Alex Nicol. – Les éoliennes de l’Île aux Moutons. – Villefranche de Laurengais : Les éditions du 38, 2021. – 211 pages.
Cosy mystery
Résumé :
Soazic Rosmadec est en colère.
Un énorme chantier se met en place sur l’île
aux Moutons. Ce magnifique petit bout de terre, réserve ornithologique, est
situé à mi-chemin de l’archipel des Glénan, juste en face de Sainte Marine.
Objectif : la construction d’un parc de soixante éoliennes afin d’alimenter la
commune en énergie propre.
Défigurer la baie avec des hélices posées sur
des mâts de 150 mètres de haut, sans parler des nuisances sonores, voilà une
idée qui ne passe pas. D’autant que le chantier et l’exploitation sont confiés,
avec la bénédiction de la mairie, à la Wind Farm Corporation, une compagnie
américaine dont les méthodes sont, de notoriété publique, plus que douteuses.
Soazic et Gwenn Rosmadec décident de
s’opposer à ce projet fou, et s’embarquent avec conviction dans une nouvelle
aventure afin de défendre leur baie. Rien ne leur sera épargné pour les
empêcher de résister : pots-de-vin, manœuvres politiques, tueurs impitoyables.
Pas de quartier !
Commentaires :
« Les éoliennes de l’île aux Moutons » est le 23e opus de la série des Enquêtes en Bretagne du Breton Alex Nicol qui en compte maintenant 27, au moment de la publication de cet avis de lecture en 2024. Un auteur avec qui j’ai eu le plaisir de souper (dîner pour mes amis de l’Hexagone) lors de son passage à Québec et qui m’a remis un exemplaire dédicacé de son roman mettant en vedette son duo fétiche : Gwenn Rosmadec le rouquin, écrivain public et membre de l’agence Magna Carta et sa conjointe, Soazic Rosmadec qui « se font gardiens de l'intégrité de la magnifique réserve naturelle de l'île aux Moutons, en terres bretonnes ». Un polar typique du sous-genre « cosy mystery » (romans de « crimes douillets ») dans lequel les détectives sont des amateurs et le crime ainsi que l’enquête ont lieu dans une petite communauté, où tout le monde se connaît.
Alex Nicol a choisi un sujet
d’actualité : l’implantation de parcs éoliens sans acceptabilité sociale par
des aigrefins dissimulés derrière des arguments écologiques.
D’entrée de jeu, dans un dialogue impliquant
un personnage secondaire,
le professeur Michel Le Gouarder, l’auteur en
profite pour brosser un tableau sur les tenants et aboutissants des différentes
formes de génération d’électricité : hydro-électricité, usines marémotrices, centrales
alimentées au charbon, centrales atomiques traditionnelles et celles dont les
réacteurs de l’avenir sont alimentés par des « billes composées du mélange uranium-oxygène », panneaux
solaires. Et, évidemment les éoliennes (que la France ne produit pas, le
matériel provenant de Chine et d’Espagne et la main-d’œuvre de Pologne) et
leurs limites : la présence ou non du vent, d’où la nécessité de prévoir
une alternative, le nucléaire.
C’est aussi l’occasion de dénoncer l’arnaque
de la production éolienne en France : d’une part, l’État qui achète
« l’électricité au prix de cent
cinquante-cinq euros le mégawatt pendant vingt ans » alors que « le prix du marché est actuellement de
quarante euros » ; et, d’autre part, les paysans qui hébergent une
éolienne dans leurs champs « contre
un loyer de dix mille euros par an », avec obligation de la démonter à
leurs frais, « cent mille euros »
au bout de dix ans. «... un scandale écologique et financier » :
« L'éolienne est soumise aux aléas du vent et quand
il ne souffle pas, ce sont les énergies fossiles qui prennent le relais.
Ensuite, et ça je ne le savais pas, les éoliennes produisent des infrasons,
inaudibles, mais qui s'avèrent dangereux pour la santé d'après une analyse de
la NASA. Enfin pour les fabriquer, il faut extraire des terres rares, sources
de danger sanitaire et d'exploitation d'enfants en Afrique. »
Il en profite également pour rappeler la
fermeture en 2020 de la centrale
de Fessenheim, « une erreur sur le plan technologique » et
l’échec en 1981 du projet de centrale
de Plogoff à la suite de l’opposition des citoyens. Sans oublier les controverses
et les recours en justice entourant l’implantation du parc
éolien en baie de Saint-Brieuc dans la Manche.
