Renaud Du Peloux. – Ross. – Paris : Cherche Midi, 2025. – 503 pages.
Thriller
Résumé :
Ross, jeune homme mal dans sa peau, ne sait
que faire de sa vie en dehors de sa passion pour l'informatique. Il aimerait
impressionner Julia, sa seule amie, dont il est secrètement amoureux. Mais tout
ce qu'il entreprend semble voué à l'échec.
Jusqu'à ce qu'il rencontre Robert, un rebelle
charismatique, grand adepte de la philosophie libertarienne, qui déborde
d'idées pour s'enrichir. Une en particulier : créer un site web où l'on
pourrait vendre et acheter des stupéfiants aux quatre coins de la planète.
Ainsi va naître Silk Road.
Entre ses compétences limitées, le succès
fulgurant de la plateforme et la pression de Robert, Ross enchaîne les coups de
stress. Sans compter que très vite, Jared, un lugubre employé des douanes
postales, et un agent du FBI, missionné par une sénatrice aux dents longues, se
donnent pour objectif de le coincer.
Commentaires :
Dès lors, des groupes libertariens réclamaient sa libération, « estimant que sa condamnation était une atteinte au principe du libre marché et de la libre entreprise. Pour obtenir leur soutien, Donald Trump [qui n’hésite pas à faire bombarder les embarcations des narcotrafiquants sud-américains : cherchez l’erreur] avait promis lors de sa campagne de gracier Ross Ulbricht ‘’ dès le premier jour ‘’ de son mandat. » Il a tenu sa promesse en signant en 2025, « grâce totale et inconditionnelle ».
Renaud Du Peloux s’est inspiré de la vie de Ross
Ulbricht pour écrire ce thriller palpitant, même si le prologue décrit la scène
de capture de celui-ci quand le lecteur ignore tout de cette histoire. L’auteur
a choisi de transposer la réalité en fiction à New York, entre autres à la
Public Library, où se rend régulièrement l’Administrateur de Silk Road où, pour
la première fois, il met en ligne le site en utilisant le wifi public :
« Ross appréciait ces longues tables de bois
sombre, couvertes d'un cuir vert et usé ; ces lumières basses et tamisées,
dispensant juste ce qu'il fallait d'éclairage pour travailler; cette moquette
râpée jusqu'à la corde ; ces étagères remplies de livres anciens, du sol au
plafond, le long de l'immense salle circulaire et voûtée; le dôme de verre et
sa structure métallique, très haut au-dessus des têtes appliquées. Il
appréciait les chuchotements et les messes basses, les bruits étouffés, les
regards emplis de la crainte d'avoir dérangé son voisin; cette odeur de livres
moisis, que personne n'ouvre jamais, et dont les revêches occupants du bureau
d'accueil sont les gardiens sacrés. »
La chronologie des événements nous fait
découvrir un personnage que Renaud Du Peloux nous rend sympathique. Adepte de
la pensée libertarienne, Ross est hanté par ses connaissances limitées de l’informatique.
Il apprend sur le tas, au fur et à mesure de la croissance exponentielle du
site, sous l’emprise d’un associé, un dénommé Robert, qui, aux pages 204 à 208,
expose son objectif de court-circuiter l’impôt et de déstabiliser l’administration.
Spécialiste des technos, Renaud Du Peloux en
profite pour instruire le lecteur en toute simplicité sur les tenants et
aboutissants de l’environnement informatique qui défie Ross Ulbricht :
·
le
fonctionnement d’un réseau wifi où s’y échangent les paquets d’information
selon certains protocoles de chiffrement (pp.76-79) ;
·
le
réseau Tor (The Onion Router)
qui assure l’anonymat sur le Dark Web (pp. 80-82) et dont les principes reposeraient
par rien de moins que sur la pensée d'un des philosophes les plus influents de
l'Antiquité grecque, souvent considéré comme le père fondateur de la
philosophie occidentale :
« Socrate disait qu'on ne peut pas apprendre
ce qu'on ne sait pas déjà, puisque ce qu'on ne sait pas déjà, on ne le connaît
pas, et ce qu'on ne connaît pas, on ne sait pas comment se mettre à sa
recherche; et si par hasard on tombe dessus, eh bien, on ne saura pas le
reconnaître. »
· les paramètres régissant les adhérents au site Silk Road (vendeurs et acheteurs) et l’offre des produits illicites qui y sont offerts (pp. 90-96) ;
·
le
concept du Bitcoin, « système décentralisé et pair-à-pair afin de
pouvoir échanger de la valeur monétaire en s'affranchissant de tout organisme
tiers tel que les institutions financières » et celui de la
cryptographie asymétrique (pp.139-140) ;
·
les
types d’attaques de la part de pirates informatiques (insertions d’images – hameçonnage – pourriels sur les forums) susceptibles de nuire (pp. 220-221).
