il suffit d'inventer n'importe quel complot tiré par les cheveux et de le présenter comme la réalité sans l'appuyer sur la moindre ombre de preuve. Ensuite, on le répète assez souvent et assez fort pour que des gens finissent par le croire. Aucun talent n'est requis. À peine un peu d'imagination. Les faits n'ont aucune importance. Il suffit d'avoir la foi. »

 

D’abord l’épidémie de scarlatine qui a frappé Montréal en 1894-95 ayant fait 700 morts et l’existence de la Maison de désinfection (pour les Canadiens français) et le Civic Contagious Hospital (« pour les patients parlant anglais ») : « hôpitaux spécialisés où les médecins essaient de [...] soigner [les enfants] et où les aumôniers prient pour le salut de leur âme, en cas d’échec de la science. » Car, « à Montréal, même la maladie avait une langue ».

 

Et la mention qu’en 1885, les curés « prêchaient en chaire de ne pas avoir recours au vaccin, qui n’était qu’un complot des Anglais pour éliminer les Canadiens français ». Le maire de Montréal de l’époque, Honoré Beaugrand, franc-maçon, avait fini « par décréter la vaccination obligatoire ».

 

Et le prêchi-prêcha d’un prédicateur nouvellement arrivé à Montréal, l’abbé Pierre-Adélard Breton, un influenceur avant son temps, qui reprend l’argumentaire de ses prédécesseurs sur la survie des Canadiens français menacés par l’ordre maçonnique :    

 

« Tant que les francs-maçons infecteront Montréal et notre belle province, tant qu’ils gangréneront notre moralité, nous ne pourrons jamais avoir notre État indépendant, français et catholique rêvé par monsieur Tardivel. En sourdine, ils œuvrent au maintien de cette confédération de 1867 qui nous relègue au statut de serviteurs et nous étouffe à petit feu. Ils sont le fer de lance de l’impérialisme britannique qui veut nous faire parler anglais et devenir protestants, exactement comme le proposait déjà Lord Durham en 1840 dans son infâme rapport. Eh bien, serez-vous surpris si je vous apprends que Durham était franc-maçon ? »

 

Avec comme solution la réalisation du rêve de Jules-Paul Tardivel :

 

« … recréer une Nouvelle-France canadienne-française et catholique! Perpétuons en terre d'Amérique l'œuvre de civilisation que la vieille France a entreprise! Faisons des provinces du Québec, de l'Ontario et du Nouveau-Brunswick, ainsi que de la partie canadienne-française de la Nouvelle-Angleterre, une nation souveraine dans sa religion, dans sa langue et sur son territoire! Une union douanière et postale avec le Canada anglais maçonnique sera ensuite suffisante pour assurer sa prospérité. »

 

Et comme objectif « que... les Canadiens français redeviennent fiers... qu’ils croient en leur avenir... », tout en les convainquant que les banques anglaises les « maintiennent dans la misère, au service des patrons anglais ! Ils s’assurent [qu’ils restent] un petit peuple de porteurs d’eau et d’ouvriers ! »

 

Au passage, plusieurs ouvrages qui circulent à l’époque sont cités : La Vérité (périodique) Pour la patrie (Jules-Paul Tardivel), La franc-maçonnerie dans la province de Québec en 1883 (Jean d’Erbrée), La franc-maçonnerie dévoilée et expliquée et Les assassinats maçonniques (Léo Taxil) et Le labarium antimaçonnique. Certains de ces ouvrages sont encore de nos jours disponibles en librairie.

 



Mes études classiques m’ont permis de rappeler à la mémoire un segment de l’histoire de l’Empire romain que le roman met première ligne : le «  labarum » qui apparaissait « sur l’étendard fabriqué sur l’ordre de Constantin avant la bataille du pont Milvius, en 312. [...] il était vraisemblablement composé du monogramme du Christ et d’une croix en X ». Le symbole ayant été adopté par la Ligue du labarum antimaçonnique à laquelle le roman fait référence.


 

J’y ai appris un nouveau mot, narthex, et une création néologique de Joseph Laflamme : la « quadrisection capillaire ».

 

Comme dans le roman précédent, Hervé Gagnon met à jour son inventaire des moustaches à la mode de cette fin du XIXe siècle : épaisse, frisée, finement taillée, cirée, lissée, extravagante, en fer à cheval, touffue.

 

Il nous fait saliver avec des échantillons de la gastronomie britannique (welsh rabbit, steak & kidney pie, banger & mash), des fromages anglais (Gloucester, Stilton, Chester, Wiltshire, North Wilton) et d’un classique de la cuisine familiale canadienne-française : le rôti de porc avec des patates brunes.

 

Il partage avec Joseph Laflamme un constat sur l’influence de la religion sur le quotidien des « croyants » : 

 

« Quand on est condamné à vivre pour un petit pain, quand on n'a aucun contrôle sur sa vie ni espoir d'en sortir, on a besoin que l'existence ait un sens, que ce soit la faute de quelqu'un. C'est exactement le même mécanisme que la religion : croyez et vous serez sauvés. Et surtout, gagnez votre ciel par la souffrance. Heureux vous qui êtes pauvres, car le royaume de Dieu est à vous, et tout le tralala. Tout est question d'exploitation de la crédulité humaine. Surtout celle des esprits les plus simples. »

 

Que « ... la frontière entre la ferveur religieuse et la folie est mince » et que  « La foi a cette étrange faculté de devenir la vérité sans la moindre preuve. »

 

Comme dans plusieurs de mes avis de lecture, je mets en évidence ces descriptions imagées :

 

« ... l’air d’une mère excédée par les chamailleries des enfants. »

« ... l’air d’avoir mordu dans un citron. »

« ... aussi nerveux qu’un chat à longue queue dans une pièce remplie de chaises berçantes. »

« Une ombre fugitive passa sur le visage émacié. »

 

Quant aux manifestants qui scandent « Liberté ! Liberté ! Liberté ! », il auraient pu tout aussi bien transformer leurs cris en « Libarté ! Libarté ! Libarté ! »

 

Encore une fois, j’ai eu l’impression de vivre les événements aux côtés des personnages issus de l’imaginaire de Hervé Gagnon qui excelle dans les mises en situation, la trame dramatique qui anime la lecture et les dialogues qui nous font découvrir le profil psychologique des différents acteurs.


« Susan » sera certainement suivie de plusieurs autres enquêtes de Joseph Laflamme, son auteur m’ayant confié avoir trop de plaisir à écrire cette série de thrillers qui pourrait très bien être portés au petit écran. Série dont les maquettes de couverture de première réalisées par Kinos sont représentatives des histoires noires qu’elles emballent.

 


J’allais l’oublier : c’est une excellente idée que d’avoir inclus une carte du « Montréal de Joseph Laflamme » qui permet de repérer les sites où se déroule l’action des sept enquêtes.

 


 

Merci aux Éditions Hugo pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue :  *****

Psychologie des personnages :  *****

Intérêt/Émotion ressentie :  *****

Appréciation générale : *****



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