Raymond Ouimet. – La vengeance des mal-aimés – Trois drames oubliés. – Québec : Septentrion, 2025. – 167 pages.
Essai
Résumé :
Le désespoir et la vengeance peuvent être le
moteur de crimes sordides. En puisant dans les archives judiciaires et dans la
presse du début du XXe siècle, Raymond Ouimet revisite trois affaires
criminelles ayant fait à leur époque couler beaucoup d'encre, mais ayant depuis
sombré dans l'oubli.
En 1902, Théophile Bélanger, un agriculteur
de Saint-Eustache (Laurentides), ne supporte pas de se voir priver de son rôle
de mari et de père de famille par son beau-frère, habile manipulateur, et ce,
dans l'indifférence presque générale de ses proches et de son épouse. En 1935,
la paisible île aux Allumettes (Pontiac) est le théâtre d'un drame lorsque
Michael Bradley ouvre le feu après une dispute familiale. En 1934, Rosario
Bilodeau, facteur célibataire vivant à Québec, met fin à six vies dans un accès
de paranoïa. Dans les trois cas, les protagonistes ont procédé à l'élimination
des personnes qu'ils pensaient être la source de leurs malheurs.
Commentaires :
Le hasard a fait que dans l’ordre de
réception des services de presse, donc de mes lectures, « La vengeance des mal-aimés », comme
le recueil de faits divers suisses « Des
crimes passionnels » de Corinne
Jaquet que j’ai commenté dans ma publication précédente, revisite des procès québécois
avec la peine de mort comme thématique transversale : trois affaires :
1902 - Théophile Bélanger ; 1934 - Rosario Bilodeau ; 1935 - Michael
Bradley.
« Pour
raconter ces trois drames, [Raymond Ouimet a] consulté les procès de chacun des condamnés à Bibliothèque et Archives
Canada, les dossiers du procureur général du Québec à Bibliothèque et Archives
nationales du Québec, de nombreuses monographies, des journaux du Québec et de
l'Ontario, etc. Les sources sont exposées en détail à la fin de chacune des
parties de ce livre. Quant aux dialogues, ils sont tirés des procès ou des
journaux consultés, mais leurs sources ne sont pas toutes mentionnées pour
éviter d'alourdir inutilement le texte. »
Je ne m’attarderai pas à résumer chacun des
cas que vous pourrez découvrir au gré des trois chapitres aux titres évocateurs :
Les beaux-frères ennemis, Carnage à l’île aux allumettes et Le facteur frappe six fois. Je m’attarderai
davantage à mettre en évidence la richesse pédagogique de l’ouvrage à partir de
quelques exemples.
Pour nous aider à comprendre le contexte et
les acteurs impliqués dans chacune des affaires, l’auteur relate les
circonstances des crimes, propose un portrait physique et psychologique des
tueurs, introduit les différents intervenants reliés à l’arrestation des
suspects, les conclusions des médecins légistes, les enquêtes du coroner, le déroulement
de chacun des procès, les demandes de commutation de peine, les exécutions.
L’identité des notables et politiciens, des
aliénistes, des procureurs, des avocats de la défense, des juges, des aumôniers
et des bourreaux est dévoilée dans de courtes notes biographiques. Le tout
permettant au lecteur de se faire une idée assez précise de l’application de la
justice, sur le territoire québécois, au cours des années 1900-1940, et de l’engouement
des journaux qui scrutent chaque procès et de la population locale qui envahit
les cours de justice, qui assiste aux funérailles des victimes et qui souhaite
être témoin des pendaisons publiques :
« Des gens sont venus de partout pour assister
à la première audience de ce fait divers qui passionne le pays. Les chambres
d'hôtel du village de moins de 1 000 habitants, et des villages voisins, ont
toutes été retenues et les rues sont bondées de curieux. »
« Les funérailles des victimes de la famille
de Bilodeau ont lieu le 29 octobre à 9 heures à l'église du Saint-Esprit de
Limoilou, dont la construction n'est pas encore achevée. Dans le morne décor
d'automne balayé par un vent glacial où se mêle une première neige, sept ou
huit mille personnes sont massées le long du chemin de la Canardière pour
saluer une dernière fois les cinq victimes, et ce, dans un profond respect
marqué par un silence quasi général. L'église, drapée de noir, est pleine à
craquer de fidèles venus de tous les quartiers de Québec et plusieurs centaines
de personnes sont obligées de rester dehors. »
On y apprend, entre autres, quelles personnes
étaient présentes lors des pendaisons :
« ...