Malgré les relations de plus en plus tendues
entre les deux associés, celles compliquées avec Julia, sa seule amie, à qui il
ne peut dévoiler ses activités illégales, la table est alors mise pour que, de
chapitre en chapitre, la traque s’amorce et s’intensifie et que les lacunes en
informatique de Ross ne laissent envisager qu’une issue tragique.
Renaud Du Peloux a campé son récit dans les
bas-fonds labyrinthiques d'Internet et dans ceux des quartiers malfamés de la
banlieue de la Grosse Pomme. Cette description de Harlem est fort éloquente :
« Les rues étaient toujours les mêmes, bordées
de brownstones, ces immeubles de
pierre brune, de construction hollandaise, aux toits plats et aux façades
moulées, qu'on rencontrait à Brooklyn comme à Harlem. Le métro aérien rendait
toujours le même bruit, à la fois strident et grave, assourdissant, tandis que
les rames traversaient le quartier en ligne droite. Les magasins étaient
toujours miteux, les fruits et légumes abîmés, les devantures fatiguées. La vie
nocturne était toujours sauvage et dangereuse, des cinémas aux speakeasies, des carrefours fréquentés aux rues étroites,
sombres et silencieuses. Il fallait continuer de faire attention, la nuit en
particulier, aux abords du parc. Il fallait, par-dessus tout, résister à la
tentation de couper par le parc à une heure indue, lorsqu'on était fatigué et
pressé de rentrer chez soi. Le parc n'avait ni grilles ni clôtures, et ses
allées étaient parfaitement sombres et inquiétantes, et les patrouilles de
police, inexistantes. II circulait, à son sujet, les rumeurs les plus étranges. »
Même la description de certains personnages
traduit la noirceur du milieu des toxicomanes :
« Variety Jones [pseudonyme d’un des utilisateurs
de Silk Road] est laid à faire peur. La
cinquantaine bien sonnée, il a cessé depuis longtemps de s'inquiéter de ce à
quoi il ressemblait. Il est certes un peu gros et avachi, mais ce qui frappe au
premier abord, c'est son visage. Il porte tous les stigmates de la souffrance
prolongée la plus aiguë.
[...] Jones est atteint d'une maladie dégénérative,
qui fait que ses muscles lui procurent des crampes atroces. C'est incurable et
cela fait bien longtemps qu'il souffre. Mais Jones a pris son destin en main.
Ses connaissances [...] l'éclairent
sur le choix des drogues qui lui permettent de tenir le coup.
Variety possède les
cernes les plus importants qui aient jamais marqué un visage humain. Ceux-ci ne
sont pas rebondis comme des coussinets, mais au contraire creusés dans le
visage, de manière affreuse, formant comme de grandes dépressions sous les
yeux. D'un gris terne, elles donnent à son regard une expression lugubre. Le
pire advient lorsqu'il sourit. Car alors les muscles des pommettes contractent
les cernes, qui se rident en une ribambelle de plis. Lorsque Variety Jones
sourit, on ne peut que regretter de l'avoir fait sourire.