La table est mise pour que le lecteur se
laisse entraîner dans les péripéties de cette enquête qui le fait voyager,
depuis le Pays bigouden
en Bretagne jusqu’en Crête et en Turquie. Car, « les Bretons sont de grands voyageurs... ».
En plus des deux protagonistes enquêteurs,
Alex Nicol a imaginé une brochette de personnages bien typés.
Du côté des malfrats, Abigail Thompson et
Gladys Pennington de la Wind Farm
Corporation dirigée par l’inatteignable Wilbur Smith, le clan des
Hollandais, les jumeaux homozygotes d’origine asiatique, Tik et Tak, sans
oublier Arthur Le Riller, adjoint à l’énergie de la commune de Sainte-Marine,
pour ne nommer que ceux-ci.
Parmi les défenseurs de la justice, Claire
Ross, la Navy Seal, dont les parents
ont été assassinés aux États-Unis, et ses drones de toutes tailles : espions,
de combat, lanceurs de fléchettes empoisonnées, porteurs d’explosifs... et son
supérieur, le général MacDonald.
« Les
éoliennes de l’île aux Moutons » est un roman aux sonorités
bretonnes :
Les appels des téléphones s’annoncent avec
des notes de mélodies écossaises.
La langue bretonne est aussi présente dans
certains dialogues :
« Kenavo » : au revoir
« Gast » : juron équivalent à « putain »
« Comment que c’est...? » accent
breton
«
Demat deoc'h AotrouHag evidoch, petra vo
? » : Bonjour monsieur. Que puis-je pour vous ?
« Dipitet on, ne gomprenan ket ar pezh a
larit ! » : Désolé, je ne comprends pas ce que vous dites.
« Devez mat deoch ! Kenavo Aotrou ! » :
Passez une bonne journée. Au revoir monsieur. »
« se mettre à couple » : « en langage de marin, aligner les bateaux
flanc à flanc ».
Il est aussi question des bigoudènes, coiffes
vestimentaires portées par les femmes du Pays bigouden.
Alex Nicol étant lui-même « amateur averti de bons whiskies »,
il offre à son enquêteur de prendre « le
temps de s’octroyer un petit verre de whisky Eddu Silver, son préféré » :
« [Gwenn] porta le glencairn*** au niveau des yeux en face de la baie
vitrée inondée de soleil et admira la teinte pâle ambrée du liquide, avant de
laisser une première gorgée épanouir ses papilles. Puis la seconde pour
apprécier à leur juste valeur les saveurs multiples que recelait ce breuvage
breton inimitable marqué par le blé noir, sa composante principale. »
***
Verre en forme de tulipe pour apprécier les arômes du whisky.
Cette enquête emprunte des clichés de
certaines séries du petit et du grand écran. Comme des gadgets ou la
transmission des missions rappelant celles de Mission impossible :
« Il enfonça deux doigts dans la bouche pour
retirer une fausse molaire et appuya sur la capsule de cyanure qui s’y trouvait
cachée. »
« Vous avez carte blanche. Cette conversation
n’a jamais eu lieu ! »
« Ce télégramme devait être détruit
immédiatement après lecture et aucune mention ne devait en être faite nulle
part. »
« Il mémorisa le contenu puis brûla le papier
en laissant le vent disperser les cendres. »
La technologie y occupe une place
importante : drones, téléphones cellulaires et applications informatiques
comme celle permettant de localiser tous les navires en mer « dès lors qu’ils [ont] ouvert leur transpondeur » :
« les bleus transportent des
passagers, les verts sont des cargos, les rouges des tankers ; en orange, ce
sont des bateaux de pêche et en rose, des yachts. »
Même si le récit est parsemé de quelques
invraisemblances comme, entre autres, la construction aussi rapide d’éoliennes,
la 27e enquête de Bretagne devient rapidement un tourne-page
alimenté par un suspense qui croît avec le cumul des assassinats, explosions et
coups de théâtre, appuyé par le style fluide et agréable de son auteur. J’ai
retenu ces extraits :
« Il cocha un coin de son cerveau pour se
donner l’occasion de traiter plus tard ce problème. »
« Un ballet de bateaux de tout type sillonnait
le Bosphore et les lumières rose tendre de l’orient caressaient la ligne des
toits de tuiles rouges d’Istanbul. »
Et cette belle description du port
d’Héraklion, en Crète, qu’a certainement visité Alex Nicol au cours de ses
nombreuses pérégrinations et où ses protagonistes y dégustent, dans une
taverne, un Retsina, un vin grec dans
lequel est rajoutée de la résine de pin au cours de la fermentation :
« Le vieux port de la capitale crétoise
consistait en une crique naturelle que l'homme avait façonnée au cours des
siècles pour y protéger ses navires. Elle était occupée en grande partie par
des voiliers et des petits bateaux de plaisance ainsi que par les coques de
bois de navires de pêche, dont on se demandait comment leurs capitaines osaient
encore affronter la mer.