des médecins, des membres du barreau, des
journalistes, des juges de paix et les douze membres du jury qui assisteront à
l’enquête du coroner. »
Le contexte tendu de l’érection des potences :
« Le 6 juin arrivent par fret à
Sainte-Scholastique les 103 pièces de bois et ferrements qui composent
l'échafaud rouge sang [...] aucun
ouvrier du lieu n'accepte de participer à l'érection du gibet; il faudra faire
venir des ouvriers de Montréal ! »
L’arrivée et l’hébergement controversé d’un bourreau – l’auteur dresse d’ailleurs des portraits de deux d’entre eux : John Robert Radclive (1856-1911) qui aurait pendu entre 132 et 200 condamnés (pp. 80-81) et Arthur Ellis, 1864-1938 (pp.158-159) :
« Le bourreau John Robert Radclive arrive à
Sainte-Scholastique le 9 juin dans un état d'ébriété avancé. Aucun hôtel du
village n'est disposé à l'accueillir et il doit demander l'hospitalité au
gouverneur de la prison qui le fait enfermer dans une cellule. L'exécuteur, qui
n'apprécie pas le traitement, proteste en hurlant et en frappant la lourde
porte de fer qui l'empêche de sortir du réduit. Il demande du scotch et quand
on le sert, il parvient à s'évader de la cellule. Le gouverneur lui interdit
d'aller au village et comme il a peur des villageois – il avait subi une raclée à Hull deux ans
plus tôt –, il obéit. »
La peine de mort pressentie avec l’accoutrement
porté par le juge :
« Le juge quitte le tribunal et revient
quelques minutes plus tard coiffé d'un tricorne noir et les mains recouvertes
de gants noirs, signes qu'il prononcera une sentence de mort. »
Les raisons évoquées par les politiciens pour
refuser la commutation de peine :
« ... en ces années de dépression économique,
la bourgeoisie est inquiète et craint la révolte des classes populaires. Aussi,
la justice est devenue implacable envers la classe ouvrière et peu encline à
reconnaître des circonstances atténuantes à un condamné pour meurtre. »
Les femmes qui ne sont pas les bienvenues
dans une cour de justice selon un ecclésiastique :
« Ces jeunes filles et ces femmes [...] n'ont pas d'affaire à se tenir assises
autour du tribunal, du banc des jurés et de la boîte aux témoins. Elles
feraient bien mieux de s'occuper à quelque chose d'utile chez elles et leur
présence aux assises tend à abaisser la dignité de la justice britannique.
Elles ne suivent même pas les témoignages, caquettent entre elles et examinent
le chapeau de la voisine. »
On y trouve également une belle description
de l’intérieur de la salle principale d’audience du palais de justice de Hull
construit en 1901 :
« Les tourelles crénelées du palais et ses
murs en pierre grise bosselée lui confèrent un air de château médiéval. Son
architecture a été conçue pour impressionner la population : il faut monter un
long escalier pour y accéder par deux grandes portes. [...] À l'avant de cette salle, entre deux grandes
fenêtres, se dresse une tribune aux boiseries sombres sur laquelle prendra
bientôt place le juge Louis Cousineau derrière un lourd bureau. À la droite de
la tribune, l’Union Jack, ce drapeau symbole de la sujétion des autorités
judiciaires à la Couronne britannique, est suspendu à une hampe dont
l'extrémité pointe vers le plafond. Un grand Christ en croix, fixé au-dessus
des boiseries murales adossées à la tribune du magistrat, embrasse la salle de
son regard figé dans le plâtre. Il rappelle que la justice des hommes est la
première étape avant le jugement de Dieu. À la gauche et perpendiculaire à la
tribune se trouve le banc de l'accusé, derrière lequel deux hautes fenêtres
contiguës éclairent la salle. En face de l'accusé, de l'autre côté de la salle,
les bancs des jurés. Un simple garde-corps en cuivre sépare le prétoire de
l'espace où prend place une assistance entassée comme des sardines en boîte. »
Raymond Ouimet rapporte également certains
faits à la fois inusités et macabres :
·
le
condamné, en l’occurrence Théophile Bélanger, qui meurt d’une syncope une
minute avant la pendaison et qu’on attache à une chaise pour exécuter la
sentence, « une première dans les
annales criminelles » ;
·
un
autre dont la peine a été commuée parce que « par trois fois, le bourreau s'avère incapable de faire fonctionner la
trappe sous les pieds du condamné. À chaque fois, il est ramené dans sa cellule
dans l'attente d'une réparation. [...]
C'est la pluie continuelle qui avait fait gonfler le bois de la trappe »
;
·
et
celui qui, avant son exécution, assiste à la messe « ses funérailles par anticipation ! – au cours de laquelle le célébrant
lui promet le paradis. Puis, après un premier refus, il prend le verre de vin
qu’on lui offre. »
J’ai aussi été intéressé par les descriptions
détaillées du déroulement des enquêtes du coroner impliquant une douzaine de
jurés, celui des procès et l’influence du juge sur les décisions des jurés dans
son adresse à ceux-ci avant leurs délibérations.
L’ouvrage contient quelques illustrations :
lieux où ont été commis les crimes, palais de justice, hôtels où résident policiers,
avocats, bourreaux... ainsi qu’une représentation graphique d’un des tueurs
(Théophile Bélanger) et les photographies des deux autres (Michael Bradley et
Rosario Bilodeau) reproduites en couverture de première.
L’auteur conclut son essai par des
considérations sur la peine de mort et son abolition : « ... ce n'est qu'en 1976 que le Canada
révoquera la peine capitale par une majorité de six voix à la Chambre des
communes, et en 1998 qu'elle sera abolie pour les membres des Forces armées. »
Entre 1642 et 1960, environ 351 personnes, dont 17 femmes, ont été exécutées au
Québec.
* * * * *
Je tiens à remercier les éditions du Septentrion pour l’envoi du
service de presse.
Au Québec, vous pouvez commander votre
exemplaire du livre via la plateforme leslibraires.ca et le récupérer à la
librairie indépendante de votre choix.
Évaluation :
Pour
comprendre les critères pris en compte, il est possible de se référer au menu
du site [https://bit.ly/4gFMJHV],
qui met l’accent sur les aspects clés du
genre littéraire.
Style
d’écriture :
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