Les cheveux sont
longs, gris, sales et clairsemés. Mais quand on découvre l'individu pour la
première fois, on ne pousse pas l'examen à ce niveau de détail. »
Pour illustrer le contexte qui a permis à
Silk Road de se développer si rapidement, l’auteur l’associe, par la voix de
Robert, à l’incapacité de la Poste de contrôler les livraisons de stupéfiants
sur son territoire :
« À la Poste, ils sont complètement finis. Ils
se prennent de plein fouet la concurrence de l'e-mail. C'est comme une mort
subite. L'envoi postal existe toujours, mais c'est devenu misérable en
comparaison de ce que c'était il n'y a pas si longtemps. En conséquence, les
budgets ont été divisés par dix. Par dix ! Et ils continuent de l'être chaque
année. Donc je peux t'assurer que ce n'est pas une armée de superflics, équipée
des dernières technologies, qui s'occupe d'examiner le courrier. À mon avis,
c'est plutôt une poignée de pauvres types, sous-qualifiés et sous-payés. »
Un épisode au cours duquel l’enquêteur du FBI
se rend en Islande pour récupérer le contenu du serveur sur lequel sont
stockées les données de Silk Road est l’occasion pour décrire les habitants de
Reykjavik, des citoyens « aux expressions
tristes et fermées » : « Personne
ne souriait jamais. » Et nous initier aux sagas écrites au 13e
siècle par des moines chrétiens venus du continent à des fins d’évangélisation :
« Les Islandais de l'époque étaient ce qu'on
appelle des ‘’ Vikings ‘’. Mais pas des Vikings comme tu les imagines, comme tu
les vois au cinéma ou à la télévision. C'étaient plutôt des gentilshommes
campagnards. Ils étaient certes assez violents, mais ils étaient surtout
civilisés, avec leurs lois, leurs coutumes. La société viking était
remarquablement développée. Les sagas racontent leurs disputes et la manière
dont elles étaient résolues. La violence en était rarement l'issue. Il y a
aussi le cas des bannis. Les bannis sont des Vikings qui ont enfreint la loi et
qui sont exclus de la communauté. Ceux-là sont condamnés à survivre par leurs
propres moyens. Et dans un climat comme celui de l'Islande, c'est très
difficile. Cette simple peur d'être banni faisait que les lois de l'Islande étaient
respectées sans qu'il soit besoin de les faire appliquer. On se réunissait une
fois par an et on excluait ceux qui le méritaient. Ce qui est intéressant
aussi, c'est la manière dont c'est raconté [...]. Ce sont des récits anonymes. Ils ne sont pas l'œuvre d'un seul auteur,
comme les romans de chez nous, mais d'une multitude de moines qui travaillaient
ensemble à donner une image, la plus fidèle possible, d'une réalité. Ce qui
fait la valeur de ces récits, c'est leur grande objectivité. Aucun jugement ne
s'y exprime. Le narrateur disparaît au profit de son sujet. Ça donne une grande
impression de réalité. »
J’ai donc grandement apprécié ce roman aux
multiples facettes et parsemé de quelques rebondissements. L’approche
pédagogique de l’auteur et la combinaison entre fiction et réalité nous plongent
dans un univers virtuel et parallèle décrit avec une plume fluide et efficace.
Silk Road est aussi le titre d’un
film racontant l’histoire de l'arrestation de Ross Ulbricht réalisé par Tiller
Russell, sorti en salle en 2021.
* * * * *
Renaud du Peloux fait carrière dans la techno, à Paris et à New York. Philosophe de formation, il se passionne pour la pensée libertarienne.
Il est diplômé d'une M.A. en philosophie de
l'Université Paris-Sorbonne et a suivi une formation de « Data Analyst ».
Il a vécu aux États-Unis, où il a été
directeur des programmes de la chaîne de télévision internationale Eurochannel qui
propose du cinéma d’auteur et des séries. Renaud Du Peloux a aussi publié deux
autres romans : Sons
of Anarchy. La guerre perpétuelle
(2013) et Six
contre Une (2023).
Je tiens à remercier les éditions du Cherche
Midi pour l’envoi du service de presse.
Au Québec, vous pouvez commander votre
exemplaire du livre via la plateforme leslibraires.ca
et le récupérer à la librairie indépendante de votre choix.
Évaluation :
Pour
comprendre les critères pris en compte, il est possible de se référer au menu
du site [https://bit.ly/4gFMJHV],
qui met l’accent sur les aspects clés du
genre littéraire.
Intrigue et suspense
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Originalité :
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Personnages
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Ambiance
et contexte :
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Rythme
narratif :
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Cohérence
de l'intrigue :
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Style
d’écriture :
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Impact
émotionnel :
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Développement
de la thématique :
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Finale
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Évaluation globale :
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