La bordure gauche de
cette anse accueillait une ancienne forteresse qui était autrefois le point
d'orgue de cet ensemble architectural. Elle avait ensuite été prolongée par une
très longue jetée terminée par un phare. De l'autre côté, des môles énormes
accueillaient des ferrys venus de divers points de Grèce et de gigantesques
paquebots de croisière. »
J’ai souri en lisant cette mise en situation
dans laquelle une dénommée Krolig, artiste peintre à Locduty « réalise des portraits-robots en discutant
avec la victime et il semblerait qu’elle perçoive les images inconscientes que
celles-ci a enregistrées dans son cerveau. » :
« Soazic perçut le léger frottement du fusain
sur la feuille.
Krolig avait commencé
à dessiner. Elle continua à raconter son histoire, guidée par la voix du
peintre. Cette voix douce et entêtante semblait pénétrer l'esprit de Soazic et
y puiser des impressions, des images, des sensations. Soazic était alors entre
veille et sommeil, un état qui ouvre la trappe de l'inconscient et qui permet
de libérer des trésors enfouis et inhibés. »
Au Québec, une télésérie, Portrait-robot,
met aussi en scène une portraitiste judiciaire qui entre dans la tête des
victimes en les encourageant à revivre des événements troublants qui lui
permettent de mettre en place les morceaux du casse-tête qui forment, peu à
peu, le visage du suspect.
Et j’ai découvert les pizzinis : « truc
très simple de la mafia de Palerme pour communiquer les instructions du chef.
Un petit mot roulé en boule et dissimulé quelque part. [...] Gros intérêt : contrairement au
téléphone, la police ne pouvait pas l’intercepter. »
Vous devinez que j’ai bien aimé « Les éoliennes de l’île aux Moutons »,
une lecture divertissante qui m’a fait découvrir un auteur sympathique qui
gagnerait à être connu de ce côté-ci de l’Atlantique.
Une seule déception : la reliure déficiente
qui se défait en cours de lecture !
* * * * *
Alex Nicol est né à Madagascar. Ses parents revenus en France à Maubeuge, il est devenu instituteur, a travaillé pendant trois ans à Madras, a créé l'Alliance française de Chandigarh au Pundjab. Pendant six ans, il a dirigé le centre culturel français de Djeddah en Arabie saoudite. Comme beaucoup de Bretons, l’auteur prolifique a longtemps été un « expatrié ». Lorsqu'à 45 ans il a enfin pu poser son ancre sur la terre de ses ancêtres, il a mesuré à quel point vivre sur cette terre était un grand bonheur.
Après une carrière de chef d'établissements scolaires aux quatre coins du globe, il a envisagé de créer un cabinet d'écrivain public. Très rapidement l'idée d'en faire un personnage central de roman s'est imposée.
Alex Nicol a coutume de dire que le premier héros
de ses romans c'est la Bretagne et sa grande beauté qui accompagne chacune des
enquêtes de Gwenn Rosmadec et emporte le lecteur dans un parcours vivifiant, au
son des cornemuses et du bruit du ressac. Et le résultat final, c'est un chant
d'amour de la Bretagne partagé par beaucoup de ses lecteurs.
En plus de la série Enquêtes en Bretagne, Alex Nicol a publié neuf nouvelles et trois
ouvrages de littérature jeunesse. Quatre de ses romans ont été traduits en allemand
et un en italien.
Merci à l’auteur pour l’exemplaire dédicacé
reçu en cadeau lors de son passage à Québec.
Au Québec, vous pouvez commander votre
exemplaire sur le site leslibraires.ca
et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.
Originalité/Choix du sujet : *****
Qualité littéraire : *****
Intrigue : *****
Psychologie des
personnages : *****
Intérêt/Émotion
ressentie : *****
Appréciation générale
: *****
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